Après les 3 meurtres et disparition en Valais, à Chiavari et à Fribourg, les enquêtes commencent...
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Ni Lucien, ni Hanspeter ne prêtèrent attention au paysage ni au trajet qui dura, de Sion à Alessandria, environ trois heures, Et pourtant, les montagnes valaisannes et valdotaines, majestueuses, impressionnantes qui les surplombaient valaient le coup d’œil tout comme les nombreux et splendides châteaux qui jalonnent le val d’Aoste de part et d’autre presque jusqu’à Ivrea.

 

Les deux collègues avaient à peine pris le temps de faire connaissance et s’étaient lancés dans une description exhaustive des éléments dont ils disposaient pour l’instant. A part le petit mot manuscrit, rien ne semblait relier les deux meurtres et les deux disparitions.

 

Tout au plus les deux couples concernés étaient trentenaires et se distinguaient par une indépendance d’esprit et une forme d’anticonformisme : les valaisans, bien intégrés dans leur communauté villageoise se revendiquaient aussi écologistes convaincus et engagés, ce qui n’était pas toujours facile à vivre dans un canton où le bétonnage touristique avait prospéré pendant des décennies sans entrave. Le couple franco-espagnol disposait d’une bibliothèque rempli de livres à tendance libertaire, avec une majorité d’ouvrages et de pamphlets dénonçant surtout la mainmise de la religion sur la société, que ce fusse de la part des musulmans, des chrétiens et de toutes les autres religions et sectes qui pratiquent le prosélytisme.

 

Alors certes, on pouvait à la rigueur imaginer la vengeance d’un promoteur dénoncé par le jeune valaisan Matteo ou des fanatiques religieux outrés par une prise de position d’Ali ou de sa compagne Josepa. Mais quels liens entre les deux dans ce cas-là ? Aucun !

 

Après Ivrea, ils bifurquèrent vers l’est sur l’A25. Après une petite heure de route, ils atteignaient les faubourgs d’Alessandria et enclenchèrent le GPS pour trouver le petit bistrot où ils avaient rendez-vous, calme et proche de l’autoroute comme l’avait précisé Luca,.

 

Luca faisait les cent pas sur la place de parc et s’avança vers eux sans hésiter après avoir jeté un coup d’œil aux plaques minéralogiques valaisannes de la voiture de Lucien.

 

–       Bonjour, je suis Luca Sopranzi.  J’imagine que vous êtes Lucien et Hanspeter ?

 

–       Bien vu collègue ! rétorqua Hanspeter en serrant la main tendue par le policier transalpin.

 

Les trois hommes se dirigèrent ensuite vers le petit café, une ancienne bâtisse de deux étages, aux murs en crépis ocre, qui contrastait avec les usines et les immeubles environnants. Luca avait réservé une petite salle à l’étage. Ils s’attablèrent et comencèrent à mettre toutes leurs informations en commun ainsi que les premières hypothèses échafaudées par chacun d’eux. Lucien se lança. C’était en Valais que le mytérieux message était apparu pour la première fois.

 

–       Nous avons cherché tous azimuts : Il y a certes eu ce passage à tabac par de petits malfrats payés par un promoteur local qui en voulait au jeune Matteo d’avoir dénoncé ses magouilles. Mais rien, dans l’enquête fouillée qui a suivi, n’a permis de rapprocher cette agression du meurtre de monsieur Galli et encore moins de la disparition de son épouse. Matteo ne s’était pas fait des amis non plus dans les milieux d’extrême droite, les intégristes catholiques, les groupuscules  fascisants ou néo-nazis qui naviguent à la droite du parti nationaliste. Il était actif dans le soutien aux réfugiés, dans Amnesty International et même dans un petit groupe d’amis libertaires : Tout cela n’était pas passé inaperçu aux yeux de ces milieux . Il avait d’ailleurs reçu diverses menaces qu’il se plaisait à afficher dans sa cuisine comme des trophées. Mais il s’agissait à priori de coups de gueule de petits nervis anonymes et bas du plafond qui ne présentent qu’un très faible risque de passer à l’acte. Il y avait des messages du style « Tu vas regretter de défendre les métèques et les musulmans qui envahissent notre patrie chrétienne » ou encore : «  Après la révolution nationale, on te pendra au clocher de la cathédrale de Sion avec tes amis les nègres ». On a creusé de ce côté-là et enquêté dans ces groupuscules, mais sans résultat probant. Pour le moment, on en est au point mort et ce papier est le premier signe concret qui nous permettrait de suivre une piste.

 

Et toi Luca, tu en es où ? Je commence par toi parce que pour mon collègue Hanspeter, comme nous en avons discuté dans la voiture, l’affaire est trop récente pour qu’il ait pu nous présenter un début de de piste, à part ce papier bien entendu.

 

–       De mon côté, rien de précis. Nous sommes en train d’enquêter du côté des groupes mafieux qui exploitent les clandestins puisque Pierre Michellod, tout comme son prédécesseur, le vieux docteur Cencini, prenaient systématiquement la défense de ces petites gens et dénonçaient chaque fois qu’ils le pouvaient, l’implication d’employeurs véreux ou de logeurs sans scrupules. La police possède d’ailleurs plusieurs exemplaires de menaces reçues ces dernières années par les deux médecins.

 

Il y avait là largement motif à vengeance. Mais il faut reconnaître aussi que ce mystérieux message manuscrit, en français qui plus est, ne ressemble en rien aux méthodes de la pègre locale. Je proposerais que Lucien, qui en est un peu au point mort dans son enquête, se charge de centraliser les informations relevées dans les les ordinateurs des trois victimes ainsi que le relevé de leurs cartes de crédits sur au moins 5 ans, ceci afin de voir si nous pouvons trouver un élément, un lieu, des personnes, des achats, qui nous donneraient peut-être un point commun entre ces trois situations. Nous lui fournirons bien entendu toutes les informations supplémentaires que nous pourrions glaner en cours d’enquête.

 

J’imagine que vous  avez tous les deux fait anlayser le mystérieux papier : aucune trace d’ADN, pas d’empreintes digitales et juste quelques résidus de latex qui prouve que des gants ont été  utilisés. Je me trompe ?

 

Les deux policiers suisses approuvèrent : c’était en effet tout ce qu’ils avaient. Même Hanspeter, qui en était aux balbutiements de l’enquête, avait déjà obtenu ces mêmes constatations de la police scientifique. Ils tombèrent d’accord pour laisser Hanspeter et Luca avancer un peu et décidèrent de se revoir d’ici une semaine au même endroit pour autant que des éléments nouveaux et pertinents leur permettent d’élaborer une stratégie commune. Sinon, ils se contenteraient de rester en contact et de se transmettre leurs informations par téléphone ou courrier électronique.

 

Finalement, il se passa trois semaines avant qu’une réunion pût être planifiée et considérée, si ce n’est indispensable, pour le moins simplement utile. Chacun, pendant ce temps, n’épargna pourtant pas ses efforts pour tenter de sortir de l’impasse.

 

En Italie, Luca, tuyauté par l’un de ses informateurs, réussit à faire parler une petite frappe locale, officiellement tenancier d’un bar à Sestri Levante mais surtout homme de main occasionnel d’un boss de la mafia locale, entrepreneur du bâtiment domicilié à Gênes.

 

Avec l’accord du juge d’instruction, il lui proposa soit de parler et de pouvoir bénéficier d’une protection et d’une nouvelle identité, ailleurs en Italie, ou de simplement laisser courir le bruit qu’il avait dénoncé ses employeurs. N’ayant pas vraiment le choix et craignant pour sa vie et ses proches, le voyou accepta sans hésiter. Il reconnut entre autres, être l’auteur de différents messages anonymes menaçant les docteurs Michellod et Cencini, et cela sur l’ordre d’un lieutenant du « grand chef de Gênes » qui commençait à s’irriter que ces médecins freinent le recrutement de cette main d’œuvre bon marché, corvéable à merci, que constituaient les clandestins de passage. Les autres informations livrées permirent de procéder à la saisie d’une importante cargaison de cocaïne dans le port de Gênes et à l’arrestation mouvementée de l’entrepreneur mafieux et de quelques comparses, tout en mettant la main, dans les dépôts de l’entreprise, sur un impressionnant arsenal d’armes de poings et de guerre.

 

La suite de l’enquête permit de mettre à jour quelques meurtres inexpliqués dans la région mais dont il s’avéra qu’elles étaient le résultat d’une guerre de clans entre la pègre locale soutenue par des bandes de l’Europe de l’est, russes et bulgares en particulier, et la n’drangheta calabraise qui cherchait à mieux s’implanter en Ligurie et précisément à Gênes et à la Spezia à cause des avantages que donnaient ces ports pour les trafics en tous genres.

 

Luca ne s’illusionnait pas : l’arrestation du génois et de quelques-uns de ses sous-fifres ne mettrait pas fin à l’emprise des mafias. Mais  rien que le fait de mettre un coup de bâton dans la fourmilière et de contrarier ces criminels était déjà une petite victoire. Ce qui le contrariait plus était qu’excepté des menaces écrites et verbales à l’encontre des deux médecins, rien ne prouvait que ces malfaiteurs aient quoi que ce soit à voir avec la tentative d’assassinat de l’épouse du pédiatre et la disparition de ce dernier.

 

A Fribourg, l’enquête ne dégagea aucune piste intéressante. Le jeune couple était discret, payait régulièrement ses factures, avait un cercle d’amis restreint provenant essentiellement des collègues de travail de Josepa. Ils entretenaient de bonnes relations avec leurs voisins mais sans plus. Aucun conflit de voisinage, aucun nuage sur l’harmonie du couple, aucune menace n’avait été découverte, ni dans l’historique de leur courrier électronique ni dans la fouille de leur logement. Le seul indice lié à cette affaire fut le téléphone portable de Josepa qu’un cantonnier avait retrouvé à quelques kilomètres au sud de Fribourg, sur le talus bordant l’autoroute peu avant le viaduc sur le lac de Gruyère. L’examen du téléphone ne donna rien de probant : le dernier appel était celui du policier, qu’il avait passé depuis la scène de crime. Bref, Hanspeter était dans l’impasse et ne savait vraiment plus par quel biais empoigner la suite de cette affaire.

 

Ce fut Lucien qui obtint le premier semblant de piste, et encore, en admettant que cela ne soit finalement pas qu’une coincidence.

 

Il découvrit en effet, après un fastidieux et interminable épluchage des dépenses bancaires des trois victimes, que chaque couple avait payé un voyage, il y avait déjà presque trois ans, le 14 février 2015, à destination de Majorque, à la même date et sur la même compagnie aérienne. En examinant la liste des passagers fournie sur demande du juge d’instruction, Lucien constata que les trois victimes et leurs conjoints respectifs étaient les six derniers noms mentionnés sur ce vol signalé comme complet par la compagnie.

 

Avaient-ils rencontré quelqu’un lors de ce voyage ? Quelque chose s’était-il passé lors du voyage ou pendant leur séjour, qui eût justifié ou expliqué une probable vengeance ?

 

Ce n’était pas grand chose mais au moins, et pour la première fois, ils tenaient un point commun entre les protagonistes de ce drame.

 

Il décida d’appeler ces collègues et, pour gagner du temps, leur proposa de différer leur réunion  et de discuter par vidéo-conférence le soir-même.

 

Hanspeter fut chargé de prendre contact avec la police de Majorque et les hôtels où avaient séjourné les trois couple, Luca et Lucien se répartissant les employés en service sur les deux vols concernés.

 

Deux jours plus tard, ils devaient admettre que ces démarches les ramenaient à la case départ.

 

Aucun incident, aucune observation particulière n’émaillait des recherches de la police locale et des entretiens avec les employés de la compagnie aérienne. Un steward fut d’ailleurs particulièrement difficile à retrouver : il avait démissionné pour reprendre un emploi bien moins rénumérateur de barman dans une petite station de ski autrichienne qui accueillait aussi, en été, un lot suffisant de randonneurs pour que ce travail puisse donner lieu à un contrat annuel et pas seulement saisonnier. Par curiosité, Luca demanda les raisons de ce changement et le steward lui expliqua qu’un vol de la même compagnie, un an plus tard, s’était abimé en Méditérannée sans aucun survivant et que cela l’avait détourné à jamais de faire partie du personnel navigant.

 

Les trois policiers n’avaient que ce voyage, le seul point commun entre les victimes, pour peut-être fournir un début d’explication. Mais les coincidences existaient aussi. Le fait est que pour l’instant, ils restaient dans une impasse.

 

Ils décidèrent de tout reprendre à zéro et d’éplucher autant que faire se peut à nouveau tout l’historique des ordinateurs, tablettes, téléphones portables et relevés bancaires des victiomes depuis 5 ans. Ils firent des copies de l’ensemble et préférèrent que chacun le fasse de son côté pour augmenter les chances de trouver quelque chose. Dès que l’un des trois trouverait quoi que ce soit qui lui mette la puce à l’oreille, il appellerait ses collègues.

 

C’est donc quelque peu dépités mais décidés malgré tout à aller de l’avant qu’ils conclurent leur réunion.

 

( à suivre au chapitre 5)

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