Créé le: 25.02.2019
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Mickey-les-mains-moites

Fiction, Nouvelle, Polar

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© 2019-2024 Kurt Fidlers

Un cadavre gît dans un terrain vague de Hell's Kitchen. C'est Rooney, un malfrat de la pire espèce. La silhouette de Dante le surplombe tandis que débarque la bleusaille... qui a commandité ce meurtre ?
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Le cadavre gît à ses pieds, baigné dans une mare de sang. La scène, faiblement éclairée par le seul candélabre à l’extrémité ouest du terrain vague, illumine partiellement les orbites vides de Rooney. Des torrents d’eau s’abattent sur Hell’s Kitchen.

Dante en a pleins ses chaussures italiennes payées au prix fort chez les macaronis. Son pardessus ; imbibé, sent le vieux cabot mouillé, son Borsalino ; plaqué sur sa tête, a cessé de le protéger des pluies diluviennes. Il frissonne.

Les yeux vitreux l’observent, la bouche ; étirée dans un rictus absurde, laisse apparaître une sorte de satisfaction muette à mesure que la moitié de son crâne se répand à la terre transformée en boue.

Dante se saisit du pistolet disposé à côté du corps de son boss dans un geste machinal. Il connait cette arme : c’est un petit calibre .38, comme celui qu’il a égaré quelques jours auparavant.

Tandis qu’il l’examine de plus près, les condés débarquent, sirènes hurlantes, vomissant un flot de types bedonnants, armes aux poings.

Absorbé dans la contemplation de l’arme, Dante ne les a pas entendu rappliquer. A cet instant précis, il songe qu’il vient de se faire avoir sur toute la ligne, comme un gamin.

On lui hurle de lâcher l’arme encore chaude. Il obtempère après la deuxième invective.

Dante est plaqué sur le capot trempé d’une bagnole, menotté avec véhémence par un flic puant le whisky bon marché, qui lui lâche à l’oreille :

– C’est fini pour toi, Dante. Ta petite copine et toi allez croupir pour le restant de vos misérables vies à Sing Sing.

Pourquoi ce flic vient-il de lui parler d’Angie, pense pour lui-même Dante.

Manu militari, ils le font s’asseoir à l’arrière de la voiture, alors qu’un autre flic prend place à côté de lui. C’est qu’un gamin imberbe, encore mouillé derrière les oreilles et sur lequel Dante pourrait avoir l’avantage si l’occasion devait se présenter.

La bagnole bondit dans le terrain vague, projetant une vague de boue alentours, puis atterrit sur l’avenue, direction le poste de flics le plus proche.

Dans la voiture de police, à mesure que les immeubles défilent, Dante questionne le type au volant.

– Qui vous a mis au parfum ?

– Fermes-la, lui intime le gamin sur un ton qui se veut autoritaire, mais qui n’en cache pas moins un certain manque d’assurance.

Le conducteur ne réplique pas, le visage vissé sur la route.

Le malfrat étire un sourire en coin que les gars du quartier auraient pu interpréter comme : « T’en fais pas, Dante a toujours une p’tite carte à jouer dans sa manche… ».

– J’te connais toi… O’Rourke… T’habites le quartier. Ta femme s’appelle Maggie et t’as deux filles prénommées…

– Ta gueule ! aboie cette fois le conducteur qui pile sur les freins.

Il tourne un visage figé de colère vers Dante. La pluie battante continue de lacérer le pare-brise. Ses traits sont entravés par les clairs obscurs de l’habitacle.

– Qu’est-c’tu veux savoir, Dante ?

Un sourire de satisfaction étire à nouveau la bouche du malfrat.

– Réponds à la question O’Rourke.

Le gamin flic intervient :

– De quoi y parle O’Rourke ?

O’Rourke ne répond pas, mais observe Dante de manière insistante. Il garde le silence quelques instants. Dante sent se jouer en lui des sentiments contradictoires. Doit-il dévoiler les éléments d’une enquête ? Ou va-t-il cracher le morceau pour éviter que sa famille ne soit inquiétée ?

Si ce O’Rourke ne lui donne pas ce qu’il veut, il lui suffirait ; une fois arrivé au poste de flics, de passer un appel aux gars de la bande.

De guerre lasse, le flic lâche le morceau :

– On a reçu un appel anonyme d’un type juste avant que… enfin…

– O’Rourke, non ! lance le gamin.

– La ferme, Gariarty, ça ne te concerne pas…

– Qui ? demande Dante d’un ton froid.

– L’opératrice nous a signalé que l’appel venait d’un bar situé à l’angle de la 9ème Avenue et de la 49ème Rue.

Le truand hoche la tête sans pour autant montrer un signe évident qu’il connait parfaitement cet endroit.

– Okay, conclu Dante. Gariarty, allume-moi un clope.

Gariarty, dont l’incompréhension se lit sur son visage, interroge son supérieur du regard. O’Rourke hoche la tête en signe d’assentiment et remet le véhicule en marche. Gariarty extirpe un paquet de Lucky Strike de son uniforme, allume le clope et le fiche entre les lèvres de Dante. L’habitacle se rempli

aussitôt d’un nuage de fumée.

A mesure que la bagnole cahote sur la 8ème Avenue, Dante ne peut s’empêcher de remonter le fil de l’histoire jusqu’au moment où tout ceci avait commencé.

 

Il se remémore ce fameux passage dans la boutique d’O’Maley où tout avait commencé.

Le parfum du Partagas lui revenait en mémoire. Il était envoûtant, rond en bouche. Dante se souvenait d’avoir apprécié chaque bouffée, assis dans son Chesterfield préféré de l’arrière-boutique du cordonnier O’Maley.

Hell’s Kitchen, le quartier irlandais de New York, regorgeait de ces échoppes. Il avait choisi O’Maley, car il restait l’endroit le plus sûr pour discuter avec son patron, Rooney. Ce jour-là, il était impatient de partager son projet, et serein aussi sur l’issue de la discussion à venir. Rooney n’était pas un homme facile à manœuvrer, mais il savait reconnaître les enjeux et ce que cela pourrait rapporter.

Dante avait songé, tandis qu’il gardait en bouche la fumée, comment des culs terreux de latinos pouvaient confectionner d’aussi bons cigares, avant de recracher une volute épaisse qui avait emplit l’arrière-boutique dépourvue de fenêtres.

La porte s’était ouverte à la volée sur Rooney et avait laissé passer un rai de lumière agressif dans lequel s’était découpé la miteuse boutique d’O’Maley.

Rooney était grand, charpenté comme un docker, le visage anguleux marqué par les nombreux combats de boxe qui l’avaient amenés à une notoriété de brute. Ses poings étaient comme deux marteaux pilons.

Revêtu d’un manteau de pluie qui dissimulait mal sa stature, Rooney avait ôté son Borsalino et

était venu s’asseoir dans le Chesterfield qui faisait face à Dante.

Toujours un direct en réserve quelque part, Rooney avait asséné :

– Je n’ai pas beaucoup de temps à te consacrer Dante, alors viens-en au fait.

Dante lui avait exposé un plan échafaudé quatre mois auparavant. Il avait énuméré le nombre de commerçants sous le contrôle des macaronis, les secteurs, les perspectives que le mitage pouvait engendrer et les avantages qu’eux, ainsi que leur boss, pouvaient récolter sur une nouvelle extension de leur territoire. Et puis, pourquoi ne pas étendre leurs activités au trafic de cocaïne, c’était un marché encore plus lucratif que celui de l’alcool.

Rooney, impassible, avait écouté sans broncher.

Lorsque Dante eut terminé, Rooney avait lâché un soupir qu’il avait eut du mal à interpréter sur le coup.

– Dante… T’es quelqu’un d’ambitieux, et je dois avouer que c’est une qualité que j’apprécie chez toi, je respecte ça. Maintenant, je ne suis pas certain que le moment soit vraiment bien choisi, je m’explique.

Il s’était allumé un cigare avec le naturel de celui qui compte sur l’effet de surprise, et avait reprit :

– Les macaronis sont implantés dans le Queens depuis bientôt quatre générations. Ils contrôlent tout le district. Y a deux ans, une lutte entre Familles s’est soldée par la résurgence et le contrôle d’Al Capone de ce territoire. Les Familles irlandaises en nombre inférieur, n’ont pas eut d’autres choix que de chercher un terrain d’entente avec les macaronis. On mène le business chacun de son côté. Que ce soit pour les chinois, les hispaniques, enfin, tous logés à la même enseigne, tu vois le topo ? Alors, va pas imaginer que le premier p’tit gangster venu puisse réduire à néant le pacte que nos patrons ont passés entre eux.

Rooney s’était tut, puis avait recraché une longue bouffée de son cigare, attendant la réaction de son bras droit.

Après ce direct dans l’estomac, Dante se souvint de s’être presque étouffé, dépourvu tout à coup de voix. Mais jamais il n’aurait admis avoir perdu la face vis-à-vis de son boss.

Dans une tentative désespérée, il avait cependant tenté de garder le contrôle de ses émotions. Sur le moment, il se serait bien vu éclater la gueule de Rooney à coups de batte de baseball.

Une pensée avait jaillit de son esprit à cet instant :

Même avec une batte pourrais-je avoir l’avantage sur cette armoire à glace ? Le premier p’tit gangster venu… putain…

– Je…

Rooney avait coupé net la chique à Dante. Pour appuyer sa supériorité, le large buste de son patron s’était avancé dans sa direction.

– Prends-toi ceci pour dit, Dante. Ne viens pas foutre le bordel, sinon, tu sais comment j’m’occupe des p’tits connards qui foutent la merde dans mon quartier.

Une fois de plus, Dante avait failli s’étouffer avec la fumée du Partagas, dont l’arôme s’était mué en goût de chiottes. Il l’avait écrasé dans le cendrier sur pied qu’il tenait à proximité du Chesterfield. Ses mains tremblaient, ce qui n’avait pas échappé à Rooney.

– Détends-toi, Dante. T’es un bon élément. T’es rapide à agir, tu sais anticiper les situations critiques. J’ai besoin de toi maintenant et ici. Oublies ces conneries et occupes toi de nos affaires, avait-il dit.

Bien que se voulant rassurantes, les paroles de Rooney n’avaient pas eues l’effet escompté sur lui. Il s’était sentit dépossédé de toute crédibilité et fulminait de rage.

Rooney s’était levé, le cigare aux lèvres, un sourire figé de satisfaction peint sur sa bouille carrée et était sorti.

Dante n’avait pas décoléré lorsque son patron fut sortit. Il avait encore le souvenir d’avoir envoyé valdinguer le cendrier à l’autre bout de la pièce.

A cet instant précis, il s’était juré de se débarrasser de Rooney.

 

Cet épisode dans l’échoppe d’O’Maley avait été le déclencheur de la suite des événements. Dante s’en souvient parfaitement, maintenant que défilent les façades ternies par la grisaille de la nuit et des flots torrentiels qui inondent Hell’s Kitchen.

 

Ils avaient pour habitude de se rejoindre dans un petit motel miteux du New Jersey sur la route 182, à l’insu de Rooney, le mari d’Angela.

Après avoir fait l’amour, enroulés dans des draps encore humides de leurs ébats, elle s’était levée, nue. Son corps avait déambulé dans la chambre et avant de disparaître dans la salle de bains, elle lui avait jeté un regard par-dessus son épaule, comme pour signifier que la nuit n’était pas terminée. Lui, s’était allumé une Lucky Strike.

Le truand avait songé qu’il appréciait le côté coquin d’Angie, mais moins que la position qu’elle occupait. Etre la femme de Rooney représentait pour lui l’occasion inespérée de mettre enfin son plan à exécution. Depuis le passage de Rooney dans l’échoppe d’O’Maley il y avait bien réfléchi. Il avait tout élaboré dans les moindres détails.

– Que dirais-tu si on se mariait ? avait-il lancé à la pièce vide.

Un objet avait émit un son mat sur le sol de la salle de bains. Silence durant quelques instants, puis, la tête incrédule d’Angie était réapparue dans l’encadrement de la porte.

– Tu peux répéter ?

– Marions-nous. Qu’en dis-tu ?

– Pour… pour de vrai ?

Sur le moment, Dante s’était fait la réflexion qu’Angie était une gentille fille, mais difficile quand même de renier ses origines lorsqu’on était issu d’un Minnesota rural.

Il s’était souvenu d’avoir hoché la hoché la tête non sans une pointe d’amusement intérieur.

Angela avait traversé la pièce en courant et s’était précipitée, euphorique, à califourchon sur Dante. Elle le dominait l’espace d’un instant. Sa chevelure d’un noir de jais recouvrait ses épaules, et ses courbes pulpeuses oscillaient sous l’effet de la mollesse du matelas. Elle s’était emparée du clope à moitié consumé et avait tiré une longue bouffée. Dante, avait posé ses mains sur ses hanches, puis, s’était attardé à caresser le galbe de ses seins.

Une moue satisfaite avait étiré la bouche d’Angie lorsqu’elle avait demandé :

– Mais, que fais-tu de Rooney ?

Songeur, Dante, lui avait demandé :

– Dis-moi, Angie, es-tu heureuse avec lui ?

Elle s’était laissée tomber à côté de lui dans un soupir de découragement. Dante s’était dit que c’était vraiment trop facile avec elle.

– Tu sais comment il est… elle avait déglutit, un sanglot refoulé au fond de sa gorge. Il me fait peur…

Ses excès de colère peuvent être d’une telle violence… J’ai l’impression de n’être qu’un objet pour lui.

Il lui avait susurré des paroles douces, rassurantes. Elle, tremblante, était venue caler son visage dans son cou, pressant ses seins lourds contre son flanc. Il lui avait repris le clope et avait tiré une longue bouffée avant de l’écraser dans le cendrier.

– Je veux me marier avec toi, Angie. Je t’aime, et rien ni personne ne viendra se mettre en travers de mon chemin, avait-il déclaré le plus sérieusement du monde.

– Rooney n’acceptera jamais…

– J’y ai déjà songé Angie.

Elle s’était relevée, appuyée sur son coude, leurs visages se touchaient presque.

– Mais comment…?

Alors, il lui avait exposé son plan : elle devait se rendre dans le quartier, séduire un petit racketeur du nom de Mickey-les-mains-moites et le convaincre de se débarrasser de Rooney. C’était un coupable idéal, tout désigné pour reprendre la place du boss. Et eux, seraient totalement hors de cause. Si les flics venaient à l’interroger, elle n’aurait qu’à prétendre qu’il aurait agi seul.

– Séduire Mickey ? Et s’il refuse ? avait-elle rétorqué.

– Mon cœur, ne sous-estime pas ton pouvoir de persuasion.

– Et ce Mickey ? Pourquoi « les-mains-moites » d’ailleurs ?

– Je l’ai rencontré à plusieurs reprises dans le bar à l’angle de la 9ème Avenue, c’est un petit malfrat sans envergure, qui fait ce qu’on lui demande de faire, sans se poser trop de questions. On raconte dans le quartier qu’il tient son surnom du jour où il a dû remplir son premier contrat. C’était qu’un gamin à l’époque. Quand il s’est pointé pour buter ce type, McCarthy, il était tellement stressé que 

l’arme lui a glissé de la main, tellement elle était moite. D’où ce surnom dont il a été affublé par celui qui a finalement rempli le contrat.

– Et donc, tu penses qu’il fera l’affaire ? Mickey-les-mains-moites… ça m’a tout l’air d’un mauvais Walt Disney.

Il se souvient d’avoir rit à cette blague. Elle avait de l’humour, ça, il devait lui laisser.

Après ça, et alors que leurs corps s’enlaçaient à nouveau, Angie lui avait murmuré son nom à l’oreille jusqu’à ce qu’elle s’évade dans ses bras, emportée par un frisson de plaisir.

 

La voiture de police s’arrête devant le poste de flics. Gariarty pousse Dante hors du véhicule, et tandis que celui-ci monte les marches ; menotté, il ne peut s’empêcher de songer à l’erreur qu’il avait commise de confier cette mission à Angie.

 

Deux semaines s’étaient écoulées depuis que Dante et Angela avaient passés une partie de la journée au motel.

Il avait continué ses petites affaires pour Rooney et au bout du compte, s’était enquit auprès de sa maîtresse de l’avancée de leur affaire.

 

Le malfrat et la femme de son boss s’étaient assis sur un banc près de Bow Bridge, à l’abri d’éventuels regards indiscrets. Dante se sachant surveillé par Rooney, Central Park restait l’endroit idéal pour échapper aux espions de son patron.

Dante avait abandonné tout espoir de rester discret lorsqu’Angela était apparue au bout du pont,

vêtue de sa robe rouge qui mettait en valeur ses formes et qui attirait le regard des promeneurs.

Idiote, avait-il pensé.

Après avoir échangés un long baiser, Dante, plus intéressé par son business, lui avait demandé :

– Où en est notre affaire ?

D’un naturel plutôt optimiste, Angie se révélât être relativement angoissée ce jour-là. Elle lui avait expliqué sa rencontre avec Mickey-les-mains-moites, et la crainte qu’il lui avait inspiré. Elle l’avait dépeint comme un petit homme trapu, bâti tout en muscle, au regard froid d’où ne transpirait aucune émotion, tout l’inverse du type que Dante avait évoqué quelques jours auparavant.

Calculateur, ça il l’était, pour sûr, avait-elle relevé.

Selon Angela, elle l’avait aguiché, flattant ses qualités, son allure, son intelligence. Il s’était fallu peu de temps pour que ce petit homme se mue en un personnage extraverti, intéressé, presque attendrissant.

Dante l’avait interrogé du regard.

Se pouvait-il que l’homme qu’il avait croisé à plusieurs reprises au bar de la 9ème Avenue soit celui qu’Angela venait de décrire ?

Elle avait ajouté qu’après quelques jours de rencontres furtives, il en était même venu à être entreprenant. Elle lui avoua l’avoir embrassé.

Dante se souvenait d’avoir été satisfait, tout se mettait en place selon son plan. Il s’était fait la réflexion que bien qu’issu de la rue, Mickey n’aurait su résister aux charmes d’Angie, que beaucoup comparaient à Rita Hayworth. C’était une belle femme, attirante, et le fait que même un petit malfrat de l’envergure de Mickey succombe à ses avances ne l’étonnait qu’à moitié.

Ils en étaient restés là. Après avoir échangés un baiser passionné, chacun était reparti de son côté.

 

Dante gravit les marches rendues glissantes par les trombes d’eaux, encadré par Gariarty et O’Rourke. Il est conduit à l’intérieur, se fait présenter à l’officier de garde.

O’Rourke lance à l’officier :

– Du poisson frais, O’Leary, pris la main dans le sac sur Hell’s Kitchen. Il vient d’abattre Rooney.

L’autre, interloqué, demande à Dante de décliner son identité.

– Dante Maguire, trente-cinq ans, résidence Hill Rose, 245, 41ème Rue Ouest, New York.

Il évite la séance de prise d’empreintes digitales et la séance photos, il est déjà fiché. Alors, il est conduit en cellule où deux pochtrons somnolent, un malfrat dénommé Jack-n’a-qu’un-œil et un gamin du quartier qu’il lui semble déjà avoir vu quelque part, mais ne se souvient pas où.

La nuit va être longue, se dit Dante.

 

Des jours s’étaient écoulés sans que Dante ait entendu quoi que ce soit d’Angela. Il en était venu à se demander si elle avait disparu avec ce Mickey ou si ; par le plus grand des hasards, Rooney avait finalement découvert les manigances de son épouse. Dans l’incertitude, il avait pourtant pris son mal en patience.

La première entrevue avec Angela dans Central Park lui avait laissé un arrière-goût dans la bouche. Il savait Angie capable de convertir un cureton aux joies de la chair, mais s’était étonné de la facilité avec laquelle Mickey ; une petite frappe de quartier, s’était laissé attendrir par les charmes de la femme de son boss.

Angela avait repris contact pour faire le point de situation.

Cette fois, Dante avait réservé sa chambre au Lexington de la 48ème Park Avenue, dérogeant à l’habituel motel du New Jersey.

Lorsqu’il avait pénétré dans la chambre, la femme de son patron l’attendait, étendue sur le lit, une nuisette de satin noir pour seul habit, et un clope fiché entre ses lèvres charnues. Il l’avait embrassée et sans autre forme de politesse, l’avait interrogée.

Son état d’esprit s’était ; cette fois, révélé beaucoup plus loquace.

Elle lui apprit qu’elle avait revu Mickey à plusieurs reprises et qu’à chacune de leur entrevue, Mickey développait un sentiment vindicatif à l’encontre de Rooney. Il se voyait lui défoncer la gueule, insupporté par la manière dont Rooney la traitait. Angie avait alors bondi sur l’occasion pour lui demander de se débarrasser de son mari, argumentant que c’était là le seul moyen pour que leur amour puisse s’épanouir. Elle avait estimé que c’était le bon moment, qu’il était cuit à point.

Dante avait patiemment écouté le monologue de sa maîtresse et lui avait demandé :

– Tu as couché avec lui ?

Son visage cireux avait soudainement viré. De la peine avait figé son joli minois, une larme avait roulé sur sa joue et que Dante s’était empressé d’essuyer.

Elle avait hoché la tête, se cachant du regard de son amant, honteuse de son geste.

Le malfrat l’avait serrée dans ses bras, lui avait murmuré que c’était inévitable dans le déroulement du plan, et qu’elle avait parfaitement agi. Il était fier d’elle.

– Qu’est-ce qu’il a dit ?

– Il a accepté.

– T’a-t-il dit comment il comptait se charger de la besogne ?

– Il a simplement dit qu’il s’en occuperait.

Dante, habitué à être sur ses gardes, avait exigé d’Angela qu’elle cherche à savoir comment Mickey comptait s’y prendre, juste histoire de maîtriser la situation.

Elle l’avait compris et lui demanderait.

Dans un geste tendre, Dante avait écarté la bretelle de sa nuisette, dévoilant sa poitrine gonflée de désir. Il lui avait ensuite fait l’amour sur une cadence lancinante, déliant un cortège de mots rassurants, et le murmure de son prénom jusqu’à atteindre l’orgasme.

Depuis cette nuit au Lexington Hotel, il n’avait pas revu Angela.

 

Il s’assied sur le banc où somnolent déjà les deux poivrots, jouant des coudes pour avoir un peu plus de place. L’un grogne, tandis que l’autre se replie sur lui-même.

Affalé sur la planche dure comme du béton, Dante tente de remonter le fil des derniers évènements, et doit s’avouer qu’il ne sait pas à quel moment ça a merdé.

Tout était pourtant parfaitement millimétré. Angela avait suivi ses instructions, et Mickey, semblait-il, avait joué le jeu d’Angela, du moins, c’est ce qu’elle lui avait rapporté. Pourtant, quelque chose clochait dans tout ça.

Puis, il avait reçu ce soir un coup de fil pour le moins étrange de son patron. Il l’avait senti pressé, parlant par-dessus un brouhaha en fond sonore. Dante avait dû faire un effort pour comprendre la requête de Rooney. Mais en fin de compte, il avait compris que son boss exigeait de le retrouver sur le terrain vague dans l’heure.

Maintenant qu’il y repense, quelque chose n’avait pas collé dans le ton de sa voix, car malgré la cacophonie qui régnait d’où il l’appelait, ce qui lui avait semblé irrationnel, c’était l’intonation de sa voix. Ça n’était pas son boss qui l’avait appelé. Mais sur le moment, il n’avait pas relevé, trop pressé qu’il était de répondre aux attentes de son patron.

Le gamin crie dans son sommeil.

– Ta gueule le môme, braille Jack-n’a-qu’un-œil, lui mettant un coup de pied dans le tibia.

La bouille du gamin ; marquée par la saleté, émerge : yeux somnolant, cheveux en bataille. Et lorsqu’il fixe son regard sur Dante, c’est comme si on vient de lui filer un coup de chaise électrique. Il se fige contre les barreaux, la peur tordant son visage enfantin en un rictus. Il n’émet aucun son.

Interloqué, Dante se lève.

En s’approchant du môme, il se donne un air supérieur. Poitrine gonflée, bras sur les hanches.

– Qu’est-ce qui te prend petit ? On se connaît ?

Et là, le gamin se tourne vers le couloir, saisit les barreaux, et hurle à s’en fendre les poumons :

– Au secours, aidez-moi, i va m’tuer !

Aussitôt, un condé rapplique.

– Tu vas fermer ta gueule, gamin.

– S’il vous plaît m’sieur, ne m’laissez pas avec lui, i’ va m’tuer j’vous dit, dénonce le môme en désignant Dante.

– Qu’est-ce que tu m’chantes là ?

Le malfrat reste interdit.

– J’vous l’dit ! I’ va m’tuer…

Le flic interroge Dante du regard qui hausse les épaules dans un signe d’incompréhension.

– Bon, disons que j’ai rien entendu… alors, j’ai un conseil, gamin. Retourne bien gentiment t’asseoir dans ton coin, sinon, je crois que je pourrais transformer ta p’tite gueule de vaurien en bouillie pour chien. T’as compris ça ? braille le flic en faisant mine de tirer son gourdin du fourreau.

Il s’en retourne à son bureau, laissant derrière lui un gamin transit de peur que les larmes viennent évincer la crasse de son visage.

Il s’accroupit, pleurnichant, dans une position fœtale, adossé aux barreaux.

Dante, circonspect, se rapproche et chope le gamin par le col.

– Vas-tu me dire ce qui te prend, p’tit merdeux.

L’autre tressaute dans sa poigne, gémit parmi les sanglots.

– J’voulais pas m’sieur Maguire. Tout le monde vous connaît dans le quartier et vous respecte… j’voulais pas… j’lui avais dit pourtant, mais i m’a dit qu’c’était une blague entre vous… pas de quoi s’inquiéter…

– De quoi tu parles p’tit con ? rétorque Dante d’une voix tonitruante.

Le môme renifle… hoquète…

Le borgne se lève, se rapproche de l’altercation, et lance au gamin :

– Allez, morveux, crache le morceau, sinon, Dante va t’en coller une…

– Mickey ! Mickey, c’est lui qui m’a d’mandé de vous voler votre .38 la semaine dernière.

La gifle que reçoit à cet instant Dante est comme un direct de Rooney. En plein dans l’estomac… le 

souffle coupé, une angoisse soudaine qui lui enserre la poitrine. Il relâche sa prise sous l’effet du coup. Tout est tellement clair soudainement.

Putain… le salaud !

Le coup de fil, c’était donc lui… Le gamin… voilà où je l’avais vu. Le jour où je faisais ma tournée dans le quartier et que je me suis fait bousculer par une bande de gamins… Il avait mon arme… Il lui suffisait ensuite de passer deux appels, un pour moi se faisant passer pour Rooney et l’autre aux flics pour leur donner rendez-vous après qu’il ait accompli sa besogne.

Dante reconnaît tout à coup l’ironie de la situation. Mickey-les-mains-moites avait parfaitement joué le rôle qu’on lui avait attribué. Mais au lieu d’être pris dans le piège tendu par lui et Angela, c’était lui ; Mickey, qui s’était joué d’eux.

Le malfrat au costume italien se laisse tomber sur la planche où roupillent encore les deux poivrots.

– M’sieur Dante, ça va ? Vous z’avez pas l’air dans vot’ assiette, s’inquiète le borgne.

– Tout est foutu, Jack, tout est foutu…

 

FIN

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