Créé le: 18.09.2021
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Sweet child in time

Culture, Feuillet, Musique

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© 2021-2024 André Birse

Un morceau, ancien, 1971, Deep Purle, entendu alors, à 13 ans. Les mots qu'il m'inspire aujourd'hui.
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Le titre est plus court encore : enfant dans le temps.

 

… et les premières paroles du morceau, chanson rock qui lourd et dur deviendra, sont « doux enfant dans le temps ».

 

C’est ici aussi un orgue électrique, avant-gardiste à l’époque, Hammond, je crois, les spécialistes nous le diront, qui reprend quelques notes douces et annonciatrices de la vie telle qu’elle devait être dans la réification du rêve de l’enfant. Les notes frappent au corps doucement et viennent tirer de là des émotions plus vastes et plus profondes. Nous devons bien admettre que certaines pensées émues auraient pu nous engloutir. Peut-être l’ont-elles fait et nous ne le saurons que plus tard. Béantes voiles, gênes gigantesques, frêle embarras. C’est ça, vivre encore à l’intérieur même de nos émotions d’enfance. C’est ici à nouveau et répétitivement individuel et absolument universel. Avec le langage seul ce ne sera pas possible. Un promontoire, un nid d’aigle dans les roches, sera le rôle dévolu au texte alors que la musique serait toujours un envol.

 

Nous l’avons tous fait. Ne comprenant pas les mots nous les mettions en images sonores et leur donnions une puissance verbale dont nous étions seuls serions l’origine. Une camarade en cette année septante m’aura suggéré que child signifie enfant et que time c’est  temps. J’aurai fait le reste en le réinventant. Les notes sont toutes simples, bien senties et la batterie, l’attente et les silences, quelques instants troublés par les grésillements du 33 tours. Dans le souvenir réincarné cela devient plus vivant et plus absolu, d’une complexité surprenante qui ne fait que décrire la faim d’une âme que l’on savait vivante en nous. La voix de l’homme aussi, désemparé et bienveillant qui parle à l’enfant. Ces trois syllabes en autant de notes dont je ne parvenais pas à comprendre le sens précis et prenait plaisir à le réinventer. Elles ouvraient une porte, possible des possibles, après elles, ces syllabes. Cet extatique devenir, je le pressentais. Un mot clef, une miraculosité allait apparaitre. Je les ai laissés de côté, les trois composants syllabiques de ce mot, et en vérifie aujourd’hui le sens et la substance : ri-co-chet. Il m’aura fallu cinquante et un ans pour arriver à ricochet, par indolence intellectuelle et volonté de privilégier l’indécouvert. C’est décevant bien sûr autant qu’évident. Rien d’autre en l’état, la vie, qu’une expérience du réel nécessairement teintée de déceptions et par elles délavée.

 

La musique étant à la fois tout admise et par nous recomposée ainsi que les voix, les tout premiers mots s’avéraient importants dès leur lent surgissement et le sont encore. Essentiels, goutte à goutte du clavier de l’existence qui fait parler ce qu’il y en de plus fort en soi avec une lumière sonore et naturelle générant une puissance au sein de laquelle se love l’amour. Je me cherche encore un peu là, mais c’est bien comme cela que j’entendais ces premières notes. Plus que soi, enfin, rencontre le plaisir de l’évidence des désirs que notre être physique ferait naître par les sens ou ce qui les prolongerait pour créer, aller jusqu’à l’esprit en fête. Le corps devait attendre un peu mais la vie intérieure faisait connaissance avec son amie l’irréalité suprême et accessible. Elle en venait à se réjouir et à s’impatienter de cet immédiat qui saurait faire éclater les couleurs joyeuses en nous d’un bonheur saisissable et durable. Eternel on ne savait pas. J’avais 12 ans et l’on me faisait goûter à Deep Purple.

 

L’espoir s’était fait vrai sur ces quelques notes et la virtualité prenait racine dans l’essence même de qui nous étions. C’était en voie pour soi, mais nous ne fûmes qu’admis, preneurs et teneurs, d’une once de participation. Le hard rock pris le pouvoir ensuite, dans ce morceau et dans la vie. J’ai écouté quelques fois l’entier du morceau métallique mais les premières notes seules me sont revenues au cours des ans. Je les attendais après les guitares électriques. Elles reviennent une deuxième fois et faisaient mon bonheur. Je dois les avoir beaucoup attendues demeure à l’instant saisi de leur apport émotionnel. Là où elles nous entraînent. Là où elles nous entraînent, il n’y a rien. L’émotion c’est sur terre, pour les vivants. La musique est un feu qui chauffe les pierres. Elle est peut-être plus. Une clef lumineuse qui referme les enfers. Jamais rien de défini dans le plaisir des sens qui ne se manifeste que par surprise et disparaît dès qu’on l’interroge en silence sur le principe même de son devenir.

 

Michel Houellebecq est aussi revenu sur « child in time », comme on est « sur Paris », dans l’un de ses romans. Wikipédia le cite. Il en parle superbement de ce plaisir justement et accompagne cette description de riches informations sur les musiciens et les concerts auxquels il a assisté. Je ne suis pas Houellebecq, je n’ai pas tout retenu. Mais les notes électronisées d’alors, les mots incompris, le sens indéfini, l’annonce faite au préadolescent des sublimités de l’amour et de leur contraire triomphant. L’enfant n’est jamais loin et le sens des paroles aujourd’hui examiné est bien celui d’une guerre que j’avais refusée à l’intime et qui s’est faite douce et persistante au gré des pierres chaudes de la traversée d’un synonyme : l’existence.

 

On voit la souffrance du chanteur et la pénibilité de l’effort imposée à ses cordes vocales aussi jeunes que mal préparées. Un jour, trente ans plus tard, il a refusé de reprendre ce chant étrange et éprouvant au sein duquel est fait devant Dieu le pari que l’enfant n’a jamais été atteint par les projectiles. Une histoire de snippers déjà alors qu’on entendait un hymne à l’amour. L’extraordinaire et redescendu des ciels en guerre alors le silence cassait une corde et brisait ses guitares. La ligne déjà que l’on devait voir entre « the bad and the good ». L’entame seule contient en elle le plaisir alors même que les espaces entre les mots créent l’enchevêtrement des désirs. Ce tout premier instant, cette seconde unique et finie en écho de ce qui jamais ne le sera ont fui leur propre sort en pleine gloire, mienne vanité, dans le vide parfait de l’indépassable vacuité accolé à l’histoire sans commencent de la défection des espoirs. Je ne m’attendais pas au ricochet. Et l’amour n’aura frappé ni à ma tête ni à mes portes. J’ai oublié le nom des soldats et ne fais pas partie du groupe. C’est un tout à la fin et je l’accepte sans le comprendre ou vice versa. Effets et contre-effets (de la projectilisation) du morcellement des soupirs.

 

Une brutale ressemblance existe entre « Child in time » de Deep Purple et « Zombie » des Cranberries. Le refrain « in your head », ce qui se passe dans la tête de l’enfant avant qu’il ne soit blessé et même s’il devait ne pas l’être, en lui et autour de lui. L’enfant, un nous vivant, un je vulnérable, un soi disparu. C’est la guerre avant la guerre et la musique nous le servira encore longtemps. Mais il faut revenir à ce calme désir d’extases avant qu’il ne s’éteigne. Cette lenteur qui seule nous permet de saisir au rebond l’infini. Ricochets, pourpre, profond, j’enlève. Des mots trouvés en chemin qui ne reviendront plus.

 

 

 

 

 

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