Créé le: 01.06.2023
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Retour aux sources

NouvelleMémoires 2023

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© 2023-2024 Rinatri

Etonnant comme notre enfance définit qui nous sommes vraiment Les bruits, les odeurs, les sensations, les personnes chères depuis longtemps disparues mais dont l’enseignement est toujours inconsciemment présent Qui n'a pas connu ce moment ou le retour au source devient incontournable ?
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La route se déroule à l’infini. Sinueuse comme les chemins de montagne. Le regard porte loin sur ce paysage fait de vallées et de collines. Un vent léger souffle en faisant onduler les champs de tabac qui autrefois avait été des étendues de blé à perte de vue,  Aujourd’hui, quelques rouleaux de foin prêts pour l’hiver témoignent que les moissons ont déjà eu lieu.

 

Par la fenêtre ouvert, je hume ces odeurs particulières faites de soleil et d’herbe coupé. Des images s’impose à ma mémoire. Celle d’une enfant réveillée à l’aube par les coups frappés à la porte de ses grands-parents  « Luigi il faut te lever, c’est l’heure »

Et la maisonnée s’activait. Les hommes rejoignant les autres hommes déjà prêt à partir aux champs. Les femmes se joignent aux autres épouses pour préparer le repas auquel tous feront honneur lorsque le soleil sera couché. Plus tard on dressera de longues tables sur des tréteaux au milieu du champs moissonné. Les poules et les lapins seront sacrifiés pour la bonne cause et une odeur de sauce tomate flottera dans l’air.

Et le bruit de la moissonneuse batteuse travaillant jusqu’au soir sans discontinuer. Les enfants qui courent pieds nus derrière l’énorme machine pour repousser la paille qui déborde, heureux d’aider les grands.

Car c’est une course contre le temps, contre l’orage qui pourrait surgir à tout moment et anéantir une année de travail. Chaque jour, un nouveau voisin vient frapper à la porte et chaque jour les fermiers se mobilisent. A tour de rôle, tous les champs seront prêts pour l’hiver.

 

Et puis on recommencera pour les vendanges. J’ai encore dans les narines l’odeur du  raisin apporté par les hommes dans de grandes hottes en osier et que l’on écrase en dansant dans les cuves en bois afin d’en extraire le jus qui deviendra un jour un vin un peu rustre. Ce n’est pas un grand cru, avait-on coutume de dire, mais c’est le nôtre.

Et puis se sera le battage des olives, en attenant la prochaine moisson, rythmant les saisons en une ronde aussi immuables que le levé du soleil. C’est une entraide à toute épreuve que seuls les gens de la terre connaissent vraiment. Cette terre qui m’a appris le sens de la solidarité et du partage.

 

J’arrive à la place de l’église. Une petite chapelle sans prétention, qui servait également d’école, s’élève sur la gauche de la route. En face, le magasin général achalandé par les producteurs locaux. On peut y trouver aussi bien le pain, les biscuits et la pizza du jour cuits dans les fours a bois du village voisin, que tout ce qui pourrait servir dans une maison en terme de cuisine ou d’hygiène. Cet endroit est un lieu de réunion des fermiers après un mariage, un baptême, un enterrement ou simplement une messe. Une fois par semaine, le jeudi, un bus s’y arrête pour pouvoir se rendre au grand marché villageois situé dans leur chef lieu à une dizaine de kilomètre de là, tout en haut de la colline, serré autour d’un château médiéval.

 

C’est dans cette région vieille de bien des siècles que j’ai vu le jour, sur une table de cuisine, dans une maisonnette située sur un promontoire dominant la vallée. Née en octobre, le vent et la pluie ont été mes berceuses. L’infini, mon premier regard. C’est de là que, à l’abris dans les bras de ma grand-mère maternel, je regardait le train qui sifflait dans le lointain en emmenant mes parents dans un pays ou le travail ne manquait pas. Des parents que j’ai a peine connu durant mes trois premières années de vie.

C’est dans cette église que j’ai été baptisée, fait ma première communion et mariée.

 

Des chemins encore vierges d’asphalte mènent à l’intérieur des vallées. Ils faut être attentifs pour les voir mais ils sont toujours là, cachés par la « macchia » cette forêts de ronces très dense à certains endroits.

 

Enfin le chemin que je cherche apparait. Il forme un Y dont chaque branche mène sur deux mondes différents et semblables à la fois. A gauche la route de terre battue continue tout droit et s’enfonce dans la forêt. Dans ma mémoire, je la voit déboucher sur une clairière et dérouler sa bande poussiéreuse bordée de noisetiers. Frontière entre les champs d’oliviers et les champs de blés, elle traverse une maison. On dit que son propriétaire s’y est pendu. On ne s’en approche jamais afin de ne pas déranger son esprit. Pourtant c’est là que j’ai voulu dormir un soir pour prouver à tous que les esprit n’existaient pas.

 

Enfin tout en bas, avant que le chemin ne continue sa course dans le fond de la vallée, la ferme de mes grands-parents maternel. Tout en rondeur. Pour accéder à la grande cour centrale, on longe sur la gauche le clapier et sur la droite le poulailler. Un chien attaché à une grande corde suspendue, peut traverser la cour et défendre son domaine aisément sans s’échapper. Tout au fonds, une longue bâtisse de pierre au toit de tuiles abrite la cuisine, qui sert aussi de salle à manger, la grande chambre commune et une cave ou se trouve le vin, l’huile et les salaisons servant à nourrir la famille pendant une année. Dans la cuisine, il y a un grand foyer ouvert. Il sert à la foi à chauffer la pièce et à faire bouillir le grand chaudron posé sur un trépied. Pas de chauffage ni d’eau chaude, encore moins d’eau courante. Allez chercher de l’eau à la fontaine en contrebas faisait partie de nos tâches quotidiennes. Que de fois y ai-je  accompagné ma grand-mère. Quant à l’électricité, elle n’était pas prévue pour ce coin du monde. Pour toutes ces raisons, la cuisine était notre lieu de vie, nous y prenions nos repas et le soir, nous nous réunissions autour du foyer. Quelquefois, des voisins venaient pour parler de la journée, des problèmes rencontrer aux champs ou des derniers commérages.

 

Pour aller à la chambre, il fallait sortir dans la cour  et s’armer de courage pour quitter la clarté et la chaleur de la cuisine au moment du coucher. Pas question de dormir sans avoir mis un balais de riz devant la porte afin d’empêcher « la janara », cette sorcière effrayante connue de tous les enfants de mon âge, de venir nous chercher pendant notre sommeil. On raconte qu’occupée à compter les poils du balais de riz, elle oublie d’entrer dans la maison.

Au matin, je courais chercher le lait dans la ferme située à cinq cent mètres de la nôtre. Si j’avais de la chance la fermière, qui était également de ma famille, me donnait une grande tranche de pain artisanal recouverte de ricotta toute fraîche que je dévorais sur le chemin du retour. Ensuite, ma grand-mère faisait bouillir le lait pour le petit déjeuner. On ne doit jamais boire du lait tel quel disait-elle. Ainsi est née mon aversion pour le lait chaud. Aversion que ne m’a jamais quittée.

 

Je ne peux m’empêcher de sourire car, malgré tout, j’y ai passé des jours heureux et appris que la chaleur d’un foyer vaux tout l’or du monde.

 

La voie de droite remonte la colline et mène au domaine de mes grands-parents paternels. Je regarde avec nostalgie ces deux chemins que j’ai parcouru tant de fois, le soir, en rentrant à pieds de la dernière messe donnée à l’église du village. Quelquefois à gauche, quelquefois à droite mais toujours accrochée au bras d’une de mes grands-mères, j’écoutais les bruits de la nuit peu rassurants, pressée de me retrouver en sécurité.

 

Gauche ou droite ? J’hésite un instant. Presque malgré moi, je tourne à droite.

Pourquoi ? Je ne saurais le dire. Les uns comme les autres m’ont offerts une prime enfance heureuse. Le sens d’appartenance au clan plus fort du coté paternel peut-être,,,,

 

A un détour, toujours debout malgré les années, la maison apparait dans le contre-bas de la route. Reconstruite sur les ruines centenaires de l’ancienne maison de pierre anéantie par le tremblement de terre de 61, on peut encore y voir l’ancien four à pain.  Je ressens un pincement du coté du cœur. Elle ne fait plus partie de la famille aujourd’hui, faute de repreneur, mais elle en reste le berceau incontestable.

 

Je me parque sur le bord de la route et, en sortant de l’habitacle je regarde avec tendresse la forêt qui borde la route et dont je sais que le chemin pédestre qui la traverse rejoint la route principale en ligne droite. Malgré les habitations construites ça et là, personne n’y a touché. Petite fille, je m’y enfilais sans peur pour chercher les oiseaux que mon grand-père venait de tuer « Tu es mon petit lutin courageux, disait il en caressant ma joue.

Ce chef de clan, juste et droit, écouté par ses paires, m’a appris l’honnêteté, le courage et les valeurs de la famille.

 

Avec un soupir de nostalgie, je descend vers la maison déserte. Le grand « celso » central est toujours là, cet arbre ou l’un de mes cousins a failli se tuer en voulant ramasser ses petits fruits rouges et juteux pareils à des mûres. Contre toute attente, le banc façonné par grand-père s’y trouve encore. Je m’y assois et regarde cette grande façade blanche de deux étages que les éléments n’ont pas épargné. Celle où mon père et ses six frères et sœurs ont grandis dans l’aisance conférée par leur statut de propriétaires terriens. Où, entourée de mes dix-sept cousins et cousines, je passais toutes mes vacances d’été à jouer aux explorateurs dans ce grand domaine à étage qui descend jusqu’en bas de la vallée. Celle qui m’a insufflé ce besoin de liberté et de d’aventure qui me porte aujourd’hui à travers le monde.

 

Mon regard se déplace vers l’imposant figuier, à l’autre bout de la terrasse de terre battue, qui me semble pourtant plus petit que dans ma mémoire. Il surplombe encore fièrement la vallée de ses branches solides et couvre de son ombre les fontaines, en contrebas. Que d’histoires de monstre des eaux racontées au coin du feu nous faisant frissonner de peur, en réalité destinées à nous empêcher d’approcher des bassins limpides mais profonds.

Une canalisations en pierres construite par les générations antérieures permet à l’eau de s’écouler et aller arroser les potagers à étages chers à ma grand-mère et source de nourriture pour la famille.

Une pente douce couverte d’oliviers et les vignes descend jusqu’à la rivière que l’on entend gargouiller en contre-bas.

 

Là-bas, de l’autre coté de la vallée, une petite fille viens d’apparaitre. Habillée à la diable, les cheveux blonds flottant librement sur ses épaules, elle se tient tout en haut de la colline et regarde dans ma direction.

Piera…, hurle-t’elle,  Piera .. viens me chercher ! Elle sait que le vent porte sa voix et qu’elle sera entendue

Une jeune fille sort sur la terrasse. Je la regarde s’approcher du figuier et hurler à son tour « Descend dans la vallée, je te rejoins. Puis se tournant vers la maison « Nonna, je vais chercher Rina dit-elle à la veille femme sortie à son tour, un torchon à la main.

 

En face, la fillette s’achemine aussitôt en descendant par le sentier sinueux qui mène à la rivière. Derrière elle, une autre femme apparait. Vêtue de noir, un foulard dans les cheveux, elle reste là, a vérifier la progression de l’enfant afin de s’assurer que tout ira bien.

Les deux femmes regardent les fillettes se rejoindre et remonter la pente en direction de la maison blanche en courant et riant. Se rappelant qu’à une époque chacune faisait la moitié du chemin avec l’enfant dans les bras.

Arrivée à destination, la petite fille va embrasser la vielle femme. Elle se tourne ensuite vers l’endroit d’où elle vient et fait un grand salut de la main à la dame en noir qui n’a pas bougé. Alors cette dernière se retourne et disparait progressivement, rassurée sur le sort de sa petite-fille.

 

Cette enfant est encore là, au plus profond de moi. Libre, téméraire, encadrée par ses deux grands-mères. L’une, dont je porte le nom, aux cheveux blancs et aux yeux bleus délavés lui conférant l’autorité et la bienveillance des dames d’autrefois. L’autre, aux cheveux noirs toujours cachés par des foulards et affublée de son sempiternel tablier à carreaux, au beau visage marquée par la dure vie des champs. La richesse et la pauvreté de chaque coté d’une colline mais avec un amour commun pour l’incontrôlable sauvageonne que j’étais.

 

Unique petite fille par ma mère et noyée dans une floppée de cousins par mon père, je passais d’une vie à l’autre en totale insouciance. L’une m’a insufflé sa force de caractère et le courage de tenir malgré les difficultés de la vie. L’autre le don de voir au-delà des mots et de l’apparence.

 

Je ferme les yeux et leurs présence attentive m’enveloppe encore comme autrefois, dans ses lieux qui font partie de moi à jamais.

Ces lieux qui me rappelle qui je suis et d’où je viens chaque fois que la vie me bouscule et me force à m’interroger.

Ces lieux ou j’emmènerais un jour mes petits enfants pour leur raconter l’histoire de la fillette sur la colline.

 

Commentaires (3)

Webstory
13.11.2023

Merci de votre participation au concours 2023 – Mémoires. "Retour aux sources" figurait parmi les dix premières histoires retenues dans la sélection du jury.

Starben CASE
30.06.2023

Heureux les enfants qui courent librement dans la campagne, qui participent aux travaux des champs avec les adultes et qui se contentent d’une tartine de ricotta fraîche offerte en récompense pour avoir été chercher le lait dans la ferme voisine. Un espace-temps irremplaçable qui façonne notre avenir. Et maintenant, où courent-ils librement?

Ri

Rinatri
30.06.2023

Ils sont enseignants, globetrotters ou sociaux avec la chance de conserver un esprit libre et juste

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