Créé le: 01.04.2019
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A cause du poisson d’avril

Nouvelle

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© 2019-2024 Hervé Mosquit

Comment Amanda en est-elle arrivée à faire un discours du premier avril qui changera sa vie...?
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Je m’appelle Amanda Pujol. Pujol, c’est le nom de mon mari Jordi dont les parents ont débarqué de leur Catalogne natale voici presque une cinquantaine d’année. Mon nom de jeune fille c’est Desponts. Je le trouve banal au possible mais Jordi aime bien cette sonorité qui lui évoque tous les ponts, réels ou symboliques, dont chacun a besoin. J’ai presque 35 ans et suis l’heureuse maman d’une fillette de 10 ans et d’un garçon qui soufflera ses huits bougies dans deux semaines. Je voulais juste vous conter ce qui a été , à part peut-être mon mariage et la remise de mon diplôme,l’un des moments les plus importants de ma vie.

 

Nous étions le 30 mars 2018. Il était environ 20 heures. La route, quasi déserte à ces heures, serpentait entre les champs et les forêts. Je pensais rejoindre mon domicile d’ici une heure, et y retrouver ma famille : ma fille et mon garçon endormis depuis belle lurette et mon mari peut-être encore devant son ordinateur ou plongé dans les corrections de ses élèves.Un panneau indicateur m’apprit qu’il me restait 5 kilomètres avant d’atteindre Trouville et 22 avant l’autoroute. Je poursuivis ma route en chantonnant.

 

J’étais assez contente de ma soirée.J’avais réussi à placer une assurance qui devrait me rapporter une commission non négligeable.Cette activité, que j’exerce à temps partiel, permet de compléter le salaire d’instituteur de mon mari et de nous offrir un train de vie agréable.

A côté de mon travail, l’envie d’écrire me provoque parfois des démangeaisons que je soulage en grattant du papier : j’écris ainsi des histoires pour nos enfants, des discours de mariage pour des amis et fais quelques piges pour un quotidien de la région. Mon patron vient d’ailleurs de me proposer de me charger du discours d’introduction à l’assemblée générale d’un club-service auquel il appartient. Mon mari trouve que je ne devrais pas accepter de parler devant ce parterre de nantis qui soulagent leur conscience et leur porte-monnaie en soutenant des bonnes œuvres, un peu à l’image, dit-il, des dames patronesses d’antan qui avaient chacune leurs pauvres dont elles attendaient reconnaissance et humilité en recevant leurs chaussettes en laine et leurs oranges. Mais moi, du moment qu’ils soutiennent des gens qui en ont besoin, je peux vivre avec et me dis que c’est mieux que rien. Je ne suis pas dérangée à l’idée d’aller les remercier pour leur charité et de pondre un discours qui les carresse dans le sens du poil. Jordi me fatigue parfois avec ses grands discours sur l’état du monde. Mais il est vrai que je n’ai pas, moi, un grand-père anarcho syndicaliste qui a perdu la vie dans les sinistres geôles du dictateur Franco.

 

Je me contente de suivre l’actualité mais en me gardant bien de prendre publiquement position et je fuis les turbulences du monde en tentant d’oublier la misère, les guerres, les migrants ou les scénarios catastrophes sur l’avenir de la planète que me décrivent les scientifiques ou des amis à la fibre écologique. Je veux bien faire ma part de solidarité mais du moment que ça ne dérange pas notre vie et que je sois persuadée que ça serve à quelque chose. Je me suis fait insultée une fois par un mendiant, affichant une pancarte « pour manger », à qui j’avais filé mon casse-crôute de midi.

Je me suis fait cracher dessus par une femme à qui j’avais fait remarquer que faire mendier son fils n’était peut-être pas une bonne idée. J’ai voulu soutenir une grande organisation caritative avant d’apprendre par une collègue qui s’était expatriée pour eux au Liban, qu’ils manquaient de moyens sur place mais pas pour payer la classe business et l’hôtel quatre étoiles aux cadres qui venaient visiter les projets en cours.Désormais, je pratique donc la solidarité avec circonspection et à vitesse réduite. Même les religions, que les humains ont inventé pour se donner un code de conduite, se respecter les uns les autres et s’entraider sont devenues des instruments de pouvoir, des causes de guerres, des sources de fanatisme, des excuses pour proférer des anathèmes et pratiquer la torture. J’en veux pour preuve l’inquisition, la bénédiction des assassinats commis par des dictateurs comme Franco, Pinochet et d’autres ou le terrorisme pseudo-islamique actuel. Bref, malgré mon baptême et mon mariage à l’église, je me contente d’une foi très personnelle et d’une pratique inexistante. J’ai donc fini par me dire que la marche du monde était inéluctable, que le réchauffement climatique et la pollution étaient le prix inévitable à payer pour notre confort et que chez les humains aussi, il devait y avoir une sorte de sélection naturelle à la Darwin et que c’était peut-être dans les lois de la nature qu’il fallait rechercher les inégalités. Je sais bien que je raisonne de cette manière uniquement pour préserver ma tranquillité et que ce n’est ni rationnel ni justifiable, mais c’est ainsi.

 

Jordi ne partage évidemment pas mes vues, excepté sur les religions, et me bassine avec une citation tirée du livre « Parcours », de Jacques Dubochet, prix Nobel de physique, dont il admire autant les

performances scientifiques que la simplicité et l’ humanisme. La citation, en substance, dit ceci : “Entre l’égoïsme darwinien et l’altruisme humain, la raison dit de s’engager pour le second” .

 

Ces divergences ne nous empêchent pas d’être amoureux et complices autant qu’aux premiers temps de notre mariage. Pour le taquiner, et en référence à Darwin et sa théorie de l’évolution, je l’appelle d’ailleurs « mon primate préféré » ce à quoi il répond toujours par « ma petite-bourgeoise sceptique chérie ».

 

Mais je m’égare. Revenons à notre récit. J’arrivai donc àTrouville. A l’entrée de la localité, je me dis que ce bled portait décidément bien son nom : un réverbère sur trois éclairait d’une lumière blafarde et tremblotante des rues désertes rendues encore plus sinistres par un brouillard enveloppant et une bruine tenace qui se déposait sur mon pare-brise. Un chat sorti de nulle part se jeta sur la route juste devant moi. Je donnai un brusque coup de volant. La roue avant gauche heurta le trottoir avec un bruit sourd : le pneu éclata, la voiture fit une violente embardée qui me propulsa de l’autre côté de la chaussée avant de s’arrêter dans un jardin qui jouxtait la route principale traversant le village. L’air-bag se gonfla et me colla au siège. Je restai là , groggy, prostrée, pendant quelques minutes qui me parurent une éternité.Je cherchais à tâtons mon téléphone dans le sac à main qui ne me quitte jamais.Je réalisai avec effroi qu’il n’était pas là. Je me rappelai soudainement l’avoir sorti pendant mon entretien et l’avoir déposé sur la table du salon des clients que je venais de quitter il y avait

C’était le bouquet, la malchance absolue, la totale scoumoune. Je n’avais plus qu’à pleurer.

 

Je restai ainsi à sangloter pendant un moment . A l’instant où je me dis qu’il serait temps de m’extirper de mon siège et d’aller chercher de l’aide, quelqu’un tapa à ma vitre.Je la descendis et l’inconnue s’adressa à moi :

 

– Toi pas mal madame ? Tout OK ? Toi pas rester là. Venir dedans.

 

Une jeune femme noire me tendit la main et m’aida à m’extraire de la voiture. Elle garda ma main dans la sienne et m’emmèna dans un bâtiment vétuste de trois étages, probablement une ancienne école désaffectée. Nous entrâmes dans une grande pièce du logement du rez-de-chaussée qui n’était pas sans me rappeler les réfectoires des colonies de vacances de ma jeunesse. Il y avait là une petite dizaine de personnes, noires comme mon interlocutrices ou de type arabe pour autant que je m’y connaisse un peu. J’apprendrais plus tard qu’il y avait un couple d’érythréens, un autre, kurde syrien de confession yezidie, un jeune homme syrien arabe et musulman, de la région d’Alep et un malien qui avait fui autant le conflit qui déchirait le nord du pays que la désertification qui rendait les terres de sa famille impropres à l’agriculture. Une jeune maman afghane, flanquée de deux enfants en bas âge nous rejoignit après quelques minutes.

Tous habitaient ce bâtiment voué à la démolition mais loué, en attendant, à l’organisation qui prend en charge les requérants d’asile.

 

Dans l’immédiat ils m’offrirent du thé et j’expliquai que j’avais besoin de téléphoner. Un des jeunes hommes me tendit son téléphone et j’appelai Jordi. Je lui résumai la situation et l’enjoignis à trouver de l’aide soit pour me dépanner soit pour venir garder les enfants. Il me promit de rappeler dès qu’il aurait une solution.

 

Il n’arriva que deux heures et demie plus tard avec un ami garagiste et une dépanneuse, les enfants ayant été laissés aux bons soins des voisins qui venaient de rentrer d’une soirée cinéma.

 

Entretemps, j’avais passé une soirée à parler, à écouter, à partager leur nourriture, à m’emplir de cet accueil chaleureux et de l’attention dont j’étais l’objet. Nous avons évoqué autant leurs parcours et le mien que des sujets comme la vie dans notre pays mais aussi les guerres, les religions, le climat, l’éducation. Je les quittai en les remerciant beaucoup et en leur promettant de revenir.J’étais bouleversée et sentais confusément que quelque chose avait changé en moi comme si j’avais vécu une véritable séisme intérieur.Le premier indice de ce changement est qu’en partant, l’acccident m’apparut comme un incident à peine contrariant, voire une une peccadille au vu de ce que mes interlocuteurs avaient vécu.

Dans la voiture, comme je restai silencieuse, Jordi s’enquit de mon moral. Je le rassurai puis ajoutai simplement :

– Je l’ai, ici, dans la tête

– Tu as quoi ?

– Mon discours ! Tu sais, le discours de demain. Mon discours du premier avril.

– Tu veux m’en parler ?

– Non, je te le ferai lire, mais après l’avoir prononcé.

– C’est comme tu l’entends ma belle. Je me réjouis de découvrir cela.

 

Le connaissant, je me fis la réflexion que le contenu de mon intervention allait à la fois le surprendre et le réjouir bien au-delà de ce qu’il pouvait imaginer.

 

Le lendemain,après une nuit passée en grande partie devant mon ordinateur, je me retrouvai sur une estrade, assise à une petite table, une carafe d’eau à mes côtés, devant un auditoire composé d’hommes en complets-cravates et de quelques femmes aux vêtements distingués et griffés.Je pris mon courage à deux mains, règlai la hauteur du micro et me lançai :

 

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui premier avril, est un jour où l’on peut se permettre de faire des gags, de raconter des histoires, de mentir un peu, de se gausser de la naïveté et de la crédulité de nos semblables, un jour

joyeux où nos enfants accrochent des poissons dans le dos de leurs profs qui font semblant de ne pas les voir. Bref, c’est un jour qui a vocation de faire sourire.

 

Ce premier avril 2018 coïncide cette année avec le jour de Pâques, jour de la résurrection, symbole de vie et de paix pour les chrétiens.

 

Ces 2 évènements simultanés m’ont donné envie de me raconter des histoires, de vous raconter mes espoirs, même si à la fin, il faudra bien, malheureusement et pour le moment, ajouter “poisson d’avril”. Au terme de cette journée ,voici donc quelques unes des informations les plus réjouissantes de l’état du monde, tel que j’aimerais les lire ou les regarder dans les médias :

 

Les récentes élections présidentielles américaines qui ont eu lieu suite à la destitution par le congrès de l’ex-président Trump, ont mené à la présidence une candidate afro-américaine de 35 ans, égérie du mouvement anti-armes et candidate du nouveau parti écologique. En Europe, les partis « verts » ont remporté la plupart des élections nationales, reléguant dans les mauvais souvenirs les gouvernements xénophobes ou néo fascistes, par exemple en Italie, Hongrie,Slovaquie ou Pologne.

Les troupes turques se sont retirées de la partie du Rojava ( le Kurdistan syrien)qu’elles occupaient suite à la destitution d’ Erdogan par le parlement. Les prisonniers politiques en Turquie ont été libérés et les droits démocratiques complètement rétablis, y compris ceux des Kurdes et d’autres minorités

Des élections démocratiques viennent d’être organisées en Syrie où a été constitué un tribunal pour juger les crimes de guerre commis autant par les partisans du dictateur Assad que par les groupes jihadistes.

 

Une femme vient d’être nommé reine d’Arabie saoudite et a immédiatement instauré une monarchie constitutionnelle, nommé une première ministre et fait élire un parlement qui a immédiatement voté des droits égaux pour tous les citoyennes et citoyens du pays.

 

La peine de mort est déclarée interdite par l’ONU. La liberté de croyance est garantie partout. Plus personne ne souffre de discrimination et en aucun cas de persécutions. Les religions sont les bienvenues à partir du moment où elles ne revendiquent pas l’exclusivité, qu’elles soient là pour aider les humains à se respecter les uns les autres et qu’elles ne pratiquent ni le prosélytisme actif ni la violence. Les droits humains et l’égalité hommes-femmes sont devenus la norme et les rares régimes qui ne les respectent pas encore sont soumis à de telles sanctions sur le plan économique ou des échanges énergétiques, qu’ils ne pourront que lâcher prise d’ici peu sous peine de voir leurs économies s’effondrer et leur population se soulever.

 

Le monde a beaucoup changé à cause d’un zest d’utopie qui fit office de levure dans une pâte de bon sens pétrie par des hommes de bonne volonté un peu partout sur la planète.

Ces acteurs du changement étaient les partisans, sinon d’une décroissance, du moins d’une croissance économique soumise aux exigences d’un développement durable, d’une plus juste répartition des richesses et des ressources. Les fanatismes religieux, le nationalisme, le racisme, la xénophobie, sont en voie de disparition, ne trouvant plus de terrain favorable où répandre leurs poisons.

 

Au niveau énergétique, la sortie du nucléaire est presque terminée au niveau mondial. L’usage du pétrole et du gaz naturel sont sévèrement réglementés et ces ressources ne sont disponibles que pour un usage d’utilité publique. Ils ne sont utilisés que par des services d’urgences (transports aériens indispensables, police, pompiers, ambulances, hélicoptères de sauvetage, groupes électrogènes de secours dans les hôpitaux, centrales de télécommunications etc.).

 

Les véhicules vont beaucoup moins vite et fonctionnent à l’électricité ou à l’hydrogène. L’électricité, elle, provient de l’hydraulique y compris des marées, du solaire, de l’éolien, auxquels s’ajoutent selon les régions, le gaz de fermentation des déchets végétaux ou des déjections animales. Le chauffage domestique ne se fait plus que par des pompes à chaleur quand il n’est pas devenu carrément caduc à cause de l’isolation très performante des bâtiments et de l’optimisation du rayonnement solaire.

Les produits de consommation courante sont essentiellement transformés et consommés sur place. Les échanges internationaux indispensables et le tourisme lointain se font désormais presque exclusivement par bateaux, l’utilisation de l’hydrogène pour les moteurs d’avion n’étant pas encore vraiment fiable. Mais les gens, il faut le dire, ne se plaignent pas de vivre et de bouger plus lentement, de manière moins frénétique que celle qui a caractérisé la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième.

 

Les paradigmes du monde de la finance ont changé drastiquement : la bourse a pratiquement perdu son rôle de moteur de l’économie et l’argent alimente en priorité l’économie réelle, la production. Les marchés boursiers sont soumis à des règles strictes qui empêchent la spéculation par une fiscalité exorbitante sur tous les gains qui ne sont pas liés directement à la production de biens et de services. Il y a bien assez de ressources pour espérer voir la majorité des habitants de notre planète vivre grosso modo avec le niveau de vie des classes moyennes de nos pays occidentaux. Mais pour cela, il était devenu évident qu’il fallait prendre aux plus riches et ne leur laisser aucun endroit dans le monde où ils puissent soustraire leurs fortunes et leurs revenus indécents au fisc et au bien commun. Si les ressources fiscales sont utilisées au niveau local, les normes, elles, sont mondiales. Il n’y a plus de paradis fiscaux, il n’y a plus aucune concurrence ni échappatoire à ce niveau-la.

Les grands mouvements migratoires disparaissent peu à peu depuis que les habitants des pays autrefois les plus pauvres retrouvent une vie meilleure chez eux en raison de tous les efforts internationaux faits pour en accélérer le développement, grâce notamment à cette fiscalité intelligente qui a permis de dégager des moyens pour développer les régions les moins favorisées, qui, de régions aidées et soutenues, sont devenues des partenaires économiques fiables et participant au bien-être de tous. Les ressortissants de ces pays trouvent maintenant sur place de quoi faire vivre leurs familles.

 

Les pays sont maintenant regroupés en fédérations par continents mais avec des lois fiscales et pénales similaires, ou du moins comparables partout, ce qui ne laisse que très peu de place pour l’injustice et l’arbitraire. Les armées nationales existent encore mais à une échelle réduite, assurant surtout un travail de protection de la population en cas de catastrophe naturelle ou assumant, sur mandat de l’ONU, des missions de maintien de la paix dans des zones encore réfractaires au nouvel équilibre mondial, là où de rares pouvoirs arbitraires subsistants pourraient déclencher des guerres civiles ou de voisinage.

 

Les dictateurs, les despotes, les fanatiques de tous poils ou simplement les malfrats ont perdu ce qui constitue leur logistique : l’argent. Au fur et à mesure que s’éradiquait la misère, la possibilité de recruter des hommes de main a pratiquement disparu.

Bien sur, l’être humain restant ce qu’il est, il n’a pas été possible d’éliminer complètement l’avidité, la bêtise et la violence. La police et la justice restent donc des garants de l’ordre démocratique et du droit de chaque individu à vivre libre, en sécurité, en paix et décemment.

Partout dans le monde, le pouvoir politique a été fortement décentralisé, un peu à l’image de ce qui a toujours existé en Suisse. Les régions peuvent ainsi mieux gérer, et plus souplement, les ressources, les échanges et l’aménagement du territoire. Les habitants se sentent ainsi plus concernés, participent mieux aux prises de décision et s’engagent plus dans les collectivités publiques.

 

Poisson d’avril ? Je dois bien reconnaître que pour le moment, ces bonnes nouvelles du monde ne sont qu’espoir et fiction et peuvent répondre à cette définition.

 

Mais finalement, à bien y réfléchir, est-ce vraiment inconcevable que de tout faire chacun à notre niveau, pour obtenir la victoire de la paix sur la guerre, de l’intelligence sur la bêtise, de la solidarité sur l’égoïsme, de l’ouverture sur le repli sur soi, de la tolérance sur le dogmatisme et le fanatisme, de l’amour sur la haine, du futur possible sur l’apocalypse programmée et tout bêtement, du bonheur sur la sinistrose ?

Personnellement j’y crois. Je crois même que cela commence au quotidien, par ce bonheur tranquille qui nous donne la force, l’espoir et la patience nécessaires pour être, chacun à notre manière, acteur de ce changement mondial par notre engagement quotidien ?

Est-ce vraiment incongru que de faire l’éloge de la gentillesse dont la définition reste largement galvaudée et ne nous laisse qu’une impression de mièvrerie façon loukoum, dégoulinante à souhait, alors que la gentillesse, la vraie, demande infiniment plus de force que la violence qui est la réponse des faibles et le refuge de la bêtise ?

 

Et pourquoi ne pas commencer par des objectifs tout simples tout simples atteignables par tout un chacun dont je vous laisse quelques exemples :

Partager les tâches du ménage ? Ne pas négliger ni son couple ni ses proches ?

Prendre tout le temps nécessaire avec nos enfants et leur permettre de se forger des personnalités capables de construire à la fois leur bonheur et le monde de demain ?

Consommer autant que possible de la nourriture locale, si possible bio et pour le reste, se renseigner si ce que nous achetons est produit manière respectueuse de l’environnement et avec des conditions de travail décentes ?

Participer à la vie locale du quartier ou du village ? S’engager dans nos communautés sur le plan politique ou associatif ?

Réfléchir avant de se déplacer : la voiture ou l’avion sont-ils indispensables ? Peut-on faire autrement ?

Oublier et savoir relativiser les querelles de famille, de voisinage, les jalousies, les médisances et autres stupidités et futilités chronophages ? Et j’en passe…..

Je sais, je sais, l’épithète de bisounours ne plane jamais très loin de mes espoirs même si je vous assure que ma rage contre l’injustice sous toutes ses formes n’a rien de celle d’un bisounours. Mais cela ne me touche guère. J’ai toujours eu la chance de savoir ouvrir mon parapluie pour recevoir des insultes et des jugements qui coulent ainsi sur mon indifférence.

Cela dit, à tout prendre, je préfère être traité de bisounours que de me comporter en connard malveillant !

 

Mesdames, messieurs, à vous de choisir, comme des millions de vos semblables, ce que vous voulez faire de notre planète, de notre humanité.

Je vous remercie pour votre attention.

 

Dire que j’eus droit à un tonnerre d’applaudissements ne serait pas vraiment conforme à la vérité. Il y en eut, certes, car ces gens-là ont tout de même du savoir-vivre.

il me serra la main pour prendre congé avant d’entamer l’ordre du jour prévu de l’assemblée.

 

Jordi jouait dans le jardin avec notre progéniture quand je parvins à notre domicile. Exceptionnellement, il alluma la télévision et chercha fébrilement un programme pour les enfants. Il se précipita vers moi, m’embrassa et me dit :

– Donne ton discours !

 

Sa lecture achevée, il lâcha :

– Je t’admire et je t’aime ma femme, mais tu es folle. Tu vas te faire virer !

Le lendemain confirma ses craintes. Une lettre de licenciement m’attendait sur mon bureau. Elle était laconique et mentionnait juste l’incompatibilité d’humeur. Je décidai de me rendre dans le bureau du boss. Je frappai et entrai. Il me dit juste :

– Partez ! je n’ai rien à vous dire. Je n’ai pas le temps pour discuter avec une collaboratrice qui m’a discrédité auprès de mon club. J’ai eu toutes les peines du monde à les convaincre que j’ignorais que vous aviez prévu de les abreuver avec vos divagations et vos balivernes écolo-gauchistes. C’est une coup de poignard dans le dos que vous allez regr…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que le téléphone sonnait. Il s’annonça et écoutait. Je le vis devenir blême.Il ajouta :

– Partez ! C’est la police. Mon fils vient d’avoir un accident de moto, il est entre la vie et la mort à l’hôpital et…

Je le vis soudain se tenir la poitrine, chanceler puis s’écrouler. J’empoignai le téléphone et demandai au policier en ligne d’alerter les secours en expliquant que mon patron venait d’être victime d’un malaise, probablement une crise cardiaque puisque je ne sentais aucun pouls. Je commençai un massage cardiaque que je n’interrompis que dix minutes plus tard à l’arrivée des ambulanciers.

Ces derniers partis, j’appelai l’épouse de mon patron qui faisait son jogging, à 30 minutes de sa voiture parquée à l’entrée de la forêt, en compagnie d’une amie et ignorait tout du sort de son mari et de son fils. Je lui proposai d’aller la chercher pour l’amener à l’hôpital. Elle accepta tout de suite et m’indiqua l’endroit exact.

Quinze minutes plus tard, après un trajet un peu trop rapide pour des routes forestières, je la trouvai à l’endroit convenu et nous mîmes cap sur l’hôpital.

 

Les deux semaines qui suivirent, je ne remis pas les pieds au bureau. Une collègue de Jordi faisait du travail bénévole, un soir par semaine, dans un centre d’accueil pour femmes battues géré par une association subventionnée par l’Etat. Ils cherchaient une secrétaire-comptable fixe pour un temps de travail à environ 40 % qu’il était possible d’accomplir en partie à domicile. Le poste correspondait à ma formation même si j’avais passé plus de temps comme agent d’assurance qu’en secrétariat et comptabilité. Intéressée par ce travail, je postulai et obtins le poste. Je devais commencer début juin. Il me restait donc presque deux mois où je pus prendre le temps d’être avec ma famille mais surtout de constater à quel point cette rencontre du 31 mars avait changé ma vision du monde et de la vie.

J’appris par une ancienne collègue que mon patron s’ était rétabli après un double pontage cardiaque et que son fils, finalement, avait subi de multiples fractures aux jambes et au bras gauche, mais que suite à deux opérations, il était maintenant en bonne voie de guérison et aurait apparemment aucune

si ce n’est l’abandon volontaire de la moto.

A ma grande surprise, deux jours avant de prendre mon nouvel emploi, je reçus un appel de mon ancien patron qui me proposait de passer au bureau pour discuter. J’allais refuser mais comme il insistait, j’acceptai de lui consacrer quelques minutes le lendemain matin.

 

A peine entrée dans le bureau, il proposa d’annuler mon licenciement et de me payer mes deux mois d’absence, arguant du fait que je lui avais sauvé la vie, m’étais soucié de son épouse et qu’il se sentait redevable malgré la colère que lui avait provoqué mon discours.Je refusai évidemment sa proposition. C’est alors qu’il me demanda :

 

– Pourquoi m’avoir sauvé ? Pourquoi vous-vous soucié de quelqu’un qui venait de vous de vous licencier ?

– Si vous aviez mieux écouté mon discours, vous le sauriez. C’est peut-être justement par ça que tout commence et que l’on peut changer le monde…

– Par ça ? par quoi ?

– Par l’attention aux autres, par l’altruisme, tout bêtement par la gentillesse pardi !

Commentaires (2)

Webstory
09.10.2023

Original, revigorant, plein de bonnes ondes... Merci Hervé Mosquit. Décidemment il s'en passe des choses lorsqu'on se rend en voiture d'un point de la Terre à un autre. Lire aussi Adalbert Tricoptus

Hervé Mosquit
09.10.2023

Merci ! C’est vrai que de se laisser surprendre et bousculer nos certitudes restera toujours nécessaire pour vivre mieux et avec les autres.

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