Créé le: 14.01.2021
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Rond de sorcières

Contes, Fantastique, Nouvelle

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© 2021-2024 Kurt Fidlers

Erwan, le jeune korrigan a le désir fou de devenir un petit garçon. Un rêve qui peut s'avérer dangereux.
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Ici, sous ce tumulus, vit un korrigan prénommé Erwan. A l’intérieur de ce trou, il fait humide et froid. Malgré la concrétion réalisée en pierres et terre séculaires, il n’est pas rare que les couloirs de la tombe soient en proie au vent rugissant venu des côtes. Celui-là même qui terrasse en ce moment même la région de Carnac et fait ployer les herbes de la lande dans un bruissement sinistre. Même les dolmens semblent trembler sous l’assaut des bourrasques.

Et quand viennent les grandes pluies, l’eau à une fâcheuse tendance à s’infiltrer dans l’habitat de la famille d’Erwan jusque dans ses moindres recoins. Mais lui, cela ne le dérange pas vraiment. Ce tumulus c’est son chez lui.

Il partage un maigre espace avec ses sept frères et sœurs, ses parents, ainsi que la tombe d’un illustre guerrier du temps jadis. Ce dernier n’est pas un occupant envahissant ni turbulent, contrairement à ses frères et sœurs.

Erwan dort dans une petite cavité, calé contre la tombe. Il aime cette ambiance paisible, mortifère diront certains, mais pour lui, c’est l’endroit le plus sec de la tanière. Cela lui permet de lire, sans être dérangé, ses livres sur le monde des hommes, à l’aune d’une bougie tremblante. Ces histoires fantastiques autour des légendes arthuriennes, des chevaliers de la table ronde, lorsqu’ils étaient encore les maîtres de la terre et quand eux, le petit peuple, était considéré comme une part entière de cette histoire.

Il est épris de ces récits depuis que, au coin de l’âtre des décennies auparavant, Brieuc, son père, lui a conté les pérégrinations d’Arthur et de Lancelot. Car oui, Erwan, bien que considéré comme un jeune korrigan par ses pairs, atteint aujourd’hui l’âge respectable de cent-vingt-trois ans. Et ce n’est pas tant ses lectures qui ont forgé en lui la volonté de devenir un homme, mais bien cette aura fascinante qui enveloppe les humains. Ils sont si grands, si puissants. Contrairement à eux.

Brieuc est un éminent représentant du petit peuple. On vient de très loin pour le consulter et écouter ses très bons conseils. Parfois, il vient des fradets de Vendée, des trolls norrois, des leprechauns d’Irlande, ou encore, et chose plus rare, des elfes noirs Scots. Mais malgré ce va-et-vient, aucun homme, au grand dam d’Erwan, ne s’est jamais présenté. Il aurait tant voulu en savoir plus sur leurs habitudes. Et comment ils appréhendent l’instant présent avec une vie si éphémère ?

Au sein du petit peuple, il se murmure que les hommes sont devenus aveugles. Pour eux, les légendes sont devenues mythes et la science a remplacé la magie depuis le jour où Lancelot a banni la fée Morgane à Avalon. Erwan entend ces rumeurs, mais n’y croit pas, persuadé que les hommes les voient, seulement, ils ne regardent pas au bon endroit au bon moment. Pour les avoir observés à leur insu, il les connaît un peu. Il sait qu’ils peuvent être aussi maléfiques que le sont les korrigans. En somme, ils se ressemblent bien plus qu’ils ne veulent bien l’admettre. Un élément supplémentaire qui l’incite à vouloir leur ressembler.

Depuis maintenant plusieurs années à la même période, il les observe, le même soir, lors de cette fête qu’ils appellent Noël. Ce jour spécial où ils célèbrent la naissance d’un enfant aux pouvoirs incroyables. Erwan s’est souvent demandé pourquoi on les croit insensibles à la magie alors qu’ils vénèrent un homme capable d’en ressusciter un autre. Au sein du petit peuple, seul un nécromancien est capable d’une telle prouesse.

De l’extérieur de leur maison de pierres recouverte d’un toit de chaume, il les voit réunis autour d’un sapin illuminé, constellé de boules de couleurs qui reflètent une atmosphère chaude et doucereuse dans laquelle il aimerait se couler. Et là, au travers des carreaux, il perçoit la magie dans cette fête. D’ailleurs, n’est-ce pas magique d’imaginer qu’un personnage grotesque et bedonnant puisse distribuer des cadeaux aux enfants du monde entier, entouré par une multitude de lutins l’aidant dans cette tâche ?

Erwan en rêve secrètement pourtant. Ne plus vivre dans un trou humide et froid. Vivre avec un toit sur sa tête. Comme un enfant normal. Non qu’il soit malheureux avec ses parents et ses frères et sœurs, mais la magie, où qu’elle soit est puissante, tentatrice. Comment ne pas succomber au charme d’une veillée de Noël, tout ceux que l’on aime réuni autour de soi ?

Avec le temps, Brieuc, voyant l’intérêt et le supplice que s’inflige son enfant, lui suggère alors une chose dont Erwan ne se serait pas attendu :

— Va au Bois-de-Caleb, trace un rond de sorcières et attires-y un jeune humain. Tu l’enfermeras dans le cercle magique pendant que tu te substitueras à lui le temps de ton voyage au pays des hommes. Reviens-moi ensuite et raconte-moi ton périple.

A cent-vingt-trois ans, c’est le premier conseil que Brieuc dispense à son fils. Il lui fournit l’incantation magique et l’accompagne hors du tumulus, le regard chargé de malice.

Erwan, motivé, parcourt la lande jusqu’au Bois-de-Caleb. Là, à l’orée d’un liséré de pins battus par le vent tempétueux, il dispose des cailloux en cercle et prononce la formule magique. Aussitôt s’élève des pierres un feu follet évanescent.

Tout est prêt.

L’habitation qu’il a déjà visitée à plusieurs reprises contient trois enfants et leurs parents. Après avoir gratté les carreaux, il attire dehors le plus petit d’entre eux mais aussi le plus curieux. Une proie facile. Celui-là qui avait déjà dû l’entr’apercevoir un jour où il les observait à leur insu. C’est un garçon aussi grand qu’Erwan prénommé Correntin.

— Tu es un lutin du Père Noël ? pépie ce dernier, chaussé de ses pantoufles et emmitouflé dans un duffel-coat.

— Oui, viens, le presse Erwan, il faut que tu viennes nous aider à transporter les cadeaux, il y a eu un problème avec le traineau du Père Noël.

Le korrigan, impatient, le pousse jusqu’au Bois-de-Caleb. Une fois au bord du cercle magique, sous le regard médusé du petit garçon, le jeune korrigan l’enferme dans le rond de sorcières, prend son apparence et retourne à l’habitation des humains. Là, il se glisse subrepticement dans la maison et attend l’aurore.

Au milieu de la nuit, il entend du bruit à l’étage inférieur et se dit qu’il veut voir le Père Noël à l’œuvre. Il quitte son lit et se dirige vers le salon. Depuis le haut des marches, caché par la rambarde d’escaliers, il constate, horrifié, que nul Père Noël ne dépose de cadeaux sous le sapin, mais que les parents du petit Correntin s’occupent de cette tâche.

La déception l’étreint. Il a envie de s’abandonner. De pleurer toutes ses larmes contenues. Tout ce qu’il a imaginé s’effondre autour de lui car, s’aperçoit-il, il n’y a pas plus de magie dans le monde qu’il n’y a d’homme bedonnant qui distribue des cadeaux aux enfants du monde. Les hommes alimentent un mensonge et font croire à leurs enfants qu’elle existe vraiment alors qu’eux-mêmes n’y croient plus.

Déçu, Erwan n’a plus qu’une envie : retrouver les siens. Son tumulus et ses histoires du temps jadis, quand la vraie magie était encore puissante et imbibait chaque parcelle de la terre.

Sous ses airs malicieux, son père vient de lui transmettre une leçon, car forcément, il savait que le Père Noël n’est que pure invention. Erwan comprend soudainement ce conseil avisé. Pourquoi désirer quelque chose au détriment d’une chose que l’on possède déjà ?

Sur ces pensées, il parvient au Bois-de-Caleb et récite la formule magique pour sortir le petit Correntin de sa prison de feu follet.

Soudain, du feu magique jaillit une sorcière. Le visage tuméfié par l’âge, ses yeux noirs profondément enfoncés dans leurs orbites et vêtue de haillons.

— Tu m’as fait un magnifique cadeau, mon petit, crache-t-elle.

— Je… je ne comprends pas.

— La formule que tu as utilisée n’avait plus été prononcée depuis des temps immémoriaux.

Une crainte incompréhensible saisit aussitôt Erwan. Pour une raison qu’il ne s’explique pas, quelque chose tourne en eau de boudin.

— Où est Correntin ? jette-t-il à brûle-pourpoint.

Un rire strident éclate dans la gorge de la vieille femme qui disparaît dans une gerbe de couleurs vives et crépitantes.

Erwan est tétanisé. Il reste planté devant le cercle d’où plus aucune émanation magique ne s’échappe. Tout a disparu hormis le rond de cailloux. La peur s’empare de lui.

Longtemps, il continue de chercher Correntin. En vain.

Abattu, en pleurs, il traverse la lande battue par les bourrasques venues de la côte, et arrive finalement au tumulus. L’espoir renaît de retrouver les siens et la perspective que Brieuc trouve une solution pour arracher le petit Correntin à la sorcière.

Mais alors qu’il pénètre dans le trou, une fois de plus, la peur se forme inexplicablement au creux de son ventre. Il découvre, épouvanté, un tumulus vide. Le mobilier est renversé, abandonné et gît comme si les occupants s’étaient enfuis précipitamment sous une grande menace.

Erwan cherche des heures durant. A l’intérieur, à l’extérieur, mais force est de constater que sa famille a disparu. Évaporée.

Comme par magie.

 

 

FIN

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