Chapitre 1

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Au soir de sa mort, cette chanson me revient. Force des hommages mêlée au désagrément de la tristesse. Il ne peut en être autrement.
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S’égrènent les nouvelles des départs, cet après-midi ce fut Michel Bühler et c’est déjà acté : il n’est plus. Vient un deuxième acte, qui aura précédé ce premier : il était. S’égrènent ensuite souvenirs et les sensations qu’en nous ils charrient. Ses débuts et leur continuation, sa façon de porter sa guitare aussi volontairement que sa voix. Chanson d’hier qui était celle de demain il n’y a pas si longtemps, d’un présent, d’une disponibilité, d’un engagement. Pas tout suivi, je ne vais pas mentir, mais me souviens très bien de « Rue de la Roquette », où « elle habitait … tout en haut d’un vieil escalier ». Histoire brève et parisienne d’une rencontre sans lendemain parce qu’il n’y avait pas d’amour et « simplement parce que c’était tout ».

 

Ce soir, tristesse. Claire, on sent un ralentissement. Manque un accent, un langage, une voix qui annonce et révèle un pays. Une pudeur, des larmes et un sourire de politesse endiablée. Il était bien que Bühler soit là. J’avais commencé son livre sur le Jura. Il n’est pas loin, je le recommencerai. Le propre des mots est d’appartenir à tous et d’avoir une force unique pour chacun. « Qui ira au cœur des gens que nous aimons ». Son village où j’ai rêvé de séjourner et celui dont vivre serait le prédicat dans une chanson de Ferrat sur un poème d’Aragon que nous avons tous aimée et que l’on écoutait ensemble, je l’appends maintenant en lisant sur sa mort les commentaires qui sont de tendresse et de qualité. Me dépassent comme on aime être dépassé.

 

Yvette Théraulaz dans forum, chacun chez soi et le silence dans les arbres noirs au-dessus des lacs. Honneur du pays et sacre d’une toute individuelle et fragile authenticité bien que résolue. Départ créant l’absence et fauchant la promesse. Il reste les extraits d’émission, les chansons qui reviendront et les livres dont on sait qu’ils nous attendent, plus tranquilles que nous ne le sommes. Il était instituteur, j’étais enfant, chanteur, je devins étudiant, mine de rien, et le suis toujours, bien que nous fumes lui et moi artisans en chemin. Il aurait toléré le mimétisme par exemption de toute arrogance cet homme-là. Connaître sans rencontrer, dans un pays où tout le monde se croise. La vie lui allait très bien et donnait une valeur à celle d’autrui que l’on ne veut pas être et que l’on est pourtant. Il est de plus en plus de silences que l’on souhaite rencontrer encore.

 

Difficile à accepter, comme toujours et chaque fois plus que jamais. Mais elle s’en fiche, l’inhumaine réalité des départs.

 

Il connaissait sa tristesse, nous engendrons la nôtre. J’aurais un peu compliqué les choses avec Michel Bühler, provoqué des amours mortes et des envies de rougeur. J’entends les miens partager le silence des siens. Il faut écouter pendant qu’il est temps. Michel vous avez bien fait de chanter et je vais faire comme si je n’avais rien entendu avec ce mourir qui ne vous va pas si bien. Pas pour le moment. Impression d’avoir perdu un copain alors qu’il confessait n’avoir pas rappelé tous les siens.

 

Tiens, vous m’intéressez. Vous m’avez toujours intéressé. Abonné absent par crainte que vous ne mourriez, ce qui semble désormais être le cas. Quelque chose se poursuit avec vous et l’absence – ce n’est pas encore très bien admis – peut être une promesse qui se serait cachée dans le phénomène existence. Ma tristesse vous appartient. A distance, quel partage, et rien ne dit que ce ne soit encore plus vrai. A vous lire, à vous entendre, à écouter loin de vous le chant des arbres et ceux des silences, à les créer mieux encore à l’horizon qu’il nous reste à ne pas manquer de préserver.

 

Ce que l’on donne à nos années, on le donne aussi à celles des autres. C’est plus encore vrai dans la solitude et le silence que dans certaines lumières. Vous vouliez voir la fin du film. On vous entend le dire. Le film ne se fera pas sans vous. Sur cela aussi nous devons encore travailler.

 

Simplement parce que ce n’est pas tout.

 

 

 

 

Commentaires (3)

André Birse
14.11.2022

Nous aurons partagé cette nouvelle de la disparition de "Bubu", chacun dans ses souvenirs et sa réalité. En parlant de souvenirs et de réalité, bravo pour votre prix et votre nouvelle très bien écrite.

Athanase de Jadys
15.11.2022

Merci, ravi qu'elle vous ait plu ! Pour Michel Bühler, en tout cas, il avait une voix, et parfois il me rappelle un peu Jean Ferrat...

Athanase de Jadys
14.11.2022

J'ai rencontré une fois Michel Bühler, en 1978. Il était venu chanter sur la scène de l'AMC de Mulhouse, où j'étais machiniste le week-end. Je me souviens qu'une de ses chansons parlait des immigrés en Suisse. Je n'étais pas immigré, juste frontalier, la semaine je bossais sur un chantier à Zürich. Ça m'a fait un choc d'apprendre sa mort...

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