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Au coin de l’ordinaire chapitre 20

Situé au cœur d’une forêt touffue, ce bâtiment pouvait faire penser à un dépôt abritant du matériel pour les travaux forestiers s’il n’y avait ces portes blindées et le fil de fer de barbelé. Il s’agissait en fait de l’un des nombreux dépôts d’armes et de munitions disséminés dans le pays à l’époque de la guerre froide mais encore entretenus et approvisionnés à l’heure actuelle.

 

Jean-Marie Golaz, qui était par ailleurs officier de milice, sortit sa clé et ouvrit la porte. Trois camionnettes et deux voitures stationnaient sur le chemin forestier. Une vingtaine d’hommes, tous en tenue de combat de l’armée suisse, en sortirent et rejoignirent le petit groupe qui entourait Golaz devant la porte maintenant ouverte.

 

– Allez, magnez-vous. On charge les fusils d’assaut et les munitions dans les camionnettes, les grenades et les explosifs dans les coffres des voitures. Il n’ y a pas de temps à perdre. Ensuite départ vers les planques. Chaque équipe sait ce qu’elle a à faire. Règlez vos portables sur 02h.02 et vérifiez qu’ils aient assez de batterie pour les trois prochains jours. Je donnerai le signal du départ par SMS au chef de chaque groupe.

 

Un peu partout en Suisse, des actions similaires avaient cours dans des forêts, des alpages, des forteresses de montagne désaffectées pour le service actif mais encore utilisées comme dépôts d’armes.

Golaz avait fait partie, autrefois, d’une armée secrète complètement illégale, formée d’officiers aux convictions politiques proches de l’extrême–droite et qui était censée mettre sur pied la résistance à un hypothétique envahisseur soviétique. Cette organisation avait été découverte et démantelée à la fin des années quatre-vingts à peu près en même temps qu’éclatait le « scandale des fiches » : plusieurs milliers de citoyens avaient été espionnés et fichés par la police fédérale avec l’aide de policiers cantonaux et de dénonciateurs anonymes. Il s’agissait essentiellement de sympathisants de gauche, des curés et pasteurs qui cachaient des requérants d’asile aux syndicalistes en passant par les militants étudiants. Certains membres de cette « armée secrète » de pacotille avaient néanmoins réussi à rester anonymes et à garder les clés et les emplacements de différents dépôts d’armes dont certains, par ailleurs, étaient tout à fait officiels et gérés par l’armée qui ignorait que certaines personnes non autorisées en possédaient encore des clés.

 

La tactique initiale du parti était de distiller la peur de l’étranger, d’installer un climat de xénophobie à partir de faits divers montés en épingle, de définir des boucs émissaires et de jouer sur les peurs et les angoisses des gens. Cette politique s’était avérée payante et le parti avait gagné quelques « initiatives populaires » au contenu xénophobe.

Ils avaient prévu d’autres votations dans le même sens, par exemple, pour durcir la loi sur les naturalisations et prévoir même d’enlever la nationalité à des citoyens naturalisés ; pour diminuer l’accueil des étudiants étrangers puis pour instaurer une immigration très restrictive basée sur la nationalité, la race et les diplômes.

Les récents évènements avaient, provisoirement en tout cas, mis fin à leur avancée politique. Les électeurs n’étaient plus dupes et les généralisations abusives n’avaient plus cours: c’étaient des musulmans, suisses et étrangers, qui avaient permis l’arrestation des terroristes islamistes qui avaient perpétré l’attentat contre le palais fédéral. Les gens s’étaient donnés la peine de regarder autour d’eux, de rencontrer leurs voisins étrangers. Ils s’étaient rendus compte à quel point ils avaient été abusés par ces mensonges électoralistes.

 

Devant cette flagrante perte d’influence et l’échec des provocations comme, par exemple, l’attribution de l’assassinat de la journaliste ou du braquage de la station service à des « voyous étrangers dont plusieurs kosovars, une des communautés étrangère la plus importante en Suisse, Golaz et ses comparses avaient depuis longtemps prévu un impensable coup de force armé contre le gouvernement.

 

Du moment qu’ils ne parvenaient pas à leurs fins par les urnes et les mensonges, il ne leur restait que le putsch armé, la dictature et la répression pour poursuivre leurs délire raciste et leurs vision identitaire d’une Suisse « pure » et refermée sur elle-même qui maintiendrait sa richesse essentiellement par le maintien absolu du secret bancaire et l’accueil de l’argent provenant de l’évasion fiscale, de trafics en tout genre et des caisses noires des dictateurs. Cet argent permettant de financer les industries à haute valeurs ajoutée, notamment les « Pharmas » et l’horlogerie de luxe.

L’échec de l’assassinat de la directrice à l’hôpital et la certitude que Rustem allait tôt ou tard parler, avait décidé Golaz à s’enfuir et à activer, avec les « ultras » du parti, au plus vite leur fameux projet de prise du pouvoir par la force.

 

Ils allaient imposer le repli sur soi, la fermeture des frontières, le racisme étatique, le refus d’adhérer à l’Europe ou à quelque organisation internationale que ce soit, le maintien du secret bancaire qui ne manquerait pas d’attirer, de toute façon et malgré les interdits des pays d’origine, toutes sortes de capitaux, qu’ils fussent d’origine honnête ou douteuse et qui allaient, selon eux, assurer la prospérité du pays.

En emprisonnant ou en exécutant le plus tôt possible les opposants à ce projet national, Golaz était convaincu que la majorité des forces de police cantonales, de l’armée fédérale puis de la majorité des citoyens les suivraient ou au moins n’oseraient rien dire. Il était persuadé que la majorité silencieuse ne bougerait pas. Il savait les suisses obéissants et soucieux avant tout de leur confort. C’est donc sans scrupules ni hésitations qu’il pensait ce coup d’Etat jouable et l’avait mis en route.

 

Les camions étaient chargés. Golaz donna le signal du départ aux autres équipes disséminées à travers le pays. Le plan était simple : profiter de l’habitude qu’avaient les suisses de voir leurs militaires en exercice dans le pays et donc, de leur incapacité à distinguer les militants nationalistes des troupes régulières puis s’emparer des bâtiments des radios télévisions des trois régions linguistiques,

bloquer les aérodromes et les principales places d’armes de l’armée fédérale et occuper le palais fédéral pour disposer d’un symbole médiatique fort.

 

Enfin et surtout, ils avaient prévu de kidnapper les conseillers fédéraux qui seraient utilisés comme monnaie d’échange pour obtenir la reddition des différentes polices et unités de l’armée qui pourraient réagir à ce coup d’état. Il savait qu’une majorité de son propre parti désapprouvait la violence et pensait pouvoir atteindre les mêmes buts par la voie des urnes en amplifiant encore les habituelles campagnes de propagande. Mais cela ne l’inquiétait pas trop. Il était confiant que nombre de citoyens allaient certainement préférer une dictature nationaliste qui apporterait selon lui sécurité et prospérité au pays plutôt que de l’ouvrir encore plus à une immigration qui le dénaturait et à des lois internationales qui menaçaient son indépendance.

 

Et c’est là qu’ils se trompait, et lourdement. En effet, si le citoyen helvétique lambda ne brille, et de loin pas, par son ouverture au Monde, son originalité, son dynamisme, qu’il se méfie de tout ce qui vient de l’extérieur et qu’il reste, souvent, très conservateur, il n’en reste pas moins attaché viscéralement à la démocratie et à un pouvoir, d’abord décentralisé et proche des gens. Il n’aime pas les « têtes qui dépassent » et se gausse facilement des présidents de certains pays voisins, très « bling-bling », caquetant et gesticulant beaucoup, qui parfois font la une de la presse people et donnent souvent le sentiment d’une persistance de forme royale du pouvoir.

Il ne fallut donc pas longtemps à quelques militants du parti nationaliste pour se rendre compte que leurs chefs les entrainaient vers une catastrophe et que ce coup d’Etat n’avait aucune raison d’être et encore moins la moindre chance de succès. Ils alertèrent à temps les autorités pour que celles-ci puissent mettre au point, et dans le plus grand secret, une riposte adéquate.

Les premières actions se déroulèrent plutôt bien pour les putschistes : les aérodromes militaires de Payerne et d’Emmen furent neutralisés sans problèmes et sans coups de feu : les quelques militaires de garde, pris par surprise, prirent la fuite ou furent capturés et enfermés. Il en fut de même pour les bâtiments des radios et télévisons à Zürich, Genève et Lugano, vides à ces heures à part quelques agents de sécurité facilement maîtrisés. Les agresseurs ne tardèrent cependant pas à s’étonner d’avoir si facilement atteint leurs buts en constatant qu’aucun appareil n’était présent ou en état de voler sur les aérodromes militaires et qu’aucune des stations de radio n’était capable d’émettre quoi que ce soit.

 

Le palais fédéral, siège du gouvernement et du parlement, en réparation partielle après l’attentat des terroristes islamistes de cet hiver, fut également occupé sans coup férir. Une place d’armes des troupes de chars blindés, gardée par quelques soldats fatigués, fut occupée rapidement mais les attaquants ne purent utiliser les blindés stationnés sur place, les réserves de carburants étant étonnamment vides. Partout, les insurgés nationalistes installèrent un dispositif de défense des bâtiments conquis.

L’enlèvement des conseillers fédéraux ne donna par contre aucun résultat : leurs domiciles personnels et leurs bureaux étaient vides et les ravisseurs durent rebrousser chemin et rejoindre leurs comparses dans les différents objectifs déjà occupés. A l’aérodrome militaire de Sion, la cinquantaine d’insurgés désignés pour cette action se retrouvèrent encerclés par d’importantes forces de la police cantonale valaisanne et quelques unités de l’armée avant même d’avoir pu pénétrer sur le tarmac ou dans les bâtiments. Sommés de se rendre, quelques membres du commando ouvrirent le feu. Les forces de l’ordre répliquèrent immédiatement, décimant le commando qui n’avait aucun endroit pour se mettre à couvert. Les quelques rescapés déposèrent les armes après quelques minutes.

 

A partir de là, l’ensemble de l’opération se transforma en fiasco.

Rapidement, les insurgés se rendirent compte qu’ils avaient été trahis et qu’ils étaient tombés dans un piège. Il ne restait sur les deux aérodromes conquis que quelques avions d’entraînement non armés. Les aéronefs de combat s’étaient depuis longtemps envolés vers Sion ou des aérodromes secondaires un peu partout dans le pays. Les blindés stationnés sur la place d’armes ne disposaient ni de munitions ni de carburant. Les studios des radios et les télévisions, préalablement mis hors service, s’étaient révélés incapables d’émettre quoi que ce soit. Les auteurs du coup d’Etat manqué durent renoncer à y diffuser un appel à la population qu’ils avaient prévu pour les premières heures de la journée. A part la portée symbolique de son occupation, un palais fédéral vide ne représentait de loin pas un atout ni même un objet de négociation.

Dès les premières lueurs du jour, tous les lieux investis par les insurgés se retrouvèrent encerclés par les polices cantonales et des unités militaires équipées de blindés.

 

A huit heures, les radios et télévisions nationales, émettant depuis d’autres lieux prévus de longue date en cas de guerre ou de catastrophe, informèrent l’ensemble du pays des évènements en cours, appelant les citoyens soldats à rejoindre leurs lieux de mobilisation et demandant au reste de la population de rester à la maison et de garder son calme. Un ultimatum fut lancé aux putschistes avec ordre de se rendre sans conditions dans les deux heures.

 

Se rendant rapidement compte de l’inutilité d’une quelconque résistance, toutes les places enlevées dans la nuit se rendirent les unes après les autres et les assaillants furent désarmés et emprisonnés sur le champ.

 

Pendant que ses comparses sortaient les mains levées par la porte principale, Golaz, qui faisait partie de l’équipe du palais fédéral, tenta de s’échapper par une fenêtre à l’arrière du palais. Il avait à peine posé le pied sur la promenade surplombant l’Aar qui jouxte l’arrière du palais, qu’il dérapa sur une crotte de chien, tomba lourdement sur le sol, maculant au passage son treillis d’excréments canins. En chutant, il laissa partir involontairement une rafale de sa mitraillette. Il va de soi, qu’attirant ainsi l’attention, il fut immédiatement mis en joue, désarmé, relevé et emmené sans ménagement, penaud et puant, ses pantalons maculés de fiente canine.

Au même instant, à des milliers de kilomètres de là, sur une route secondaire du Sud de l’Angleterre, un membre d’un groupuscule soi-disant islamiste mais surtout terroriste, en route pour Londres, roulant à vive allure, emboutit involontairement la remorque d’un poids lourd transportant des porcs vers l’abattoir. La bombe destinée à un ministère britannique, explosa, détruisant la remorque et sa cargaison ainsi que le terroriste qui périt au milieu des porcs déchiquetés.

 

Dès le lendemain, une partie de la presse nationale et internationale ne manqua pas de relever la portée symbolique de ces deux évènements :

Un leader raciste d’une extrême-droite soi-disant chrétienne, vaincu, ridiculisé et couvert de merde et le terroriste qui déshonorait l’Islam tué par sa propre bombe au milieu des porcs.

 

Plusieurs journalistes se lancèrent dans de grandes envolées lyriques sur la tolérance mutuelle entre les religions, la justice sociale. Ils lançaient des appels pathétiques à l’ arrêt du profit à tout prix, de la croissance effrénée et sans morale. Ils démontraient la nécessité d’un rééquilibrage économique entre le Nord et le Sud. Bref, la presse internationale se faisait l’écho d’un fol espoir d’éliminer la misère, les fanatismes de tout poil, tout en laissant le temps aux peuples du Monde de prendre soin de la planète pour que nos enfants puissent y vivre sainement et en paix.

Il faut dire aussi que les soulèvements des peuples de plusieurs dictatures autrefois largement soutenues par l’occident, notamment dans les pays arabes, et la leçon de démocratie qu’ils avaient donné au monde entier avaient contribué à faire évoluer l’opinion publique. Le pillage organisée, la compromission avec des dictatures sanglantes dans le seul but de profiter des ressources naturelles des pays concernés, du pétrole aux diamants en passant par les minerais précieux et le cacao, commençaient à lasser les citoyens qui se rendaient bien compte qu’ils en avaient été complices sans le vouloir.

 

Dans cet ordre d’idées, la révolte des peuples arabes contre des dictatures impitoyables étaient le fait de jeunes épris de liberté qui avaient réussi à mobiliser les foules par le biais d’internet et des réseaux sociaux. Les anciens avaient suivi et les islamistes tentaient de prendre le train en marche. Les jeunes initiateurs de ces révolutions qu’ils voulaient d’abord démocratiques, laïques ou empreintes d’un islam des lumières, ouvert et tolérant étaient plus enthousiastes que bien organisés.

 

Ils attendaient vraiment la justice sociale ,la liberté et le respect des droits individuels, y compris et surtout celui des femmes. Ils espéraient que leur manque de rigueur n’amènent pas le chaos et par là, le retour au pouvoir de forces religieuses rétrogrades et fanatiques qui ne valaient guère mieux que les tyrans qui venaient d’être chassés. Les pays occidentaux, sentant le vent tourner, retournaient leur veste à vitesse grand V, condamnant ceux qu’ils avaient soutenus sous le prétexte de lutte contre le

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 20

le terrorisme mais surtout à cause des bénéfices à retirer des juteuses affaires que leur proposaient ces dictatures en échange de pots-de-vin sous toutes les formes possibles.

 

Il va de soi cependant, qu’après quelques semaines, ce souffle d’enthousiasme retomba comme retombent les grands élans de solidarité qui suivent les catastrophes naturelles. Englués dans les habitudes, les problèmes du quotidien, la recherche d’emplois, la précarité, une grande partie de la population retrouvait petit à petit une routine où la solidarité et l’espoir n’avaient que peu de place. Les nantis, les grandes multinationales, n’avaient guère changé de mode de vie. Ces gens-là gardaient un œil sur la bourse et tentaient tout au plus de voir comment tirer profit de ces nouveaux paramètres idéologiques et se profiler comme « politiquement corrects ».

(à suivre)

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