Créé le: 04.12.2016
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Tempo

Musique, Nouvelle

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Quand vous l’écoutez, vous devenez, sans vous en rendre compte, sa marionette.
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Temp0

Personne ne le remarque quand il entre dans la salle. Plus discret qu’une ombre, se fondant parfaitement dans cette foule de cocktail guindé avec son costume trois pièces, il se glisse parmi les convives qui discutent activement. Navigant entre les groupes, évitant soigneusement tout contact, il atteint sans encombre son but et s’assied délicatement sur son siège rembourré. Il observe quelques secondes l’assemblée qui l’ignore, puis, doucement, il pose ses mains fines aux longs doigts sur les touches blanches et noires. Il commence à jouer.

D’abord la mélodie est légère, se mêlant discrètement au brouhaha ambiant. Puis, quand il sent que l’assemblée a intégré sa mélopée, il change de rythme et monte d’un ton. Autour de lui, des voix se taisent, captivées par la musique. Il continue, toujours un peu plus fort et les conversations dans la salle s’éteignent les unes après les autres. Quand il sent qu’il tient son audience captive, il enchaîne encore plus fort, entraînant l’assemblée dans un air engageant. Peu à peu les corps se déraidissent et se mettent à onduler doucement au rythme de la musique. On mord goulûment dans les petits fours. On s’enivre volontairement de champagne. Des couples se serrent d’un peu plus près. Des célibataires au regard plein d’espoir scrutent la foule.

 

Tempo

Soudain le rythme ralentit, les tonalités deviennent plus profondes et langoureuses. La mélodie semble alors monter du sol pour envelopper l’auditoire et trouver résonance au plus profond de chaque convive. Tous, sans aucune exception, sont pris par les tripes et ressentent le battement sourd et langoureux de la musique au plus profond d’eux-même, comme si une fièvre tropicale s’était emparée d’eux. On ouvre des vestons, on déboutonne des chemisiers, on pose des châles sur des chaises. La salle s’est soudainement remplie d’une chaleur moite. Mais personne ne fait un geste pour ouvrir une fenêtre, craignant de briser le charme ou d’embraser définitivement l’assemblée survoltée. On s’observe avidement, on se serre voluptueusement, on s’enlace lascivement, on sent monter en soi des pulsions indécentes.

Il les maintient un moment dans cet état de transe, laissant la tension atteindre son paroxysme. Alors il ouvre les vannes de la délivrance avec un rock endiablé. Dans un spasme libérateur l’assemblée se déchaine, laisse enfin échapper toute la pression accumulée. On se déhanche activement, on gesticule, on rit aux éclats, on se sent à la fois soulagé et comblé.

Assis devant son instrument, les mains glissant agilement sur les touches blanches et noires, l’homme sourit, satisfait du pouvoir qu’il possède sur ses semblables juste au bout de ses doigts.

Commentaires (3)

Thierry Villon
28.02.2017

'Merci de vos commentaires sur Tant qu'à faire et le Clochard. Étant musicien, j'aime bien le pouvoir que vous attribuez à votre pianiste : attirer l'attention, forcer le silence, pousser les gens s'animer, à danser. Bravo et bonne suite.'

Suzy Dryden
13.12.2016

Merci Asphodèle pour votre message sur ma suite hongroise qui m'a fait très plaisir. Cela m'encourage car cela fait peu de temps que je prends la plume. Votre Tempo me parle tout particulièrement car j'ai un grand faible pour la musique et joue du piano. Pas aussi bien que votre personnage mystérieux. Est-il plutôt jazz ou swing? En tous cas, il donne envie de danser... Et cela est indispensable par les temps qui courent! The show must go on :-)

Pierre de lune
12.12.2016

Bonjour Asphodèle, On se laisse volontiers emporter par ce Tempo mutin et sensuel ;-) Et on applaudit ce virtuose, chef d'orchestre de nos émotions ! A bientôt Pierre de Lune

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