Créé le: 10.09.2020
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Trop la fête !

Nouvelle

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Un anniversaire à ne pas louper, quand on est né un 29 février ! Quoique...
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« Le 29 février, c’est qu’une fois tous les 4 ans, faut en profiter ! »

Quelle blague !

Pourtant, à chaque fois je me fais prendre. Je suis une chiffe molle, c’est vite vu.

Ou alors j’ai une bonne excuse…

… chaque fois ?

 

À l’anniversaire qui a initié le mouvement, celui de mes 16 ans, là oui, j’y suis allé de mon plein gré. C’était quand même ma première fête en tant qu’adulte, ou plutôt ado (mais pas vraiment responsable). Impossible de ne pas marquer le coup et un grand coup, s’il vous plait !

Quand on a vu le jour un 29 février et qu’on ne peut célébrer sa venue au monde à la date dite qu’une fois tous les quatre ans, l’événement revêt une aura toute particulière. Bien sûr, le 28 février ou le 1er mars ont fait office de substituts, sans égaler pourtant l’original. Les années bissextiles ont toujours été plus généreuses en cadeaux, gâteaux, invités et animations. Bon, OK, je n’en avais vécu que trois avant mes 16 ans (et seulement deux dont je me souviens). N’empêche, à chaque fois ils avaient une saveur spéciale.

Pour cette quatrième célébration, j’ai retrouvé le quatuor d’amis avec qui j’ai traversé toute ma scolarité. À la barre, une généreuse dose d’hormones d’adolescents en folie.

Louis a sollicité la complicité de son grand frère, Pierre, pour nous conduire dans le lieu de débauche de la région dont le nom empreint de mystère se chuchotait en gloussant dans les couloirs : La Liberda. On s’est serré à quatre sur la banquette arrière, Hugues, Damien, Gregory et moi pendant que les deux frangins prenaient des petites routes « pour pas qu’on nous repère ». L’appel de l’interdit frémissait en nous.

Nos fausses cartes d’identité nous ont permis d’entrer malgré nos 18 ans pas du tout révolus. Pierre avait des combines pour les fabriquer, et si Louis sentait poindre un doute lors de l’inspection du videur, sa tchatche en venait à bout rapidement.

Au collège, fiers de notre statut d’homme (ou presque), on roulait des mécaniques devant les filles, affichant une assurance qu’on n’avait pas, attitude qu’on a revêtue en pénétrant dans La Liberda, mais qui s’est très vite dégonflée. Les femmes qui occupaient les lieux en avaient vu d’autres et ne tombaient pas dans nos pitoyables pièges pour collégiennes. Bref, on a commencé par en prendre sérieusement pour notre grade.

On s’est replié sur le bar afin d’initier l’ingurgitation de la dose d’alcool réglementaire lors d’un anniversaire de préado, à savoir : beaucoup trop. La boisson nous a détendus et on a apprécié le spectacle de ces danseuses qui se déhanchaient sur la piste, tournaient autour d’un poteau ou avançaient à quatre pattes vers les clients qui glissaient, ravis, quelques coupures dans leurs décolletés pigeonnants. Elles maîtrisaient parfaitement leur numéro, aucun mâle ne pouvait leur résister. Hugues, le dragueur invétéré, Damien, très curieux de faire de nouvelles expériences, et Louis qui semblait plutôt familier avec le lieu, y ont laissé deux-trois billets. Avec Gregory, on a squatté le bar, on n’était pas assez riches (pour ne pas dire trop intimidés).

L’idée cachée derrière cette fête était de franchir le pas, de devenir des hommes. Inutile de préciser que je me suis dégonflé plus rapidement qu’une baudruche percée, les autres aussi, sauf Damien qui, comme je l’ai déjà mentionné, est toujours partant pour les nouvelles expériences et n’a aucune retenue, et Louis, mais ce n’était pas sa première fois.

Le lendemain on était très fiers de notre soirée, malgré une gueule de bois phénoménale. La faculté d’occulter le manque de courage face à une femme prête à vous dépuceler et la régurgitation du contenu de son estomac sur le parking (puis par la fenêtre de la voiture et encore une fois avant de rentrer chez soi) est très forte chez un ado en pleine puberté.

Avec du recul, j’hésite entre pathétique et hilarant pour déterminer cet événement. Un mélange des deux serait certainement adéquat.

 

Quatre ans plus tard, pour mes 20 hivers, nous étions des hommes, des vrais, et nous comptions aller jusqu’au bout. Le seul à ne pas être trop enthousiaste était Gregory, complexé par ses cheveux roux et surtout son appareil dentaire (« à mon âge, quelle tuile ! » rabâchait-il sans cesse).

Hugues nous a conduits dans sa BM décapotable (capotée, car il neigeait) offerte par son père chirurgien plasticien qui gagnait extrêmement bien sa vie. On ne s’est pas dégonflé face aux femmes de La Liberda, on a participé activement à leur spectacle par des encouragements, des sifflements et une distribution de billets. On a bien évidemment trop bu, au point que le barman a subtilisé les clefs de la BM et nous a commandé un taxi. On n’a pas rouspété, il avait raison.

Si la première fois nous entamions notre adolescence, les hormones en effervescence à l’affût d’expériences nouvelles, maintenant que nous étions adultes, s’éclipser pour rejoindre une fille dans un salon privé ne nous tentait plus. Quoique Louis est parti aux toilettes vachement longtemps. On n’en a jamais su plus.

 

J’ai failli ne pas aller à celui de mes 24 ans, ce qui aurait complètement bouleversé ma vie.

La motivation n’était pas au rendez-vous. Mes 4 complices suivaient des études universitaires, Hugues en médecine, Damien en philosophie et Gregory en économie et histoire de l’art. Louis avait commencé par économie avec Gregory, puis bifurqué sur l’ethnologie avant d’entamer le droit.

Moi j’avais redoublé ma dernière année de collège, les regardant partir pour les hautes écoles alors que je restais sur place avec un sentiment d’abandon. Je les avais rejoints l’année suivante, en géographie, mais ça ne m’avait pas passionné. Ma première année fut un échec et j’étais encore en train de chercher ce que j’allais faire de ma vie, vivant de petits boulots et grâce au soutien de mes parents, le temps que je trouve ma voie.

Du coup l’idée de me retrouver avec mes amis, qui eux poursuivaient leur vocation, ne m’emballait pas. Mais comme je traversais une période de mou autant moral que physique, ils n’ont eu aucune peine à m’entraîner.

Ils m’ont emmené dans un restaurant chic où il fallait demander au serveur la traduction de chaque plat (depuis quand on dit « écrasée de solanacées » plutôt que « purée » ?). Le repas était copieux et bon, mais il appelait une suite, a déclaré Louis en nous ouvrant les portes d’un bar à la mode que j’ai surnommé dans mon for intérieur le BBB, pour branché, bruyant et bondé.

Après trois bières, je me suis retranché derrière l’eau gazeuse, je n’avais pas envie de finir mon jour anniversaire quadriennal en vidant tripes et boyaux. J’étais éméché juste ce qu’il fallait pour rigoler aux blagues débiles de mes amis, mais pas suffisamment pour aborder une fille. Plus précisément, la brune aux cheveux courts bouclés qui discutait avec des copines. Elle était plus enveloppée que les icônes squelettiques des magazines, ce qui m’attirait énormément, et surtout, ses yeux verts pétillaient de malice et de joie à chaque fois qu’elle riait. J’attendais avec anxiété que son regard facétieux se pose sur moi et je détournais la tête un poil avant qu’elle ne lorgne dans ma direction, de peur qu’elle me remarque. C’était très puéril de ma part, et pas discret puisqu’elle m’a alpagué au bar alors que j’allais chercher la tournée suivante.

On a discuté de tout et de rien, le courant passait bien, très bien même. Je lui ai dit que c’était mon anniversaire, et qu’avec mes amis on le célébrait qu’une fois tous les 4 ans comme il se doit pour compenser les 3 ans de disette. Je lui ai aussi confié mon impression que la fête était plus pour mes camarades que pour moi, qu’ils avaient peur qu’on se perde de vue et s’attachaient à cet événement pour conjurer l’éloignement du temps qui passe. Elle m’a alors parlé de son amie dont elle enterrait la vie de jeune fille ce soir. Le mariage était précipité, la fiancée enceinte, mais le couple heureux, d’après ce qu’elle en savait, ajouta-t-elle d’une voix de conspiratrice qui me fit rire.

J’aurais voulu lui demander son nom, son numéro de téléphone, aller m’assoir seul avec elle, mais je n’ai pas osé. Je l’ai laissée rejoindre ses amies quand les miens ont commencé à crier à la désertification de leurs gosiers.

Je ne me suis pas réveillé avec une gueule de bois carabinée, première fois après un 29 février en 8 ans, mais avec un énorme regret : ne pas pouvoir contacter cette fille.

 

L’anniversaire de mes 28 ans restera à toujours gravé dans ma mémoire : c’est le seul dont je me suis chargé.

J’étais plus sûr de moi, j’avais trouvé ma voie, comme ébéniste, et j’étais heureux dans mon métier. Il n’allait pas me rendre riche, mais créer de mes mains un meuble à partir de morceaux de bois me comblait au point que l’aspect financier passait en second.

Par contre, si j’avais bien eu quelques amourettes, j’étais toujours en quête du grand amour et je n’arrivais pas à me sortir de la tête le regard de cette fille rencontrée 4 ans plus tôt.

Toute l’organisation de ma fête d’anniversaire n’avait qu’un seul but : la revoir. Projet fou, insensé, car les probabilités que cette fille croise ma route ce soir-là n’étaient absolument pas en ma faveur. Ainsi, après le repas dans un restaurant moins chic que le précédent, mais dont le nom des plats faisait déjà preuve d’un peu de sophistication (j’avais peur de les décevoir), j’ai réussi à conduire mes 4 comparses au BBB qui depuis n’était plus aussi branché, mais toujours aussi bruyant et bondé.

J’ai passé ma soirée à épier toutes les personnes qui entraient dans le bar. J’écoutais à peine Hugues parler de ses premières opérations en tant que neurochirurgien, Louis qui revenait sur le passage de son examen de barreau ou encore Damien dont le niveau de pensée de ses élèves s’avérait pathétique, selon lui. Gregory ne dissertait pas sur ses activités, mais son costume et sa montre affirmaient que, quoi qu’il faisait, ça marchait bien pour lui.

J’allais chercher une tournée, dernière pour moi, car ma tentative désespérée de retrouver une inconnue avait échoué, comme on pouvait s’y attendre. Sauf qu’elle était là, accoudée au comptoir, et que cette fois, je n’allais pas la laisser s’échapper.

Je me suis empressé d’amener leurs boissons à mes amis que j’ai aussitôt abandonnés pour aller m’assoir seul avec elle. Pas question que je me défile, la coïncidence était trop énorme. Elle m’a avoué que ce n’était pas une coïncidence, qu’elle sortait d’une relation qui avait mal fini, qu’elle m’avait gardé en mémoire et qu’elle avait espéré secrètement, et sans réelle conviction, me retrouver dans ce même bar, à « fêter dignement mon anniversaire ». J’ai reconnu que la raison de ma présence ici était identique à la sienne, rupture douloureuse mise à part, et que j’avais passé ces 4 dernières années à regretter de ne pas avoir osé lui demander son nom. « Cécile », m’a-t-elle confié, le regard pétillant.

 

Trois ans après, nous étions mariés. Elle a tenu à fêter son enterrement de jeune fille au très justement baptisé par nos soins BBB. Je l’ai imitée quelques jours plus tard, caprice qui m’a permis d’échapper à une excursion à La Liberda qu’avaient commencé à fomenter mes complices d’anniversaires.

 

J’aurais préféré passer le cap de mes 32 ans avec ma femme, mais comme c’était un peu grâce à mes amis que je l’avais rencontrée, je me suis prêté à la tradition.

Gregory a tout organisé. Dégustation de grands crus dans une vinothèque, puis remise en forme dans un centre de bien-être avec obligation de choisir un des massages originaux, à savoir pierres rondes, emplâtre au chocolat, matelas de mûres ou enrobage de dents-de-lion. Ma gourmandise m’a fait opter pour le deuxième, une déception car, au-delà de son côté relaxant, le massage s’avéra dépourvu d’effluve de cacao matinal. Et je ne pourrais dire si le chocolat apportait un plus, j’avais vécu mon baptême en matière de massage.

Après la détente, Gregory nous a emmenés au musée et nous a fait une visite (ou plutôt un cours magistral) sur les œuvres exposées, dont il était pour la plupart le pourvoyeur.

On s’observait en douce avec Hugues, Damien et Louis, certain que notre compère trempait dans des affaires louches, que sous son business de marchand d’art se cachait autre chose. Mais on en est toujours resté aux suppositions (et aux regards en biais sur sa montre en or), car on ne parle pas de ce genre de chose avec un ami, surtout si cet ami donne l’impression qu’il pourrait très mal prendre une telle discussion.

Pour le repas, Gregory avait sélectionné un restaurant traditionnel pakistanais. Il a commandé pour nous des plats aux noms exotiques qui ont régalé nos papilles jusqu’au moment où je me suis mis à gonfler. Je suis allergique à la cacahuète et personne n’a pensé à m’informer que c’était un des ingrédients principaux de cette cuisine. J’ai fini aux urgences où j’ai retrouvé Cécile qui est infirmière et a pris soin de moi, réalisant mon souhait de passer mon anniversaire avec elle.

Pendant que je dégonflais et récupérais une respiration à peu près normale, Gregory se confondait en excuses, me promettant de payer pour tous les frais d’hôpital, et aussi une nuit d’hôtel pour Hugues, Damien et Louis qui, vu l’heure, ne pouvaient pas rentrer chez eux. Dans nos regards, on pouvait lire cette interrogation : on a un pote dans la mafia ?

 

Je n’ai pas échappé au 36e anniversaire avec la bande, ni aux suivants. Je crois qu’ils ont fait de Cécile leur complice, car je n’ai jamais pu me défiler. Mais avec elle aussi, on a installé une tradition. Comme je ne pouvais fêter le jour J qu’une fois tous les quatre ans, et qu’il était accaparé par mes copains, Cécile a proposé que le 1er mars de chaque année, on parte rien que les deux. Je lui ai répondu que j’aimais beaucoup l’océan.

Depuis, toutes les années le premier mars, on se rend en Normandie. Le voyage dure 5 jours avec une étape à l’aller, deux jours sur place et le retour d’une traite. On a pu ainsi profiter plusieurs fois du Mont Saint-Michel avec quasi aucun touriste. On a parcouru les plages du débarquement sous le vent, la pluie ou la neige. On s’est réfugié dans des gîtes traditionnels et familiaux. On a admiré la vue depuis les falaises d’Étretat, sauf quand le brouillard s’invitait. On a slalomé entre les parasols d’une plage de Deauville déserte. Le temps n’était pas toujours de la partie, mais peu importait, on passait des moments de complicité et de joies mémorables. C’était tellement mieux que mes anniversaires quadriennaux qui avaient fini par développer un arrière-goût forcé. Je voyais la distance avec mes amis se creuser avec les temps. Ils viraient bobos malgré eux, affichaient une réussite et un confort matériel qui m’embarrassait. Ils ne s’en rendaient pas compte, mais je me sentais en décalage.

D’ailleurs, après la journée organisée par Gregory, c’est devenu une sorte de concours, escalade de la surenchère, où à tour de rôle chacun prenait les rênes de ma fête.

Hugues nous a emmenés faire une promenade en raquettes dans la neige, une activité beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît. La randonnée devait durer 30 minutes, on est rentré deux heures plus tard, vannés. J’ai eu des courbatures aux jambes pendant toute la semaine qui a suivi, réduisant, à ma plus grande frustration, ma capacité de mouvement lors de mon séjour en Normandie. Il avait ensuite organisé un repas gastronomique très « tendance du moment » sur le thème de l’huitre. Je peux maintenant dire que non, je n’aime vraiment pas les huitres, qu’elles soient gobées, pochées, cuites ou en terrines, leur goût me révulse tout autant. Mais j’ai pu constater que mes cours d’impro portaient leurs fruits, car personne n’a soupçonné mon dégoût.

Puis c’est Louis qui nous a organisé un baptême de l’air en parapente biplace, car, maintenant qu’on avait bien entamé la tranche de la quarantaine, c’était le moment ou jamais de tracer certaines activités de notre liste. Malheureusement, s’il figurait peut-être sur la sienne, le parapente ne trônait pas sur la mienne, d’ailleurs je n’ai jamais rédigé ce genre d’inventaire. En plus, même s’il faisait beau, je reste persuadé que ce n’est pas une bonne saison pour ce type d’acrobatie. J’ai tellement eu la trouille que j’ai vomi tripes et boyaux à l’atterrissage (ce qui m’a replongé dans le souvenir de nos premières célébrations du 29 février). Il nous a ensuite fait découvrir la gastronomie moléculaire. Là on a bien ri, j’avoue. On s’est imaginé dans un film de science-fiction, faisant les bruits qui allaient avec, parlant en exhalant des nuages d’azote. Le patron ne nous a pas virés (il ne chasserait pas des gens qui laissent un gros pourboire), mais on a bien compris que maintenant qu’on avait bu notre café, il serait peut-être temps de partir. On a fini par s’acheter une pizza à l’emporter qu’on a mangée sur un banc, parce qu’on avait toujours faim. Le lendemain, je n’ai pas pu conduire pour notre voyage en Normandie, j’avais trop mal au ventre.

Au jour J de mes 48 ans, Damien a organisé une fête qui aurait pu me plaire. Comme mon anniversaire tombait un samedi, il nous a emmenés voir une pièce de théâtre en fin d’après-midi, une comédie très drôle, à en juger les rires dans la salle. Pour le repas, il avait réservé une table dans une trattoria réputée dont les plats (et les vins) ont reçu des vivats d’approbation de mes amis.

Sauf que pour moi, tout était fade. J’avais accompagné Cécile à un rendez-vous chez son docteur la veille, il devait lui donner les résultats des radios et analyses qu’elle avait eues en début de semaine. La petite boule qu’elle avait sentie à la base de son sein était bien une tumeur. On l’avait heureusement dépistée à temps et avec une opération et une chimio, elle devrait s’en sortir. La nouvelle m’a terrassé.

 

Cécile a pris les choses avec calme, a planifié intervention et séances de chimio. Je l’ai accompagnée à chaque moment. Elle arrivait à me faire rire malgré tout, me disait de ne pas m’inquiéter, que ça allait bien se passer. J’avais honte, j’aurais dû la réconforter, pas le contraire. Après une année de lutte, d’allers-retours interminables dans différentes unités de soin, l’oncologue nous a annoncé que la vilaine bête était vaincue.

Sauf qu’une année et demie plus tard, elle est revenue. Plus vicieuse que jamais. Elle avait laissé un microscopique résidu dormir dans un coin et avait profité de notre soulagement à la rémission de Cécile pour se glisser discrètement dans son organisme et se répandre un peu partout.

Le docteur a donné entre trois et six mois à Cécile. Sa bonne humeur lui a rajouté un sursis de huit semaines. Mais ça n’a pas suffi à vaincre la maladie. Cécile m’a quitté il y a six mois, creusant un vide énorme que rien ne peut combler. Nous n’avons pas d’enfants, nous étions bien tous les deux et ne sentions pas l’envie de fonder une famille. Nous étions notre famille.

Maintenant je suis seul. Extrêmement seul. L’année passée, avec Cécile, on a fêté mes 51 ans en restant deux semaines en Normandie. Elle se savait condamnée et voulait me laisser un souvenir indélébile. Comme si elle avait besoin de ça. Deux mois après, elle est entrée à l’hôpital pour ne plus en sortir. Elle s’est battue jusqu’au bout, et moi je l’ai soutenue de mon mieux. J’ai dû montrer une force que je n’avais pas. Elle n’était pas dupe, elle me connaissait trop bien. Mais elle faisait semblant de ne rien voir. Et puis un jour elle est partie, emportant avec elle mon monde, ma joie, ma foi en l’avenir.

 

Aujourd’hui c’est le 29 février. J’ai 52 ans. Je ne veux pas savoir ce que mes comparses m’ont préparé. Et je ne le saurai jamais. Cécile n’est plus là pour m’empêcher de fuir. Alors me voilà dans un Bed & Breakfast en Normandie, à Étretat. Cet après-midi, pour célébrer mon anniversaire, j’irai me promener sur les falaises et… on verra bien.

Commentaires (2)

Starben CASE
23.10.2020

Une promenade à travers les âges que nous connaissons tous, les virées d'ados, les craintes, les fou-rires, les beuveries, les amours, les amis, le gouffre de l'âge adulte, les tracas, la maladie... tout ça avec une justesse et un humour chaleureux qui sent bon l'enfance. Merveilleux!

Mouche
19.09.2020

Belle histoire, dont la fin est poignante. Bravo !

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