Créé le: 22.09.2016
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Prêts ? Découpez !
Présentations
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Avez-vous déjà entendu le chant d'une viande déposée dans une poêle ? L'arroser de beurre, garder la bonne température jusqu'au niveau de cuisson parfait. Puis faire pleuvoir au-dessus d'elle du sel, du poivre et de la ciboulette fraîchement coupée.
Du latin Vivenda, sa définition est "ce qui sert à la vie". Au final, peut-être pas...
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« – Bonsoir chers téléspectateurs et bienvenus dans « Best Chef » ! Pour ce quart de finale, nos quatre candidats restants ne vont pas avoir la tâche facile et vous pouvez compter sur notre jury de chefs étoilés qui leurs ont concocté des épreuves bien relevées ! Après concertation, Philippe Escabèche, Michel Safran, Hélène Saccharose et Jean-François Siège ont imposé le thème des abats pour les épreuves de ce soir. Mais rappelons tout de suite à nos téléspectateurs qui sont les finalistes de l’émission de ce soir. »
« – Bonsoir ! Je m’appelle Tatane, j’ai trente-sept ans, marié et je suis passionné de cuisine depuis mon enfance. Je suis autodidacte dans plein de domaines et je n’ai jamais suivi de formation en cuisine. Si je devais décrire celle-ci, je dirai que c’est un mélange de produits de qualité, de fougueux sentiments et de fantaisie ! »
« – Alors je suis Madame Pré et n’oubliez surtout pas le Madame, trente-cinq ans, je travaille dans une agence de placement et je déteste l’écriture et la littérature en général. Ce que j’aime surtout ? Donner de faux espoirs à mes usagers afin de mieux les casser par la suite ! Ma cuisine c’est la meilleure et je ne tolère aucune critique. C’est bien pour cela que je vais être la gagnante de Best Chef ! »
« – Bonsoir, moi c’est Patsy. J’ai cinquante-deux ans, mariée et j’ai trois enfants. Ce que j’aime surtout dans la cuisine c’est les plats arrosés ! Un verre de vodka, quelques décilitres de rouge, un demi de bière et ça mijote à merveilles ! Par ailleurs j’ai une question. Avez-vous une cave à vin dans le garde-manger ? »
« – Je m’appelle Ricardo, j’ai vingt-quatre ans, j’ai travaillé comme second dans les meilleures brigades du pays, j’ai bossé avec les chefs les plus prestigieux du monde et ils en étaient ravis. J’ai dû en inspirer plus d’un ! C’est vrai quoi ! Je suis tellement bon que j’en éprouve de la pitié pour les autres.
Je vais gagner et personne ne m’en empêchera ! »
Première coupure
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Coupure de courant. Des cris stridents surgissent dans la noirceur. Tout le monde se tétanise. Puis plus rien. Le jus revient et tout se rallume. Madame Pré est affalée sur son plan de travail. Son dos contre la planche à découper, les yeux légèrement révulsés et rouges, de petites larmes sur le coin de chaque œil et deux énormes poireaux qui, enfoncés jusqu’au fin fond de son œsophage, lui ressortent par la bouche.
La régie technique n’arrive pas à stopper la diffusion. Panique à bord ! L’animateur saisit d’effroi et tremblotant tente d’aligner des phrases que son bégaiement rendent incompréhensibles. Le producteur lui indique dans son oreillette que tous les moyens de communications ont été coupés et qu’il est donc impossible de joindre la police.
Tatane s’approche du cadavre de Madame Pré et demande en ricanant si ce sont ses abats qu’il faut mettre au menu de la première épreuve. Patsy, le regard haineux, le pare d’un spontané «gros con», son haleine déjà bien enrobée de pinard. Chef Escabèche décide de hausser le ton et de prendre la parole. Il rassemble tout le monde et demande aux gens de se calmer. Puis il rappelle que l’émission est encore en direct et qu’il faut donc tout faire pour ne pas céder à la panique.
Il s’approche à son tour du corps de la malheureuse et l’examine de plus près.
Il se demande si les poireaux ont une symbolique spéciale, si elle a vraiment été étouffée avec ou bien si l’assassin a procédé autrement.
Tatane lui explique alors que les armes du crime sont bel et bien ces derniers. Il fait remarquer les petits vaisseaux sanguins qui ont éclaté dans les yeux et que c’est ce qu’on appelle une hémorragie pétéchiale dans le jargon médical. Hémorragie qui, dans ce cas, révèle au grand jour la preuve que les poireaux ont bien été utilisés pour étouffer la victime et qu’ils n’ont pas été placés «post-mortem» comme une quelconque décoration.
Ricardo, fort étonné, lui demande comment il est informé de ce phénomène et qu’il voudrait aussi comprendre pourquoi il s’était permis de rire dans une situation aussi extrême. Tatane lui remémore aussitôt qu’il est autodidacte dans différents domaines et qu’il n’appréciait pas du tout la candidate. Ricardo lui demande la raison de son mépris. Tatane lui répond que ce ne sont pas ses oignons.
Patsy, ayant fini la bouteille de vin, décide de se rendre dans le garde-manger afin de trouver autre chose pour se rincer le gosier.
Deuxième coupure
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Deuxième coupure de courant…
Chef Siège ordonne à tout le monde de ne pas bouger et que chacun reste à sa place. Au bout de quinze minutes, la lumière refait surface. Patsy sort en courant du garde-manger, elle est horrifiée. Ricardo la rattrape et la coupe dans son élan. Bien que ses lèvres remuent, elle est incapable de sortir un son. Chef Escabèche remarque que chef Saccharose n’est plus parmi eux. Tout le monde se précipite au garde-manger. Vision d’horreur.
Elle est là, nue, sur la grande table en bois, enduite de marinade. Ses jambes sont écartées et remontées comme une dinde laissant ainsi exposer au grand jour un trou béant rempli de farce. Des pommes, des marrons, de la chair à saucisse, des oignons, des épices. Noël est à l’honneur. A côté d’elle, une grande vasque remplie de ses entrailles. Les intestins, les reins, le foie, les poumons, le cœur. Elle avait été évidée du bas jusqu’à la cage thoracique. Une carcasse fourrée, voilà ce qu’elle était. Dans sa bouche, une pomme garnie de clous de girofle.
Tatane ne perd pas le nord et surenchérit, toujours en riant, que les abats étaient enfin mis à disposition. S’en suit un chœur à l’unisson de tous les autres qui le regardent et lui assènent un « ta gueule » en parfaite synchronisation. Il en rit davantage.
Le groupe commence à faire des messes basses à propos de Tatane. Ils se questionnent sur son manque d’empathie, son manque de respect envers les victimes et ses phrases si déplacées à leur égard.
Chef Escabèche émet des suspicions quant à la culpabilité de ce dernier. Patsy et Ricardo sont d’accord avec lui mais Chef Siège et Chef Safran en doutent encore. Tatane ayant tout entendu, interrompt la discussion et fait remarquer que Patsy se trouvait dans le garde-manger alors que le deuxième meurtre était commis à cet endroit précisément. Le groupe la dévisage en silence. Elle s’en défend et dit qu’elle a mieux à faire que passer son temps à trucider les gens.
Tatane imite alors le son d’un bouchon de bouteille que l’on fait péter et la titille ainsi sur son addiction. Patsy pique la mouche et marche d’un pas sûr vers lui afin de lui en coller une. Chef Escabèche s’interpose et dit, d’un ton ferme, qu’il y a déjà assez de violence pour en rajouter une couche.
Troisième coupure
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Troisième coupure d’électricité. Ils décident de rester réunis et pensent ainsi être épargnés. Chacun dit à haute-voix son nom pour signaler aux autres sa présence. Tatane ne répond plus. Soudain, des cris, des suppliques, c’est Tatane qui implore. Encore des cris atroces, un son d’appareil et une odeur de chair brûlée puis rien. Une dizaine de minutes après, le courant éclaire le plateau. Le groupe inspecte et découvre encore une tragique vision. Tatane, le visage brûlé et collé contre la plaque de sa cuisinière.
De chaque côté des mixeurs dans lesquels l’assassin lui a broyé ses mains. Il n’a plus que des moignons. Le reste n’est que chair, petits os et lambeaux. Les phalanges et les métacarpes ne sont plus.
Patsy part en éclat de rire et lâche un « bien fait » aussi spontané que regretté dans les secondes qui suivent.
Une odeur alléchante envahit le plateau. Chef Escabèche avait préparé un bon gros carré de porc car il lui semblait important de se sustenter afin que tout le monde reprenne des forces et puis, finalement, personne ne savait quand est-ce que le cauchemar allait se terminer ! Alors autant ne pas subir cette épreuve l’estomac vide, pour autant que la faim soit au rendez-vous.
Il sort son rôti du four et dresse la table des juges vite fait bien fait. Ils passent tous à table. Après avoir découpé et servi les tranches de viande, le repas commence. Tous se régalent malgré l’angoisse qui plane. Le cochon est rosé à cœur, les patates qui l’accompagnent sont fondantes.
Soudain, Chef Siège se met à vomir dans son assiette, le visage mêlé de pleurs et de dégoût. Puis il stoppe net tout le monde en criant d’arrêter de manger. Quand il peut enfin reprendre le contrôle de son estomac et de son esprit, il montre à tous une de ses tranches. La couenne, pourtant bien grillée, ne suffit pas à masquer un bout de tatouage que les autres ne tardent pas à identifier.
En fait, ils dégustaient un morceau de l’animateur de l’émission. Ils étaient tellement pris dans la spirale de la mésaventure qu’ils n’avaient même pas remarqué sa disparition. Les hauts-de-cœur et les vomissements s’enchaînent à tour de rôle. Patsy s’évanouit et tombe à terre avec tellement de malchance qu’elle se cogne la tempe contre le repose-pied métallique d’un des tabourets. Elle convulse quelques minutes, elle bave et meurt presque sur le coup.
Chef Safran fait remarquer qu’au moins, par rapport aux autres, elle aura eu une mort beaucoup plus douce.
Quatrième coupure
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Quatrième coupure. En panique totale, Chef Siège saute et s’accroche au cou de Chef Safran. Ce dernier se sentant étranglé et croyant que c’est l’assassin, attrape à tâtons la première chose qui lui tombe sous la main et frappe à plusieurs reprises le crâne de son soi-disant assaillant. Fort de sa réjouissance, il crie à tue-tête qu’il l’a eu ! Il l’a eu le meurtrier ! La lumière est rétablie.
Chef Safran se retourne et s’effondre. Derrière lui, encore debout, se tient son ami, la tête criblée à coups de couperet. Couperet qui s’est d’ailleurs coincé sur le côté droit du front et qui a désorbité l’œil de Chef Siège avec la force du dernier impact.
Il tombe à genou, puis son corps bascule vers l’avant faisant reculer Chef Safran. Il hurle qu’il ne voulait pas ! Qu’il ne savait pas ! Qu’il pensait avoir mis hors d’état de nuire l’assassin ! Il est ravagé. Un mélange d’incompréhension, de rage et de chagrin le submerge.
Chef Escabèche et Ricardo sont estomaqués.
Ricardo ressent de fortes crampes intestinales. La peur a déclenché chez lui une fatale et pressante envie. Il court vers la porte qui donne sur les toilettes mais cette dernière est close. Trop tard. Son visage qui reflète de la honte mêlée à de la satisfaction laisse bientôt place aux larmes et à la puanteur. Il faut se rendre à l’évidence, Ricardo s’était chié dessus.
Dans une complète confusion, il s’excuse auprès des Chefs Safran et Escabèche et se dirige vers un des éviers. Il ôte son pantalon et caleçon fortement souillés, les dépose dans un sac poubelle qu’il referme avec rapidité et entreprend une toilette minutieuse de son service trois pièces et de son postérieur.
Cinquième coupure
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Tout s’éteint à nouveau.
Un hurlement déchirant et des bruits de manivelle se font entendre. Cinq minutes plus tard, tout se rallume. Ricardo gît sur le grand hachoir. Ses parties intimes ne sont plus qu’un amas de viande hachée.
Avec la force de traction de l’appareil, son artère fémorale s’est arrachée. Il s’est vidé en à peine trois minutes. Une mare de sang coule et se transforme en gigantesque flaque poisseuse sur le sol et l’odeur métallique s’accentue au fur et à mesure que les morts augmentent.
A cet instant, Chef Escabèche se retourne pour parler au Chef Safran. A sa grande stupeur, il était aux abonnés absents. Sur sa droite, il remarque de la fumée qui s’échappe du fumoir à poisson. Lentement mais sûrement, il avance vers l’engin. Il hésite mais finit par soulever le couvercle. Il pousse un cri muet. Ses cordes vocales ne répondent plus. La tête de Chef Safran s’y trouve posée à l’intérieur. Des branches de thym plantés dans les yeux, du romarin dans le nez et du laurier dans la bouche. Il lâche le couvercle qui se referme bruyamment.
Il ne comprend plus rien. Il se rend compte qu’il est maintenant tout seul. Seul avec pour seule compagnie, les huit corps qui l’entourent.
À vos votes !
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Un ricanement le tire de sa réflexion. Un rire saccadé et maléfique qui provoque en lui un frisson du bas de son dos jusqu’à sa nuque. Toute la pilosité de ses membres est au garde-à-vous.
« – Tu as cru que j’étais mort n’est-ce pas ? Surprise ! Hahaha… Je suis désolé d’avoir dû écorcher le visage de ce pauvre animateur puéril mais comme tu peux t’en douter, je n’allais pas faire frire le mien sur la plaque ou bien ? Et quitte à prendre sa face, je me suis payé aussi ses mains ! Il fallait bien que je broie quelque chose afin de donner le change ! Mais s’il te plaît, ne m’en tiens pas rigueur… J’ai souffert le martyre durant tout ce temps à devoir courir pour mes mises en place tout en essayant de ne pas me choper un fou rire qui m’aurait démasqué bien trop tôt ! »
« – Mais pourquoi ? Pourquoi avoir massacré tous ces gens ! Les candidats, mes amis, pourquoi ? »
« – Que veux-tu que je te dise ? Que je suis fou ? Que j’ai fait cela rien que pour le plaisir ? Soit. Eh bien oui ! J’en avais marre de couper du poulet, du veau, de la bidoche quelconque. Tu voulais une épreuve à la hauteur ? Tu voulais revisiter les abats ? Le Chef est servi ! Apprécie ce spectacle à sa juste valeur. »
« – Mais pour les coupures de courant ? Comment… »
« – Comment j’ai fait ? Et bien c’est très simple ! J’ai détourné tout le système électrique et je l’ai relié via wifi à cette petite télécommande qui est dans ma poche ! Sans avoir oublié bien entendu de changer le mot de passe d’accès au wifi. Je te l’ai dit que j’étais un autodidacte ! Hahaha…
Au fait ! J’ai oublié un petit détail… Dis bonjour à mon père qui se trouve en régie. »
« – Quoi ? Comment ça ? »
« – Bien oui ! Le producteur de l’émission… C’est mon papounet ! Il me fallait bien un complice dans l’histoire et qui mieux que lui ? Voyons chef… Les chiens ne font pas des chats ! Alors dites-moi Monsieur le grand Chef Escabèche… Que vais-je bien pouvoir faire de vous ?
Vous savez quoi ? Je ne vais pas choisir… Je vais demander la contribution des voyeurs du petit écran et je suis fort curieux de connaître le résultat. Qu’en penses-tu ? Ça peut être drôle non ? »
« – C’est ce qu’on va voir ! »
Le Chef s’empare d’un couteau de boucher et bondit vers Tatane afin de le poignarder. Ce qu’il ne savait pas, c’est que dans son autre poche se trouvait un Taser. Avant même qu’il ne puisse l’atteindre, Tatane dégaine le Taser et lui envoie, grâce aux deux dards, une décharge de cinquante mille volts qui paralyse le système nerveux d’Escabèche. Il s’écroule.
« – Chers téléspectateurs ! Si vous voulez que j’embroche le Chef et que je le fasse cuire façon médiévale, envoyez un SMS au 3640 suivi du chiffre un. Si vous souhaitez un Tataki d’Escabèche accompagné de légumes sautés façon Asia, tapez le deux, si vous désirez un pot-au-feu de Philippe façon Basque, tapez trois et si vous voulez que je le déguste à vif en carpaccio accompagné d’une vinaigrette au Yuzu, tapez quatre ! Dépêchez-vous, vous n’avez qu’une dizaine de minutes pour voter. Le temps de le ligoter, de le dévêtir, de préparer les ustensiles, de bien aiguiser les couteaux et de vous offrir une page de pub.
Avec vous, Tatane, cuisinier dans ses moments de détente. A tout de suite !
Et…. Ne zappez pas ! »
© 2016 Aydan
Commentaires (5)
Aydan
18.11.2016
Un grand merci à toi Pierre de Lune ! Je ne sais que dire à part que si tu as eu plaisir à me lire et bien j'en suis heureux ! Encore merci pour tes mots chaleureux !
Aydan
18.11.2016
Et bien merci Asphodèle ! Eh oui ! Toujours se méfier des apparences ! Ravi de savoir que j'ai pu te faire rire et que mon effet surprise a eu l'effet escompté ! Tout de bon et encore merci !!!
Asphodèle
20.10.2016
Il y a dans cette nouvelle une sorte de laissez aller très plaisant. J'ai bien ri et j'ai été surprise de découvrir qui était le coupable. J'aime bien le côté gore et tranchant, je trouve ça rafraichissant dans le genre, si on peut dire ça...
Pierre de lune
16.10.2016
Ca décoiffe, ça va à 100 à l'heure ! Ce remake des "dix petits nègres" façon "Master Chef"... Belle virtuosité qui ne nous épargne pas l'horreur des détails !! Avec un humour...tranchant !
Aydan
16.10.2016
Merci beaucoup Pierre de Lune ! J'adore cuisiner, j'adore les romans et les films bien saignants et je suis grand fan d'humour sombre ! Du coup, pourquoi pas mélanger tout ceci à ma sauce ?!
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