Créé le: 22.09.2020
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Coup de chance

Erotique, Humour, Notre société

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Voici une nouvelle version de "Au bord du lac de Tanay". Si cela vous amuse, vous pouvez chercher les 54 mots du vrai billet de loterie. La réponse se trouve en gras dans le texte "Au bord du lac de Tanay"
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Encore en pyjama à 11 heures du matin, Antoine se pencha à la fenêtre. La grisaille ternissait le jardinet. Les oiseaux s’étaient tus. Gris à l’extérieur, sombre à l’intérieur. Au chômage depuis plus d’un an après un long congé maladie, solitaire et bougon, il broyait du noir. Antoine ne parvenait plus à payer les traites de la maison.
Il avait espéré que le bouleversement scolaire provoqué par le virus lui apporterait un petit travail de répétiteur. Mais tout le monde l’avait oublié. Plus personne ne croyait en sa capacité à rebondir. Il avait perdu le goût de faire la cuisine, lui qui adorait ça avant de sombrer dans une profonde mélancolie.
L’instituteur désoeuvré avait renoncé à sa passion culinaire, mais pas à l’envie de manger. Un petit gargouillis dans son estomac le ramena dans l’urgence de l’instant. Il s’habilla lentement et se dirigea vers la Café du Commerce. Un peu moins déprimé que d’habitude, il commanda une demi-bouteille de Bordeaux et une solide entrecôte aux morilles.
Accoudés au bar, des clients jouaient au tiercé. Antoine n’aimait pas les jeux de hasard. Pourtant, ce jour là, quelque chose d’irrésistible le poussa à tenter sa chance. N’y connaissant rien aux performances des chevaux, il opta pour un ticket à gratter, à 20 euros. Après avoir lu attentivement le mode d’emploi, il commanda un café et se mit à découvrir les mots cachés en utilisant une pièce de monnaie.
La mise à jour de trois, quatre, ou cinq mots identiques sur l’une des six grilles à disposition pouvait le faire gagner jusqu’à 100 000 euros. Fébrile, Antoine se prit au jeu. Il gratta, gratta, gratta. De temps en temps, il émettait un lourd soupir de frustration. Soudain, il cria un immonde juron qui fit se retourner les clients du Café du Commerce. Il s’apprêtait à faire des confettis avec ce ticket perdant, lorsqu’il se ravisa. Et si je faisais quelque chose de ces 54 mots inutiles ? se dit l’instituteur, mu par d’anciens réflexes scolaires.
Antoine retourna le set de table et se mit à écrire cette petite histoire qui lui trottait dans la tête:

Ils se rencontrèrent par hasard au bord du lac de Tanay un soir d’automne. Lui, dans son jeans usé et sa veste en pur cuir de porc, sortait d’une kermesse. Elle, le menton enfoncé dans son pull en mohair vert à peine utilisable, un ancien arc en bois d’orme en bandoulière, efficace mais démodé à l’ère des matériaux synthétiques, sortait d’un tournoi de tir sur des cibles de paille à 70 mètres.
Jeunes, échevelés, ils se plurent immédiatement. Il n’eut pas besoin de faire le coq pour la séduire. Elle n’eut pas à user du charme des trémolos suaves de sa voix trop souvent off pour qu’il soit fan d’elle.
L’entame de leur conversation, le premier set du derby dirons-nous, se déroula sans accroc majeur. Elle tourna autour de leurs récents voyages. Il raconta son dernier séjour au Kasakhstan, durant lequel il fut mordu par un serpent, ce qui l’obligea à recourir à la technique du garrot. Elle lui raconta son périple en Perse, l’Iran aujourd’hui, où un élu local lui expliqua comment exploiter une nappe de pétrole récemment découverte près de son village, au milieu du désert. « Nous devons d’abord la cartographier avec plusieurs arcs de cercle entrecroisés, installer le forage, puis nous acclamerons la première gerbe du gisement (sic) », lui confia-t-il.
Le jeune homme buvait ses paroles. Il tombait des nues. Puis, se ressaisit et s’enhardit. Il proposa à sa compagne de boire une petite coupe d’asti. Prévoyant, il avait glissé la demi-bouteille de mousseux dans sa poche en quittant la kermesse, afin de la déguster plus tard. Il se réjouissait maintenant d’avoir agi de la sorte.
Le soleil couchant se reflétait sur la surface du lac. Une légère brise faisait ondoyer un genet à côté d’eux. Bientôt le ciel et l’eau se confondraient et fonderaient du gris entre chien et loup. Le jeune homme se décida à passer la vitesse supérieure avant que l’effet romantique du coucher de soleil ne disparaisse. Leurs impatiences étaient réciproques. « Qu’est-ce qu’il attend ce type ? », se demandait-elle. Elle osa lui lancer : « C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? »
Un brin offusqué, il l’embrassa, et dut faire de gros efforts pour disjoindre les dents de sa partenaire. Est-elle vraiment consentante, ou est-ce un jeu ? se demanda-t-il. « Vous annihilez mes efforts. Pourquoi faites-vous ça ? », lança-t-il, étonné.
« Il ne faut jamais s’arrêter après le premier essai, répondit-t-elle, l’air amusé. Je n’ai pas l’intention de vous flouer en vous faisant croire que vous vous heurtez à un mur ».
Ragaillardi, il se rua sur elle, la déshabilla et s’acharna sur son entrejambe touffu. « Dans ce magma, vous désherbez à la main ou plutôt avec les dents », s’exclama-t-elle en riant. Il s’arrêta net, vexé. L’ambiance romantique s’était totalement estompée, remplacée par la froideur du monde réel. Une lumière blafarde, semblable à celle d’un néon, enveloppait les rives du lac. Voilà ce qui me pend au nez, quand je suis trop pressé, pensa-t-il. Et si je m’excusais ? songea-t-il. Ce qu’il ne fit finalement pas.
Le charme était rompu. Confrontés à cette situation, les uns auraient abandonné la partie de jambes en l’air, les autres auraient remis l’ouvrage sur le métier. Il hésitait. Elle attendait. « Sciera-t-il la branche sur laquelle il s’est déjà couché ? se demanda-t-elle, fatiguée par ce petit jeu qui l’usait.
Plongé dans sa réflexion et son profond dilemme, le jeune homme, épuisé par l’extraction de beaucoup trop de matière grise pour son petit cerveau, s’endormit, en rêvant de sa compagne d’un soir accouplée à son meilleur ami. « Ma parole, il ronfle ! », s’exclama-t-elle, avant de partir l’anglaise.

Pour la première fois depuis longtemps, Antoine était fier de lui. Il avait pu placer les 54 mots requis. L’instituteur sortit du Café du Commerce et décida d’envoyer son texte à un éditeur d’histoires courtes. Et que vogue la galère qui l’avait déjà aidé à sortir de sa galère !

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