Créé le: 24.07.2016
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Pince-monseigneur

Polar

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Après un long séjour dans les prisons lyonnaises, Alfred Laviliers, dit "Freddy la Vioque" débarque à Romont dans le but de se refaire une petite santé. Son plan, le casse d'une banque, s'avérant trop compliqué, il finit par jeter son dévolu sur une petite vieille, Mado, qu'il entreprend de suivre pour la détrousser. Mais tout va de travers...
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Lorsqu’elle sortit de chez elle, sur le coup de 8h30, Madeleine marqua un temps d’arrêt, éblouie par ce rayon de soleil qui la rendit toute guillerette, lui faisant oublier ses rhumatismes. Elle fit un rapide demi-tour, rouvrit la porte d’entrée de l’immeuble et déposa sa béquille dans le coin, près des boites aux lettres de cette ancienne demeure qu’elle habitait depuis près de 40 ans. Elle respira un bon coup, comme libérée, tapota sur sa hanche gauche pour la remettre en place et partit en boitillant le long de la Grand-Rue. Elle ne prit pas garde à l’homme qui l’observait, sur le trottoir d’en face, quelques pâtés de maisons plus bas.

Alfred Laviliers était arrivé la veille au soir dans le chef-lieu glânois. Il ne savait d’ailleurs pas que c’était un chef-lieu, ni même qu’il était en Glâne et s’en fichait, par ailleurs, éperdument… Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait dû descendre précipitamment du train pour éviter de se faire gauler par le contrôleur et que ça l’avait vachement énervé de devoir se contenter de cette petite ville sans vie, lui qui visait plutôt Berne ou Zurich, ayant déjà testé Genève quelques mois auparavant, sans grand succès et avec des conséquences, disons… fâcheuses, puisque ça l’avait amené une fois de plus tout droit en prison, sans passer par le Start !

Il avait passé la nuit en planque dans ce bled pourri, sur les échafaudages d’une maison en transformation juste en face de la banque, se réchauffant tant bien que mal derrière ces bâches qui le protégeaient plus de la vue des passants nocturnes que du froid encore bien piquant en ce début mars.

Il avait perdu l’habitude de ce genre de conneries qu’il pratiquait souvent autrefois, quand il était jeune… Le froid, il ne le supportait plus aussi bien. Il faut dire qu’il avait passé les six derniers mois bien au chaud, à l’ombre des murs de la prison de Lyon-Corbas, toute neuve, et bien plus confortable que les trois plus anciennes de Montluc, Saint-Paul et Saint-Joseph dont il avait été aussi un fidèle client. Et il était connaisseur, ayant vécu presque la moitié de sa vie dans ces nobles établissements, suite aux nombreux casses foireux qu’il avait entrepris, parfois seul, mais le plus souvent avec d’autres potes, tout aussi Pieds-Nickelés que lui…

Arrivé à Genève en « camion-stop », le lendemain de sa libération conditionnelle, il avait décidé ne pas s’éterniser dans cette ville dont il ne gardait pas un brillant souvenir, préférant poursuivre sa route en train, oubliant bien sûr de se munir d’un titre de transport…

Jusqu’à Lausanne, tout se passa comme prévu, les contrôles de tickets se faisant de plus en plus rares à partir de 22h00. Aussi fut-il tout surpris lorsqu’une voix à fort accent inconnu, venant de l’autre bout du wagon, le tira de sa somnolence:

– Prézentez fo bilette bitte schön !

Il eut juste le temps de se lever doucement et de s’éclipser, en direction de l’arrière du train, sans que le contrôleur ne le remarque. Il poursuivit ainsi, de wagon en wagon dès qu’il le voyait apparaître derrière la porte coulissante vitrée. Arrivé tout à l’arrière du train, il fut soulagé lorsqu’il entendit une voix nasillarde annoncer « Romont » et qu’il sentit le convoi ralentir. Il échappa ainsi à ce dangereux petit jeu et quitta le train dès l’ouverture des portes, pensant arriver dans une grande ville, puisque ce direct s’y arrêtait. Il fut déçu, mais n’eut d’autre choix que d’y passer la nuit, le prochain train n’étant annoncé qu’à 5h32.

Arrivé au sommet de la ruelle, il avait tout de suite repéré la banque qui devrait lui permettre de se

« refaire » comme il disait.

Après la pénible nuit que l’on sait, au petit matin, il avait observé les employés qui attendaient tous, sur le coup de 7h30, devant la porte de service, que cette dernière veuille bien s’ouvrir. Il eut soudain quelques doutes… Cette banque de village lui parut soudain bien trop équipée en systèmes de sécurité pour qu’il s’y attaque seul : portes sécurisées, vitres blindées, caméras de surveillance, et tous ces employés ! Trop compliqué pour lui, trop risqué ! Il hésita longuement, tâtant nerveusement le flingue dans la poche droite de son veston, ne renonçant définitivement à son plan initial que lorsqu’il aperçut la vieille qui sortait de son immeuble, un cabas à la main, en boitillant. Il savait les repérer, les vieilles fortunées : bien coiffées, habits élégants, bijoux discrets mais probablement en or d’après ce qu’il pouvait en juger depuis sa planque. Alfred Laviliers s’était fait une spécialité du “détroussage” des personnes âgées, de préférence les vieilles dames, ce qui lui valut le surnom de « Freddy La Vioque » ainsi que l’appelaient tous ses collègues de… travail, dans la région lyonnaise. Il la suivit donc, à distance respectable pour ne pas se faire repérer.

Madeleine, innocente et toujours aussi guillerette, poursuivait tranquillement son chemin vers le haut de la Grand-Rue, saluant au passage toutes les personnes qu’elle rencontrait.

– Salut Jeannette, déjà debout, la fainéante ? T’es tombée du lit ce matin ?

– Salut Mado ! Et toi, encore oublié ta canne ? T’as de la chance qu’il n’y ait plus de verglas !

Mado traversa la Grand-Rue pour emprunter la petite ruelle grimpante qui l’amènerait à la Place Saint-Jacques et son traditionnel marché. Comme tous les mardis, elle allait y faire ses emplettes. Mais avant de se rendre aux étals, elle se dirigea vers le Postomat pour retirer les cent francs qui devaient lui suffire pour la semaine à venir.

Freddy la suivait toujours, ralentissant quand elle ralentissait, s’arrêtant lorsqu’elle bavardait avec quelqu’un, repartant lentement, toujours à distance dès qu’elle reprenait sa route. Et c’est avec un rictus de satisfaction qu’il la vit se diriger vers la poste et sa tirelire électronique.

-Vas y, ma belle, fais le plein ! Ce sera tout bonus pour ma pomme, tout à l’heure…

Pour ne pas se faire repérer, il fit quelques pas dans la direction opposée, vers la Rue des Béguines, d’où il avait une vue imprenable sur toute la place. Lorsqu’il la vit réapparaitre et se diriger vers le marché, il attendit patiemment, tel un lynx qui avait repéré son dîner et qui, sachant qu’elle ne lui échapperait pas, attendait le bon moment pour lui sauter à la gorge… La chance sembla lui sourire lorsqu’il vit sa vieille quitter la place du marché, le cabas plein, et se diriger tout droit dans sa direction. Il écrasa aussitôt sa clope à peine entamée et, faisant mine d’attendre quelqu’un, appuyé contre un mur, il observa du coin de l’œil celle qui se jetait tout droit dans la gueule du loup, sans se douter de ce qui l’attendait. Sa main caressait la crosse de son pistolet, prêt à surgir de sa poche…

Il sursauta lorsqu’il entendit juste derrière lui une voix puissante qui lui fit monter les pulsations à près de 150 d’un seul coup :

– Ho, Madeleine, tu as sorti tes vieux os ? Ça fait un bout de temps qu’on ne t’a pas vue…

– Salut « GiPé ». Ben, je fais mon petit tour au marché, comme tous les mardis. Mais comme il fait meilleur, j’en profite pour passer à l’église avant d’aller faire un petit coucou à mon Marcel, si j’ai le courage d’aller jusqu’en bas, au cimetière…

Après avoir discuté quelques instants avec Jean-Pierre Girard, un ami d’enfance, elle poursuivit son chemin en direction de la Collégiale, tout en repensant à ces belles années vécues en compagnie de son mari, Marcel Lapinte, un français d’origine qu’elle avait connu lorsqu’elle était en tournée en Europe, quand elle était encore jeune, sportive, et… Déferrard, de son nom de jeune fille. C’était au Parc des Princes, à Paris, en 1965. A la fin de son match, qu’elle avait d’ailleurs gagné, elle fut comme attirée par celui qui l’avait arbitré. La suite avait été classique : un verre au bar, d’interminables discussions, un rendez-vous le lendemain, suivi de plusieurs autres et en fin de compte une amitié qui se transforma rapidement en passion et qui les unit pour le meilleur et pour le pire deux ans plus tard. Son mari devint son coach et lorsqu’à la fin des années 60 elle cessa enfin la compétition et ses tournées internationales et interminables, ils finirent par s’établir définitivement dans la ville où Madeleine avait vu le jour quelque trente ans auparavant. De formation commerciale, Marcel trouva rapidement du travail dans une fiduciaire, tandis que Mado donnait des coups de main à la boulangerie voisine.

« C’était le bon temps », se dit-elle en repensant à tous ces merveilleux moments passés ensemble jusqu’au décès subit de son mari, il y a 15 ans. Rupture d’anévrisme. Elle eut du mal à s’en remettre et, n’ayant jamais eu d’enfants, dut s’accommoder de son sort et survécut tant bien que mal avec la maigre rente de veuve, son petit salaire de vendeuse et ses lointains souvenirs de gloire…

La voyant entrer dans l’église, Freddy se dit que le moment était, cette fois-ci venu, après la première occasion ratée par la faute de ce trublion de Gipé qui ne lui permit pas de remplir ses poches, mais lui fit presque remplir son froc. Il allait l’attendre dehors, puisque sa morale (si, si, il en avait une !) l’empêchait d’entreprendre une mauvaise action en ces lieux sacrés… Mais il aurait sa chance bientôt, quitte à la suivre jusque chez elle si la rue n’était pas déserte, ayant compris que la vioque vivait seule, puisqu’elle avait parlé de rendre visite à son Marcel au cimetière. « Pas con, le Freddy : y a quequ’chose là-dedans ! », se dit-il à lui-même, comme pour se donner du courage et l’illusion d’une intelligence profondément enfouie et qui ne demandait qu’à éclore…

Après avoir allumé son lumignon au fond de l’église, Mado se recueillit quelques instants avant de ressortir, tandis que Freddy, de l’autre côté de la rue, appuyé à un platane étrangement habillé d’un tricot multicolore (le platane, pas lui, bien sûr…), tenait dans ses mains un journal gratuit qu’il croyait avoir “chouravé” dans une cassette. Il n’arrivait pas à en lire une seule ligne, concentré qu’il était par sa proie qui réapparaissait, d’une part, et le tenant à l’envers, d’autre part…

La vieille hésita quelques instants : continuer jusqu’au cimetière ? Un peu trop loin quand même, la fatigue commençant à se faire sentir. Elle demanderait à Jean-Pierre de l’y amener un de ces jours en voiture. Son Marcel, de toute manière, n’allait pas en bouger… Revenir sur ses pas, vers le marché ?

Finalement, elle opta pour un trajet qu’elle n’avait plus tenté depuis quelques mois : l’escalier de l’Eglise qui lui permettrait d’atteindre la Grand-Rue et qui aboutissait presque en face de chez elle. Après un bon coup de poing sur sa hanche, elle s’élança gaillardement sans trop se soucier de ses articulations fatiguées. Ayant franchi les premières marches taillées en parallèle au mur de soutènement de la Collégiale, elle vira d’un quart de tour vers la gauche pour attaquer la grande descente, apercevant tout au fond, le débouché sur sa rue.

Freddy, légèrement accroupi derrière le mur du haut, l’observait goulûment, n’osant pas la suivre de trop près, de peur de se faire remarquer, l’espace étant plutôt dégagé…

Arrivée à la 98e marche, soit aux 2/3 de la descente, Mado marqua un temps d’arrêt. Compter les escaliers était une habitude qu’elle avait gardée depuis toute petite lorsqu’elle allait à l’école. Elle savait donc exactement qu’à cet endroit de l’imposante “dérupe”, il lui restait encore 42 marches à descendre. Tout en reprenant son souffle, elle se souvint de ces joyeuses glissades avec ses amis d’enfance, dans la rigole creusée sur la droite et qui sert à évacuer les eaux de pluie, mais qui, en hiver, est souvent remplie de neige. Elle avait bien failli quelques fois finir sous les roues d’une voiture, en bas, dans la rue principale de la cité.

En été, c’était plutôt la main courante métallique qui attirait les gamins qui, sans hésiter, s’élançaient assis dessous en amazone et gagnaient ainsi quelques instants sur la descente et surtout un bon paquet d’adrénaline et des fesses quelque peu rougeoyantes, d’autant plus s’ils se faisaient prendre par leurs parents…

Avant de poursuivre sa route, Mado hésita quelques instants…

« Non, ce n’est pas une bonne idée, à ton âge ! Et j’aurais vraiment l’air ridicule à califourchon sur cette rambarde ! Quoique… il n’y a personne dans les parages qui puisse me voir ». Préférant s’en assurer, elle se retourna pour regarder à l’arrière. Freddy eut juste le temps de se baisser derrière son mur. « Merde ! Mais qu’est-ce que tu fous, la vieille, tu m’aurais repéré ou quoi ? » pensa-t-il à voix basse (pour autant que l’on puisse penser à voix basse, bien sûr). Après quelques secondes, il se releva lentement pour oser un coup d’œil… Plus personne en vue ! Il se demanda ce qui lui arrivait. « Elle s’est évaporée ou quoi ? Elle n’a tout de même pas pu descendre tous ces escaliers en une dizaine de secondes ! » Il s’élança à son tour, avalant les marches deux par deux, pour tenter de percer ce mystère au plus vite et retrouver sa proie illico, avant qu’elle ne lui échappe définitivement… Ce serait vraiment du gâchis d’avoir perdu tout ce temps pour rien ! Débouchant sur la Grand-Rue, tout essoufflé, il marqua un temps d’arrêt et fut tout surpris de voir sa “vioque” à deux mètres à peine, assise sur le muret juste devant la vitrine d’un commerce d’appareils sanitaires, et qui riait toute seule en tapotant sa hanche gauche.

Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas autant ri. Elle n’en revenait pas de sa témérité et surtout remerciait le ciel d’avoir atterri sans encombres sur le trottoir. Elle finit par l’élancer sur le passage à piétons tout en ne pouvant contenir son fou-rire.

Arrivée devant chez elle, au 18 de la Grand-Rue, elle poussa la lourde porte, récupéra sa béquille et grimpa hardiment les escaliers.

Freddy lui emboita le pas et, entrant à son tour dans l’immeuble, jeta un rapide coup d’œil aux boites aux lettres : « Madeleine Lapinte, 2e étage. C’est sûrement ça, se dit-il, ayant entendu de nombreuses personnes dans la rue qui l’appelaient par son prénom ou par le diminutif « Mado ». Il escalada rapidement les deux étages et sonna chez Madame Lapinte, tout en sortant discrètement son flingue de la poche. Mais au lieu de voir s’ouvrir ce qu’il espérait être une caverne d’Ali Baba, il entendit une petite voix derrière la porte :

– Qui c’est ?

– C’est le plombier ! improvisa-t-il sans trop réfléchir…

La porte s’entrouvrit lentement sur Mado, encore en manteau d’hiver et son cabas à la main. Brusquement, il donna un coup d’épaule à la porte, poussant sa victime à l’intérieur et, tout en lui collant le canon du pistolet sous le nez, referma la porte d’un coup de talon.

– Allez, la vieille, donne-moi ton pognon, vite fait !

Effrayée, le cœur battant la chamade, Mado se demanda furtivement ce que ce plombier-là pouvait colmater comme fuite avec un tel outil…

Appuyée à la petite table du corridor, reprenant ses esprits et comprenant les intentions de ce grossier personnage ainsi que le type de plombs qu’il maniait, elle osa timidement :

– Mais… qu’est-ce que vous me voulez ? J’ai pas le sou, vous savez, je suis rentière AVS et je vis de peu de choses…

– Ta gueule la Vioque! Je t’ai vue retirer du fric à la poste, tout à l’heure. Alors, raconte pas d’histoires et refile-moi tout ton pognon !

– Mais Monsieur, je… je… j’ai juste retiré mon argent pour la semaine, et il me reste à peine 80 Fr. dans le portemonnaie. Je veux bien vous les donner, mais j’ai rien de plus !

Lui arrachant son sac des mains, Freddy le fouilla frénétiquement, en sortit le vieux porte-misère et vida dans sa poche son maigre butin. Il prit également la carte de la poste et, tout en la balançant triomphalement devant le visage ébahi de Mado, lança :

– Le voilà ton pognon, ma belle ! Allez, file-moi vite fait le code et je te fous la paix !

– Mais, il n’y a pas grand chose sur mon compte et… le code, je m’en souviens plus très bien et…

Le malfrat s’approcha encore un peu de la vieille et, tenant fermement son flingue, la menaça de plus belle :

– Ecoute, Mado, je vais pas me répéter, tu me… mais, qu’est-ce que tu fous ?

Interloqué, il observa la scène se déroulant sous ses yeux :

Madeleine s’était assise sur la petite table et relevait doucement sa jupe. Elle écarta lentement ses jambes devant le regard ahuri du Freddy qui relâcha instinctivement sa garde.

– Mais !!! Qu’est-ce que tu cherches, tu voudrais quand même pas que…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que la jambe droite, d’un rapide mouvement circulaire fit voler son flingue qui éclata en mille morceaux, éparpillant dans tout le hall des pièces de plastique, laissant une petite flaque d’eau à l’endroit où le réservoir s’était vidé…

– Attrape !!, hurla-t-elle en balançant la jambe gauche, cette fois-ci, en direction du visage de son agresseur.

Il eut juste le temps de voir zoomer un talon qui, en une fraction de seconde lui éclata le nez. Portant les deux mains au visage, il n’eut guère le loisir d’estimer les dégâts qu’il sentit les deux jambes lui enserrer la poitrine, telle une pince géante. Respiration interdite ! Il ouvrait et refermait désespérément la bouche à la recherche d’une parcelle d’air, ne pouvant résister à cet étau qui semblait vouloir lui redonner le tour de taille de ses vingt ans… Si l’attaque ne dura qu’une fraction de seconde, son agonie lui sembla une éternité. Il finit par prier pour que vienne enfin ce voile noir, synonyme de délivrance. Il fut exaucé.

Lorsqu’il se réveilla, sa première pensée fut que, finalement, c’est pas si mal que ça, l’enfer… Mais l’odeur de sang dans sa bouche et la grosse douleur au ventre le ramenèrent à la réalité. Il était en vie. Mais, alors qu’il tenta de bouger ses membres endoloris, il faillit le regretter : paralysie totale… Ses yeux au moins fonctionnaient bien et il apercevait le plafond de ce qui semblait être une chambre. Donc, il était couché. Dans un lit. Et probablement attaché par les mains et les pieds et non paralysé puisqu’il avait encore des sensations.

Tournant légèrement la tête sur le côté gauche, il vit dans un cadre suspendu au mur une vieille photo jaunie sur laquelle on distinguait une jeune dame en tenue sportive, levant un bouquet de fleurs de la main gauche et tenant bien en évidence une médaille dans l’autre. Il parvint à lire difficilement : « Berlin, 12 juin 1968 » et, un peu plus bas : « Mado Lapince, championne d’Europe de karaté féminin ». Ses côtes douloureuses l’aidèrent à comprendre, très vite pour une fois, le surnom de Lapince donnée à cette jeune Mado…

– Ah ! La vache… Elle m’a pas loupé. Elle a sûrement appelé les flics ! Et je vais une fois de plus me retrouver au gnouf !

Il sursauta en entendant une petite voix fluette venant de la droite, semble-t-il de la salle de bain attenante…

– Fallait pas taquiner la Mado, mon grand. Quant à appeler les flics, c’est pas sûr que je le fasse. Ça va dépendre de mon humeur, tout à l’heure. Finalement, tu m’as permis de me rappeler les bons souvenirs de cette époque…

Cherchant des yeux sa vieille, Freddy aperçut deux éléments essentiels à la compréhension de ce qui allait lui arriver : tout d’abord, il reconnut, bien pliés et déposés sur une chaise près du lit, ses propres habits ; ensuite Mado qui apparaissait à la porte de la salle de bains, tapotant sa hanche comme si elle s’apprêtait à en remettre une dose, vêtue seulement d’un négligé rose bonbon… Encaissant le choc, il vit se dessiner sur son visage aussi ridé que tout le reste un large sourire et l’entendit prononcer ces paroles dont il se souviendra longtemps :

– Pour les flics, on verra plus tard. Mais tout d’abord, on va s’amuser un peu…

Commentaires (1)

Pierre de lune
20.10.2016

Bonjour, Merci pour cette nouvelle haute en couleurs, pleine d'humour à la Daniel Pennac, avec des personnages authentiques et une histoire qui fait mouche ! Au plaisir de découvrir d'autres récits de votre composition,

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