Créé le: 29.06.2023
98 1 1
Un été à Korkoros

AmourMémoires 2023

a a a

© 2023-2024 Aruj Reinuas

Chapitre 1

1

Souvenirs du héros à la vue du dessin. Le passé refait surface soudainement, mais il peut être douloureux...
Reprendre la lecture

Un été à Korkoros

Soren tomba soudain en arrêt. Là, dans la vitrine de la  » Galerie des Arts  », rue de Rivoli, à Paris, au milieu d’oeuvres plus convenues, trônait un portrait. Un portrait à l’allure magique.

Un simple dessin au crayon, d’une pureté étonnante : une belle jeune femme, au visage régulier, regardait devant elle, étonnée, fixement. Elle avait de grands yeux aux contours élégants, une superbe coiffure très élaborée, un air très doux. Elle semblait à la fois surprise et ravie.

Soren eut d’un seul coup une révélation: c’était elle, c’était son portrait, il en était sûr…

Ses souvenirs remontèrent en cascade.

Là-bas, la petite île, en Grèce : Koinos, Krokos, Korkoros… il ne se rappelait plus bien le nom…

Le village aux quelques maisons toutes simples, blanchies à la chaux, les volets soigneusement peints. Le centre de vacances, le port, la plage… et l’eau bleue, si bleue…

Qu’était-il allé faire là-bas ? La publicité vantait les mérites d’une semaine de vacances au soleil, loin de tout, sans soucis.

Il s’était d’abord extrêmement ennuyé, il faut bien l’avouer. Pas grand monde d’intéressant pour lui, des gens un peu fermés, distants, malgré les activités du centre destinées à favoriser les rencontres : repas à thèmes, soirées de chansons, discussions, jeux divers…

Un jour des taxis, peu onéreux dans le pays, emmenèrent tout le petit monde à  » l’Akropol  », la grande boite de nuit sur les hauteurs, de l’autre côté du village. De beaux jardins, des oliviers, des fleurs, des senteurs agréables. Sur une terrasse une belle piste de danse en plein air, avec vue sur la mer au loin.

Avec ses autres camarades ils s’immiscèrent dans l’animation, dansant même quelques sirtakis. Les gens riaient, heureux. Il y avait une ambiance chaleureuse, détendue.

L’air, le soir, était très doux. La fraîcheur était très appréciée, après des journées parfois torrides. On percevait le ressac, au loin, entre deux chansons, comme une grande respiration de la nature, en communion avec les êtres.

A un moment, il se rappelle, il la vit. Il comprit tout de suite qu’il allait se passer quelque chose.

Elle était là, seule. Très belle. Une fille d’Athènes, en vacances elle-aussi.

Et, chose étrange, elle était si belle que les garçons n’osaient pas l’inviter. Elle avait quelque chose de spécial, de divin, comme hors du temps.

Ils devaient craindre quelque sortilège, quelque piège caché, l’arrivée de quelque événement extraordinaire.

Soren avait été subjugué. La jeune fille l’avait regardé, l’air amusé… et lui avait souri.

Il s’était approché. Elle lui avait dit quelque chose en grec. Comme il ne comprenait pas, elle avait ri, et demandé :

– Vous français ? avec un accent délicieux.

Soren avait fait oui de la tête. Car il était sans voix.

Tout de suite elle avait ajouté :  » Invite-moi, emmène-moi… »

Ils passèrent une soirée merveilleuse. Elle était si charmante. Elle parlait un peu le français, assez difficilement il faut le dire.

Ils dansèrent ensemble toute la nuit, vite inséparables. Comme il n’y avait plus de taxis à quatre heures du matin, ils couchèrent sous les oliviers, derrière le dancing.

– Comment t’appelle-tu ? lui avait-il demandé. Elle avait souri, murmurant :  » Psyché  »

– Et toi ?  » Soren  »

– ça fait plutôt scandinave, avait-elle remarqué.

– Cela vient de mes parents, mais je suis né à Paris. C’est Eros à l’envers, ils se sont amusés à m’appeler ainsi.

Elle sourit malicieusement et l’embrassa.

Plusieurs jours se passèrent, comme au Paradis.

Soren vivait avec Psyché, passant de temps en temps au centre de vacances. Il prolongea son séjour d’une semaine.

Psyché était agréable. Encore très jeune, tout lui semblait nouveau, merveilleux, tout la ravissait.

Parfois son visage s’assombrissait cependant. Elle lui disait, soudain grave :

– Soren, c’est triste, il va falloir que tu repartes.

Mais ils essayaient de ne pas y penser.

Le jour fatidique arriva cependant. Ils s’étreignirent longuement sur le quai, face au bateau. Le capitaine lança même un coup de sirène pour les rappeler à l’ horaire, en riant.

 

Psyché était en pleurs. Ses beaux yeux noyés de larmes.

 

– On va se revoir, lui assurait Soren. Je reviendrai. Ne t’inquiète pas.

Mais elle n’y croyait pas.

– Tu es trop loin, et j’ai des obligations. Je fais mes études à Athènes, dans la communication, car ma mère a un poste pour moi dans son entreprise de cosmétiques, un poste important. Il faut que je réussisse, je ne peux la décevoir. Je ne peux pas partir.

– Viens quand même me voir à Paris, lui disait-il.

Mais elle secouait la tête, soudain abattue. Quelque chose la retenait, la famille, les habitudes… cela entraînait trop de changements pour elle…

– Peut-être, disait-elle sans vraiment de conviction, peut-être…

Le bateau partit dans le cri déchirant de la sirène. Il s’éloigna lentement du quai.

Soren agitait le bras, lui aussi comme écrasé par ce moment. Pourquoi ce sentiment de ne pouvoir changer le destin, parfois ?

 

 

Rue de Rivoli, passée la première surprise, Soren se décida et entra dans le magasin.

Mais le dessin n’était pas à vendre, comme lui expliqua le gérant :

– Il est déjà retenu par un Musée Suisse, de Genève je crois. Je suis désolé. Mais vous pouvez toujours acquérir une reproduction, si vous voulez.

Soren acheta une affiche, qu’il roula avec précaution, et rentra chez lui.

Il contempla bientôt le dessin, qu’il avait aussitôt fixé au mur :  » Psyché recevant le premier baiser de l’Amour  », une œuvre d’ Abraham Bouvier d’après un tableau du peintre Gérard.

– Elle lui ressemble vraiment beaucoup, songeait-il… vraiment beaucoup…

Il resta rêveur longtemps… le soir tombait… Secouant la tête, il susurrait :  » Comme c’est loin, tout cela… comme c’est loin… »

Un peu triste, il eut l’impression d’entendre la plainte d’une sirène dans la pièce. De voir un bateau qui partait au loin, minuscule, de plus en plus petit. A regrets il décrocha l’affiche, la roula lentement, et la rangea religieusement dans un des tiroirs de sa commode. Ses yeux le piquaient. Peut-être même pleurait-il…

 

Commentaires (1)

Webstory
02.08.2023

Bienvenu à Aruj Reinuas dans la communauté d'écriture Webstory.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire