Créé le: 04.04.2019
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Nécrologie littéraire

Fantastique

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© 2019-2024 Kurt Fidlers

Pete, étudiant en littérature, voir son quotidien bouleversé par un évènement inattendu qui l'entraînera jusqu'au fond de l'abîme.
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Au moment où ce récit prend forme, je me trouve dans un état second. Je le décrirais, pour votre usage, comme étant le dernier souffle de mon inspiration. Sachez donc que l’heure n’est plus aux discussions inutiles, mais à la vérité. Ma vérité.

Enfin, après mûres réflexions, je me suis finalement résigné de retranscrire toute l’histoire insensée dont je suis victime sur papier.

Pendant ce voyage au cœur de ma conscience, vous découvrirez mon âme d’écrivain mise à nu. Ne voyez dans ces lignes que des certitudes, aucun leurre.

Vous pourriez être suspicieux, dubitatif, mais je certifie être sain de corps et d’esprit.

Voilà, l’introduction faite, je vous invite à parcourir ma raison au bord de la folie, alors que je couche sur ces pages les dernières lignes de mon existence.

Il débute par un jour morne d’octobre.

 

La grisaille matinale avait parsemé les ruelles exiguës d’une fine pellicule glissante. Des ombres déambulaient, hésitantes. Elles étaient comme des fantômes, allongées, et noyées dans les brumes anversoises, que j’embrassais du regard depuis ma chambre au 1er étage d’un immeuble miteux, au travers de carreaux poisseux. Ce spectacle se rapprochait étrangement des descriptions d’Edgar Allan Poe, une nuit où les démons s’éveillaient.

Ce jour avait une consistance que lui seul aurait pu décrire de manière aussi brillante. Je me souvenais de son récit La chute de la maison Usher, pour le moins surprenant, et dont je fis le rapprochement presque aussitôt : 

Les voyageurs, dans cette heureuse vallée ;

A travers deux fenêtres lumineuses, voyaient

Des esprits qui se mouvaient harmonieusement

Au commandement d’un luth bien accordé…

 

Ce matin-là, je m’étais éveillé avec une sensation inhabituelle, de celle qui prédit un changement inévitable. J’avais été surpris par la faculté que j’eus à me lever, alors que la soirée précédente avait été très mouvementée. J’étais lucide et maître de moi. Habituellement, je ne me connaissais que peu de courage lorsqu’il s’agissait de me lever aux aurores. Et pourtant, ce jour-là, tout semblait limpide dès les premières secondes de mon réveil.

Les cloches de la cathédrale résonnèrent huit heures.

Nom d’un chien !

J’avais complètement oublié mon cours de littérature. Je m’habillais en catastrophe, pris mes rédigés, et sortit précipitamment de l’immeuble à moitié défroqué. Au pied de la maison où je logeais, le froid me saisit jusque dans mes os. Je serrais des dents dans l’espoir de ne pas frissonner.

Mes talons claquèrent sur les pavés, tandis que je courrais en direction de la Groenplaats, la Place Verte, où je pris le tram n° 4 en direction de la faculté anversoise RUCA.

Je m’installais au fond du tramway, déjà bien rempli. Personne ne parlait. Les regards fixaient le vide, lisaient un journal, ou observaient. Le silence m’était oppressant, sans que je ne puisse vraiment me l’expliquer. Un sentiment étrange m’avait saisi. Quelqu’un toussa. Je sursautais.

Je me souviens très bien de cet instant, car c’est, de mon point de vue, le moment où le processus s’est

enclenché. Le réveil si facile, l’ambiance dans le tram, tout était comme pris dans une spirale dont le pressentiment n’était que le prémisse de ce qui allait suivre.

Lorsque j’arrivais à l’université, mes pas me guidèrent vers l’arbre le plus impressionnant et majestueux du parc. Agglutinés autour, malgré le froid mordant, mes amis me regardaient approcher. Vlad, surnommé l’Empaleur (allez savoir pourquoi), un étudiant roumain en mathématique, pointa son doigt dans ma direction.

Les autres éclatèrent de rire d’une seule et même voix. Mais qu’est-ce que j’avais fait la veille pour mériter ça ?

Patrick, l’étudiant en philo, mâchouillait une brindille d’herbe, adossé à l’arbre, m’observait d’un air absent, le contour des yeux marqués par un lendemain de fête. De tous, c’était l’unique que je n’arrivais toujours pas à cerner.

Il y avait aussi Judy, dans la même classe que Patrick, et qui, de son regard noisette, me scrutait des pieds à la tête, un sourire énigmatique dessiné sur son joli visage.

Leurs rires cessèrent lorsque je ne fus plus qu’à deux pas du petit groupe. Je me joignis à leur bonne humeur et leur rendit un sourire qui me parut forcé.

Bart, un anversois de pure souche, me dévisagea de ses yeux emplis d’hilarité. Il était assis en tailleur.

Bien malgré moi, ils contèrent mes exploits de la nuit dernière avec une telle frénésie, faisant abstraction de ma présence. Je devais me l’avouer, je fréquentais une bande d’obsédés que la morale aurait réprouvé.

Peut-être que, prit de boisson, j’aurais vraiment pût extérioriser toutes mes inhibitions, mais de là à m’offrir en spectacle devant un parterre de femme… cela me semblait totalement hors de propos.

Enfin, je tentais un sourire à leurs récits très fleuris.

La cloche sonna.

La journée s’écoula comme dans un rêve. Les blagues, et autres théories hautement philosophiques de mes amis, échappèrent à mes sens le temps des pauses. Je ne leur accordais pas la moindre attention. Les gens me parlaient, seulement, ils n’eurent pour réponse que des hochements de tête mécaniques. Je ne pouvais me sortir de la tête le sentiment du matin même.

Durant cours, les profs scandaient, soutenaient leurs thèses, tels de fervents politiciens gesticulant devant une foule en délire, mais là également, tout cela m’échappa.

Je rendis un devoir sans conviction, et dont le thème donné fut : La science-fiction au travers de la société contemporaine.

Autant dire que les événements qui suivraient, seraient dignes de figurer parmi les plus grandes œuvres d’un Philip K. Dick, ou autres Isaac Asimov.

Mai 68 au cœur de la science-fiction ! Quelle blague !

A midi, à la cantine, un brouhaha de fond me parvenait par ondes successives. J’arborais un mutisme qui finit par exaspérer mon ami Vlad. Il n’aimait pas les gens silencieux, pour lui, la vie se devait d’être un échange constant. Que ce soit de paroles, d’idéologies, d’objets, ou de fluides corporels, peu importait, c’était sa façon à lui de se sentir vivant.

Au moment de s’adresser à moi, je lui fis signe que ce n’était pas la peine qu’il se fatigue. Dans son regard, je lus une pointe de désarroi mêlée à de la stupéfaction. J‘avais voulu le retenir, mais il avait déjà tourné les talons pour rejoindre les autres en cours.

Alors que mon état comateux l’emportait sur tout le reste, je décidais de rentrer chez moi, ce qui fut la

seule bonne résolution que je pris ce jour-là. Le trajet de retour fut long.

Mais une fois de retour dans ma modeste chambre, un besoin soudain de dormir me prit.

Je jetais mon sac de cours au sol, et me laissais littéralement tomber sur le lit. Les ressorts grincèrent bruyamment. J’avais l’impression d’être drogué. Je me sentais voguer sur les eaux, comme un courant s’éprenant de la feuille tombée de l’arbre. Mes membres devinrent très lourds, je les sentais peu à peu s’enliser dans les profondeurs du matelas. Je quittais ce monde relatif, l’esprit serein. Mes yeux se fermèrent, et la dernière image fut celle de Vlad, marqué par une mimique navrée.

Dans un rêve antérieur, j’avais rêvé de cette chambrette exiguë où était disséminé un monceau de livres, de parchemins, dans un capharnaüm indescriptible.

Sur le lit, au milieu d’un désordre de brouillons, était assis un vieil homme aux traits aigris. Il tentait vainement de me faire comprendre quelque chose dont le sens m’échappait. Ses lèvres bougeaient dans un flot de paroles que je ne saisissais pas. Dans ce rêve, j’étais transi de peur.

Et pourtant, le jour où j’avais séché l’uni, je ne fis aucun songe. 

 

Dès les premières notes, les cloches de la cathédrale résonnèrent inlassablement dans ma tête. J’entendais, au loin, le cri d’une foule, mais que je ne réussissais à définir immédiatement comme telle. Certains éclats de voix se démarquaient d’une cohue qui s’amplifiait, grondait. J’imaginais une affluence de personnes dans les rues, protestant contre l’une ou l’autre réforme du gouvernement. J’avais la bouche sèche, et la tête bourdonnante.

Petit à petit, mon esprit se remit en relation avec la réalité. Les heures et les minutes, elles, n’étaient qu’une notion subjective, évincées du monde physique que j’occupais.

Le carillon retentit pour la dernière fois vibrant jusque dans les moindres parties de mon corps.

Je ne savais pas quel jour nous étions et combien de temps j’avais dormi. Egaré, je fis un effort surhumain pour m’extirper du matelas que la forme de mon corps imprégnait.

Je jetais un œil par les carreaux opaques par pure curiosité. La pénétrante clarté de l’extérieur agressa mes yeux. Détournant les yeux, je me passais une main lasse dans mes cheveux ébouriffés et me dirigeais vers la douche.

Quelques minutes plus tard, je me sentais rafraîchi, même si cet indicible sentiment de la veille ne m’avait pas quitté.

Je descendis l’escalier craquant de l’immeuble, en quête de pain.

Au hasard d’une discussion avec la boulangère, je la surpris à me révéler que quatre jours s’étaient écoulés.

Je vous le concède volontiers, j’aurais voulu voir mon regard atterré devant cette bonne vieille boulangère. Choqué, je bafouillais des remerciements et m’en allais.

Quatre jours…

Je n’arrivais toujours pas à y croire. Elle devait vraisemblablement faire erreur. Un sommeil si prolongé ne m’était encore jamais arrivé.

Je laissais mes pas me guider en direction de la Place Verte, hagard. Un banc vide accueillit mon séant, son bois était froid et humide.

La place, enveloppée dans un épais manteau brumeux, occultait le dôme de la cathédrale. Je n’avais qu’une vue sur la nef sud et son transept, de styles gothiques, noyés au tiers dans le brouillard. C’était comme si on ne discernait que la coque colossale d’un bateau échoué sur les rives de l’Escaut.

Peu à peu, je reprenais mes esprits. Les jambes flasques, je me relevais du banc et déambulais en direction de mon logis.

Au pied de la nef, je tournais à gauche et m’enfilais dans la ruelle débouchant sur la place principale, face au portail occidental de la cathédrale. Je traversais le lieu de part en part, en direction de l’Escaut, battant le pavé d’un pas lent.

Mon logement se trouvait dans le quartier de Suikerij. Arrivé au bas de la maison, je m’engouffrais à l’intérieur par une porte située à l’extrémité nord-ouest de l’entrée principale. Je gravis les deux étages jusqu’à ma chambre, pris la clé dans mon blouson et l’inséra dans la serrure.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque je pénétrais dans le studio. Des livres par centaines, que dis-je, par milliers, jonchaient le sol. Je devais probablement avoir l’air égaré. Un désordre régnait partout où je posais les pieds. Des pages crissèrent sous mes chaussures de la même manière qu’un tapis de feuilles d’automne.

On remua dans un recoin ténébreux de la pièce. Je fis volte-face, le cœur battant. Un homme était assis dans le seul fauteuil que je possédais. J’étais pétrifié.

Un rêve dans un rêve, me dis-je à ce moment. Comment étais-ce possible ? Comment mon rêve pouvait-il devenir réalité ? Etais-je devenu complètement fou ?

Le vieil homme me fit signe d’approcher de son index déformé par l’arthrite, et me désigna ensuite l’amoncellement d’ouvrages dans la pièce. Ses lèvres remuèrent sur une question qui raisonna au plus profond de moi :

– Serais-tu capable de rédiger tout ceci par la seule force de ta volonté Pete ?

La peur m’empêchait de réfléchir à cette question. J’aurais de surcroît été incapable d’y répondre.

Mais alors que je tournais la tête pour regarder ce que me montrait le vieil homme, une fraction de seconde lui suffit pour se volatiliser comme il était venu, telle une apparition. Un rêve.

Le fauteuil resta désespérément vide. Tout avait disparu avec le vieillard, et qui pourtant me semblait si familier. Les choses avaient repris leurs places habituelles.

Mon esprit était confus. Je m’affalais sur le lit, épuisé par cette expérience.

Longuement, je réfléchis à cette visite, et avec elle, une idée germa en moi, coulant dans mon esprit comme une source bienfaisante. Je sentais la chaleur de l’inspiration m’envahir. Une histoire se formait dans ma tête.

Je vis son commencement, son aboutissement. Je ne pouvais résister à l’impulsion de me mettre au travail, de coucher sur papier ce subit regain de créativité. J’étais excité et en même temps impatient à l’idée de perdre le fil de ce flot qui coulait en moi telle une source bienfaisante.

C’est à ce moment-là que je perdis le contrôle de moi-même. Mon imagination venait de prendre le dessus et guida mes jambes jusqu’à la table que j’utilisais pour rédiger mes comptes rendus littéraires.

Ma main, incontrôlable, se saisit d’un stylo et se mit à écrire. C’était comme si je regardais mon extrémité prendre vie et se détacher du corps auquel elle était rattachée.

Au début, les mots, les phrases auxquelles je songeais furent tellement difficiles à coucher sur le papier, que mon écriture s’en trouvait altérée. Une succession d’aberrations s’accumulaient au fil des lignes.

Je chiffonnais la première page rempli d’un tissu d’ineptie, dont je n’aurais pas osé montrer le contenu à l’un de mes enseignants. C’était angoissant de constater à quel point j’étais ivre de relater une histoire digne, mais que mes pensées n’arrivaient à atteindre la finalité qu’était le papier.

Je devais absolument me contrôler.

Je lâchais le stylo, m’étirais, et me levais pour allumer une cigarette. Je fis le tri dans mon esprit. Toute une littérature me vint spontanément, des essais théologiques, philosophiques, aux aventures romanesques, et noyaient ma conscience sous une rivière de mots, de successions d’idées. C’était à ce point excitant que cela en devint aussitôt frustrant que je ne puisse endiguer un tel maelström de pensées.

Je respirais à fond et fermais les yeux. Faire le vide.

La peur n’est que le reflet de ta propre conscience. La peur est la solde des lâches, et Dieu n’aime pas les lâches.

La source afflue, prends ton inspiration en suffisance, contrôle ta peur d’échouer un jour à ce que tu aspires. Tu n’es plus l’esclave des mots.

Mes yeux s’ouvrirent, je me trouvais au centre de la pièce, respirant profondément, et dominant totalement mon état. Je m’installais à mon bureau et me mis à écrire.

A ce moment-là, ce fut le point de rupture. Le non-retour.

Les lignes, paragraphes, proses, se mirent à affluer, à s’accumuler. Inlassablement. Les pages défilèrent l’une après l’autre. Les heures passèrent, puis les jours. C’était trop important pour moi. Si je lâchais une seule bride de ma fantaisie, j’en perdrais forcément le fil. C’était un besoin viscéral, vital.

J’en oubliais la nourriture, le sommeil, et la fête. De temps à autre, pourtant, je me précipitais sur le pain pour en avaler quelques miettes, boire de l’eau, jusqu’à me trouver mal.

Je m’accordais deux heures de sommeil par nuit, mais je sentais qu’inévitablement un manque me

gagnait si je dépassais ce délai. La plupart du temps, d’ailleurs, je m’éveillais en sursaut, trempé de sueur.

Au fil des jours, mon domaine d’écrits s’étendit. Ce naïf inuit, égaré au cœur d’une mer de glace, que je fis périr d’un seul coup de plume, à la biographie de cet assassin sanguinaire de l’époque victorienne, le temps s’étala.

Je ressentis cette ultime satisfaction de façon graduelle. Donner vie de la sorte à de nombreux personnages imaginaires fût un agrément peut-être comparable au bonheur d’être père.

Qu’ils soient de gros politiciens, de natures maniaco-dépressives, ou qu’ils aient renversés l’histoire en déclenchant un holocauste, tous contribuaient à l’épanouissement de mon esprit en pleine expansion.

Mais je vis également mon histoire, celle qui m’était interdite d’écrire, et dont la finalité aurait pour but : La Mort.

Les semaines passèrent.

Je dus finalement me faire livrer le papier, l’encre et les victuailles dont j’avais besoin, car je n’aurais pu mettre le nez dehors, de crainte de perdre, une fois de plus, le fil.

J’en étais arrivé au stade où mon organisme subissait la créativité dont j’étais prisonnier. J’aurais souhaité que tout cela s’arrête, mais je savais au plus profond de moi que c’était irréversible. Le vieil homme me l’avait fait savoir dans mes rêves. Et le seul fait d’y songer me faisait hérisser les poils de la nuque. Imaginer mon corps entier prit de convulsions alors que j’accordais une pause à mes phalanges meurtries m’était insupportable.

L’anorexie me gagnait. Au fil des mois, mes membres s’engourdissaient, et devenaient de en plus

plus frêles. Je perdais inexorablement des forces. L’unique chose qui me manquait était les heures de sommeil.

Un jour, Vlad vint me trouver.

Je l’entendis m’interpeller derrière ma porte. Mais plutôt que de lui ouvrir mon logis, je le chassais sans aucune mesure, tel un vieillard aigri qu’aucune visite ne peut satisfaire. Parmi tous mes amis, il fût le seul à vouloir prendre de mes nouvelles.

Depuis ce jour, ma solitude s’accrût. Cette souffrance s’en ressentit dans les paragraphes de mes rédigés. Le côté obscur de mes pensées s’accentua considérablement, pourtant, mes écrits n’avaient jamais été aussi fameux.

L’Ultime, comme je l’ai surnommé, restait pourtant au fond de mon âme, caché dans un recoin de ma conscience, guettant le moment propice pour surgir, tel un diable sortit de sa boîte, et dont la seule apparition mettrait un terme à mon existence. Car en somme, ce mal dont j’étais pris était aussi bien un acte libérateur que vengeur. Libre d’écrire, par la bénédiction qui m’était accordée, cela n’en restait pas moins aussi ma malédiction. Car forcément, sous cet aspect irréversible se cachait la fatalité qui m’emprisonnait : cela se finirait par mon ultime récit. Mourir d’écrire.

Avais-je conclu, sans le savoir, un pacte avec le diable ? Avais-je répondu oui à la question du vieillard dans mon rêve ?

Hormis Vlad, d’autres se manifestèrent : mes parents. Mes dépenses, qu’ils comblaient pourtant, finirent par inquiéter mes parents. Je reçu de nombreux courriers de leur part, notamment de ma mère qui me faisait part de ses inquiétudes, mais que je parvins subtilement à rasséréner grâce à mon verbe que je mis à contribution pour la circonstance.

Je pouvais constater le changement dans le contenu de ses lettres lorsque je les perçus en retour. Je m’en voulais d’agir ainsi avec eux, mais il m’était impossible de leur exposer l’engrenage dans lequel j’étais pris, cela leur aurait paru tellement absurde.

J’étais prisonnier de mon studio et de ma créativité. Seul, aux prises avec ma réflexion sans cesse grandissante.

Puis, les années filèrent sans que je m’en rende compte. J’avais reçu bon nombre de courriers de l’Université m’invitant à me présenter pour les sessions de fin d’année et auxquelles je ne pris pas la peine de répondre.

Finalement, je fus radié trois ans plus tard. Cela ne me fit ni chaud ni froid.

Le temps était ailleurs, quelque part entre ma raison et ma folie.

Aujourd’hui, des années se sont écoulées. Je n’ai plus eu de nouvelles de mes anciens camarades de classe, et je ne sais pas ce que sont devenus mes parents. Totalement déconnecté de la réalité, je ne suis plus qu’un vieillard complètement asséché. D’apparence, je suis ce que je suis, mais à l’intérieur de moi-même, je suis resté ce jeune homme d’il y a cinq ans, enfin, je présume qu’il y a cinq ans de cela. Le temps n’est qu’une notion subjective avait dit Einstein, non ? Le temps est réellement relatif pour ma part. Mon corps me donne l’impression d’avoir soixante-quinze ans, malgré cela, mon esprit fonctionne toujours comme celui de l’adolescent que je fus.

Il est vrai que ces nombreuses aventures dans lesquelles je me suis plongé m’ont étendu la pensée de façon impressionnante. A chaque ligne que j’écrivais, je prenais conscience de ma matérialité, de mon existence. J’ai néanmoins l’infime sentiment d’avoir perdu une chose essentielle en cours de route : cette jeunesse qui façonne l’insouciance de notre génération.

Que sont devenus mes parents ? Mes amis ? Tout ce qui m’était cher alors ? Je ne saurais le dire. J’espère de tout cœur qu’ils vont bien. Bientôt, il en sera de même pour moi. Lorsque je n’aurais plus de forces pour écrire la moindre ligne je basculerais dans l’Autre Monde.

Car oui, j’ai finalement pris la résolution de relater mon histoire, cette Ultime. La présente. Qui me vaudra de figurer parmi les lignes nécrologiques d’un petit journal de quartier.

Vous pouvez considérer cette chronique comme étant mon testament. Voyez ce que je lègue !

Cette connaissance de la langue pure est celle de l’honnêteté. Aurais-je pu mentir sur ma propre mort ?

Certainement non.

C’est l’unique qui peut m’offrir le passage dans l’autre monde, car Dieu n’aime pas les lâches.

J’ai aimé écrire pour vous tous, enfants, adultes, philosophes, théologiens. J’espère avoir comblé tous vos désirs d’évasions, d’aventures, et de réflexions sur la constante humaine.

Je dois l’admettre que tout ceci est l’œuvre de forces surnaturelles, je ne peux moi-même y fournir d’autres explications.

Longtemps, j’ai cru que la vie ressemblait à ça. L’indépendance, la liberté de mouvement, d’expression, de pensées, toutes ces choses qui font que l’on se sent vivre.

Le fait d’avoir ce toit sur ma tête, confirme la certitude que j’ai d’exister. De faire partie de cette chaîne fondamentale qu’est la vie, et d’être un individu à part entière. Mais aujourd’hui, tout ceci n’est plus qu’un rêve. Le jeune garçon fougueux et plein d’idéal s’est fait évincer par un homme-apprenti, conscient que la réalité qui l’entoure n’est pas celle qu’il espérait.

Parfois, je revois ce vieux, assis dans son fauteuil, essayant de me dire quelque chose d’incohérent. Je me souviens de son image, qui hantait déjà les nuits de mon enfance, et qui se reflète aujourd’hui dans le miroir de ma douche.

A présent, je suis persuadé que ce vieillard est une partie de moi. C’est comme un rêve dans un rêve, l’impression de déjà-vu.

Il est probable que ces dernières lignes feront sans doute partie du tissu qui recouvrira les pans de mon tombeau, mais tout ce que j’espère, c’est que les personnes qui liront tout ce labeur, étalé dans une seule pièce, apprécieront ce que j’ai laissé pour eux.

Quant à moi, je ne pourrais sans doute pas survivre à ces derniers mots, c’est pourquoi, je vous laisse ici cher lecteur. Ce qui doit se terminer s’achève sur ces lettres. Bientôt, elles n’auront plus qu’un seul but, celui d’en finir avec ce récit, et de retentir pour moi comme sonne le glas.

Mes forces m’abandonnent… je ne puis plus aligner de caractères… Mon dernier mot… sera celui de

la : 

 

FIN

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