Créé le: 15.08.2023
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Comme un goût d’enfance
Il y a 5 ans, je perdais ma grand-mère de la maladie d’Alzheimer. Celle qui ronge la mémoire, qui vole des souvenirs et des instants de plaisir. Mais un jour, alors que la maladie avait progressé de manière fulgurante, je lui apportais un biscuit, qui allait adoucir doucement la fin de sa vie.
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Nous sommes le 5 février 2000, mamie Jane vit ses derniers instants, elle profite comme elle peut, avec des personnes qu’elle ne reconnaît pas, mais elle est là, belle et rayonnante, elle nous sourit, elle nous fait rire. Nous chantons quelques chansons, nous dansons autour d’elle, nous voulons adoucir ce jour le plus possible.
14h00, nous arrivons dans sa chambre. Elle est assise sur son fauteuil, elle regarde par la fenêtre, quelque chose semble la fasciner. Un petit oiseau, rien qu’un petit oiseau. Nous n’osons pas interrompre ce moment de contemplation, alors nous attendons qu’elle nous voit. L’oiseau envolé, elle tourna la tête : « Vous êtes qui ? » Nous nous sommes habitués… non, ce n’est pas vrai, on ne s’habitue pas. Mais on garde le sourire pour elle, même si nous sommes dévastés de l’intérieur. Elle me trouve belle, que mon prénom est mignon, que mes cheveux sont doux. Si tu savais mamie, c’est toi qui m’a fait les plus belles coiffures quand j’étais petite. C’est toi qui m’a appris à prendre soin de mes cheveux, car pour toi, ils étaient trop beaux pour être délaissés.
Il est 16h00, mamie Jane attend son goûter. De la compote, par petite cuillère, pour éviter la fausse route, et un petit boudoir qui fond dans la bouche. Mais aujourd’hui, j’ai voulu lui faire goûter un biscuit différent. Je lui ai apporté un petit beurre. Moi, je commence toujours par les 4 coins, chacun a sa façon de le manger. Mamie Jane prend le gâteau, croque un petit bout, et son visage se met à se figer. Quelques larmes s’écoulent, sa main tremble, je ne comprends pas, est-ce le goût qui la dérange ?
Et spontanément, elle se met à parler d’une petite fille, qui vivait autrefois dans une petite maison de campagne, avec un grand jardin où poussaient des variétés de fleurs différentes. Elle adorait le Lila, elle en faisait des bouquets pour son papa et sa maman. Elle adorait porter des robes à fleurs, et manger les mûres qui longeaient les arbres. Elle jouait à la corde à sauter, à la marelle, sa maman s’appelait Louise, son papa Marcel. Elle allait à l’école à pieds, laissait sa plume dans l’encrier, collectionnait les bons points, et courait dans les champs de blé. L’odeur du poulet du dimanche qui embaumait la maison, les jeux de société, qu’elle gagnait à chaque manche. Et ce biscuit, qui l’a accompagné durant chaque étape de sa vie. Celui caché au fond du placard de la cuisine, comme un trésor à ne pas dérober. Celui qui a séché des larmes, qui a guérit ses genoux écorchés, lorsqu’elle courait à la récré. Un goût, et mille souvenirs en liberté.
Toute son enfance lui sautait au visage, par « le simple goût » d’un biscuit, qui dans sa mémoire, a fait rage. Je n’avais plus vu ma grand-mère aussi éveillée qu’à ce moment-là. Comment des souvenirs aussi lointains peuvent s’accrocher si fort, alors que le bouquet de fleurs offert hier, a déjà déserté de son esprit ? Je n’ai pas cherché à comprendre, j’ai profité de ce moment fort et privilégié, je n’ai pas dit un mot, à peine respiré, pour la laisser s’émerveiller, se rappeler…
10 février 2000, Mamie Jane est morte. Ce coup de téléphone que l’on redoutait, mais auquel on s’attendait, a fini par arriver. Elle s’est endormie, et ne s’est jamais réveillée, c’est la plus belle mort qu’on aurait pu espérer. Nous sommes partis à l’hôpital, sa chambre était ouverte, la famille défilait, mamie semblait si apaisée. J’étais triste, mais heureuse de la savoir libérée. Je n’osais rien dire, je n’arrivais pas à la quitter du regard, car j’espérais qu’elle ouvre les yeux, et qu’elle me dise que ma coiffure est belle, que mon prénom est mignon. Non, je n’entendrai plus ses phrases qui me faisaient mal au début, mais dont je me suis contenté par la suite.
14 février 2000, mamie Jane est enterrée. Elle connaissait beaucoup de monde, et beaucoup de monde l’appréciait. Je suis au milieu d’une foule de personnes qui me sont inconnues, mais tout le monde se regarde avec compassion et respect. C’est fou comme la mort peut rapprocher les gens, et les déshabiller de tout orgueil, car l’on se rends compte que face à la mort, personne ne gagne, et que l’on soit riche, pauvre, noir, blanc, notre cœur s’arrêtera de battre de la même façon.
10h30, début de la cérémonie. Je dois lire un texte que j’ai écrit, jusqu’au dernier moment j’hésite, mais je revois mamie Jane me prendre dans ses bras et me raconter des histoires, alors, je me dois d’honorer sa mémoire. C’est un texte que j’ai écrit pendant sa maladie :
« Mamie, tu as une gomme qui efface les souvenirs dans ta tête, mais une plume qui grave des poèmes dans ton cœur. Tu as l’âme d’un cheval errant n’ayant plus de barrière pour le protéger. Mamie, tu confonds le jour et la nuit. Alors, tu fais des bouquets d’étoiles sous la lune et des rêves profonds sous le soleil, enlacée par cette vaste couverte bleue qui semble te protéger.
Dans ta tête, les prénoms s’entrechoquent et parfois se brisent. Tu pleures quand tu ne te souviens plus. Tes larmes sont sincères. Ce n’est pas grave mamie, je suis là et je t’aimerai toujours malgré tout. Mamie, tu te vois oublier, et ça te met dans un état de malheur profond. Tu sais que tu ne sais plus, que tu ne te souviendras plus, et cela te rend terriblement malheureuse. Mamie, tu racontes la même histoire à chaque fois que l’on te voit, et je t’écoute toujours avec la même bienveillance. Pour ne pas laisser ce souvenir s’envoler à son tour, tu actives dans ta mémoire, la lumière qui veut s’éteindre. Non, pas celui-là, il est trop précieux pour que la maladie te le vole.
Mamie, tu as peur. Je vois tes mains qui tremblent lorsque tu cherches au fond de mes yeux, au fond de tes souvenirs, mon prénom, le prénom de tes enfants, un fou rire, un baiser, la balade que l’on a fait il y a une heure, tu te souviens ? Nous avons bien rigolé ; tu ne sais plus, ce n’est pas grave mamie. Je vois dans ton regard, cette détresse, ce cri qui hurle sur ton visage crispé. Mais malgré ça, tu as toujours gardé au fond de ton cœur, l’amour et la tendresse, et ça, la maladie ne pourra jamais te l’enlever.
Mamie, tu nous aimes comme au premier jour, comme à la première encontre ; tout est recommencement, mais l’essentiel pour moi, c’est que tu sois là, ici et maintenant. Je t’aime, et je sais que tu m’aimes quand tes yeux me regardent, brillants, et l’air désolé. Ne t’en fais pas mamie, tu restes la même ; une femme avec un cœur immense. Je te promets que tu ne perdras pas notre amour ; et lorsque viendra l’heure de partir, tes derniers soupirs seront des ballons que tu lâcheras délicatement dans le ciel ; et tu seras légère, tu seras apaisée par tout l’amour que l’on t’aura donné. Et tous tes souvenirs seront libérés et redeviendront des pétales que nous cueillerons sous la lune, pour en faire à notre tour, des bouquets d’étoiles. »
J’ai essayé de ne pas pleurer, je voulais rester forte pour elle, comme elle l’a été. Et puis j’ai compris qu’être fort, c’est aussi accepter ses larmes, et ne pas les renier, alors, je les ai laissé couler.
Le cercueil sort de l’église, sur une musique qui représentait ma grand-mère ; un son pop, joyeux, vivant, tout ce qu’elle était. Elle ne voulait pas d’une musique « de mort » comme elle disait. Alors, aussi fou que cela puisse paraître, nous avons mis : « Les sardines » de Patrick Sébastien. Mamie Jane avait un humour très particulier, et adorait rire de la mort. Nous ne pouvions pas mieux choisir !
Le moment de l’inhumation fut plus doux et plus léger, nous avions la chanson en tête, et quelques larmes sur les visages s’étaient effacées. Ma maman a tenu à lire à son tour, un texte pour sa maman :
« Une maman, c’est celle qui a froid à ta place, qui te couvre d’un manteau, autant qu’elle te couvre de baisers. Une maman, c’est celle qui devine les petits et les grands secrets, celle qui sens, lorsque ton cœur est ému ou brisé. Une maman c’est celle qui trouve toujours ce que tu perds, un vêtement, un jouet, une joie de vivre envolée. Une maman, c’est celle qui t’a un jour fait honte, celle que tu as trouvé ringarde, gênante, celle qui t’a déposé loin du collège, un jour d’adolescence…
Une maman, c’est celle qui voit tes yeux rouges remplis de larmes, c’est celle qui, sans dire un mot, te prends dans ses bras, lorsque la tristesse te désarme. Une maman, c’est celle qui te demande de finir ton assiette un jour, mais comparé à cette dernière, son cœur est toujours rempli d’amour. Une maman, c’est celle qui attend ton retour à la fenêtre, lorsque tu pars le soir, faire la fête. C’est celle qui aura le souci de te voir revenir, et qui s’attendra parfois au pire.
Une maman, c’est celle qui voit son enfant qui grandit, de ses premiers pas, à son premier job, elle l’accompagne dans toutes les étapes de sa vie. Mais, c’est celle qui voit aussi qu’elle vieillit, lorsqu’un jour, un enfant l’appelle « mamie. » Une maman, c’est celle qui n’est pas parfaite, qui fait des erreurs, qui crie, qui punit, parfois à contrecœur. Mais celle qui n’en reste pas moins la personne qui nous pardonne tout, et pour notre bonheur, donnerait sa vie.
Alors, pour ma maman , et toutes les mamans du monde qui font de leur mieux chaque jour : Merci. »
Elle en a reçu de l’amour mamie Jane. Je suis heureuse qu’elle ai pu terminer sa vie entourée de cette façon là, la maladie met la pagaille dans le cœur et dans la tête, et s’accrocher à un sourire permet d’adoucir les journées qui peuvent être longues, lorsque la seule issue reste la mort pour être en paix.
Mais moi je n’oublierai jamais cette journée où la lumière a jailli de son esprit. Cette lumière que rien ne pouvait refaire briller, et il a suffit d’un biscuit, pour tout réaligner. J’aurais aimé figer ce moment à tout jamais, je ne la voyais plus malade, elle était comme réanimée. Je suis heureuse d’avoir assisté à ce magnifique moment, qui a été un cadeau pour mes yeux et mon cœur. Elle était courageuse de mener un combat qu’elle perdrait forcément.
Mamie Jane est morte avec l’âme en fleur, grâce au goût de l’enfance, que lui a offert ce petit beurre.
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