Créé le: 01.11.2018
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Pas de danse

Amour, Notre société

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© 2018-2024 Mouche

Fin de vie ? Que nenni, tant que nous meut et nous émeut l'amour  !
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Rouillé, le vieil homme racrapoté dans son lit d’hôpital se demande pourquoi et comment il en est arrivé là. Vivre, n’est-ce pas tout naturel ? Pourquoi faudrait-il que cela s’arrête ?! Le cœur, le foie, les poumons, le cerveau… tous ces organes parfaitement fonctionnels, donc consciencieusement ignorés, se mettent à pécloter, jusqu’au jour où ton fils – l’ingrat ! – décide que cela suffit, qu’il ne veut plus faire tes courses, que tu ne peux plus vivre seul, et qu’il te colle dans un EMS où il t’oublie de bon cœur.

Eh bien non ! Louis n’est pas d’accord. Il est vieux certes, mais ne veut pas renoncer à vivre, d’autant moins qu’il a rencontré, il y a trois semaines, une certaine Mme Genoud. Ah, Yvette…

C’était au restaurant, une jeunette de 72 ans qui s’est cassé le col du fémur et n’est ici que de passage. Elle est joyeuse, rayonnante, une vraie femme ! Il lui faut la séduire avant qu’elle ne reparte.

 

« Les choses » sont déjà bien avancées. Chaque jour ils déjeunent ensemble, et ont convaincu les infirmiers, qui, l’après-midi, les surveillent dans le parc, de leur laisser un peu d’intimité. Ces rustres ricanent et en profitent pour fumer en cachette – grand bien leur fasse.

 

L’important, c’est de saisir la main d’Yvette, d’écouter son babil poétique, d’esquisser une caresse sur sa peau laiteuse, de la faire rire pour que ses yeux pétillent !

Et le vieux Louis est décidé, cet après-midi il passe à l’attaque.

– Yvette ?

– Oui, mon ami ?

– Je suis heureux de vous connaître. Tellement heureux.

– Moi aussi, très cher… vous me donnez envie de faire des folies !

– Ça alors… moi aussi !

Et les deux vieux de glousser, complices.

 

Il insiste :

– Que diriez-vous d’une petite fugue ?

– Comment cela ?

– Ne sommes-nous  pas libres, adultes et consentants ? Personne ne peut nous obliger à croupir dans ces cages à lapin médicalisées !

– C’est vrai, soupire Yvette. Mais – son visage s’illumine -, si vous vouliez me suivre… Je sors samedi et j’ai un grand appartement.

– Oh, Yvette ! Vous m’accueilleriez chez vous ?!

– Eh bien oui, nous pourrions essayer. En tout bien tout honneur, bien sûr !

– Bien sûr !

Nouvel éclat de rire.

 

Les infirmiers leur lancent un regard interrogatif, mais l’un d’eux marmonne :

– Oublie ces vieux fous !

 

– Je vais mettre ma petite-fille dans le coup, c’est elle qui vient me chercher.

Soyez prêt vers 13 heures, quand personnel et patients sont à la cafétéria.

Nous vous prendrons à la sortie du parking, vers le grand chêne.

– Ah Yvette, merci ! Vous me sauvez !

Un baisemain délicat scelle leur entente.

 

Ce soir-là, le vieux Louis s’endort enfin en paix, un sourire accroché à ses lèvres blêmes. Passe la semaine et, vendredi, il se rend chez le barbier : il veut se sentir beau ! Il prépare son sac contenant trois bricoles, son linge de corps et deux chemises propres. Il laisse dans le tiroir une lettre pour son fils : « Tu vis ta vie, je vis la mienne. Adieu. »

 

Ils prennent le goûter ensemble et renouvellent leur promesse. Yvette est enthousiaste :

– Ma Lucienne m’adore, elle ne peut rien me refuser ! À demain, cher ami !

 

Samedi , « ça me dit, oui ! »

Quand l’infirmière arrive, Louis prétend avoir mal dormi et demande à manger tôt, dans sa chambre, pour faire une longue sieste. Il sourit de sa ruse, pourtant cousue de fil blanc.

À midi, il est prêt et enfile le costume bleu de sa jeunesse. Discret, il descend par les escaliers, sort par la petite porte et, à tout petits pas, va se poster au lieu dit, se disposant à attendre.

 

Rien ne va plus mais tout peut recommencer. Même si le corps faiblit, l’esprit reste vif et il faut savoir prendre son plaisir là où on le pense.

 

Or, penser à Yvette… quel plaisir ! La chaleur du soleil et celle de ses désirs pèsent sur son vieil organisme. Il s’assied pour mieux rêver.

 

De son côté, Yvette ravie de sa future escapade esquisse un pas de danse.

Sa hanche dévisse : patatras !

 

Quand vers le soir, l’infirmière lui parle de la disparition de son ami, elle sort de sa léthargie :

– Mon Dieu, Louis ! Allez vite le cherchez !

 

Ils le retrouvent assoupi au pied du grand chêne, un large sourire aux lèvres :

son cœur trop heureux a cessé de battre.

Commentaires (2)

Mouche
25.12.2020

Merci de ces compliments !

Webstory
25.12.2020

Fidèle à elle-même, Mouche nous sert avec "Pas de danse" un synapse de temps dans lequel amour, dérision et humour entrent en collision. Pur plaisir!

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