Créé le: 03.10.2020
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« A whiter shade of pale », la chanson d’amour qui faillit ne jamais décevoir
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Ce que m'inspire l'écoute renouvelée de ce tube de l'été 1967
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Mais on ne sait pas d’où viennent les déceptions. Si c’est de l’autre, qu’on attendait, du réel ou de soi. On en reste nécessairement à soi et l’on y revient en dépit de l’univers ou à ses dépens jusqu’au jour, pas si lointain et peut-être déjà vécu, ou l’on en sera plus encore et définitivement revenu. Pas tout à fait de tout, et pas encore de soi. Me reste-t-il de la marge ? Dans l’écriture probablement et dans ce qui aussi la rend possible, je l’espère.
C’était dans la chaleur déjà, certaines pointes en été. Visions de graviers, de sols accueillants, pierres, herbes et goudron. Le ciel qui n’aura pas changé à force de mouvements réels et apparents. Les voix de la radio de tous entendues venaient d’en haut et présentaient sans rougir un monde sûr et assuré. Il devait bien y avoir une vérité qui aurait surpris ou réconforté ceux qui m’étaient proches. Eté 1967, enfance. Un orgue électronique en effet très présent qui semblait offrir de la musique d’avenir – de mauvaise réputation – et ouvrir des harmonies prometteuses, des espaces libres pour de futurs enchantements.
La voix masculine incertaine et prophétique, était convaincante sans que j’ai eu à comprendre le sens des mots qui n’étaient que suites de syllabes imperceptibles. C’était, je crois, un temps de fleurs et de fausse nudités crues. Corps profonds en éveil léthargique, un avant cauchemar, bardé de béatitudes. Les musicalités mêlées suffisaient à mon imaginaire et à ceux de presque tous, voisins, foules, publics où venaient se poser de nouvelles et amples réalités pourvoyeuses de bonheur amoureux et de gloire pour tous, donc de soi, partout dans les yeux de ceux qui allaient cueillir la fraîcheur des bonheurs ressentis. Il suffisait de tendre la main. Avec Procol Harum, c’était possible et ça l’était immédiatement. Enfin, au prochain passage, à celui qui donnait prise à nos impatiences. Voix profonde avec un fond d’éraillement, annonciatrice d’une prédestination portant en elle un bonheur courtois et bienvenu qui ne tomberait pas à plat. A chaque note, la suivante déjà annonçait le plaisir que conférerait, dans ses suites chromatiques, un élan naturel, un allant de soi éternel déjà. Cette sensation nommée désir d’amour suffirait à chacun et tous l’attendaient.
J’étais content que Procol Harum fût premier sur les ondes. Son tube de l’été me semblait échapper tant à la matérialité des idéaux qu’à moi-même qui tentait aussi, et ce n’était pas le même succès, de m’en préserver ou de m’en extraire. La musique devait aller son chemin. C’était l’histoire d’un autre qui nous apportait quelques sensations. Prononcer le nom du groupe, ne pas en déceler les mystères et le laisser faire carrière parmi les autres. Ce titre, contrairement à d’autres fourbes, faux ou mièvres, me ravissait et ne provoquait aucune pensée mauvaise. Des fleurs certes le temps et des ronces aussi, un pied dans la déchetterie.
Les slows m’éreintèrent de l’intérieur. J’eus peine à y croire et à prolonger l’enchantement qui à mes sens se défaussait. On aura beaucoup changé les disques, puis tout le matériel, CD numérisés, rien n’y fit. Ce ne fut pas un vrai galvaudage mais je dois admettre l’avoir vécu comme tel. Et les écarts se creusèrent entre les plus souples idéalités et leurs contraires. Les placeurs revinrent et m’indiquèrent une autre ombre à saisir, toujours plus au fond. Je ne me suis pas rebellé mais confesse avoir, en ville, beaucoup marché pour mieux dormir aux heures enjôleuses. D’autres airs m’ont astreint et distrait. Certains m’ont permis de creuser et de percevoir. Ils reviennent de l’oubli. On a continué de changer le matériel.
Sous diverses formes, comme avec des ailes, ils se rendent visibles et audibles sur nos appareils et nos écrans. Les films d’alors et les sons studios reviennent à nous de même que les performances au fil du temps. Une vraie chronologie limpide et foutraque. Ce succès au titre imprononçable était resté dans l’air et n’avait pas eu l’heur de décevoir les plus riches ni les plus malins. J’ai dû l’oublier sans le laisser retomber tout à fait.
Cet été 2020, un cinq et un trois plus tard, je le réentends et le revois. D’autres ondes nous le déversent et laissent le choix. J’ai donc fait leur connaissance. Les Dieux n’en n’étaient pas. Une tête jeune ou chenue, en option, chante et rechante ce texte. Nous pouvons pétrir les images qui ne répondent que par les morsures de l’outre-siècle et de ses promesses de cendres vernaculaires et foisonnantes comme le miel des catacombes. La lumière fandango, le poète psychédélique s’en est servi comme d’un mot. Il doit justifier encore son choix surréaliste et le rapport image – texte sous ces latitudes artificiellement décolorées et comment il eut de sa prose une approche poétique. Le texte est beau mais ne passerait plus, s’il était mis à nu, sur les ondes ni dans l’esprit vainqueur des futurs gisants . « La vérité est pure à voir ». Deuxième couplet. 1967. C’était mon ciel et ce n’est déjà plus mon sol. Irréel et tellement vrai. Le son pourvoyeur d’images faiseuses d’émotions étranges dont naissent les silences et les mots à repourvoir,
Il y eut une rivalité aussi. Je ne sais plus, la chanson m’échappe. Un procès entre le pianiste chanteur et le taiseux organiste faussement maniéré avec quelques autres se succédant dans le groupe. Histoire de groupe aussi dans la chanson. « Feeling kind of seasick » Orgue Hammond. Ce n’était que cela et c’est allé à la Cour ? A la chambre des Lords pour dire s’il était seul compositeur ou s’ils étaient deux. Les groupes rock, « abily » ou progressistes ont leurs histoires de désamour et les orgasmes scéniques sont mimés pour longtemps. Répétitivement. « A whiter shade … », mes envols d’enfance vers la nature adulte, et ça retombe maintenant. On les écoute sans oublier la surprise du premier instant. Plaisir et réticence, un doux renouvellement du tout. Le feu héraclitéen cherche sa flamme et nous autres en savons déjà trop sur le destin de nos personnes et de certaines chansons bien accompagnées ou irrésistiblement accompagnante.
En nous se perd le chemin.
Un au-delà depuis longtemps enfui.
Le radio gueulait nos promesses d’amour.
Douceurs et violences crues.
Alors, déjà, c’est très clair, on ne savait pas très bien de quoi demain serait fait.
Nous étions quelques uns et les musiciens cherchaient leur enchantement par celui qu’ils espéraient faire naître en nous.
Le compositeur s’est inspiré de Jean-Sebastien Bach.
Je suis pour la création d’un service d’identification des miracles.
Et pour sa dissolution immédiate aussi.
Hic parade, en Europe et en Amérique.
Avons-nous autant ri que nous aurions souhaité n’avoir pas à comprendre ?
Comment cela s’écrit.
Tout ce Procole et cet Harum que je n’aurai jamais rattrapé.
Me serais-je ressaisi?
La sexualité implique en tout état une violence, ne serait – ce que celle du temps qui passe ou jamais ne sera venu.
2021
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Les yeux ouverts auraient pu ne pas l’être. Gary Brooker donne encore de la voix et je ne savais rien de lui. Invisible dans le poste radio, planant jusqu’à nous sur les ondes. Chantant avec force quelque chose d’important que le village sans plafond était prêt à comprendre. Jeunes orées vers l’intérieur verticalisé des forêts en-deçà de toutes autres et sombres profondeurs. C’était l’enfance, vestiges autant que vertiges, plus loin vestales et tant pis si, aujourd’hui, les commentateurs font mine encore de s’étonner. Réception claire d’un langage incompréhensible. Il y avait un avant et un après, l’un incluant l’autre. C’est toujours comme ça. L’imaginaire a quelque chose à voir avec l’espoir – jamais visible des voyants dupés – qui ne regarde personne dans yeux. Espoir. J’aime les chansons d’amour qui ne disent pas le mot. Dégénérescence dès l’origine des notes et des vocables à peine perceptibles. Un orgue creusant des sillons dans le corps pour, justement, attendre encore les histoires sans le mot, prêtes à l’emploi destinées à réapparaître au plus clair des lendemains par avance disparus. Erreur substantielle jusqu’au bout. Pour aboutir finalement sur les paliers du dernier firmament. Bout des doigts aussi, clavier, piano, décrochement, c’était une ligne de base descendante et nous n’en savions que dalle. Fandango, n’est pas la lumière tango mais une danse andalouse qui n’a rien à voir non plus avec le texte. Dès les premières notes perçues, la chanson promise n’est plus la tienne pas plus que ne changent les vertus tapageuses des voix glacées et sidérées qui n’ont besoin d’aucune infinité pour se perdre.
Je mens bien sûr et seul le mensonge m’entend le dire au plus que parfait avec le coeur et les poumons. C’est Dies irrationnel sans les mots condescendants pour mieux tromper et taire plus encore l’amertume des choses et des gens dont la mienne qui ne se manifesterait plus.
Je tenais de Jacques Brel le mot vestale, un roi les accueillant sans avoir jamais vérifié, la vie passant si vite, leur profonde substantialité, une histoire de miel diabolisé. Et je comprends longtemps après, par la voix de Gary qu’elles étaient seize mille et partaient pour la côte. Parties pour la côte et tout s’explique, son absence dans les sonorités sucrées. Pourrais-je enfin t’en parler, à toi qui ne su me faire accepter de t’inventer, hors les rencontres maxima. Vierges un grand nombre de fois, mes altérités s’esclaffèrent en rompant enfin le silence de leur départ. Vestales sacrilèges pour tuer le temps de mon absence. Il n’y a plus d’auprès et jamais, de la côte, personne ne revint.
Eric Clapton s’y est collé et bien collé. Riffs orgueilleux pour oublier l’orgue qui plana sur toutes les têtes en 1967. Ecouté à nouveau l’entier du morceau et la première fois ne se désiste pas. Un visage aperçu sur sur une terrasse, souvenir anciens, fuites vers l’avant, quelque chose à quoi s’accrocher, l’orchestre symphonique et la flûte de Jean Sebastien en 2006 au Danemark. Une promesse entière que rien ne désintègre et qui aura su nous faire attendre la fin des mouvements lents. Picasso est né en Andalousie ne nous y trompons pas. L’auteur s’en est inspiré, de l’image à l’écrit, de l’écrit au vocal, du vocal au son puis à la musique. Nous aurions pu croire que ce fut à Grenade – soupirs du maure – mais c’est à Malaga. Il vivait encore au temps des premiers Procol Harum qui furent à vrai dire moins inventifs que lui. Mais ce slow et ces langueurs singularisées de soixante sept étaient les leurs jusqu’à causer la perte de nos virginales éternités.
Tête de Gary, quand il désigne Martin pour lui redonner sa place. Ne pas la laisser être parmi celles qui s’en vont, “would not let her be”, celle-là même qui a dit qu’il n’y a pas de raison. J’avais déjà tout entendu. En quelques mots évasifs et précis, le sort par avance inconnu des bonheurs qu’il était idiot d’entrevoir. Leurs visages jeunes et ceux d’aujourd’hui, le possible, et ce qu’il y a de beau dans l’ imminence. Inconnus si longtemps, il n’avait conquis que nos âmes lascives, les premiers souffles des prometteuses incongruences. Une puissance vocale paisible et désespérée. L’auteur s’est référé aux surréalistes et les articles reviennent à Bob Dylan que l’on a assimilé à Rimbaud. L’anglais convient-il aux poèmes en prose? Ces liens étranges entre les sons et le sens. Je ne me lasse pas de la solide et apparente désinvolture du chanteur qui semble avoir été respectueux du bonheur. A trop l’écouter, j’ai dû l’entendre mal. Matérialiser son enfance alors qu’elle s’est envolée.
C’était un tube rock progressiste venu des airs et c’est devenu un corpus culturel implanté dans la complexion sensible de pas mal d’individu.e.s. Le poète a assisté à une soirée qui ne s’est pas très bien passée. “Humming harder”, un bruit de fond qui prend de l’ampleur. Une seule femme retient son attention, l’obsède sur le champ. Elle dit qu’il n’y a pas de raison et l’on ne sait pas si c’est ou non en relation avec sa pâleur fantomatique qui vire au toujours plus blanc. On dirait une publicité. C’était plus poétique et nuancé en anglais avec la voix de Gary sur le h et le i de “whiter”, un creux pour l’éternité des sentiments dont on sait combien elle se réduit, elle aussi, au lavage.
Tu n’étais pas bien et je voulais être au mieux.
Couleur tirée à blanc, c’est la peau et le sang. Il y a tant d’autres gens et nous n’en n’avons jamais atteint le milieu. C’était pourtant le jeu. J’ai eu un temps des espaces libres en moi pour l’amour et désiré par fulgurances une sorte de réussite qui aurait été vôtre. Ce qui est exsangue manque de tout un peu et trahit d’emblée l’impossible. J’ai été fou d’avoir rêvé, mais c’est notre corps, à tous, mal pris individuellement, et notre, sang dont, un jour parmi les jours, personne n’a plus rien à foutre. Je n’ai su que trop tard que c’était si vrai alors que le voyage vaut le voyage et que le réel sait se faire accueillant, plus encore loin de l’amour qui est une perpétuation de la déraison glauque et vile, milliards de liens impavides. Ni vécu, ni réalisé, ni défini et je persiste à aimer ces ambiances de pluie. L’orgue Hammond a pu me faire croire qu’il était possible de ne pas laisser être. Mais un départ est un départ et il y a tant de monde sur les côtes.
J’ai appris la chanson à force de l’entendre et de la réécouter, un peu obsessionnellement, je dois bien l’avouer. Les roues ne sont pas mécaniques mais humaines et les vestales ne sont pas seize mille mais seize. Parti d’une imagination absolue sans rien savoir des intimités de ce morceau, j’en arrive à une connaissance meilleure et peux vous en dire tous les mots. Cela ne change rien, c’était de la musique anglaise et mon cerveau faisait le reste. L’amour allait s’y prendre à plusieurs fois pour réussir et je devais atteindre les sommets en leur milieu. Récipiendaire et créateur, narcisse égoïste bienfaisant, le tube était un triomphe à d’autres consacré. A bien y réfléchir j’ai gardé mes distances et seules les émotions faisaient le voyage vers autrui rendu à leurs âmes virginales. Gary n’arrête pas de vieillir ni de s’étonner. Il s’est répété, son aventure n’a rien enlevé aux premiers éclats qu’il n’a pu renouveler, mais le succès s’est envolé et, avec l’insistance d’une comète, reviendra nous réveiller. Il en va de même pour Bach, la grande musique et l’opéra, toutes connaissances enfuies loin des insouciances désinhibées. Nous n’y arriverons peut-être pas et c’est Gary que me l’a soufflé.
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