Créé le: 02.06.2014
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Annonces funèbres

Auto(biographie)

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Chaque jour les pages de nos quotidiens annoncent les départs définitifs, les personnes disparues. Exercice de communication périlleux pour les familles qui dévoilent, sans le vouloir, des non-dits, des éclats de vie encore palpitante, des liens cachés. Dans le noir le plus total, seule survit l’émotion.
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… Ont la tristesse de faire part du décès de…Peu importe les circonstances, chaque défunt a son heure de gloire dans les pages du Mémento. Chaque annonce en dit long sur la vie de cette personne.D’abord le nom.Parfois précédé d’un Madame ou Monsieur. Certains n’ont pas de nom. Surtout les femmes âgées. Elles sont la Madame de quelqu’un : Madame Louis Michel, et en tout petit «née Dupont» ou alors dit «Tati».Chacun est cerné par une famille plus ou moins longue qui a mis des heures à trouver l’ordre des noms, les liens, ceux qu’on hésite à mentionner, mais bon, ils font partie de la famille malgré tout. Les petits-enfants ou les enfants petits ne sont pas nommés. Ils accompagnent juste les parents pour faire bonne figure.Quoi qu’il en soit, tous sont dans la tristesse, la profonde tristesse, l’affliction, la douleur. L’ardoise du passé est effacée comme un pardon ultime. De la mort, on ne saura rien. Certains sont «enlevés», d’autres s’endorment ou s’en vont paisiblement. « … nous a quitté …» comme s’il l’avait fait exprès.

Frappant également, de constater que la lutte des classes persiste. L’annonce bien visible, qui a coûté sa surface d’espace, comme pour mesurer l’importance accordée au défunt, au centimètre carré. En voilà un justement: l’annonce est imposante et tous les noms des membres de la famille sont en majuscules pleines de particules, mais sans liens mentionnés avec le défunt. Ce dernier tient en une phrase tout en bas: «Leur chère soeur, tante, belle-soeur et cousine». Pas d’époux? Ils se disputent certainement encore. Colette ne parle plus à sa belle-soeur Manolita qui a épousé Xavier… Ils ont eu de beaux enfants alors que Colette ne pourra jamais en avoir… Je délire. D’autres ont moins de chance. Ils disparaissent dans des colonnes anonymes des «convois funèbres».Certains meurent plusieurs fois. Privilège réservé aux personnes importantes. Leur nom figure plusieurs fois sur la page ne laissant que peu de place aux morts ordinaires. Ce n’est pas qu’ils sont davantage aimés. C’est le dernier moment pour montrer l’importance de paraître à leur côté, en toute bonne foi. Salués par les associés qui déplorent la perte de «leur très cher ami et associé», les collaborateurs qui font part de leur «sympathie» envers la famille, les confrères hautement scientifiques qui n’ont pas su vaincre la mort… Ces morts là, peuvent parfois mourir deux jours de suite dans les quotidiens!

Faites l’exercice: chaque fois que vous lisez le carnet de deuil, vous avez l’impression de les connaître, tous ces gens! Les noms sont familiers et pourtant ce sont de parfaits étrangers. Taquine, la Faucheuse.Sous la colonne des convois, les pharmacies de garde, les urgences, les permanences. On ne sait jamais. Si on peut sauver quelqu’un…Quelques photos de ceux qui n’arrêtent pas de mourir, qui restent dans le souvenir des vivants inlassablement, cinq ans, dix ans après. Comment peuvent-ils reposer en paix ceux qu’on ressuscite à tout bout de champ?Et pour finir surtout pas de fleurs. «En lieu et place des fleurs, un don peut être adressé à… ». C’est la mort des fleuristes cette requête! Et pourquoi pas les deux: des fleurs ET un don.Aujourd’hui, une personnalité en lettres majuscules: VEUVE. Une femme qui a su capter toute sa vie le quotidien qui s’écoule et s’arrête. Un nom qui porte en lui tout le destin d’une vie de femme. Etrange coïncidence de le trouver là, aujourd’hui.

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