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Chapitre 1

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Autre divagation sur le motif d'une chanson, Bob, Dylan, Georges Harrison, Olivia Newton John, et nous dans le même panier.
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Eh Oui, « If not for you », si ce n’était pour toi, est une chanson de Dylan. Je l’ai toujours à tort entendue comme étant de George Harrison. 1970, dans le novembre de ma préadolescence, la guitare de George, son premier album solo et « My sweet Lord » qui emportait très loin. Sensiblerie ? La chair, les frissons, le possible de l’avenir. Un aller, un sortir, un accomplir. Georges avait un statut immatériel de demi-divinité et cette guitare qui parlait au « Lord » justement, sans convertir pour autant, me transportait absolument. Plus tout à fait le cas.

 

« If not for you » était quelque part sur le triple album et je l’ai écoutée sans l’entendre plus que cela. Si ce n’était pour toi, « I could’nt find the door », je ne trouverais plus la porte dit le chanteur à sa belle. C’est une chanson légère et convaincante de grand amour pour la femme que Bob aima à cette époque-là, Sarah, avant et après 1970, une fugace éternité, qui reviendra encore dans son répertoire en termes nécessairement plus passionnels et plus tristes. Les amants se font toutes sortes de misères dans les textes des chansons d’amour – doit-on dire –  ou de désir. Je ne suis pas un connaisseur, mais il me semble qu’aujourd’hui l’humeur est différente et que l’engouement sentimental comporte déjà sa suspicion dans la veine des chansons, ce qui n’est pas plus mal. Homme ou femme et inversement, Georges Harrison ou Olivia-Newton John.

 

Grease, c’était 1978, n’est-ce pas ?

 

Sandy, cette femme blonde qui se transforme en vamp, c’est ce qu’on osait dire alors, pour séduire le personnage joué par John Travolta. Tu es celui que je veux, ouh ouh ouh. Cette scène dans laquelle après avoir jeté sa cigarette au sol, et toussé un peu, car Sandy n’était pas fumeuse, elle le repousse du pied, sensuellement, nous en avons tous frémi, et lui dit en chantant « b etche bop, cause I need a men ». « Betchebop » car je veux un homme, vouloir, besoin, désir, tous ces mots conviennent à la situation. Quarante-quatre durant, je me suis contenté de ce « betchebop » et le fredonnais ainsi à chaque fois que je les entendais, Sandy et Travolta ou les voyais dans cette scène qui ne faiblit pas d’intensité,  a en cela gagné au fil des années. Ce n’est que récemment, à la mort d’Olivia Newton-John que j’ai pris la peine d’aller vérifier ce qu’il y avait derrière ces trois syllabes. On l’entend à peine, il faut le lire, non sur les lèvres mais sur les « lyrics » que nous propose Internet. Et la surprise vint, « better shape up », tu ferais mieux d’être en forme car je veux un homme, et lui et moi au sol repoussés. Le sol encore comme dans It Ain’t Me Babe et comme dans If not for you, « I couldn’t see the floor », je ne pourrais voir le sol, si ce n’était pour toi. Il doit y avoir quelque chose avec le sol dans les métaphores en langue anglaise, ou les non-dits. On y tombe, on y retourne, on ne peut même pas le voir, le sol de la terre ou par double attraction, à la terre et de l’un à l’égard de l’autre se forment les couples. Nous y sommes restés un moment John Travolta, moi et quelques autres, aux pieds d’Olivia. Lui s’est relevé, a dansé dans avec Sandy puis plus tard avec une autre complice dans Pulp fiction. Pour ma part, pardon de l’avouer, mais dans cette cohue planétaire, je suis resté au sol et n’ai compris que très tard que « better shape up », on ferait mieux d’être en forme pour avoir une chance avec Sandy. Quand tout le monde est parti, les seules musiques que j’entendais encore étaient celles de Dylan. Ainsi « Sarah », la chanson de son album Desire (1977) pour son grand amour des seventies « so easy to look at, so hard to define », si facile à regarder si dure à définir. « If not for you » ou « Sarah », de Bob pour la même femme. Les deux côtés de la pièce de la demande amoureuse. Le sifflement léger qu’on entend en 1970 et le tremblement beaucoup plus langoureux quand, quelques années plus tard, les enfants déjà jouent sur la plage Joueront, jouaient, ont joué. C’était, il y a longtemps. Ce mot « Beach » que, depuis mes vingt ans, j’entends de sa voix soucieuse, qui nous indiquait et nous indique que l’heure de la fin de la récréation amoureuse a sonné alors qu’il arrive que l’on attende encore – sans que le cœur s’emballe – qu’elle veuille bien enfin commencer.

 

Olivia Newton John a tout aussi innocemment – mais on ne devrait plus parler d’innocence en déroulant les bandes images, son et silence de son passé et de celui d’autrui – chanté « If not for you  » de Dylan huit ans avant de triompher au cinéma avec Travolta. Le sourire de toutes ses jeunes années était l’expression peut-être fausse d’une candeur qui à vrai dire me gênait. Le problème avec le sourire, c’est bien connu, est que l’on ne peut dire à qui il est destiné et celui d’Olivia était si radieux et si plein de promesses qu’il suffisait d’être le spectateur ou le témoin de son ingénue plénitude pour se sentir délaissé. L’ayant vue à la sortie du film « Grease » dans ce rôle de Sandy, j’ai suivi de loin Olivia, dans les rubriques des magazines, dans la trajectoire de sa vie plus que de sa carrière et j’ai été, comme tant d’autres, impressionné et ému par son courageux et toujours souriant déclin physique. J’espère pour elle que sa vie intérieure aura été aussi lumineuse que son sourire, mais nous savons tous que ce n’est que rarement le cas, et même jamais probablement. La voir ainsi s’avancer sur scène au début des seventies en chantant « If not for you » surprend. Si ce n’était pour toi, « I couldn’t hear de robin sing », je ne pourrais entendre chanter les rouges-gorges. Dans un sourire intact mais un corps affaibli elle aura jusqu’au bout de sa vie repris cette chanson de Dylan, comme si un fameux trio de fin de siècle, Olivia, Georges et Bob, s’était réuni dans l’évidence claire et précaire des jours à vivre. Leurs parcours et leurs sorts furent pourtant si différents – le temps forcément mais jamais définitivement le révèle un jour – que cette chanson simple, au cœur de laquelle l’amoureux se retrouve dans un état « sad and blue », n’aura constitué, pour elle et pour eux, qu’un bref intermède mélancolique souvent rejoué. Dans ces sessions d’enregistrement du printemps 1970, lors desquelles il procéda à plusieurs variations sur ce thème, Bob Dylan, ponctuait la fin de certaines strophes, d’un mot improvisé et souvent entendu – bien que totalement vain – dans le discours amoureux : « et tu sais que c’est vrai ». Qu’est-ce qui est vrai Bob ? Le tout et son contraire que vous avez passé au peigne fin et même au crible de vos propres mots abrasifs tout au long des textes de tant de vos chansons. Olivia n’en eut cure, elle ne reprit de vous que cette chanson sans révéler d’émotion sinon celle de la joie de chanter tout en réservant ses souffrances, on doit le  considérer ainsi en feuilletant nos magazines, à ses silences intimes.

 

Dylan et Harrison chantent ensemble « If not for you ». On les voit au début toujours de ces des années septante former un duo en répétant sur scène ce morceau à deux guitares, avec quelques hésitations. Leur entente est belle. Deux hyper-stars reprennent ensemble ce couplet « mon ciel s’effondrerait », la pluie « would gather », se rassemblerait (idée du déluge toujours), « je ne serais nulle part et me perdrais si ce n’était pour toi ». Harrison idole d’enfance et Dylan, conteur musical du reste de l’existence, réunis aux carrefours de leur gloire planétaire. Ce concert pour le Bengladesh du 1er aout 1971 qui résonna avec tant de ferveur spirituelle, nouvelle voie de protestation. Bob Dylan y était tel qu’en lui-même. Il ne semble pas qu’ils aient ce soir-là chanté ensemble « If not for you ». Mais la prestation de Bob est emblématique de son talent et de l’époque. Georges l’introduisit avec ces mots « je voudrais vous présenter (« bring on ») notre ami à tous, « Mister » Bob Dylan. J’ai si longtemps cru – on ne peut pas dire avoir considéré quand on se limite à croire – qu’ « If not for you » était de Georges Harrison et ne pouvait être que de lui. Cela s’entendait dès les premières notes. J’ai dû faire une confusion avec « For you blue » que Georges a composé pour les Beatles, qui certes ne lui ressemble guère musicalement mais par le texte « for », « you » et « blue » sont au centre des deux morceaux, lesquels sont l’un et l’autre de simples chansons rock d’amour. Un truc qui se passe bien et qui doit être chanté ainsi, une évidence, presque une garantie, qui ne se confirmera pas. L’avenir le dira et le dit au reste déjà un peu dans les trémolos perceptibles entre les cordes, les mots et voix. L’envers de la pièce sur la face B qui dit l’essentiel dès l’origine.

 

En studio, il a cherché la version parfaite qu’il ne semble pas avoir trouvée et toutes sont intéressantes, dont celles avec harmonica. Sur scène au cours des ans, il a massacré ce morceau comme d’autres et l’on retourne dans les sixties ou seventies pour le supporter et retrouver la fascination ou, autre solution d’auditeur, on attend 2020 pour écouter les bandes de 1970. « If not for you » est une chanson qui se voulait légère et qui aura souffert. On peut espérer que de jeunes musiciens et musiciennes en fassent sans état d’âme une reprise. Je cherche déjà d’éventuelles « cover ». Le sourire d’Olivia a résisté longtemps, même fortement éprouvée, elle parvenait à lui donner un certain éclat. Valeureux, éminemment, évidemment. Celui de Georges a pâli au fil des ans. Sa prestation au concert des 3o ans de carrière de Dylan est plus crispée, le bleu mauve de son veston annonce que les soleils des sixties se sont retirés de presque tous les  ciels. Il connaitra, après la gloire, le talent et la sagesse, sur les hauteurs recherchée, une épreuve clinique qui le fauchera en novembre 2001. Reste Bob qui n’a jamais beaucoup sourit, peut-être par lucidité, et qui ne chante plus « If not for you », sinon, et c’est là que l’on vibre, dans ses enregistrements d’essai de 1970, qui me touchent encore ou à nouveau ou enfin peut-être. Nouvellement, différemment, quand je remets ce CD pour un autre trajet dominical dans la campagne genevoise. Phil Collins, qui souffre également, faisait de même quand il habitait dans la région. « J’aime écouter Bob Dylan en roulant ».

 

Entendre une voix dans la fidélité de l’enregistrement, c’est être là, au moment de la session, dans le présent de ces heures disparues mais dont le son a été capté et qui nous sont restituées. Plaisant comme sur l’instant, douloureux comme dans un drame du temps trépassant. Les petits enfoncements du réel bardés d’une ancienne lumière qui passait là à la vitesse qu’on lui connaît. Aucun rafraichissement, sinon celui d’une âme provisoire à l’écoute de certains sons vouée à l’impatience dépassée d’on ne sait qui et moins encore de quoi. L’âme sœur à l’hameçon, connaissais pas. De Michel Legrand, le découvre à l’instant. Mêmes biais, images et sons, 1969, face B des Moulins de mon cœur.

Lire la première partie : It ain’t me babe – Bob Dylan 1964

 

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