Créé le: 15.07.2022
62 3 0
Manuel de savoir-lire

Nouvelle

a a a

© 2022-2025 a Cardinal de La Rapière

Comme le disait Céline : « Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. »
Reprendre la lecture

Le diable sait pourquoi j’ai choisi le train ! J’ai oublié les raisons qui ont fait pencher la balance. Et surtout, j’ai oublié d’emporter un livre. Incroyable ! Moi, le boulimique de bouquins, je me retrouve dans un wagon sans un seul volume à me placer sous les mirettes !

Et si je lisais les lignes de ma main… ? La droite, elle me racontera moins de salades. Voyons voir !

La ligne de chance. Je pars du bas et je la remonte. La chance… une idée si peu claire que j’ai besoin d’un guide-âne. Fortiche en calcul des probabilités, je donne ma langue au chat de Schrödinger si on me défie de définir la chance. Le dictionnaire est un cimetière. Il est hanté par des revenants que nous pouvons nommer. Oui, les noms gravés sur la pierre, nous les connaissons bien, ils nous paraissent familiers… Mais les fantômes qui les portent, que savons-nous d’eux ? D’une vision floue au regard filou, l’illusion règne.

En suivant la ligne de chance, j’arrive à l’endroit où la ligne de coeur la coupe. Un sphinx m’y attend. Un sphinx grec, je précise. Rien à voir avec celui de Gizeh ! Mon sphinx a le nez de Maria Callas. Il me pose une première énigme : « De quoi l’amour est-il une chance ? » Trop facile, même pour un pithécanthrope de mon acabit, si peu doué pour le concubinage ! Je réponds : « L’amour est une chance d’en sortir avec une âme enrichie. » Le sphinx rend son verdict : « Réponse acceptable, mais de justesse. Seconde énigme : de quoi l’amour est-il une malchance ? » Vérole ! Ce monstre veut casser l’ambiance. Pitoyable question ! Je refuse d’agiter la menteuse pour composer une formule d’impolitesse. Mon hors-jeu rend le sphinx maboul. Il se jette par la fenêtre. « È pericoloso sporgersi ». Heureusement que la Callas a des ailes, le train file à 200 km/h !

Mes yeux reviennent se promener sur ma ligne de chance. Voici qu’elle croise la ligne de tête ! Au carrefour, le gendarme Gödel m’arrête et veut me conduire en prison.

« Pas de chance d’avoir des cellules grises qui carburent à fond ! me dit-il. Les penseurs indécidables, les poètes de l’incomplétude, les marins de l’hypothèse, on les enferme au château d’If. Comploter contre le devoir d’affirmer sans preuve, c’est le crime suprême en régime parlementaire. »

Ce Gödel use d’une rhétorique apprise dans les cahiers de Goebbels. Je lui brûle la politesse en brûlant le feu rouge et je fonce sur la ligne de chance jusqu’au bord du lac Majeur.

Je me jette dans l’eau, je la rame, je la godille, je la sabre, histoire de passer le temps. Hélas, dans ma fougue, je passe aussi la frontière. Or, si la flotte suisse consent à mon désir lubrique, la flotte ritale ressent ma baignade comme un viol et largue un #metoo sur les ondes lacustres.

Je reprends le train sous la garde mercenaire d’un contrôleur qui s’ingénie à me consteller de piercings au moyen d’une poinçonneuse à main, sortie d’un musée des transports. Chaque trou lui permet de m’accrocher une étiquette. Voilà qui offre un peu de lecture aux passagers.

« Cerveau qui déraille » annonce l’étiquette pendue à mon oreille gauche. Mon pif éternue un « mauvais sujet ». Et ma lèvre inférieure bave une « langue inconvenante ».

Le train pique vers Rome. Je prépare ma défense. Mon seul espoir est d’obtenir du Pape une indulgence. Je ne pensais pas qu’il était si dangereux de voyager sans livre.

Commentaires (3)

Webstory
01.06.2024

Après le Manuel de savoir-lire, passer directement à Brouillon, sorte de manuel de savoir-écrire de Cardinal de La Rapière

Webstory
31.01.2024

Note de l'Encyclowebstory: le personnage gendarme Gödel: pas trouvé.

Cardinal de La Rapière
01.02.2024

Le gendarme Gödel appartient à la police de la logique. En 1947, il avait trouvé une incohérence dans la constitution américaine. Aujourd'hui nous savons que la constitution américaine est non seulement incohérente, mais fort délirante. Pas autant toutefois que la constitution française...

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire