Pour être intégrée à “Tombe la neige”, mais publiée ce soir, dans l’actualité.
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Charles Aznavour a vécu longtemps et souhaitait vivre plus longtemps encore.

Vieillissant, il était présent et nous ne savions plus qui accompagnait qui. Il a fait toute la vie, la sienne, la nôtre, en respectant les mots qui venaient à lui. « Plus je m’enfonce dans la vie ». S’enfoncer dans la vie. On le dit comme ça ? « Plus je ne peux que constater ». Chanteur diseur, inventeur de mots connus, rendus aux étoiles qui l’ont accueilli. J’ai croisé, un jour, il n’y a pas si longtemps, Charles Aznavour sur un passage pour piétons à Genève et face à lui me suis senti merveilleusement ordinaire. Ce fut tout.

« Aux mille questions que se pose mon esprit souvent perturbé ». L’artiste, celui qui l’est devenu, en chantant, entre dans le monde d’autrui, de ses parents, de son passé, récent, puis s’installe dans une culture, une normalité. Charles Aznavour m’a occupé l’esprit avec des mots bien à lui qu’il nous a rendus. Normalisés, « désormais », dictionnaire, référence, souvenir, d’enfance, lien avec le ciel d’hier et de demain, régularisé, ridiculisé, sécularisé. Aznavourian, appliqué, dans une réussite qui n’a plus voulu le quitter. « La plus belle pour aller danser », c’était lui. C’est la meilleure. Non la chanson, mais la nouvelle, apprise au soir de sa mort, selon laquelle il est l’auteur de ce tube des sixties. La plus belle.

Je me souviens de l’annonce à la radio, un soir  d’adolescence, de la mort de Gianni Esposito , interprète de  “Le clown”, histoire de la mort de celui-ci, chanson fameuse que je connaissais peu. Un chanteur qui meurt, c’est rare me disais-je, ce n’est pas une bonne nouvelle et c’est même incongru. Ce 1er octobre 2018, je ne me dis plus ça. Le chanteur au complet bleu nous a quitté alors qu’il ne le souhaitait pas.

Voulait être encore. Ne sera plus. A été très critiqué, blessé. S’est voulu triomphant et l’est devenu. Pour rester” au sommet de l’affiche”. Sera peut-être un jour mythique alors que là, ce soir, et depuis toujours, il est réel et intériorisé. Dans les bacs des disquaires, sur les ondes, dans mon juke box biologique, tendu comme un arc, l’un des milliers, dans mon esprit,  de moins en moins souvent perturbé.

Ses dernières apparitions télévisées permettaient de comprendre que ses espoirs de centenariat pourraient être déçus.

Ah ! Gianni Esposito, c’était en 1974. Mais Dario Moreno, c’était en 1968, qui devait être le Sancho de Brel. « Son seul ami, son frère ». Ou était-ce Luis Mariano en 1970? Ces noms latins, sonnant, chantant, auront à mes oreilles et au gré de mes tourments, formalisés le début de série ,qui s’achève ce soir, de la mort des chanteurs d’expression française  ayant donné de la voix et creusé les microsillons des années cinquante. Ils auront fait la première page du  “Figaro”, du ” Monde” ou de “Libération”, vaine et prestigieuse consécration. Charles, c’est pour demain.

Peu importe le début de la série, peu importe la fin. La chanson française« désormais » se conjugue avec la mort que tous ont chantée. « Mourir pour mourir », Barbara, « J’arrive » ou « Fernand » ou « Jojo », Brel, « La camarde » ou « le testament », « est-il encore debout le chêne ou le sapin de mon cercueil ?», Brassens. Je ne connaissais pas « La mort » de Ferré, et l’écoute maintenant après « Il n’y a plus rien ».

Vian et Reggiani, « Quand j’aurai du vent dans mon crâne », superbe poème sur le vide.

Montand n’a pas chanté la mort, sinon celle des feuilles d’automne et, de Catherine Sauvage, je n’ai pas de souvenir de ce type, mais elle est aussi partie. Tous et toutes. C’est fini. « Quand c’est fini, et ni et ni, ça recommence », Ferré chantait l’amour et les juke box. C’était léger, ce devait l’être et ça le reste, même les soirs où il faut s’accrocher.

Elle les a tous rattrapé. Il faut vivre avec. Avec, vivre, “Désormais”.

Genève, le 1er octobre 2018 (Relu ce 5 décembre 2020)