Créé le: 02.10.2022
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La lettre presque paRFaite de Roger

Roman, Sport

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© 2022-2024 André Birse

Chapitre 1

1

Le dernier ou peut-être l'avant dernier chapitre de " Mon ami le Roi". Fin d'une aventure de suiveur. Il y a maintenant de la matière car l'histoire est finie. Pour Roger les souvenirs et les fruits de sa carrière, pour le suiveur, un texte à relire et travailler.
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Le 9 septembre 2022, Roger a publié un message sur ses comptes numériques en hommage à la Reine Elisabeth II décédée la veille. Il s’est dit « profondément attristé par le décès de Sa Majesté Royale » et a choisi de préciser que « son élégance, sa grâce et sa loyauté dans l’accomplissement de son devoir vivront dans l’histoire». Rendre hommage à la reine d’Angleterre qui régnait depuis 29 ans quand Roger et né – et depuis 6 ans au jour de ma naissance si cette information peut intéresser quelqu’un – c’est autre chose que de dire au revoir sur les réseaux à une championne comme Roger le fait parfois, avec l’élégance qu’on lui connaît. Mais il a trouvé les mots pour cet hommage royal et s’est senti autorisé à les publier. On entendait ces temps derniers qu’il allait peut-être échanger quelques balles ou faire équipe avec Kate, belle-fille du nouveau roi. Il fait partie de ce sérail et de quelques autres pour avoir partagé son règne avec de plus grandes et puissantes gloires de la sienne.

 

Nous savions que la reine était proche de la fin vu son âge et son visible affaiblissement. Mais nous avons été surpris par la soudaineté de sa mort. Les régnants sont aussi là pour nous rappeler la vulnérabilité de tous. Et nous acceptons la leçon pour l’oublier aussitôt. Il existe un agenda irréel, qui s’incruste dans nos souvenirs et dans lequel les disparitions ne sont notées qu’au jour ou elles surviennent. Il se remplit, ses pages perdent de leur blancheur. Une file d’attentes invisibles existe en chacun, les fins de quelque chose, le travail, le mariage, la carrière, l’amitié, la mort des étoiles dans le ciel et dans la vie. Il y a en effet de quoi être triste et nos meilleurs philosophes nous avertissent de l’impréparation continue dans laquelle vaille que vaille nous nous complaisons. Chaque instant renouvellerait la vie et perpétuerait la mort. Fin provisoire de l’exercice philosophique.

 

Roger jouera-t-il encore ? Je me lassais de cette question si souvent entendue dès que le groupe en société se densifiait et avant même qu’il ne s’anime. La réponse était proche. Le voir une fois encore à Wimbledon pouvait sembler possible, puis le semblant et le possible se sont éteints. Le message suivant, publié par Roger ce jeudi 15 septembre 2022 est adressé à ses amis du monde du tennis et au-delà, une semaine après la mort de la reine, mais c’est un hasard de circonstance. Pour une fois, Roger a le même problème que ses fans, et ses sponsors aussi : chercher les mots pour dire en quoi cette aventure fut grande.

 

Il les a formidablement trouvés, peut-être un peu aidé par quelque conseil mais ce sont ses mots. Il les lit à haute voix – que je trouve un peu cassée – et l’on comprend l’annonce qui vient. Il a aimé, plus que tout, rencontrer des gens. « People » en anglais c’est un peu différent, plus proche peut-être de l’idée de personne. Il a joué 1500 parties en 24 ans. Les blessures et les opérations. Il va nous dire qu’il arrête et c’est ce qu’il dit. Il fallait l’entendre alors que c’était immanquablement joué d’avance. La carrière de Roger est derrière lui. Il n’y a plus rien devant s’agissant de lui en compétition. Les réponses tweets fusent « nous savions que c’était imminent mais nous n’étions pas préparés ». Je dois admettre que je l’étais, par l’écriture de ce texte notamment et que ce passé, enfin peut advenir dans nos mémoires sans que l’on y cultive le moindre regret. C’est ainsi, c’est la vie, c’est le jeu. Une plus juste perspective s’impose dans la remémoration de ce passé récent qui entame son éloignement présent dans nos esprits. A ce jour et pour longtemps. C’était les années 2000 qui se sont fait attendre puis ont filés. Roger fut l’un de leurs princes devenu roi. Il s’y connait en matière de monarchie et nous apprenons tous notre leçon ces jours-ci avec les funérailles de la reine. Le moment où elle passe pour la dernière fois devant Buckingam Palace, puis devant les statues de ses parents et celle de Churchill. Quand on enlève du cercueil l’orbe, le sceptre et la couronne. Le pas cadencé des marins et des membres de la famille en peine. Les couleurs partout et le silence d’Elisabeth. C’était un moment. Roger en aurait certainement choisi un autre pour faire son annonce personnelle, Mais il a un engagement en cette fin de semaine et il devait être dit que ce serait le dernier. C’est à Londres. La Laver Cup. La compétition qu’il a créée. Un peu de son avenir.

 

Ce sur quoi je planche laborieusement depuis sept ans, tout le monde s’y est essayé dans l’ après-midi du 15 septembre 2022. Roger a trouvé les mots pour dire qui il est et ce qu’il a fait et si tôt sa lettre publiée, la sphère numérique (figure imparfaite) lui a emboité le pas et les messages ont afflué. Et cette recherche continue du terme juste, de la phrase qui clôt le débat, de la série d’adjectifs insurpassables a pris fin dans cette apothéose, C’est fait. C’est joué, inutile d’en dire plus, Roger se retire sans laisser de vide. Il est là dans la réalité de son œuvre. Il parle dans sa lettre d’adieu de reconnaissance et d’amitié, les joies en heureux souvenirs rejoignent les peines en désappointements évanescents. Les unes et les autres dans une perspective partagée de bel et de grand accomplissement. Cela en moi aussi se déroulait, toutes ces années à attendre à et tenter de définir l’attente et ses suites trouvaient dans cet après midi d’adieu leur juste seuil.

 

Tant d’admirateurs, gens du milieu, fans et collègues, se sont fait auteurs, que les perles de langage se sont soudain démultipliées. Un message m’a particulièrement séduit. Il a été lu à haute voix sur un direct sportif. Le CEO d’une chaîne commerciale en France, Alexandre BOMPARD dont je ne connaissais par l’existence, a publié ces mots « J’ai tout aimé de vous. Votre art du mouvement, votre génie créatif, votre tressaillement animal des sublimes victoires, vos larmes discrètes des insupportables défaites. Le sport centenaire que vous avez réinventé n’aura plus la même saveur. Il a perdu plus que son roi, son âme. » C’est à se demander s’il fallait consacrer autant de pages que je viens de faire alors qu’en moins de 70 caractères l’on peut dire beaucoup et peut-être tout. A voir, à lire. L’ambiance a changé, le vent a tourné, à Buckingham, Sandrigham, Wimbledon – très beau et respectueux message aussi sur le site du tournoi – dans nos chaumières et nos tanières. Roger c’était hier et ce sera un autre demain qui nous appartiendra moins. Le problème n’est plus le même, « plus que son roi, son âme » fait l’unanimité. Plus que sa marque, son style. Il n’est plus en compétition, sur les champs de guerre, mais le souvenir de l’homme, des instants ainsi partagés et du mouvement, sur le terrain, dans les esprits et les cœurs crée, a pris place en sa demeure. Le juste équilibre descriptif des victoires et des défaites sous la plume numérique d’Alexandre BOMPARD. On ne les comptera plus maintenant, ni les unes ni les autres.

 

« Ils ont pleuré les deux, incroyable soirée, tu serais repartie plusieurs fois à la salle de bains ». C’et le message que je viens d’envoyer à ma chère belle-mère qui ne manquait pas un match de Roger mais n’a pas pu assister à ses adieux. Elle les regardera en replay qui jamais ne réinventera le présent. Il y a eu un débordement d’émotions, au masculin et au féminin, après ce match de Londres, à la fois excessif, si l’on regarde de plus près l’état du monde, et parfaitement naturel, si l’on reste encore un moment avec lui et avec eux, les gens joueurs et famille autour de Roger, et le public, sans fin qui a ce vécu intérieur étrange que Roger a provoqué et nourri depuis près de vingt-cinq ans. Une génération, la première de ce millénaire, et nous l’accompagnant.

 

Le match, le dernier, était un double de la « Laver Cup » créée par Roger et ses hommes d’affaires. Le partenaire, Rafael Nadal qu’on ne présente plus. Qui est aussi grand que Roger. Le match pour dire adieu. C’était le dernier moment vécu en direct qui non plus ne réinventera le présent. On ne sait pas ce qu’il adviendra du prochain point. Il est là avec ce corps, ces jambes et cette attitude qui inspirent un au-delà de la perfection que nous ne pouvons pas ne pas nous approprier un peu. Regarder Roger jouer c’était quelque chose dans la vie réelle et dans le mental de ceux qui étaient touchés par lui. Je dirais une attente, une attente en mouvement, un mouvement vers un accomplissement, un accomplissement générant un plaisir, un plaisir qui se faisait attendre et parfois nous fuyait. Parfois, pas toujours, avec Roger ce furent des moments de ce types qui percutèrent nos vies intérieures. Je n’ai pas trouvé les mots, ou très imparfaitement, j’en suis conscient. Me voilà consolé de lire sur tant de pages ces jours-ci, cette même recherche frénétique de formules descriptives, mais le descriptif c’est pour la géométrie. Certaines densités de la vie sociale échapperont toujours à la description. Certaines formules des multiples écrivains du cas Roger sont très belles, inspirantes et superbement trouvées. Les images aussi, les magazines détachés, les numéros spéciaux et les interviews. Tout un matériel médiatique.

 

Ils étaient en bleu pour l’Europe en rouge pour le reste du monde. Ce n’est pas de la géopolitique, heureusement pas. Ce sont les couleurs des équipes de la Laver Cup. Le court était gris noir et l’O2 Arena, formule commerciale, était assombrie. Je ne m’étais pas préparé à regarder cette rencontre de double sinon pour un moment, parce que c’était son dernier match. J’étais déçu que cela se passe dans le noir, car Roger, et ce n’est pas une formule, est un être qui demande et qui produit de la lumière. Une photographe qui l’aura partout suivi, décrit l’une des images qu’elle préfère parmi celles qu’elles à prises de lui. Son visage, de profil nettement démarqué, livrant toute une partie de sa personnalité, alors qu’il lève la tête, une fin-après midi du début de l’été. Roland-Garros 2012, demi-finale. Seule la terre battue, sur cette image, est pourvoyeuse de lumière, ses traits découpés par l’ombre et un petit scintillement dans l’œil, un Roger publico-intimiste comme il dû l’être si souvent.

 

Cette nuit « au cœur de Londres » comme dans cette autre histoire de diamants fameusement chantée, Roger a dit adieux et seules les larmes scintillaient. La sérénité a pris un temps mort. L’émotion s’est emparée de l’arène, les journalistes et les consultants pleuraient. C’était la fête des larmes. Un sportif qui excelle aussi puissamment et aussi longtemps dit plus des réalités de son temps quel la seule excellence de ses performances.  Il entraîne avec lui la part rêvée de ceux qui le regardent. Il en reste quatre, il en reste deux, il n’en reste qu’un. C’est la foule qui prend un bain d’individualité.

 

Ces images de Roger et Rafa en larmes sur leur banc d’équipe de double sont gênantes et n’ont rien de grandiose mais elles révèlent une belle finalité de la compétition spectacle – que j’ai fortement ressentie lors de la finale de Rolland Garros 2008 – et une aventure humaine vécue aux quatre coins du monde par deux hommes au sommet de leur domaine d’excellence : le tennis. Partir dans l’anonymat n’est pas une malédiction. C’est peut-être partir qui l’est et rien de le dit d’une façon absolue. L’anonymat c’est bien aussi, l’expérience que l’on y fait du réel n’en est pas moins riche. Mais Roger n’y pourra plus rien, il est sorti de l’anonymat pour toujours s’agissant de lui, et pour très longtemps s’agissant de l’histoire au-delà de celle qui se limiterait à son sport et de la culture. Et l’émotion de Rafa prolonge l’aventure, donne des réponses et des répliques à ce qu’on attendait de l’avenir mais ne refait pas le passé qui demeure dans la mouvance de ce qu’il fut et dans la fixité de ce que l’on en retient.

 

Je ne peux plus laisser devant moi sur la table ce magazine avec Roger en couverture. Ce regard, lui ne le sait pas et ne veut pas le savoir, m’interroge. Cette amitié est bien trop partagée, elle me contraint à une modestie qui préfigure l’absence. Elle implique des êtres chers et disparus après ou avant même l’avoir connu. Ce regard est trop prégnant. Il devient un marqueur, comporte une signification et me menace plus encore d’insignifiance. Il faut aller bien mentalement pour lui faire face. J’espère que tout se passe bien pour lui aussi. Pour moi ça semble aller, merci, mes ses critères ne sont plus les miens. Un animateur radio disparait, une frêle rubrique se mêle à celles consacrées à Roger. On ne savait déjà plus rien de lui. La disparation équivaut parfois à une simple confirmation. On a ainsi des mots en tête qui ne nous lâchent pas des heures ou des jours durant. Ces jours-ci, c’est « travelling » qui m’accompagne. Une manifestation de l’inconscient dont on ne peut garantir qu’il existe comme part entière de la réalité. Avec Roger, certainement, dans ma vie aussi, et comme moyen de visionnement du réel, efficace tout autant. Nadal et Djokovic ont tenu leurs rôles dans cette soirée attendue et surprenante de fête londonienne. Le premier n’a pas renié ses larmes ni son émotion et le second, qui ne voudra jamais le rester, a parlé d’un des moments les plus forts de sa vie. Je n’ai pas lu de critiques mauvaises sur cette soirée dont la futile profondeur semble acceptée. Poutine gronde en son Oural, on parle de l’horreur nucléaire. Il y a partout de quoi pleurer. L’incertitude est ce qu’il y a de plus clair dans le monde aujourd’hui à l’abord de cet automne 2022. Un grand commentateur de Jean-Jacques Rousseau parlait du langage qu’il faut adapter pour décrire la « saveur incomparable de la vie » (…). Le mot saveur, du coup, ne me paraît plus convenir, les âpretés parfois douces, la rudesse pas toujours douloureuse, ou la transe état dans lequel selon Mats Wilander – qui a conclu par ce mot sa rubrique d’adieu à Roger dans l’Equipe – on se retrouvait constamment en regardant jouer Roger. Comme le facteur, l’était avec le poète, je suis d’accord avec lui. Toutes les petites vaguelettes de la réalité avec les fonds océaniques en dessous et l’étendue sidérale au-dessus.

 

Tu tournes une page, ouvres une rubrique, consultes une vidéo et les hommages continuent de pleuvoir. A Londres encore ce week-end où les rouges du reste du monde (notion définitivement déréelle) se sont imposés pour la première fois, France Tiafoe répond à un micro tendu et dresse un portrait encore une fois parfait sur le jeu, la carrière et le comportement de Roger. On ne peut pas en dire plus, touts les compliments ont été exprimés au-delà d’une limite, peut-être atteinte ces derniers jours, cela devient plus qu’ébouriffant et peut-être même déstabilisant. En bande son, je reconnais la voix du journaliste qui traduit la déclaration de l’américain Tiafoe. On ressent son émotion. Il a commenté des heures et des heures des parties de Roger, avec beaucoup d’authentique fidélité à l’égard du jeu de Roger et des lois de l’existence perçue intelligemment. Chacun est dans son coin si conscient du fait que quelque chose s’arrête et que le tout continue.

 

Vers le tout début de ce roman: Mon ami le roi

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