Voici ma lettre à l'ennemi. On ne peut écrire en prose poétique à nos correspondants habituels, mais à celui-ci j'ai pensé que oui.
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Cher(e) ne sera pas de rigueur ni de circonstance et je ne saurais vous nommer, vous désigner ni même vous définir. Pourtant, sous une forme ou sous une autre, vous existez et je ne puis ainsi vous écrire sans vous défier.

 

L’ordre des choses, que l’on n’a pas davantage qualifié, me fera répondre de vous avoir manqué de considération. Etre ou néant, ai-je feint de vous ignorer ou de déférence vous ai-je  manqué ? J’ai toujours perçu votre préexistence et votre immanence même ne saura me surprendre. Vous êtes, de toute réalité, l’invité sans surprise.

 

Présent en permanence, vous savez aussi, caractère délétère de la constance, surgir à l’improviste. C’est l’une de vos contradictions et non la moins pernicieuse. Peut-être la plus subtile. Mais, avant de vous voir surgir, encore ou enfin, sur ma route, je viens vous proposer une vraie rencontre, voulue, entre existants. Une présence, la mienne, qui vous ferait face, physiquement ou par la pensée, la respiration et les émotions. Vos mille visages, vos réalités multipliées, je veux m’y confronter paisiblement en un endroit qui ne serait pas nécessairement le dernier. Vous que l’on ne peut sacrifier, qui subsisterez tant que subsistera une conscience sur terre et au-delà. Un lieu. Acceptez-vous de convenir d’un lieu et d’un moment ?

 

Tenir dans une vie un rôle aléatoire et d’évidence. Vous êtes celui qui me tuera ou blessera devant moi mon enfant, ivre, fou ou distrait au volant de la voiture. Je vous aurai aperçu durant moins d’une seconde, la dernière de mon existence et peut-être de la vôtre. Le renouveau de la vie vous est certes garanti par l’expérience, le savoir hostile et certaines croyances. J’avais imprudemment fait le pari de ne jamais vous rencontrer et vous vous serez imposé sans même nous connaître, en avoir pris la peine, être attentif à ceux que vous supprimez. Peu importe que soit vaine la souffrance. Vous acceptez que la nature vivante et belle se transforme, pour l’individu que je suis et que les autres sont, en cruautés silencieuses et infernales issues d’un réel qui ignore le tragique et nous broie insensiblement sans même savourer son triomphe que jamais il ne mesurera. Je m’approche et vous devine : bras armé d’un réel rudoyant.

 

Montrez-vous ! Exhibitionniste des abîmes. Violence qui ne prend pas la peine d’être obséquieuse, faite à autrui donc à soi. Vous donner rendez-vous dans votre cellule ou sur votre banc dans les salles grises de l’hôtel de police. Echappé, non encore apparu. Dans l’intimité et le combat. Victime expiant dans l’inimitié, à la rencontre de qui je vais. Surseoir, est-ce déchoir un peu ? Vous me posez de mauvaises questions sans avoir jamais osé franchement me parler.

 

J’en viens à ce silence englouti, le vôtre, sans fin, immortalités vécues, abysses survivants sans âmes ni mémoire. Très haut dans les montagnes, au fond des fosses marines, la mort pour alibi, le mal jetant son spectral dévolu. Inconsistance des opposés, je viens vous trouver dans les grands et petits riens de vos insondables repères. Anonyme et banal, brutal et médiocre, vous croisez mon chemin en habits de dignité et de prestige. Ce soir, vous recevez.

 

Calme et serein, vous vous faites accablant pour certains que vous envoyez à la tombe par le plus douloureux chemin. Soldatesque, troupiers et soudards, vous fûtes braves et vous fîtes à la fois lâches et innocents. Ce n’est pas de me perdre ni de faillir en ma quête, c’est de ne plus vous retrouver, fût-ce en vous ou en moi, qui fera gémir de honte les oubliés de nos supplices. Rebattre ses cartes et vous voir apparaître au plus pressé. Manifestes, le coupable, le sérial et la taupe ou l’appât, crimes à la froide lucidité, trahisons finement accomplies jusqu’à l’exécution où l’ombre encore, sur l’ombre, une lame à la main poursuit, par la traverse, son chemin. Très loin en arrière jusqu’à bientôt dans l’univers, une nuée de comètes pour témoin. Solitudes biliaires, aubes fraîches, silhouettes alanguies, métamorphoses du mal, vous apparaissez dans nos cafardeuses fébrilités. Votre présence, ce n’est pas rien, et votre indifférence généreront aisément le tout en un seul et véritable univers.

 

Vous pourriez ne pas venir à cette mienne rencontre ici requise plus que suggérée, ne pas répondre à mon invitation. Vous serez là, en toute hypothèse, je puis vous le dire car je vous y représenterai. Physiquement par le truchement de mon âme que j’aurai conviée et idéalement par la pensée intense que je vous consacrerai, une hypnose extatique à laquelle je vous ferai participer. Un jour, et cela prend plus de temps qu’on ne le croit, on a rendez-vous avec soi.

 

Vous n’aurez pas à craindre cette échéance, ni l’obligation de réussir. Je me réjouis de nos différences que ne combleront ni le rien, ni le manque, ni même aucunement le possible. L’autre, être en mouvement, n’est jamais démoniaque mais, broyeur de toute chair, il usurpe l’indifférence des cieux. Votre capacité de mise à profit de ses énigmes et votre habitude de vous désolidariser du temps jusqu’à ses plus extrêmes infinités vous rendent meilleur à mes yeux. Comme si vous aviez quelque chose à cacher. Vous êtes depuis toujours en formation.

 

Matière, n’est-ce pas ?

 

Rougeur des laves, pâleur des spatiales interstices, vous tuez dans l’ignorance. Se présenterait à vous un psychiatre qui serait sévère et serait peut-être autant que vous source ou cause du mal. Un psy, c’est vrai, ça refroidi. Excellent, dans le rôle de l’ennemi. Un juge peut le faire aussi, chef d’étage, associé, concurrent, ancien ami, vainqueur sautillant et méprisé, sage accaparant. Tous autant que nous sommes, guide, otage ou chef de rang. Et je me préserve ici, sans vraie ni joyeuse inimitié, des grandes sensibilités de l’amour.

 

Vous viendrez, n’est-ce pas ?

 

Je vous attends. Sur les hauteurs, nous marcherons un moment, jusqu’à la Quille du diable ou préférez-vous les Enfers, depuis Soubey ? Nous trouverons un sentier dans la forêt pour atteindre, en mon seul soir, les immensités jaunes de l’été, couvertes d’une lune rouge, la vision d’un feu fixe et tournoyant. Vous pourriez préférer Orjobet voire encore la ville en début de soirée, place du Bourg de four ou vers les Saules, fleuve allant à sa rivière. Lavandières, la nuit, ce n’est pas tout à fait tranquille et très humainement habité. Je vous rejoindrai en moi-même, ferai un pacte avec mes altérités. Nous éloignant de la prière, ensemble ou seul à seul, nous ferons l’effort, avec le corps et ce qu’il nous reste de forces en l’esprit constituées, de prendre part aux anciennes et futures éternités, tout entières et pour un moment disparues. Faire quelques progrès en s’affranchissant de ce qui agit mauvaisement.

 

Sur la plante nue des pieds, absolument. En contact avec votre terre dans l’univers, je vous rejoindrai par les forces de ma pensée et, sans vouloir faire un avec qui vous serez, en vous m’intégrerai pour permettre au meilleur de nous deux, sans l’autre, de continuer par souci, justement, d’intégrité. La nature de l’élan nous restera inconnue. Crime, amour ou coup de faux. Jamais, acte, connaissance ou foi, je n’aurai su vos espoirs ni comment vous priver du vain plaisir de les réaliser. Inanités saines et lumineusement découpées. Sereines vacuités, jusqu’au dépaysement de l’avenir, les yeux, le noir, un semblant de continuité, vous faire croire à l’essence et à l’unité. Qu’est-ce que la vie, sinon l’expérience du réel, faites déjà et à refaire encore? Nécessairement riche et limitée. Qu’en retire-t-on, sinon à vos côté une déception qui s’éteindra? Il existe des parcelles d’éternités à constituer sans que vous n’y soyez invité.  Votre action aussi est sans retour. Vous souffrirez en cela sans pareil d’une heureuse dissemblance. Alors de vous s’occupera ma toute personnelle et très commune insignifiance qui saura, je ne sais d’où, tout entier vous absorber.

 

Votre dévoyé,

 

André Birse

 

 

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