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Une balade dans les vignes en compagnie d'un ami et une visite chez son grand-père pour le moins original qui, n'arrivant pas à oublier son amour de jeunesse, le retrouvera d'une bien étrange façon.
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Il régnait une chaleur étouffante lorsque nous gravîmes la pente qui devait nous conduire à la parcelle du vignoble du grand-père de Serge. Bon an, mal an, je suivais péniblement et haletant mon ami qui ne semblait pas souffrir de la chaleur.

La traversée des vignes et la vue des belles grappes de raisin doré me rappelèrent mon adolescence quand pour gagner quelques sous je participais aux vendanges. Le goût sucré avec une pointe d’acidité me confirma que l’état de maturité n’était pas loin et que la récolte aurait lieu bientôt. Je subtilisais un grain par-ci, par-là pour me donner du courage.

Serge me tira brusquement de mes pensées : « Tu verras, mon grand-père est un peu spécial. Il est un peu bourru et il a parfois des idées bizarres ».

J’ai voulu en savoir davantage mais il garda le silence jusqu’à notre arrivée sur la parcelle du grand-père qui nous attendait près d’un bouquet d’arbres. Je me réjouissais déjà de pouvoir me reposer à l’ombre et de pouvoir peut-être aussi tordre mon T-Shirt mouillé de sueur. L’homme tout habillé de noir était grand avec un visage buriné par le soleil et des yeux d’un bleu si clair qu’ils en paraissaient presque transparents. Après m’avoir broyé la main en guise de bienvenue il remercia Serge d’avoir accepté son invitation et nous enjoignit de le suivre sur un ton acerbe qui ne souffrait aucun refus.

Serge tint à me rassurer sur le comportement un peu rustre de son aïeul.

« Ne t’inquiète pas, il ne l’avouera jamais mais cela lui fait vraiment plaisir de voir du monde, lui qui d’habitude est toujours seul » Je rétorquais qu’il ne devait pas être si seul avec les autres vignerons aux alentours mais Serge me chuchota : « Il a un caractère un peu spécial et je crois que les gens préfèrent éviter son contact ».

J’ai toujours eu comme consigne de ne jamais juger les gens sur leur apparence alors je n’allais pas commencer. La fraicheur des quelques arbres me réconforta et me replongea dans mes souvenirs de vendanges. Le vigneron qui m’avait embauché à l’époque devait avoir un peu le même caractère que le grand-père de Serge. Il râlait constamment et criait sur ceux qui, selon lui, ne cueillaient pas son raisin assez vite.

« Voilà, le caveau » dit le grand-père en me ramenant au présent. Je ne vis tout d’abord qu’une surface en bois en même le sol mais le cadenas situé à gauche d’un système de fermeture en métal suggérait que ce caveau devait être enterré bien à l’abri des regards. L’homme ouvrit cette « porte » à même le sol et je pus distinguer les premières marches d’un escalier qu’il descendit d’un pas alerte. « Vous venez » ? nous cria-t-il de l’intérieur. La perspective d’y trouver un semblant de fraicheur me stimula à les suivre.

L’homme alluma plusieurs bougies ainsi qu’une lampe à pétrole et je découvris plusieurs tonneaux de dimensions respectables ce qui me confirma que nous étions bien dans un caveau de vigneron. Un tonneau plus petit servait de table et deux tabourets à trois pieds n’attendaient que nos postérieurs pour nous reposer enfin.

Sans un mot l’homme sortit trois verres qu’il remplit devant nous et but le sien d’une traite sans même trinquer avec nous, ce qui traditionnellement se fait généralement dans un caveau. Le vin avait une jolie couleur dorée et n’était pas désagréable en bouche, je constatais toutefois un dépôt au fond du verre aussi je n’en bu que la moitié. Le vigneron nous resservit encore toujours en silence et en nous dévisageant avec ce regard qui à la lumière des bougies, avait quelque chose d’inquiétant. Je sentis un certain malaise grandir chez moi et j’étais surpris que Serge ne posât aucune question à son grand-père alors que selon ses dires, ils ne se voyaient pas souvent.

Je décidais d’explorer plus avant cet étrange caveau. Il y avait des ossements de têtes de bêtes à cornes accrochés aux murs. Des chèvres ou des bouquetins, je ne saurais le dire car on n’y voyait pas grand-chose. Une étagère remplie d’objets divers se dressait du sol au plafond et je pouvais distinguer une autre pièce mais il faisait trop sombre pour que je puisse me rendre compte des dimensions.

Quand je revins près du tonneau qui nous servait de table je vis qu’il avait déposé trois autres verres de forme rondes contenant ce que je pris pour du vin rouge. Je constatais aussi que l’ouverture en haut de l’escalier était fermée. Quand l’avait-il fermé ? Je n’avais rien entendu alors que normalement un panneau pareil devait faire du bruit. Avant que je puisse dire quoi que ce soit le grand-père leva son verre et dit : « C’est l’heure de l’initiation, buvons » ! Comme précédemment il but son verre d’une gorgée, suivi de Serge qui but en deux fois. Je trempais juste mes lèvres et trouvais que ce vin avait un goût métallique et une consistance visqueuse. Je reposais mon verre.

L’homme se dirigea au fond du caveau et alluma une torche. Je dis à Serge que je voulais sortir en allant de ce pas vers l’escalier. La porte refusa de s’ouvrir. J’essayai de pousser mais visiblement nous étions enfermés. Curieusement Serge resta assis à me regarder paniquer devant cette porte close. Je lui criais « Serge, fais quelque chose. Je veux sortir d’ici. Pourquoi c’est fermé » ?

_Ne t’inquiète pas, ça fait partie de la cérémonie, me chuchota-t-il.

« Cérémonie ? Quelle cérémonie ? Je ne veux participer à aucune cérémonie. Laissez-moi sortir » !

Serge alla rejoindre son grand-père au fond du caveau. La pièce était à présent éclairée par cinq torches disposées autour d’un cercle dessiné sur le sol et posées verticalement dans des supports en métal. A l’intérieur il y avait une étoile à cinq branches et chaque espace entre elles contenait un signe cabalistique. J’étais en plein cauchemar. J’avais affaire à des adorateurs du diable ou des fous. Serge s’assit en dehors du cercle et regardait son grand-père assis en tailleur au milieu. Dans sa main gauche il tenait des brindilles fumantes qui dégageaient une odeur âpre et dans sa main droite il tenait une photographie. Je ne pus distinguer ce qu’il y avait dessus. Il se mit à psalmodier une sorte d’incantation de sa voix grave qui montait peu à peu dans les aigus. J’étais tétanisé. Pourquoi Serge m’avait-il entrainé là ? Je retournais vers la porte, muni d’une bougie pour essayer encore une fois d’ouvrir ce piège. En vain. La porte était solide et ne bougea pas. Curieusement il n’y avait aucune serrure de ce côté. Mais alors quelqu’un nous aurait enfermé de l’extérieur ?

Je sursautais en apercevant Serge juste derrière moi. Il me dit : « Viens t’asseoir près du cercle. On doit surveiller mon grand-père durant le rite. C’est pour ça qu’on est là ».

Dans l’impossibilité de lutter j’allais m’asseoir dans l’autre pièce à distance raisonnable de ce maudit cercle. Le grand-père continuait ses incantations. Bien que je ne crusse pas à ces inepties je n’étais vraiment pas rassuré de cette situation. Pour moi c’était un fou qui a réussi à entrainer son petit-fils dans son délire.

Je regardais ce cercle et ce que je pris d’abord pour un dessin à la craie était en fait du sel. Je voyais briller les cristaux à la lueur des torches. J’aperçu un visage de femme sur la photo que le dément tenait dans sa main. Qui était-elle ? Pourquoi tout ce cinéma ?

Je perdis la notion du temps. Il a bien dû s’écouler plusieurs heures depuis que nous étions dans ce trou. Soudain, le grand-père s’arrêta brusquement de psalmodier et tomba à la renverse. Serge s’approcha et prit son pouls. « Ça va, dit-il simplement. Il est en transe ».

_Ça va ? Mais non, ça ne va pas du tout. Il a peut-être fait un malaise à marmonner comme ça dans ce trou nauséabond. On doit sortir d’ici. Serge, écoute-moi. Il faut qu’on sorte ! Et là Serge m’a regardé et avec un calme incroyable et m’a dit : « On pourra sortir après mais le rituel doit s’accomplir jusqu’au bout. Patiente un peu. Tu ne risques rien ».

J’étais dans un film. Ce n’était pas croyable. Mon ami Serge que je connaissais depuis plus de vingt ans me montrait une facette de lui que j’ignorais. Alors que nous avions partagé les bancs d’école, fait les quatre cents coups et je ne sais plus quoi encore. C’était devenu un étranger. Je ne le reconnaissais plus.

Quelle heure pouvait-il être ? je n’avais pas de montre et j’avais volontairement laissé mon téléphone portable à la maison pour ne pas être dérangé durant cette journée qui devait se passer autrement. Sur les murs étaient accrochés d’autre têtes à cornes. Puis mes yeux se posèrent sur un dessin au fusain fixé au mur entre deux crânes d’animaux. Il représentait une femme de face avec juste le contour d’un visage masculin posant ses lèvres sur son front. Je demande à Serge ce que représente ce dessin pour son aïeul. Il me répond que c’était l’amour de sa vie. « Ah, je dis. C’était ta grand-mère ? Non, fait-il. C’était un amour différent. Un amour interdit ».

Je m’étonnais car ce dessin me semblait être de facture classique et dater de plus de cent ans, comment pouvait-il être amoureux de cette femme ? « Regarde la photo qu’il tient dans sa main » Je m’approche de l’homme inconscient et je vois que la femme de la photo est la même que celle du dessin. La même coupe de cheveux, le même regard. « Il a failli se marier avec elle mais ça ne s’est pas fait pour une obscure raison alors il a épousé ma grand-mère par dépit. Toutefois il n’a jamais pu l’oublier et depuis qu’il est veuf, il espère qu’elle va lui revenir. C’est pour ça qu’une fois dans l’année selon l’alignement des planètes il fait une cérémonie d’incantation pour la rappeler à lui ».

_Tu veux dire que tu as déjà assisté à ce genre de réjouissance cabalistique et que tu savais pertinemment ce qui allait se passer ce soir ? Et ce vin rouge qu’il nous a fait boire ? J’espère que ce n’était que du mauvais vin rouge. Non ? Il ne répondit pas. Frustré, je suis allé m’asseoir plus loin en maudissant mon ami et son stupide aïeul.

Les heures passèrent lentement et l’atmosphère devenait de plus en plus lourde. Je fus surpris que nous avions encore de l’air pour respirer. Ce trou ne devait pas être hermétique finalement. Puis la faim s’est fait sentir. Pour le liquide on avait assez de vin…blanc (car je n’étais toujours pas convaincu du rouge) mais il n’y avait rien à manger dans ce caveau. Machinalement j’allais explorer le contenu des étagères.

Des boîtes contenant des verres ou des bouteilles. Des bouchons de liège. Des cartons remplis de papiers. Des livres anciens (ça ne m’a pas étonné car le vieux fou a bien dû se renseigner dans des grimoires pour connaître ce rituel). C’est alors que j’ai découvert la boîte des petits-beurre ! Une belle boîte en fer blanc datant du siècle dernier. Victoire !

Me sont alors revenus en mémoire les goûters de mon enfance, chez ma tante Elisa quand mes cousins et moi allions nous baigner au lac et que nous revenions affamés mais heureux et qu’elle nous servait du thé à la mousse d’Islande que nous pouvions sucrer avec du sucre Candy brun dans de grands bols. Nous trempions les petits-beurre qui fondaient dans la bouche. Ah, les joies que me procuraient ces goûters restent encore bien gravés dans mes souvenirs.

Lorsque j’ouvris la boîte trouvée sur l’étagère, quelle ne fut pas ma déception de n’y trouver que quelques gaufrettes au chocolat un peu émiettées. Mais j’avais trop faim et j’en ai mangé une sans conviction. Elle avait un goût de carton et le chocolat avait une couleur un peu grisâtre. J’en ai proposé à Serge qui en pris plusieurs et les dévora goulument. Moi je me suis resservi un verre de vin blanc pour effacer ce goût de papier mâché.

« C’est la pleine lune » dit Serge. Evidemment. Comment pouvait-il en être autrement puisque tous les éléments étaient réunis pour cette cérémonie d’un autre âge. Je regardais en somnolant les cinq torches qui semblaient ne pas se consumer. Le grand-père était toujours étendu au milieu du cercle et semblait dormir. Serge surveillait sa respiration. Puis peu à peu j’eux l’impression que la lumière changea. Le feu des torches brillait d’un éclat virant au blanc. Les flammes semblaient s’allonger et monter jusqu’au plafond. Je voulu demander à Serge s’il voyait la même chose que moi mais ma voix resta coincée au fond de ma gorge. La fumée et les flammes des torches semblaient atteindre la même pâleur et grandirent encore. Les volutes de fumée prenaient des formes soyeuses un peu comme le tissu d’une robe de mariée. Mais non, je n’ai pas rêvé. Ce drapé blanc se mouvait au-dessus du cercle et allait presque jusqu’à le recouvrir entièrement. Je ne voyais plus Serge assis de l’autre côté et je distinguais à peine la forme allongée du grand-père. Je ne pus détacher mon regard de cette vision. Je pouvais distinguer des bras qui agitaient le tissu de la robe de fumée et un visage en émergea. C’était la femme de la photo, la même que sur le dessin au fusain.

Hypnotisé, je restais médusé devant ce spectacle. Je ne saurais dire combien de temps. Il me semblait voir une deuxième forme plus sombre. La vision faisait penser à un couple de danseurs. Oui, un couple qui dansait et la femme était en blanc. Puis soudain l’image s’évanouit et la pièce s’assombrit à nouveau. Les torches étaient presque toutes consumées mais au milieu du cercle se tenait le grand-père de Serge. Debout. L’étoile dans le cercle avec les symboles avait disparu comme si on avait balayé le sel en marchant dessus.

L’homme se tenait silencieux au milieu de la pièce. J’entendis un bruit derrière moi, comme un loquet qu’on libère. Je vis le jour pointer au sommet de l’escalier. Je ne me suis pas attardé et dans les secondes qui ont suivi j’étais à nouveau à l’air libre.

Je suis parti sans attendre et j’ai rejoint la route au-dessus des vignes. J’ai fait de l’auto-stop pour regagner la ville. Je n’ai jamais revu Serge et je ne suis plus jamais retourné dans ce vignoble. J’ai appris plus tard que ce fameux dessin représentait Psyché et l’Amour. Et psychédélique est bien le mot pour décrire cette histoire dont j’ai encore de la peine aujourd’hui à croire que cela m’est vraiment arrivé.

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02.08.2023

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