Les 3 policiers piétinent dans leurs enquêtes en Italie, en valais et à Fribourg. Les séquestrés cherchent en vain un moyen de s'évader.
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Hanspeter étouffa un juron : internet venait de lâcher encore une fois. Cela faisait deux fois cette semaine qu’une panne du serveur venait rappeler la dépendance que nombre d’individus et une quantité de professions entretenaient à l’égard de ce formidable moyen de communication et d’information. Il n’avait pas avancé d’un iota sur cette enquête partagée avec ses collègues valaisans et italiens. S’il avait le temps, il tâcherait d’appeler Lucien à Sion pour savoir s’il avait du nouveau et bêtement pour papoter et réfléchir à haute voix sur les maigres éléments dont ils disposaient déjà.

 

Les derniers jours n’avaient pas été de tout repos : les attentats terroristes en France avaient relevé le degré de vigilance au niveau fédéral et chez toutes les polices cantonales.

Des filatures et des surveillances électroniques d’individus suspects avaient été décidées partout dans le pays. Mais cette mobilisation avait aussi son revers : la petite délinquance habituelle était parfois négligée et les enquêtes concernant des agressions, des cambriolages, le trafic de stupéfiants et la criminalité économique pâtissaient du manque d’effectifs et de disponibilité des forces de police.

 

Le temps d’un café, internet fonctionnait à nouveau. Hanspeter reprit son rapport sur l’affaire qui l’avait occupée ces trois derniers jours. Une jeune homme de 19 ans avait été arrêté à la gare de Fribourg en possession d’un Fass 90, le fusil règlementaire en dotation dans l’armée suisse et que tous les citoyens soldats gardent à la maison comme le veut la tradition helvétique. Jusque là, rien de bien particulier étant donné le nombre de suisses qui se promènent avec cette arme soit pour les tirs obligatoires annuels soit pour entrer en service, à l’école de recrues de 4 mois ou aux fameux « cours de répétition « de 3 semaines que chaque militaire doit accomplir jusque vers 32 ans pour les soldats, quelques années de plus pour les officiers. A cela s’ajoutait, depuis quelques années, le service long qui permet aux jeunes conscrits de choisir d’accomplir toutes leurs obligations militaires d’une seule traite pendant une période de 12 mois.

 

Ce qui était nettement plus inquiétant dans cette affaire, c’est que le jeune homme appréhendé avait laissé tomber un sac qui s’était ouvert en pleine gare avec 5 chargeurs garnis. Il était en possession d’un billet de train pour Genève, d’un plan des bâtiments de l’ONU dans cette ville et de pamphlets proagandistes appelant au jihad. Deux gendarmes en patrouille dans la gare avaient immédiatement identifié le contenu du sac et procédé à l’arrestation du jeune homme.

 

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, le jeune en question n’était issu ni de l’immigration ni d’une famille musulmane. C’était le troisième enfant d’une famille genevoise établie à Fribourg, de confession catholique, tendance traditionaliste. Après 2 jours d’interrogatoires, Hanspeter arrivait mieux à cerner la personnalité de ce candidat terroriste. Il affichait un curieux mélange de puritanisme forcené, issu des valeurs familiales, qui condamnait sans ambiguité la coupable tolérance de notre société face à l’homosexualité, à l’interruption de grossesse, à l’alcool, à la fumée et à d’autres comportements considérés comme des tares diaboliques, mais à tout cela s’ajoutaient une addiction et une fascination morbide pour tous les jeux électroniques ultra violents dont sont friands un certain nombre d’adolescents et quelques adultes qui ont mal grandi.

 

Les jeux ne lui suffisant plus, il avait commencé par chercher de « vraies » images, atroces et ultra violentes, diffusées par les groupes jihadistes. Par la suite, le discours de ces fanatiques qui promettent un sens à la vie et même une épouse soumise qui serait là pour le réconforter avait fait mouche chez ce jeune homme solitaire. Il croyait désormais en sa mission qui consistait à sauver le monde de toutes les turpitudes des mécréants que nous sommes et des musulmans modérés qui nous ressemblent. Il s’était donc arrangé pour prendre contact avec des recruteurs qui lui avaient demandé, comme preuve de sa sincérité, d’accomplir un acte de guerre « sainte », en lui donnant pour cible une des officines de l’ONU à Genève.

 

Quel gâchis ! se dit Hanspeter. Encore heureux qu’il ait eu la maladresse de laisser tomber son sac. Au moins, il n’aura pas de morts sur la conscience et aura une petite chance de se reconstruire pendant les années de détention et de thérapies qui l’attendent. Mais comment peuvent-ils en arriver là ? A la limite, un jeune issu de l’immigration, qui vit dans une grande banlieue française, qui a décroché de l’école et plongé dans toutes sortes de petits délits pourrait éventuellement voir une porte de sortie à son avenir bouché dans le discours mensonger et

enjôleurs de ces terroristes qui trahissent leur religion. Mais un jeune homme qui a fini un apprentissage d’employé de commerce, qui a un job, certes monotone, mais tout à fait convenable dans une entreprise de la place, une famille aimante et jusqu’il y a peu, des copains d’enfance, comment peut-il en arriver là ?

 

Le policier n’avait pas de réponse et, dans l’immédiat, cette affaire se résumait à un rapport circonstancié qui allait aboutir chez le juge et à un souci de moins pour Hanspeter. Le policier n’avait guère le temps de se torturer avec ces interrogations :  Il venait d’apprendre que trois cambriolages chez des personnes âgées et une agression à la sortie d’une boîte allaient occuper la journée de toute l’équipe de policiers encore disponibles. Le coup de fil à Lucien serait pour demain, ou plus tard.

 

******

 

Il était tard, Lucien claqua la portière de la voiture et se dépécha de rentrer. Malgré le climat valaisan qui d’habitude, préserve cette région bénie des dieux du brouillard qui envahit le plateau suisse en cette saison, cet automne était exécrable. Depuis la fin des vendanges, le temps oscillait entre averses généreuses et crachin, rendant le terrain spongieux, les routes glissantes et les humeurs maussades. Les finances publiques n’affichaient pas non plus une météo prometteuse et l’heure était aux coupes budgétaires dans la fonction publique. Les classes se surpeuplaient, les temps d’attente aux urgences hospitalières s’allongeaient et les policiers, pas épargnés non plus, devaient tenter de répondre à toutes les demandes quitte à bâcler certaines enquêtes.

 

Tout récemment, Lucien s’était occupé de plusieurs cas d’agressions de mineurs ou de personnes âgées qui se faisaient proprement tabasser avant d’être délestés de leur porte-monnaie et téléphone portable, à chaque fois, par deux ou trois agresseurs masqués. Par deux fois, des personnes agressées s’étaient défendues et étaient parvenues à arracher la cagoule de l’un des malfrats, mais la nuit ajoutée au traumatisme faisaient qu’il leur était difficile de le décrire. Un petit tatouage d’un serpent sur le cou avait toutefois pu être décrit avec précision par deux victimes. Trois fois, certaines jeunes filles avaient subi, en plus du vol, des attouchements forcés pour deux d’entre elles et un viol pour la dernière.

 

Lucien avait en horreur la violence et s’était impliqué à fond pour retrouver les auteurs de ces actes. Quelques plaintes pour cambriolages dans des résidences secondaires restaient pendantes et attendraient que quelqu’un ait le temps de s’en occuper. Même si le code pénal semble parfois mieux protéger les biens que les personnes, Lucien et ses collègues avaient comme priorité de résoudre d’abord les affaires impliquant de la violence et des atteintes aux personnes. Il regrettait parfois de ne pas avoir de formation économique ou juridique plus poussée pour intégrer la brigade qui s’occupait des crimes économiques, moins pourvoyeurs d’émotions négatives, de stress et moins générateurs de dangers immédiats.

 

Cependant, son instinct d’enquêteur, sa pugnacité, sa curiosité et son sens de la justice en faisait un très bon flic de terrain qui se serait vite ennuyé à passer son temps devant des ordinateurs et des listings bancaires.

 

Dans l’enquête qui venait de l’occuper, ils avaient pu, grâce aux témoignages de deux victimes,

identifier un des agresseurs qui niait tout en bloc et refusait de dire un mot. Une perquisition et un examen serré de ses contacts téléphoniques et de ses réseaux sociaux avaient permis de remonter jusqu’aux quatre autres comparses. Les cinq agresseurs en série avaient entre 18 et 30 ans. Il y avait là un albanais arrivé en Suisse 5 ans plus tôt, un portugais de la deuxième génération et trois suisses : deux valaisans pur sucre et un genevois. Il y avait là, finalement, un bon échantillon de la population du canton. Il se dit que la vie de ces 5 jeunes gens seraient fortement hypothéquée en termes de réussite professionnelle et familiale quand ils sortiraient d’une détention certainement assez longue, du moins l’espérait-il.  En effet, la vie quotidienne de leurs victimes serait chamboulée à long terme par les séquelles physiques et psychiques de l’agression. Lucien estimait donc que ces petits cons n’auraient que ce qu’ils méritaient en écopant d’une longue peine privative de liberté.

 

Dans ces moments creux, et souvent en dehors de ses heures de travail, Lucien avait continué ses recherches sur les trois disparitions, les deux meurtres et la tentative de meurtre qu’il investiguait en commun avec ses collègues fribourgeois et italien. Malgré tous ses efforts, il en était au même point : la seule concordance restait cet identique et mytérieux messages retrouvé sur les lieux des crimes ainsi que le voyage commun des victimes aux Baléares le 14 février 2015. Il pensa à appeler ses collègues mais dans quel but ? Pour se lamenter et constater ensemble que leur enquête se trouvait dans une impasse ? finalement, autant garder sa déception pour lui et attendre des nouvelles.

 

******

 

Luca attendait depuis deux heures sur une petite route forestière , quelque part entre Santa Marguerita Ligure et Porto Fino. On l’avait appelé en renfort, dans le cadre d’une enquête de la brigade des stupéfiants de Gênes. Il surveillait de loin la villa d’un promoteur immobilier de la région, d’origine napolitaine, que l’on soupçonnait depuis longtemps de tremper dans le trafic de stupéfiants et d’êtres humains.

 

Par l’intermédiaires de plusieurs sociétés écrans, il s’était avéré qu’il contrôlait plusieurs maisons closes de Gênes et de Turin dans laquelle officiaient des jeunes filles des pays de l’est, principalement des bulgares et des roumaines, appâtées par des annonces alléchantes  de carrières prometteuses dans le mannequinat, la danse et les spectacles de cabaret. On se doutait également qu’il fût impliqué dans le trafic de stupéfiants en provenance de Colombie et livrés au port de Gênes par des cargos transportant des bananes et de l’huile de palme. Les policiers transalpins avaient suffisamment de preuves pour procéder à l’arrestation de deux lieutenants de cet homme qui semblait occuper un poste important dans l’une des familles mafieuse de la N’drangheta. Le gérant des bordels turinois avait été formellement identifié par l’une des prostituées ayant réussi à s’échapper, comme l’organisateur des filières clandestines qui amenaient les filles en Italie ainsi que comme le meurtrier de deux jeunes roumaines qui avaient tenté de s’enfuir. De même, il avait été prouvé, photos et témoignages à l’appui, qu’un grossiste en denrées alimentaires réceptionnait et dispatchait la drogue à son arrivée à Gênes.

 

Il manquait cependant la tête de l’organisation et la police attendait une occasion. Celle-ci s’était présentée par le biais de deux informateurs infiltrés qui avaient fourni la date et le lieu de la livraison, en liquide, des bénéfices des derniers trois mois, tant par le grossiste gênois que par le proxénète turinois. Celle-ci aurait lieu dans une villa cossue sur les hauts de Porto-Fino, dans une propriété accessible par une seule route et par la mer en empruntant un petit funiculaire dissimulé par la végétation. Comme la rencontre serait certainement hyper protégée et que le nombre de porte-flingues maffieux au kilomètre carré devrait avoisinner la cinquantaine, les forces de police avaient tout prévu : observateurs sur le terrain et dans le ciel, forces spéciales des carabiniers héliportées prêtes à moins de 5 minutes de vol, barrages prévus sur les routes d’accès dès que tous les poissons seraient dans la nasse.

 

Luca devait se contenter d’observer la villa à la jumelle, de décrire et compter les véhicules qui s’y s’y parquaient et le nombre de personnes qui en sortiraient en tâchant de les identifier, du moins pour celles dont il avait la photo. Un autre de ses collègues remplissait la même tâche en s’attachant, lui, aux bateaux qui s’arrêteraient en contrebas de la propriété.

 

Vers 17 h., il repéra le dernier suspect attendu, à savoir le grossiste génois accompagné de trois accolytes. Il transmit l’information et entendit quelques trois minutes plus tard le vrombissement des hélicoptères des carabiniers.

 

L’assaut fut de courte durée : seuls quelques gardes placés à l’extérieur de la maison ouvrirent le feu contre les hélicoptères mais furent neutralisés par les tireurs d’élite avant même que les engins ne se posent. La villa fut investie rapidement, non sans quelques vélléités de résistance de la part des gardes du corps qui tentèrent, à leurs dépens, de résister aux policiers. Quinze minutes après son dernier message, tout était bouclé et les truands sortaient de la villa menottes aux poings, encadrés par les carabiniers et des policiers en civil qui les avaient rejoints par la route.

 

Luca reçut par radio son autorisation de lever le camp et de reprendre le cours normal de son travail. Pendant sa planque, il avait reçu un message de son collègue de piquet l’informant qu’il devrait rappeler, dès son retour, l’hôpital où l’épouse du dotttore Michellod était jusqu’à plus ample informé encore dans le coma. Il appréhendait de passer cet appel, craignant que celui-ci ne soit la confirmation de ses craintes, à savoir le décès de cette patiente.

 

Or, quelle ne fut pas sa surprise quand on lui annonça que la signora Ornella Michellod venait de sortir du coma, encore faible, mais consciente et sans que son pronostic vital ne soit désormais engagé. Il demanda quand il pourrait lui parler et le médecin lui conseilla d’attendre le lendemain matin, le temps qu’elle recouvre vraiment sa lucidité et peut-être la mémoire des évènements qui l’avaient conduit là où elle était.

 

Ses jours n’étaient plus en danger. L’opération avait bien réussi et la balle avait pu être extraite. Par contre, le poumon gauche avait été sérieusement touché et la jeune femme perdrait à coup sûr une partie de sa capacité respiratoire.

 

Le lendemain à huit heures, il était à l’hôpital et trouva la jeune femme pâle et peu vaillante mais lucide et présente. Son témoignage n’apporta rien de nouveau: tout ce dont elle se souvenait était d’avoir pris congé de son amie, de s’être installée dans un transat avec un livre et d’avoir ressenti presque immédiatement une violente douleur à la poitrine, juste après avoir entendu une détonation très proche à son avis. Elle avait été très affectée par la disparition de Pierre et pensait qu’il pouvait s’agir d’un acte de vengeance soit des mafieux locaux soit d’une organisation d’extrême droite que l’engagement de son mari auprès des migrants dérangeait. Seule sa famille proche, qui se résumait à son frère et à ses parents vivant tous les trois en Suisse, fut mise au courant de l’état d’Ornella. La police estimait que le fait que le ou les assassins la croient morte était une précaution nécessaire, du moins pour les prochains jours..

 

Elle ne put donc, malheureusement, lui donner aucune autre indication supplémentaire que son dernier souvenir. Il la mit au courant des autres meurtres et disparitions ainsi que du seul point commun reliant ces trois affaires, le voyage aux Baléares. Mais là non plus, rien ne permit de faire avancer l’enquête : les seuls souvenirs de ces vacances étant un voyage sans incident et un séjour dont les seuls réminiscences étaient heureuses, à savoir la découverte de la ville de Palma et l’insouciance heureuse de vacances balnéaires en amoureux avec son mari. Elle s’inquiéta pour Pierre et Luca lui assura qu’il mettrait tout en œuvre pour le retrouver mais dut aussi reconnaître que pour l’instant, il n’avait aucune autre piste que ce voyage, toutes les hypothèses impliquant la maffia locale ou les exploiteurs d’immigrés n’ayant abouti à aucune conclusion probante.

 

Plus tard dans la journée, il reçut un appel d’un ancien collègue français de Menton, à qui il avait demandé de lui signaler tout ce qui pourrait avoir un lien avec un vol Lyon-Palma. Ce derrnier, ancien pilote d’Air France, suivait de près par intérêt personnel, tout ce qui concernait l’aviation civile et c’est aussi pour cette raison que Luca l’avait contacté.

 

–       Salut Luca, alors comment va l’Italie ?

 

–       Comme la France mon ami, on survit. Tu m’as appelé ?

 

–       Oui. Je ne sais pas si ça peut te servir à quelque chose mais je viens d’apprendre qu’un détenu de Lyon vient d’avouer avoir mis une bombe dans un vol Lyon-Palma. Il se nomme Jean-Marie Chanfêlé. Il était bagagiste à l’ aéroport de Lyon. Il est en taule pour des vols répétés dans des bagages en transit ou déposés aux consignes. C’est encore confidentiel mais ça va être rendu public d’ici peu et ça promet des suites juridiques compliquées.

 

–       Mais qu’est-ce que ça à voir avec une bombe ?

 

–       Attends, j’y viens. Ce mec avait fait son service militaire dans le génie. Il connaissait et maniait très bien les explosifs. Donc, il avait les capacités de faire une bombe et l’opportunité d’en déposer une. Il a avoué ça après avoir perdu sa femme qui a été fauchée sur un passage piétons. Il a dit que sa vie n’avait plus de sens et qu’il voulait libérer sa conscience. Il a donné assez de détails techniques pour que ça soit plausible.

 

–       Quel con , mais quel salaud aussi !

 

–        Je ne te le fais pas dire. Il a expliqué qu’il a voulu se venger du pilote commandant de bord de l’avion qui avait dragué sa femme alors qu’elle travaillait dans un commerce de la zone hors-taxe de l’aéroport. Ils se voyaient dans une chambre d’hôtel des environs, entre deux vols. Le gars en a été informé. Il n’avait rien dit à sa femme mais a préparé une bombe pour se débarasser de l’amant.

 

On nage en plein Vaudeville et ça pourrait presque être comique si ça n’avait pas coûté la vie à 160 innocents ! Donc, on pourrait éventuellement laisser tomber l’épithète salaud s’il s’était contenté de liquider l’amant de sa femme : il y en a qui prennent ça pour de la légitime défense. On pourrait donc à la rigueur le comprendre et ne garder que la qualification de con. Mais dégommer tous ces passagers en même temps, là, tu as raison, c’est un égocentrique de la pire espèèce, autrement dit un beau salopard !

 

–       Effectivement …che stronzo… !

 

–       Je te dis, il y a différentes sortes de meurtriers : les fanatiques qui font dans le meurtre de masse et qu’on pourrait presque placer dans la deuxième catégorie : les cons, les psychopathes, les innommables qui tuent aussi pour du fric. Il y a les meutriers par jalousie ou passion amoureuse ou par goût du lucre. Enfin, il y a les obéissants, ceux qui tuent parce qu’on leur a dit de le faire où tu pourrais placer les soldats des dictateurs et les portes flingues des mafieux et autres truands.

 

–       C’est à peu près ce que je pense aussi. Cela dit, je te remercie pour l’info. Je vais voir si je peux en tirer quelque chose. Merci aussi pour le cours accéléré d’insultes françaises. Et toi, tout va bien ?

 

–       Oui. Le boulot, je ne te fais pas un dessin. Je suis toujours à la brigade criminelle et on ne chôme pas. Autrement, je vole toujours un peu quand j’ai le temps et parfois j’emmène des touristes survoler la région, ça arrondit un peu les fins de mois. Ma femme travaille toujours à la préfecture comme secrétaire et nos enfants sont en formation à Marseilles et Montpellier. Et toi, toujours pas marié ?

 

–       Pas le temps, mais qui sait… J’aurai peut-être une bonne nouvelle à ton prochain coup de fil . Il faut que je bosse. Je te laisse. Au plaisir de te revoir

 

–       Salut mon rital préféré.

 

Luca raccrocha et fouilla fiévreusement ses notes sur l’affaire Michellod. Le vol des trois victimes avait eu lieu le 14 février 2015 alors que le crash était survenu le 15 février 2014 . Ce n’était pas la même date, donc l’information  semblait inutile. Il les nota néanmoins brièvement sur son carnet de note : 15.02.14 et 14.02.15. En regardant les chiffres qu’il venait de coucher sur le papier, il se fit la réflexion que c’étaient exactement les mêmes mais simplement disposés dans un ordre différent. Est-ce que par miracle cette coincidence serait utilisable ? Demain, il appellerait Lucien et Hanspeter pour en parler.

 

******

 

 

Jean-Rodolphe était en tournée depuis deux jours. Il avait profité de son passage à Grenoble pour faire le plein de médicaments dans une pharmacie : des anxyolitiques et des combinés de vitamines qu’il prenait régulièrement à doses importantes depuis trois ans et que le médecin lui avait prescrit une première fois après la mort de son épouse ainsi que des médicaments d’usage courant pour ses trois prisonniers : Ce dernier achat lui semblait inutile puisque la souffrance était source de rédemption et que les maux de tête, de ventre et autres petits bobos des trois captifs lui apparaissaient d’une futilité totale. Mais il avait promis à ses « invités » d’accéder à tous leurs désirs, excepté bien sûr la liberté puisque qu’il ne la leur accorderait que sous forme de vie éternelle à l’issue des deux ans passés à tenter d’expier leur faute. Il se félicitait d’avoir subitilisé à son médecin un carnet d’ordonnances et s’arrangeait toujours pour changer de pharmacie afin d’éviter les questions. La signature elle, était parfaitement imitée et, depuis le temps, les employés de la sécu et de sa mutuelle ne devaient plus vraiment y prêter attention.

 

Il rentra ensuite dans son hôtel pour faire la comptabilité des ventes du jour qu’il devait transmettre quotidiennement à son employeur. Aujourd’hui, il avait démarché une vingtaine d’établissements publics et réussi à convaincre six d’entre eux de changer de fournisseur de café. C’était une bonne journée. Il décida donc, après un petit benedicite qu’il faisait toujours avant de gagner la salle à manger, de s’offrir, en rentrant du repas, une soirée télévision accompagnée d’un cognac pris dans le minibar.

 

Il lui restait encore dix minutes à peine de journal télévisé avant de retrouver son émission favorite sur une chaîne évangélique que par miracle il pouvait capter dans cet hôtel trois étoiles de la banlieue grenobloise.

 

Un mot, « Palma » attira son attention et il monta le son. Il apprit avec effarement qu’un détenu  de la prison de Corbas à Lyon venait d’avouer avoir posé une bombe dans le vol Lyon-Palma du 15 février 2014. Bien qu’abasourdi par la nouvelle, il prit le temps de noter le nom de celui qui  apparemment se repentait d’avoir perpétré ce crime : Oscar Chanfêlé. Les autres, ses prisonniers, devaient attendre encore avant de mourir d’ici quelques mois, Ce serait le juste châtiment pour avoir pris la place de ses proches. Mais celui-là, cet Oskar au nom bizarre, il fallait qu’il rende compte tout de suite de son forfait.

 

Il ne trouva pas le sommeil cette nuit, réfléchissant à la meilleure manière de le punir sans se faire prendre.

 

Le lendemain matin, il chercha sur internet les horaires et les réglements de visite à la prison de Lyon-Corbas. Il se rendit assez vite compte qu’il serait trop difficile, avec tous les contrôles, de se faire passer pour quelqu’un de la famille. En plus il fallait prendre rendez-vous, présenter des papiers d’identité, se laisser fouiller. Non, toute celà était trop compliqué et trop risqué même s’il aurait vraiment voulu regarder cet asassin droit dans les yeux. Par contre, il y avait la possibilité d’envoyer des colis. La seule denrée utilisable était le chocolat. Le colis serait ouvert, mais personne n’allait analyser le chocolat avant de le remettre au destinataire. Et avec une petite seringue, il pouvait y mettre ce qu’il fallait pour que cet homme souffre et paie son crime.

 

Il prit donc contact avec la prison, donna une identité bidon, dit qu’il avait entendu parler de ce détenu aux informations et demanda s’il pouvait envoyer un colis contenant des textes bibliques ainsi que quelques douceurs, histoire de lui faire savoir que des gens à l’extérieur se souciait de sa rédemption. On lui accorda cette permission sans trop de difficultés si ce n’est une vérification de son identité. Mais comme il avait donné l’adresse d’un membre de l’église évangélique qu’il fréquentait à Valence et qu’ il savait en mission en Amérique du Sud pour plusieurs mois, il  y avait fort à parier que les autorités pénitentiaires, surchargés comme comme elles étaient, ne feraient que vérifier l’existence de la personne sans prendre directement contact avec elle.

 

Le lendemain, Jean-Rodolphe postait son colis à la poste de Bourg-de-Péages. Trois jours plus tard à la prison de Lyon-Corbas, le détenu Oscar Chanfêlé recevait son colis. Une heure plus tard, il s’écroulait raide mort après avoir ingurgité un chocolat aux amandes assaisonné au cyanure.

 

******

 

Alicia avait proposé d’écrire plusieurs messages très simples avec leurs trois noms et un appel au secours, une description de leurs geôliers et de l’endroit, puis de les glisser dans des bouteilles de PET ou de verre qu’ils mettraient dans les poubelles que Yann débarassait régulièrement. Comme il était nettement moins futé que son oncle, il y avait de fortes chances qu’il ne vérifie pas le contenu des sacs à ordure avant de les apporter à la déchetterie la plus proche, en l’occurrence celle de Chabeuil, ce que les trois prisonniers ignoraient. Et avec encore plus de chance, il y aurait peut-être quelqu’un à la fibre écologiste pour extraire des sacs d’ordure ce PET et ce verre qui n’avaient rien à y faire. Il faudrait ajouter encore un bon coup de pouce de Mère Providence pour que la même personne s’aperçoive que ces contenants abritaient du papier qui ne se recyclait pas avec ces récipients. Enfin, il fallait prier pour que les messages soient lus par quelqu’un. Il y avait beaucoup de risques pour cette tentative soit vaine, mais dans l’immédiat, c’était ce qui apparaissait le moins risqué, Yann, tout comme son oncle, ne se séparant jamais d’une arme quand il était en présence de leurs captifs.

 

Ils avaient beaucoup discuté et échafaudé plusieurs plans d’évasion mais n’avaient, pour le moment, trouvé aucune possibilité leur permettant de s’épargner un minimum de violence à l’égard de leurs geôliers pour les rendre inoffensif et surtout sans prendre de risques trop élevés pour leur propre sécurité. Ils avaient beaucoup tablé sur les absences de Jean-Rodolphe, Yann n’ayant apparemment pas inventé l’eau chaude ni la roue et offrant peut-être plus d’opportunités de le piéger d’une manière ou d’une autre. Le problème, c’est que Yann était très obéissant et semblait avoir la gachette bien plus nerveuse en l’absence de son oncle, craignant par dessus-tout que quelque chose ne dérape et permette aux prisonniers de s’évader, ce qui aurait fâché son parent et entraîné toutes sortes de punitions malvenues.

 

Dans l’immédiat, la proposition d’Alicia semblait un pis-aller en attendant de trouver mieux,

Et c’est ainsi que huit courts messages tous semblables partirent dans des bouteilles et avec le sac d’ordures hebdomadaires que Yann amènerait à la déchetterie municipale.

(à suivre au chapitre 8)

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