Créé le: 22.06.2021
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L’Oeil de Salem

Fantastique, Horreur, Nouvelle

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© 2021-2025 a Kurt Fidlers

Salem, terre damnée. Souillée à la suite de la chasse aux sorcières menée par le pasteur Samuel Parris. Dix ans plus tard, de nouvelles superstitions apparaissent.
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Ormes, bouleaux jaunes, érables, épinettes noires ou encore pins. La forêt de Salem est très ancienne. Si ancienne, qu’avant l’arrivée des Premiers pèlerins, cette terre était foulée par les Indiens Massachusetts. Chassés, exterminés, morts des maladies apportées par les colons, il ne subsiste des tribus qu’un souvenir. Seule la forêt se souvient d’eux et de leur magie.

Lorsque le vent côtier s’immisce entre les ramures des géants séculaires, les sons polyphoniques qui s’en dégagent sont si désespérants que l’on croit assister à la veillée funèbre d’un ancien rite païen. Et aux prémices de l’hiver, sur les branches décharnées, se posent des corbeaux qui nous observent, l’œil rond et noir. Un présage funeste selon les gens d’ici.

Les signes sont là : la terre qui ne produit plus comme jadis, l’arrivée prématurée du gel, ou encore, la naissance d’un veau albinos aux yeux rouges à la ferme McGregor. Tout est prétexte à alimenter les superstitions.

Nos parents se souviennent des sorcières pendues à Proctor’s Ledge dont le sang souille la terre de Salem. Ils se sentent jugés, observés. La présence des corbeaux, ces messagers de la colère divine pour certains, en témoigne. Pour d’autres, tant que nous n’aurons pas expiés nos péchés, nous ne serons jamais en paix.

Moi, Samuel Jr. Parris, du haut de mes quatorze ans, je suis comme eux. J’ai peur. Alors, le soir venu, je prie pour mon salut. Pour qu’enfin, Dieu me prenne en pitié. Je Lui demande pardon. Même si, parfois, j’ai la conviction qu’Il ne m’entend pas, je sens pourtant Son Œil fixé sur moi. Et tandis que le village s’éteint de sa petite mort, j’entends le croassement qui déchire le silence de la nuit et brise le voile entre notre monde et celui, invisible, des choses qui peuplent la forêt.

Je sursaute, tremblant. La peur m’étreint si profondément que dans le bruit infernal des oiseaux s’élève une voix. Caverneuse, grave. Elle provient de l’ombre de ma chambre. Une forme fantomatique bouge. Tapie dans les ténèbres, elle attend l’instant où tous sont endormis pour me réduire à sa merci. Le rideau entre nos mondes s’est dissipé. La forme s’approche de mon visage paralysé, tend une main grêle qui laisse deviner ses os blanchis, et me possède sans que je puisse me soustraire à son emprise. Elle me guide hors de la maison, dans le froid glacial de la nuit. Je suis le pantin du spectre de Bridget Bishop, revenue d’entre les morts pour venger ceux qui furent pendus en 1692.

Je suis entré dans les bois et j’y suis mort.

 

Samuel Parris est réveillé aux aurores par un fermier du nom de Warren. Ce dernier l’emmène dans la forêt où le pasteur y découvre son jeune fils pendu à un arbre portant les stigmates de signes cabalistiques.

Une partie des villageois est là, tétanisée. Malgré l’effroyable découverte, le pasteur contient son trouble et déclare :

— Le procès mené il y a dix ans n’était qu’un début, il reste parmi nous des âmes possédées par le Malin qu’il faut exorciser, pour qu’enfin notre communauté retrouve la paix du Christ.

— Amen, répondent-ils tous en chœur.

 

FIN

Commentaires (2)

Kurt Fidlers
03.07.2021

Merci Eloïz pour cet excellent commentaire, ravi que ça t'ait plu !

Eloïz
03.07.2021

Compact et prenant, bravo pour ce texte! Je retrouve ce paysage de forêt primordiale que tu as décrit dans d'autres nouvelles. Et la fin bien grinçante fait plaisir!

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