Chapitre 1

1

Ce que m'inspire la rade de Genève, présente dans mes souvenirs personnels et notre actualité. J'ai mêlé un peu de philosophie à cette évocation.
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Une étendue citadine et lacustre sur laquelle on peut se retrouver, seul ou dans les foules. Un soir d’hiver, dans les lumières émises et reflétées. Un matin d’été, après l’aube déjà transfigurée. Des masses basses et pourtant verticales de bâtiments donnent le sentiment d’une attention. Le caractère étal qui vient à point d’un lac ne se mouvant que par moments. L’absence parfaite de toute vie fait écho à l’hyper-présence de l’homme en ces lieux. Dans les reflets, retour à la nuit de novembre, du fleuve qui se tait, on ne peut deviner que les couleurs variées et fluorescentes des noms de banques, de sociétés d’assurances ou de négoce. Enfin de tout ce qui aide à vivre mieux. Rien que de très subliminal. Une abstention bleutée et moire avec des scintillements. Un signe ou un message qui ne serait pas d’amicale évidence. Une existence tenace et guindée se fait discrète derrière ces murailles. L’invitation est sélective, je n’ai fait que regarder en passant. Les traversées d’année en année, par le hasard des angles non recherchés. Ces toiseurs dont on ne peut dire s’ils viennent de l’intérieur ou si leur regard est délégué, ne sont pas dépourvus de réalité, ni de principes bien définis. Ils ne contiennent pas non plus de secret valant vérité. Une simple audace des uns à l’égard des autres. On cherchera la conscience d’exister, voire une réassurance sur sa propre individualité. Pas de prison ici même, mais un souvenir de celle-ci ou une anxiété. Le pont à l’Est porte le nom d’une montagne proche, immense et blanche, qui atteste du tout et de son propre éloignement. Le flux passager y est, selon les heures, à moitié dense et partiellement fluide. L’eau pose des questions et fait des propositions. Une Princesse en ses abords y fut assassinée. Elle était l’épouse de François-Joseph l qui régna longtemps en parachevant un ancien monde sans que l’on soit très au clair, en ces lieux ou ailleurs, sur la clarté justement de ce qui depuis lors se serait avéré. Aucune guerre n’a été déclarée en cette dramatique occasion. Seize ans plus tard toutefois elle éclata. Première et mondiale. C’est le neveu que l’on tua. Les meurtres déjà et sans cesse recommencés.

 

Au bord de la rade des hôtels dont celui dans lequel mourut Sissi. Une statue règne désormais sur l’un des gazons. Dans son métal, fine et élancée, sans réticence pour être photographiée. Il est difficile de ne pas penser à rien en longeant ce quai rive droite. Il l’est en toutes circonstances mais plus encore sur ce parcours que l’on fait sien répétitivement aux détours d’une vie. Le rien bien évidemment, mais l’abondance aussi sont les vecteurs sensoriels de qui vient se baigner ici, dans les airs ou dans les eaux. Tout figurant est invité à ce festin froid. Il suffira pour s’en désintéresser de regarder l’horizon qui mentalement toujours reviendra, comme le souvenir de cet instant précis et définissable où le bateau mouette, le soir tombant, traçait une ligne évanescente en matérialisant, par sa présence et son mouvement, l’instant d’avant puis le ressenti d’un enchaînement, à venir, de nouvelles et insaisissables séquences. Regards noyés de larmes. Je crois me raccrocher à un souvenir précis. Il y en eu d’autres, l’essentiel nous revient en badinant. Il faut se défaire de la force évocatrice de ces endroits réunis tout en un. Ce tout devient net alors que la confusion m’enserre, extérieure à la personne par les reflux du réel ou intérieure à tout être perdu dans ces éclairs virtuels. On n’organise plus de feux d’artifice sur la rade depuis quelques années. Les gens ne viennent ni ne repartent pour les admirer. Je me souviens avoir lu quelques lignes de Paul Valéry à propos des feux sur la rade. Il les a regardés, s’y est intéressé. Je l’ai fait aussi, sur place, trois quarts de siècles plus tard, depuis ma fenêtre, à la télévision puis plus du tout. Ils racontaient l’univers comme le font les acteurs. D’autres fois j’entendais, par ces feux, un condensé des bruits de la guerre. Leur silence actuel est un contrefait de la modernité qui elle-même s’est déjà ensablée. Les couleurs dans la nuit nous reviennent par le numérique. Un cygne passe et trace une ombre blanche de vie. On y voit le hasard des compositions. L’horloge qui regarde le tout depuis le Pont de la Machine nous indique plus que l’heure qu’elle nous retire en avançant.

 

Je me souviens d’une scène avec Lino Ventura, un film, son passage, et ce fameux regard (visage raide mais regard sensible) qu’il posait lentement vers cet intérieur ville et tout ce qu’il semblait recéler. J’aimais cette scène que je perçu comme une aubaine. Lino n’est pas revenu. Me retournant à sa façon, je ne vois personne et la vieille DS – ou était-ce une Ford Taunus – est partie depuis longtemps. Les acteurs se sont succédé, célèbres ou anonymes, effectifs ou banalisés. Les affaires ont repris. Personne ne sait où nous entraine le courant. Je vois les murs comme des personnes, avec quelqu’un derrière. La première fois que l’on m’en a parlé, des références dans toute vie, le traitement des données La distance à chaque foisentre les ponts. Un souvenir en prise directe, un autre qui s’est reflété. Avec l’esprit, et parfois le corps, on se rend jusqu’aux Bains des Pâquis. A l’heure où change l’année, vers le môle, au bout de la jetée ou à celle du solstice, tout à la fin ajourée du plus grand soir d’été. Cette inertie que les sens remettent en mouvement est par moments sublimée par les vagues libérées qu’on envoie dans le ciel le Jet d’eau. Fier et par nature jaillissant, se déployant et se dédiant, nous parlant sans cesse et différemment. Petit garçon je l’ai contemplé, puis adolescent dans le trafic, plus tard en courant sur les quais, en amoureux, coeur-boîtant, en calculant, en échafaudant, en saluant, gaiement ou en souffrant. La rade permet cela, le génère, nous incite ou nous retient. La diversité des passages et celle des approches, sortis du quartier des Pâquis ou venu de la rampe de Vésenaz. Arrivant vers cette ligne citadine qui respire et se retire. Les siècles passés surgissent du fond des petites rues et ceux de l’avenir frémissent en nous évitant. Un lever de soleil sur cette matière architecturée, personne n’a fait son choix et les jours ploieront sous la lumière ou sous la pluie. Profils se dodelinant, on guette les mouvements, attente d’un tangage signifiant vie ou engouement. La promesse d’existence est-elle tenue en ces lieux ? Je dirais que oui et c’est en soi qu’hardiment on doit la protéger en lui restituant d’emblée sa valeur ajoutée devant constituer la base de ses autres et futures devenirs . Les environs sont montagneux, le Jura et les Alpes. Konrad Witz a déjà peint ce poème en 1444, je n’ai fait que l’adapter. On y voit la verdure et les monts environnant, une scène sur le Lac mais n’y figurent pas les bâtiments venus depuis lors boire dans cette même rade qui n’a rien dit de ses engeances. Elle stagne dans l’explosion de son immobilité fulgurante. Le promeneur bien sûr, mais pour quelle contemplation ? Celle tout immédiate et foraine qui comprend en elle les petits bouts de la grande histoire ou celle qui ne mène à rien sinon aux auspices des plus accessibles morceaux de l’univers. Contemplation toute personnelle pour aider à surnager en rattrapant les mouettes navigantes. Cet instant, ce ralentissement déjà vécu, des eaux calmes, sagesses des bateaux, lignes terrestres au loin, surbrillance de nos journées et de nos réflexions. Quand le bateau arrivera à la hauteur d’un point choisi un fait surviendra, il pourrait être insignifiant ou signifier un deuil. Nous vivons tous l’un et l’autre par alternance. J’ai salué des départs en marchant, atteint un point de renoncement et poursuivi ce qui n’est plus une quête. Se retrouvera-t-on en conscience avec icelle ou icelui par le seul fait d’avoir existé ? La rade nous donne-t-elle des garanties. Elle a accueilli mes adieux et pourrait se convertir en promontoire d’avenir. Je ne le crois pas je n’ai aucune raison d’y penser plus raisonnablement. La statue de la Brise en sa pierreuse matière grise pourrait nous répondre. Mais elle m’intimide plus encore que l’éternité. Je n’ai jamais osé la regarder de peur qu’elle ne prenne vie par elle seule et ne vienne nous dire quelques vérités que nous n’osons pas laisser fleurir. Tout ce grand monde a sa façon de ne plus la regarder. Savoir revient à prendre part au grand festin des vacuités. Les angles morts, la profondeur, les jeux aquatiques dans le ciel et celui d’après, tant de matières et de formes. Substance et étendue pour citer Baruch. J’en reste au prénom de crainte qu’on ne le retrouve nominalement aligné avec les banques et les marques d’horlogerie. L’avoir mentionné sans être parvenu à le comprendre vraiment me permet de me référer à l’immanence de la rade de Genève, ce qui se révèle au sujet pensant du seul fait d’y être et d’y revenir. Un éternel retour que Friedrich – qui ne mentionna pas François-Joseph, bien qu’ils aient été contemporains – a cru percevoir sensiblement au flanc d’une montagne bordant un petit lac à l’autre bout du pays. Tout est mêlé et ce que l’on croit distinguer refera surface en d’autres nuées. Un bateau nommé « La Neptune » impose sa grand-voile de sa stature tranquille. Chaque passant depuis les berges en devient capitaine. Il glisse, autrement tranquille, d’anniversaire en anniversaire et de mort en mort. Nous savons pourquoi le souffle nous fut coupé ou dans quelles circonstances l’on dut respirer comme pour l’unique fois. Au bout du jardin anglais, à l’entrée du jardin de l’Observatoire, vers les Pierres du Niton, trois fois j’ai respiré, discrète aspiration, expiration triste et lente, pour autant d’occasions. Ce qui est essentiel est aléatoire et peut disparaitre sur l’instant. Bien qu’une cathédrale nous gouverne au-dessus des toits de la ville, nulle foi ne me vient en ces lieux sinon celle d’une existence tangible et déroutante par le fait même de l’infinité. La rade évoque ce passé indéterminable certains soirs illuminés, eaux, pierres et ciels, ignorant l’individu qui s’est attardé tout en magnifiant, par un effet rétinien de tapissage, le fond de sa pensée.

 

Une première fois en avril 1992. Un coup de fil, une voix, une information, à l’extrême contraire de l’insignifiance. Je suis allé marcher vers les estrades fermées encore à cette saison. Plus sûr de rien. La lumière ne me disait pas grand-chose. J’étais le passant d’un lieu dont les yeux était mi-clos. Mes émotions n’étaient plus celles de l’enfance. Elles allaient le redevenir. Ces deux grosses pierres, venues de la déglaciation figuraient, et figurent encore, à l’entrée du Lac depuis le débarcadère de la rive droite le poids et l’étalement du passé. Tout ne disparait pas quand on cesse de vivre, vrai pour soi, vrai pour ses parents. Ma présence sur ce quai, enfouie dans toutes les circulations de tous les étants, en retémoignait. J’étais au bout du jardin anglais, touriste en mes escapades imaginaires prenant de mon avenir un soin distrait. J’ai dû regarder les arbres, mais leur présence m’est restée distante sans que je puisse dire si c’est eux ou si c’est moi. Un même discours silencieux déjà, celui que la rade me tenait en ignorant tout de mon existence. J’ai dû lui répondre sans qu’elle ne m’en tienne rigueur. En elle les rigueurs sont originelles. Ce moment comme les autres s’est distingué par sa fuite et son incrustation. C’est fou à quel point en même temps nous existons et nous n’existons pas. On sait la rade, l’ici, le maintenant en regardant devant, à l’autre bout, intervention du ciel, son image dans les eaux, jet d’eau en action, déploiement aquatique de l’inconscient. Accostage d’un grand bateau, aucune attente, mais la corde au ponton. Je n’ai que timidement accès à ce qu’était ma vie intérieure en ce moment triste et précieux vécu il y a plus de trente ans, soit une demie seconde au rythme de la rade et moins encore probablement Intérieurement, il faut le reconnaitre, nous ne changeons pas d’endroit. Je ne n’avais pas fait la relation et le comprends maintenant. On comprend toujours plein de choses en écrivant, mais cet instant si sensible, si étroit, si profond en appelait d’autres au sein même de cette étendue qui suppose ses reliefs et ne dit pas son nom. Faut-il en demander davantage au langage et à la conscience? Certaines pensantes silhouettes disent que non. Il faut les voir regroupées sous les ailes battantes du jet d’eau, au milieu d’un univers par elles constituées. Le réel pourrait être rétif au langage dont le cri des mouettes, les oiseaux, et les stridences de la foule, chacun pourtant dans son silence. Cette extension malvenue du langage qu’un passant m’a susurrée ne cesse depuis quelques heures de me préoccuper. L’animation est de la partie et pas seulement lors des anciennes fêtes dites de Genève, mais bien pour les piétons et dans les véhicules, dans le sous-monde numérique qui affole son pendant social et biologique. J’ai traversé là ce soir d’avril, sans savoir où je regardais. Les couleurs n’ont pas imprégné mon souvenir qui reste sec et définitif comme peut l’être le sort en nous de quelqu’un qui est parti. Ce n’est pas tout à fait ce que je veux dire. Parfois, en marchant le long du lac qui devient fleuve, mes idées sont en relation paisible et forte avec mes émotions voire leur absence ou le vide sur la rade dans les « soirs bleus d’été » ou les nuits épaisses de décembre. Tout ici a un sens si l’on accepte la substance définie par Baruch. Mais ce sens ne découvre pas, il se prolonge en ses modes ou ses attributs. Je dois admettre après tout ce temps n’être en rien dominateur de mes propres atermoiements. C’est pour ce type de raisons que je reste à ce point éloigné de mes sujets. Ces premières larmes retenues et qui le sont encore nous savons à qui nous les devons. Nul besoin d’élucidation. La mémoire ne laisse de place ni à l’absence ni à l’endroit qui nous accueillit pour en prendre conscience. Par la suite, c’est le vivant qui décide de ce qu’il fera en chacun de ses nouveaux passages. La rade de Genève vue par les aquarelles d’Elis Zbinden. Ce fut nécessairement l’un de ses lieux de prédilection. L’une d’entre elles avec ses bleus noirs et les mats dessinant la verticalité dans le ciel et l’eau assombrie. A quoi pense l’artiste quand il entre dans cette masse mouvante et stable ? A sa prochaine libération par les lignes de fuites que permettent la ville le ciel. Rappelle toi le clair en été qui le devient excessivement, ces abords n’étant pas ceux d’Alger. On ne s’y trompe pas car on sait la puissance dormir ici comme une renarde à l’orée des bois. Il ne faut pas à mon avis s’interroger sur son statut en ces endroits, ni sur les privilèges de qui en a ou n’en n’a pas. C’est encore plus mal réparti qu’on est amené à le penser et à l’envers et à l’endroit. Les fenêtres des immeubles sont multipliées dans leur horizontalité et leur verticalité en lesquelles elles s’uniformisent, proposant en cela un regard qui pourrait être celui de la renarde et de ses sœurs. Seules les réalités substantielles de ces formes importent aux yeux de qui ne cesse de les saisir désharmonieusement par le travail clandestin de la pensée.

 

En décembre 1996, j’ai longé le quai Wilson depuis la rue Plantamour vers le Parc Mon Repos. J’étais tranquille et neutralisé par les effets d’un autre appel téléphonique venu sentencieusement influer sur ma vie, les nôtres-vies, devrions nous dire comprenant celles qui ont cessé d’être, en réalité ou en vérité, les vies de nous. Toutes en une et tout en un. Mais elles se distinguent toujours, les unes n’étant pas les autres jusqu’à un certain point de fuite. Comme nous l’indiquent dans leur permanente furtivité les éléments mobiles de ce paysage. Un autre départ, autre souffle, essentiel en mes souvenirs et qui bien sûr le demeure, venait de s’éteindre. On voit loin à l’entrée du Parc, et le Jura se devine, l’autre bout de la chaîne comme à l’autre bout d’un temps de vie qui ne serait pas sien et dont « on » nous impose la séparation. Ce n’est pas le on de « ontologie» … un jour, ce pourrait l’être. Lors de cette promenade de recueillement, ma vue se glaçait et mes pensées s’aventuraient dans une totale explication du monde dont je percevais sur le champ la vaine et pleine inanité. Je regardais le lac, peu en accord avec les strates de vie qui persistaient, la faune, la flore endormie et la civilisation qui ne se distingue que par la continuation des distances et des éloignements. On regarde en arrière vers la rade, une explication semble surgir, le jet d’eau est retombé. Naissent l’attente et la suite des renouvellements. A rebours les chiffres, les dates et les comptes. Une autre aquarelle d’Elis Zbinden que je trouve très réussie. La cathédrale qu’il a représentée si souventes fois, les aiguilles vers le ciel tout au fond du décor. Devant la Neptune avec ses doubles mats croisés précis dans le ciel et zigzaguant dans les reflets lacustres. Une présence mouvante, un ciel de fin de tout vers les roses éteints pour l’horizon et les gris flottant pour le plan d’eau. Tout, absolument tout parle sans qu’une intercession suprême ne se soit fait entendre. Un rien justifiant le néant, en son rôle annonciateur. La personne, qui ce jour-là, s’est endormie au sein de ma propre vie et de tant d’autres aurait apprécié ces travaux d’artistes qui continuent de prendre part, en son absence, à cette totalité réelle en laquelle nos vies un jour se figent. Mère et fils dans les silences calcaires de l’infinité. La relation matricielle de l’envie et du désespoir qui n’a plus lieu de citer ici. Cette statue de la Brise, au milieu de son siècle écoulé. De l’eau et du temps, l’insensible et douloureux écoulement.

 

Le troisième appel téléphonique eut lieu au matin du 30 août 2019. J’ai vécu la journée presque normalement, cours ordinaire des choses, mais je savais bien que le tir m’avait atteint. Le corps ne s’était pas encore rebellé et je suis allé boire quelque chose de froid, à l’une des petites buvettes du coin. Destinaux rendez-vous avec la rade, ni hostile ni providentielle. Même endroit que vingt-sept ans plus tôt pour chacun de mes parents. Ce soir de fin août était coloré. La même Neptune doubles mats secs et flottants. L’eau excitée et attentive et des nuages rosés, dessinant par leurs masses des figures que j’aurais pu interpréter. Le couchant nous a fait des suggestions d’apparence mystique. Une lumière naturelle et divine, jeux de gris et teintes orangées. Le Jet d’eau fier et discret pour l’occasion ou est-ce moi qui le revois ainsi ? Et ce vieux bateau « Genève », longtemps resté accessible aux estivants, marquait par la présence de ses fenêtres un rythme graphique que soulignait l’horizontalité de sa coque. Il doit y être encore, mais ce n’est plus le même bateau ni le même moment. C’est devenu de plus en plus rose, et les nuages ont insisté en me suivant. Il y avait une danse dans ce ciel en cette fin de bien plus qu’une journée, alors qu’une seule d’entre elles comprend le sel de toutes les autres. L’un des bateaux navigants s’appelle « Le Simplon ». J’ai tout manqué en ne les accompagnant pas. Il est venu me saluer, enfin saluer nos destinées se faire attribut de la substance ou mode encadrant ma tristesse. L’eau partout sur ma peau et dans les yeux. La rade m’offrit une cérémonie discrète est silencieuse visible pour soi seulement et pour tous les au-delàs. N’était-ce que cela et l’était-ce tout entier ? Les vides créent des marges, celle-ci des espaces, des attentes et une matière dansante que les constructions humaines comblent de façon tout aussi précaire et partielle alors que l’ensemble permet d’y croire. Ou serait-ce une incitation. Je veux dire croire à demain, pour quelques-uns d’entre nous vacants dans le tout indicible en ces lieux réanimés par mon deuil le temps de prendre un thé froid sur une estrade au bord le lac en été. La masse grise, dans le réel et les aquarelles, qui surveille les bateaux de plaisance est celle du quartier des Eaux-Vives, rive gauche. Le va-et-vient sur la rade perd sa tournure philosophique quand on le laisse faire et aller. Les noms accrochés aux bâtiments retrouvent leur valeur et leur identité. Je quitte les lieux et les sais s’infiltrer dans mon espace mental, comme d’autres au fil du temps. Ce soir au Grand Théâtre, toutes les représentations reprennent leur place, à l’heure dite. Vous êtes venus à pied ? Euh oui. Je crois bien que oui. Je viens d’un monde qui a fait que je m’engouffre en lui. J’ai accepté cette absorption pour continuer mon terrestre voyage et son incertaine universalité. Mes trois deuils, je ne les avais jamais spatialisés en ce même lieu qui m’apprend quelque chose que je lui avais ainsi confié.

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