Ça devait être un jour comme tant d'autres pour Hubert. Excepté qu'il se retrouve à prendre un bus qui n'était pas prévu. Ce trajet et la rencontre qui en découle pourrait bien lui coûter la vie...
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Hubert se trouvait à un arrêt de bus. L’arrêt était délimité par l’abri fait de tôle, un banc en bois, et un vieux distributeur automatique de ticket. Autour, il n’y avait rien. Seul le néant remplissait l’air. Il n’y avait pas de sons non plus, ni de bruit. Le calme de la montagne enneigée. Le vide, un arrêt de bus et Hubert.
Hubert ne savait pas encore pourquoi il était là. Un peu comme à son habitude. Il ne savait pas grand-chose. Il se contentait de vivre, de suivre le cours de la rivière. Ses parents avaient tout fait pour lui. Ils s’étaient coupés en deux pour qu’il puisse avoir une vie digne. Meilleure que la leur. Grâce aux sacrifices de ses géniteurs, il avait pu rejoindre une bonne école, puis modestement l’université. Modestement, car il ne brillait pas par l’excellence de ses résultats. Il faisait le nécessaire pour avoir la moyenne. Ne pas faire de vague était sa devise. Enfin, celle de ses parents. Car qui ne fait pas de vague, ne crée pas de problèmes. Les parents d’Hubert ne voulaient pas de problèmes. Ils n’avaient pas le temps et n’étaient pas outillés pour gérer un enfant. Surtout un enfant avec des problèmes.
Un jour de novembre, en rentrant de l’école, il avait osé se jeter dans une flaque d’eau. Car il trouvait cela amusant. Bien sûr, en rentrant, son pantalon était mouillé et sale. Ce soir-là, ses parents lui avaient fait comprendre qu’il ne devait plus jamais se jeter à l’eau. Une colère monstrueuse et culpabilisante s’était abattue sur lui. Comme si son acte était celui du Malin. Alors qu’il était simplement coupable d’être un enfant. Il décida depuis ce jour de ne plus prendre de risque, de ne plus faire de vague, que ce soit dans une flaque ou ailleurs.
Hubert était donc un enfant tranquille, qui ne parlait pas beaucoup. Il écoutait d’une oreille. Son esprit le conduisait au-delà de la salle de cours. Il aimait rêver, juste pour le fait de rêver. Car dans ces mondes inventés, il pouvait faire des vagues et s’exprimer. S’inventer une vie de chevalier au service de sa Reine et de son Royaume de Flack.
Puis la réalité l’avait éloigné du Royaume de Flack, pour le rapprocher de la gestion du service après-vente d’une entreprise active dans l’informatique. Il était maintenant au service des clients mécontents. Il y travaillait depuis 5 ans et y trouvait une routine rassurante. Tous les matins, il prenait le bus pour se rendre au travail. Celui de 7h32. Ce matin-là, sa routine fut brisée car son grille-pain rendit l’âme. Il ne put trouver la solution et les vaines tentatives pour le réparer lui firent perdre du temps. ll dut se résoudre à prendre le bus de 7h42. Les changements de programme l’affectaient énormément. Il ne supportait pas d’arriver en retard. En outre, il y avait toujours plus de monde dans le bus de 7h42.
Il monta dans le bus, accompagné par sa frustration. Elle ne dura pas longtemps.
7h46. L’accident. Le blanc. Puis le banc de l’arrêt de bus au milieu de nulle part. Il ne savait pas depuis combien de temps il attendait maintenant. Rien ne pouvait lui donner cette indication. Sa montre était bloquée sur 7h48. Pour le moment, il ne pouvait pas bouger. Le silence se brisa lorsque au loin un bus, aux allures américaines, datant des années 70 au moins, se pointa laissant derrière lui un nuage de fumée. Il s’arrêta, ouvrit les portes de devant. Hubert fut happé par une force mystérieuse et se mit en marche sans qu’il en donne l’ordre à ses muscles. Il tenta une résistance mais rien à faire. Il vola littéralement et se retrouva devant la conductrice.
Bonjour Hubert, merci d’avoir choisi notre compagnie de bus, dit-elle. Puis elle gloussa car elle aimait rire de son propre humour.
Bonjour, je ne comprends pas…quelle compagnie, je n’ai même pas pris de billet..
Oui, il est juste derrière vous.
Il se retourna et constata qu’il y avait un ticket de bus volant juste derrière lui. Puis, le ticket se faufila dans la poche d’Hubert.
Elle vous attend dans le siège 36 du bus.
Qui ?
Bah, la responsable de tout ceci, ma boss.
Comment, vraiment je ne comprends rien.
Vraiment, vous n’avez pas encore compris ?
Non je vous l’assure, je prenais le bus de 7h42 pour me rendre au travail et puis plus rien. Juste moi, flanqué à cet arrêt de bus.
Elle va vous expliquer.
Toujours en lévitation, le corps d’Hubert se mit en mouvement de manière plus légère. Il lévita jusqu’à la Boss. Son corps s’assit à côté d’elle. La boss avait les traits d’une femme au teint blafard qui rayonnait malgré par son sourire bienveillant. Elle était vêtue d’une casquette noire vissée sur son crâne, d’un t-shirt blanc avec le logo d’une faucille, d’un jeans délavé retroussé jusqu’au cheville. Son choix vestimentaire se terminait par des Converse avec les lacets complètement détachés. Elle mangeait un cheeseburger et sifflait entre deux morces son Coca.
Bonjour Hubert
Bonjour, dit-il apeuré
Comment vous vous sentez ?
Mal
C’est normal Hubert, c’est normal. Elle sortit son smartphone de sa poche, puis reprit. Hubert Stof, numéro 124567980ABGHS5670, vous avez pris le mauvais bus, on dirait.
Celui-ci, vous dites ?
Non, celui de 7h42
Oui, je prends toujours celui de 7h32 pour ne pas être en retard au travail mais mon grille-pain m’a joué des tours ce matin. D’habitude, il marche très bien, mais là, pour une raison que j’ignore, il n’a pas fonctionné.
Je sais, c’est à cause de moi
Quoi, mais comment avez-vous fait ça ?
Comme je suis la Mort, rien ne me résiste, même pas un grille-pain.
Quoi, vous êtes la Mort ?
En personne, mon p’tit bonhomme.
Et pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
C’est comme ça, il n’y a pas de raisons particulières. Comme il n’y a pas de raisons particulières à votre venue sur Terre.
Et vous accordez comme ça un entretien personnel à toutes les personnes qui sont décedées ?
Non, seulement celles qui sont entre la vie et la mort. Elle est marrante cette expression quand même. “Entre la vie et la mort”
Et c’est mon cas, donc ?
Oui, vous êtes actuellement sur un lit d’hôpitâl dans le coma.
Oh mon Dieu…
Ouais alors lui, on va l’oublier tout de suite.
Toujours avec son smartphone dans la main, elle ouvrit une application et tendit l’écran vers Hubert. Il se vit sur son lit, un peu amoché avec une aide respiratoire. La vision de lui-même dans cet état le mit dans une zone d’émotion qu’il ne connaissait point. Il finit par détourner le regard. La Boss lança une deuxième vidéo.
Votre accident
Oh non, pas ça !
Je pensais que ça pouvait vous intéresser. En plus, j’ai fait moi-même le montage. J’ai choisi la musique de fin.
D’un mouvement de tête, il donna son accord pour qu’elle lui tende l’écran. La Boss lui remit le téléphone fièrement. A la manière d’un film d’action accompagné d’une musique à suspens, Huibert se vit en train de monter dans le bus de 7h42. Puis des plans des passagers et de la rue. Une voiture roulait trop vite. Elle a grillé le feu rouge et a foncé dans le bus qui s’engageait à ce moment-là.
Alors le montage ?
Vous me parlez du montage alors que je viens d’assister à ma mort.
Tout de suite les grands mots. Techniquement, vous n’êtes pas encore mort.
Pourquoi il allait si vite ?
Il avait bu.
Et moi qui ne boit jamais.
Je ne vois pas le rapport.
Je ne comprend toujours pas mais si rien ne peut vous résister, comment ça se fait que je me retrouve entre les deux.
Parfois, je ne suis pas très précise. J’ai pas mal de cas à gérer en même temps.
Comment ça pas très précise ?
Bah disons qu’avec tous les dossiers que j’ai traité, ça m’arrive de me tromper. Et quand je me trompe, la personne atterrit entre les deux mondes.
Quoi ? Je n’aurais pas dû être dans ce bus ? Et les autres alors ?
Heureusement, les autres vont bien. Quelques blessures mais en somme, je suis soulagée.
Super ! Je suis ravi que vous soyez soulagée. Dans ce cas, il suffit de me réveiller puisque c’est une erreur.
Ah si seulement. En fait, je ne peux que détruire, casser. Je ne suis qu’une agente de la fin des choses.
Et le montage vidéo sur mon accident, c’est pas de la création ça ?
Ouais, euh, j’ai demandé à ChatGPT de le faire pour moi…Vous savez moi, je me suis spécialisée dans d’autres branches. Je m’immisce sur terre et je tue à petit feu. L’alcool, le sucre, la pollution, les guerres, les cigarettes,… D’ailleurs, vous en voulez une ?
Non
Elle s’alluma une cigarette.
Qu’est-ce que je dois faire pour sortir de l’entre-deux ?
Ne plus avoir peur de moi. Peur de tout.
Je n’ai pas peur de vous.
Si, vous avez peur de vivre, ce qui revient au même.
Mais pas du tout.
Vous n’avez jamais emprunté des chemins de traverse. Tout ce que vous faites, c’est de rester là, à suivre les sentiers battus par les autres.
Je suis quand même devenu gérant d’une équipe.
Et pourquoi selon vous ?
Je faisais du bon travail.
Non, on vous a nommé chef car vous ne faisiez pas de vagues et que vous disiez oui à tout sans poser de questions. Un bon petit soldat qui marche bien droit.
Stop !!
Le bus fit un freinage d’urgence ! La Boss se leva en direction de la conductrice : – bah alors, qu’est-ce qui se passe Charon ? – Rien, j’ai cru comprendre qu’il fallait s’arrêter, dit-elle lassée
La Boss soupira et ordonna à Charon de reprendre la route.
Ne pas faire de vague. Triste.
Déjà, je fais ce que je veux, et c’est vous qui avez fait une erreur.
Non, votre vie est une erreur.
Mais comment osez-vous dire ça ? J’aime la vie !!
Cela ne se voit pas Hubert ! Vous ne supportez pas de ne pas avoir le contrôle. Elle est minable votre vie. Il n’y a rien qui vous réussit. Votre besoin de contrôle est une plaie. Apprenez à colorier en dehors des lignes.
Non non et non. J’aime ma vie car j’aime ma routine ! J’ai besoin de ma routine. Elle me rassure. Le contrôle me rassure. De l’extérieur, je vous l’accorde, je n’ai rien pour être heureux mais ma vie me convient. J’aime être ce gars normal qui ne parle pas beaucoup aux soirées. Qui ne se fera pas remarquer lorsqu’il entre dans une pièce. Qui n’a pas de charisme. Qui ne cherche pas à être meilleur que les autres. J’aime aller voir mes parents le dimanche même s’ils n’ont pas fait tout juste. Mais quels parents font tout juste ? Aucun. J’aime l’odeur des soirées d’été quand je vais me promener au bord de la mer. J’aime me préparer mes petits plats et regarder ma série le soir en mangeant. Il n’y a rien à réussir dans cette vie. J’aime ma simplicité.
La Boss se leva et cria : Stop ! mais le bus continua de rouler. Elle cria une deuxième fois : CHARON STOP !! Cette fois, la conductrice arrêta pour de bon le bus.
Charon, lorsqu’on dit STOP, en général, il faut s’arrêter.
Non mais avant, vous avez dit stop et c’était pas ça qu’il fallait faire.
Bref, Hubert, vous pouvez descendre et rejoindre la vie que vous aviez avant. Attention au réveil, vous aurez mal partout, mais vous vous en remettrez, dit la Boss.
C’est tout, je peux y aller ?
Simple comme bonjour, non ?
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