Créé le: 06.09.2019
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Zhuan

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© 2019-2024 Frau

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Elle s’appelle Lian, elle est jeune et belle. En ce moment, elle est surtout enceinte et fâchée contre cet être sans âme d’empereur qui a enlevé tous les hommes jeunes et bien portants pour construire cette énorme et incommensurable bêtise de muraille.
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Zhuan

Elle s’appelle Lian, elle est jeune et belle. En ce moment, elle est surtout enceinte et fâchée. Fâchée contre cet être sans âme d’empereur qui a enlevé tous les hommes jeunes et bienportants pour construire cette énorme et incommensurable bêtise de muraille. Il prétend que c’est elle qui protégera le pays de tous les envahisseurs qui viendront du nord.

Lesquels ?

 

Chez nous, c’est comme si quelqu’un se réveillait un matin et décidait d’arrêter la bise, cet envahisseur venu du nord qui arrive régulièrement et s’installe toujours 3, 6 ou 9 jours. Quand sa présence s’attarde 9 jours, c’est si intense que les gens se barricadent dans leur maison pour ne pas avoir mal à la tête ! Mais cela, c’est chez nous…

 

Son ventre prend de plus en plus de place et dans sa rue, les vieilles disent qu’elle recevra un resplendissant cadeau de la part de Hou Chi, le Dieu des moissons abondantes, et ce cadeau sera une fille. Dans sa rue, il y a 13 vieilles et toutes disent pareil. Les jeunes sont des petits enfants, dans sa rue, et ils se moquent de sa manière de marcher. Lorsqu’elle s’assied sur le banc pour les regarder, elle voit le vendeur de châtaignes de son enfance quand il arrivait en janvier avec son gros sac bien rempli. Depuis toute petite, elle a toujours trouvé qu’il avait une drôle de manière de porter son sac, elle, l’aurait porté sur le dos. Elle se souvient encore, elle devait avoir environ 10 ans, quand elle lui a demandé pourquoi il le portait de cette désagréable manière.  Sa réponse fut déconcertante :

«Je le porte ainsi parce que moi contrairement à toi, je ne porterai jamais un enfant et alors pour ressentir ce que tu ressentiras quand tu auras l’âge, je le porte ainsi.» En pensant à cela elle a souri, s’est levée et a lentement et calmement repris son chemin.

A la maison, Lian a pris la carte que Li son mari avait achetée quelques mois auparavant pour lui montrer où cette muraille se construisait. Oui, parce qu’eux comme tous les habitants du village, parlaient de cela. Tous, disaient que l’empereur était devenu fou, pourtant tous curieux s’intéressaient à l’œuvre majestueuse qui se construisait. Les mères gardaient leurs jeunes hommes à la maison avec l’interdiction de sortir du village. Le risque le courait surtout ceux qui à cause du travail devaient sortir ou même voyager loin. C’est ce qui malheureusement était arrivé à Li depuis déjà 2 mois. Li était commerçant mais surtout artisan et éleveur. Il fabriquait des chaussures en cuir de chèvre. Avec une chèvre il faisait 5 paires de chaussures ; ce qui le réconfortait était que son travail était apprécié et que sa renommée voyageait loin, ses chaussures étaient demandées au-delà des frontières.

Il élevait ses bêtes, Lian l’aidait et cela, en parallèle de son métier. Ils aimaient ce travail, ils aimaient vivre avec ces animaux, les nourrir, les voir grandir et c’était à chaque fois la tragédie d’un tuer un, pourtant il le fallait.

Lian trouvait que le travail avec les chèvres était très proche du sien. Elle était sage-femme. Donner la vie à un petit être n’était pas très différent que mettre au monde un chevreau. Il lui fallait beaucoup d’amour, une attention particulière, corporelle ou verbale, à ses gestes et à ceux de l’animal ou de l’enfant. Dans le verbal, il n’y avait que des sons mais ceux-là étaient très parlant.

Un son aigu pouvait signifier une douleur intense à stopper immédiatement, un son rauque une douleur probable qu’il fallait de suite définir, un son chaud un plaisir, un bonheur à comprendre tout de suite pour qu’il soit de longue durée. Li, son mari, l’assistait mais surtout la regardait et l’admirait. Il aurait tant aimé que ces moments se prolongent à l’infini !

 

Dans le village, tous disaient que l’empereur était devenu fou mais tous se sentaient attirés par cette construction. Ceux qui avait eu la chance de la voir et de rentrer au village, essentiellement des vieux, racontaient la beauté et la majestuosité qu’elle dégageait. Ils parlaient d’un serpent, un boa gigantesque qui épousait les formes du territoire et se perdait dans le lointain.

 

Un jour, Lian en eut assez d’attendre. Il faut dire que depuis que son ventre grossissait, ils avaient décidé qu’elle arrête son travail pour vivre sa grossesse pleinement. Elle avait été très contente de cette décision car cela lui permettait d’être attentive à toutes variations, qu’elles viennent de son ventre, de son cœur, de son corps ou de Li. Ils avaient un rapport très proche et dans le village, ils suscitaient la jalousie, l’admiration ou même l’inquiétude. Un ami, un savant en relations humaines, très proche d’eux définissait la leur comme fusionnelle et il s’en inquiétait. Il disait que ce genre de relation peut en cas de séparation inattendue amener celui ou celle qui reste à des gestes, des choix ou des décisions incommensurables et souvent définitives, comme au suicide ! Lian en était là en ce moment.

Elle ne parla à personne de son projet, elle savait qu’il n’avait pas de sens, elle s’attendait donc à des remontrances. Elle prit un petit baluchon avec de l’eau beaucoup d’eau, des noix, un châle, un bâton et surtout la grande détermination d’aller retrouver son mari. C’était l’été, il faisait chaud, comme chez nous maintenant, les journées longues et les nuits agréables. C’était encore la nuit quand elle partit, elle faisait confiance à ses yeux, «ils s’habitueront rapidement». Un pas devant l’autre, elle se sentait légère et soudain elle a rigolé au souvenir du vendeur de châtaignes et aux moqueries des enfants. Elle se tenait droite, le ventre prenait beaucoup de place, c’était indéniable mais elle réussissait à l’oublier. Son but, l’envie de serrer son mari dans les bras, était beaucoup plus grand et prenait plus de place que le ventre qui était le sien maintenant. Combien de rêves avaient-elle fait depuis qu’il avait disparu ? Il y en avait des bons qu’elle avait envie de garder et des moins bons qu’elle avait tout de suite chassé. Pourtant cette nuit, c’est un de ceux-là qui est revenu frapper à sa porte. Dans celui-ci, elle le surprenait main dans la main avec une jeune et belle femme qui avait des traits autres que ceux de leur région. Lian a compris tout de suite qu’il l’avait rencontrée lors d’un de ses innombrables voyages. Souvent elle s’était demandé si lors de ses voyages, Li avait envie d’elle et si pour calmer ses envies, il tombait dans les bras d’une fille rencontrée dans une ferme, dans un café ou dans un bordel. Elle ne trouvait pas son mari capable de fréquenter ce genre de lieu et ce genre de filles, mais elle ne savait pas ce qu’il pouvait ressentir après des jours et des jours loin d’elle, de son amour ! Oui, son amour c’était elle et il n’y en avait pas d’autres.

Ils s’étaient rencontrés à l’âge de 4 ans dans l’école du village. Entre sa maison et la sienne, il n’y avait qu’un cours d’eau ; combien de fois elle y avait plongé ses pieds et combien de fois lui avait plongé les siens ? Combien de fois elle était tombée dedans entièrement habillée et lui tout autant ? Non, ce genre de rêves mêmes s’ils revenaient il fallait tout de suite les chasser et jamais les questionner ! Le souvenir de leur rencontre à l’âge de 4 ans, tombait à pic. C’était ce genre de témoignage dont elle avait besoin pour oublier, pour se rassurer et pour continuer sur le chemin des retrouvailles.

 

Elle s’est arrêtée sous un figuier bien garni. Figues et noix se mariaient à merveille ; juste en face, une fontaine lui a permis de remplir sa gourde. Le soleil resplendissait là-haut dans le ciel. A l’ombre, elle s’est couchée et quelques heures a dormi. Dans le premier village, elle a cherché un peu de paille pour passer la nuit. La même paille que Lian et Li utilisaient pour la couche de leurs bêtes.

 

Dans le sien de village sa chère amie venait de découvrir le mot qu’elle avait laissé pour elle sur la table de la cuisine.  Ce message est pour toi ma chère Ai, je suis partie ce matin, pour aller rejoindre Li, quand la nuit était encore. Quand les vieilles s’agiteront, cela ne tardera pas, tu le partageras. Je t’aime, Lian.»

Ai était une fille longue et svelte. Elles s’étaient connues lors de leur formation de sage-femme et tout de suite Lian était tombée en amour des paroles qu’elle prononçait au sujet des bébés et des gestes qu’elle avait lors des accouchements d’un chevreau, d’un agneau ou d’un veau. Leur manière d’apprendre, vu que les bébés dans leur pays étaient denrée rare. Ai était animée par les mêmes sentiments et depuis leur rencontre, elles ne s’étaient plus quittées. Encore une relation fusionnelle, pensait leur ami savant, mais depuis la disparition de Li, la présence d’Ai était indispensable ! Celle-ci avait déménagé dans la maison conjugale pour donner réconfort à son amie et pour la soulager durant sa grossesse. Lian n’arrêtait pas de la remercier mais aussi de lui rappeler qu’elle était belle et jeune et qu’en dehors de leur maison, il y avait plusieurs jeunes mâles prêts à tout pour conquérir son amour et qu’il fallait qu’elle reste disponible, qu’elle sorte de jour comme de nuit surtout la nuit et qu’elle sache s’abandonner à l’amour le jour où il frapperait à sa porte ! Une nuit, après avoir mangé des crevettes à l’ail et au gingembre, des crevettes péchées par Ai dans la petite rivière qui longeait leur maison, et bu du baijiu (boisson alcoolisée) les deux femmes se sont retrouvées dans le même lit. Elles se sont massées, serrées très fort, ont longtemps pleuré et se sont embrassées partout avant de s’endormir.

 

Durant son voyage, la première semaine s’en est allée dans la joie et le bonheur. Quelques rencontres de femmes fortes et courageuses qui travaillaient la terre et à qui l’amour de leur mari manquait, comme à elle. Ce sont leurs enfants qui avaient freiné leurs pas.

Certaines l’auraient précédée, d’autres seraient parties avec elle, d’autres encore n’en avaient pas le courage. Et puis les vieux qui travaillaient parce que le fils ou le beau-fils avaient été volés par l’empereur. Ils avaient l’âge du repos et ils en voulaient au monarque, beaucoup ; parallèlement ils l’encourageaient. Avec les enfants les plus petits, Lian sentait grandir son instinct maternel, elle se sentait déjà mère comme elle le serait bientôt.

 

Le chemin s’est poursuivi sans encombre, le soleil l’accompagnait le jour, la lune la nuit. Des rivières, des forêts, des lacs, des collines, des rochers, des arbres, des fleurs. Une nuit, elle eut envie de grimper sur un arbre, un tilleul et d’en faire sa couche. La première branche était assez large pour accueillir son corps. Elle s’est agenouillée, a prié pour Li, pour la beauté de la vie et a remercié la nature.

 

Trois mois de marche et la voilà assise devant l’immensité de la muraille. Un immense serpent qui serpentait à travers arbres, collines et monts et se trouvait au milieu d’un régiment de Fourmis à taille humaine toutes munies d’un marteau et d’un burin. Le bruit de la pierre était constant, assourdissant et il lui arrivait aussi d’entendre des cris lancinants. C’était des déchirures impossibles à effacer. Au milieu de tout ce travail, il arrivait de temps en temps qu’un homme se plie en deux et tombe tête la première. C’était la mort qui sévissait. Mort de faim, de soif, de fatigue. Ces hommes commençaient le matin quand le jour n’était pas encore et travaillaient jusqu’à la nuit quand le jour n’était plus.

Ils ne mangeaient pas, buvaient peu et d’épuisement certains s’endormaient, d’autres les plus frêles c’était la mort qui s’en occupait. Quand Lian a compris cela, immédiatement elle s’est inquiétée. Son mari était frêle, faible et capable de ne pas s’écouter quand il était pris par la tâche. C’était un passionné !

 

Quelques heures après son arrivée, après un repas bien mérité et un petit somme, elle a commencé à interroger au sujet de Li. La question qu’elle recevait en retour « quel est votre lieu d’origine ? ». Après sa réponse tous l’ont envoyée plus bas. Elle a suivi le serpent et a pu alors admirer le travail déjà effectué. Quelques jours plus tard, elle a reconnu des hommes de son village, mais son mari n’y était pas. Après un échange amical et souriant, tous lui ont dit de continuer. Quelques heures plus tard enfin, elle a retrouvé le meilleur ami de Li, celui qu’il connaissait depuis l’enfance. Ils se sont pris dans les bras, se sont assis, elle a sorti de son sac de quoi manger. Carottes, concombres, courgettes et de l’eau. A ce moment, Ro a éclaté en sanglots, tellement qu’il n’arrivait plus à respirer. Elle l’a pris dans les bras et ensemble ils ont pleuré. Quand il a arrêté, elle pleurait encore, elle a continué comme ça encore toute la nuit et le jour suivant et la nuit, le suivant et depuis elle pleure. C’était comme un chant déchirant, elle touchait aux aigus et tombait dans les profondeurs des basses.

 

Les ouvriers l’accompagnaient et les jours se sont poursuivis ainsi. Au pied de la muraille, assise par terre, elle pleurait en caressant son ventre dans lequel se trouvait l’enfant que Li lui avait laissé.

Ses pleurs si puissants ont amené à la muraille toutes les femmes des villages voisins qui s’agenouillaient à ses côtés et sanglotaient avec elle !

 

Jusqu’au jour où la muraille a commencé à s’effriter, brique après brique. Les gardes qui surveillaient les travaux étaient désemparés. Chasser cette femme était impossible, les ouvriers l’aimaient, tous les villages voisins aussi et tout au fond, eux aussi l’aimaient.

 

La voix de l’effritement de la muraille a commencé à se propager, les gens se déplaçaient de loin pour venir voir jusqu’au moment où l’empereur lui-même en a eu vent. Il a voulu voir la femme qui provoquait cela. Il l’a entendue d’abord et déjà a été touché. Puis il l’a vue et une larme d’émotion a coulé. Arrivé au château, il a pu enfin dire à son conseiller « Je la veux ». Le conseiller est parti, s’est approché d’elle et lui a dit. C’était le matin tôt et au moment où la lune est apparue, elle lui a répondu : «Il sait où je suis, qu’il vienne se déclarer».

 

Le conseiller, épuisé après une journée passée à ses côtés, est rentré pour transmettre à l’empereur qui attendait à genoux face au Bouddha. Le jour suivant, tôt le matin, le voilà parti seul sur le dos de son cheval blanc. Il s’est agenouillé à ses pieds, lui a pris les mains, a souri et lui a dit en pleurant.

Quand la lune a réapparu, elle a énuméré trois conditions, positivement il a répondu et enfin, elle a dit: «oui». Le jour suivant, au pied de la muraille, le vide et dans le ciel plus de chant ni de pleur. Les ouvriers ont pu réparer ce qui semblait irréparable.

 

Trois semaines plus tard au palais, une nuit de pleine lune, Lian a mis au monde un garçon, Zhuan (brique). Un garçon !!! Elle a rigolé… Tous ont critiqué son choix mais il n’y avait plus moyen de discuter.

 

La même nuit, elle est morte.

 

A l’empereur est resté un enfant à élever et à faire prince comme promis ainsi qu’une autre promesse à réaliser : nourrir correctement tous les ouvriers qui œuvraient à la construction de la muraille. La première était déjà réalisée avant que Lian ne meure, enterrer son mari dans un cercueil d’or.

Elle est morte heureuse ; son mari enseveli dans le respect, son fils assuré d’un futur et les ouvriers bien traités.

 

Mais surtout, surtout sans avoir à vivre aux côtés de ce fou qui avait tué son mari.

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