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© 2021-2024 Hervé Mosquit

Chapitre 1

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Troisième meurtre, troisième enlèvement, troisième enquête: et si tout était lié ?
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A Fribourg, Suisse, route de l’industrie, en fin de matinée ce vendredi, Ali ne décolérait pas : son vélo gisait sur le trottoir, la roue en huit. Le jeune homme se massa le bras droit à la hauteur du coude : la rencontre intempestive de son bras avec le béton du trottoir allait certainement laisser un hématome qui passerait par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Son pantalon était déchiré à la hauteur d’un genou, décoré d’une belle écorchure qui émergeait de la toile du jeans tout neuf acheté la veille en vue de l’entretien d’embauche qui venait de s’achever quelques minutes plus tôt sans donner de résultat.

 

Distrait et contrarié par l’issue de cette dernière et vaine tentative de décrocher un job d’informaticien, Ali avait enfourché son vélo et circulé à fond les boulets presque au milieu de la chaussée, sans faire preuve de la plus élémentaire prudence. Un poids lourd avait failli l’expédier dans les décors mais le coup de klaxon tonitruant qu’il lâcha quelques secondes avant un probable impact, avait fait sursauter Ali. Ce dernier avait heurté le trottoir de la roue avant, ce qui l’avait fait chuter au milieu des piétons mécontents. C’était rageant mais toujours mieux que de se faire écraser par ce mastodonte à 6 roues. Une dame âgée qui passait s’enquit de l’état du jeune homme. Ce dernier la rassura en affirmant que tout allait bien et qu’un vélo se réparait mieux qu’un être humain. Intérieurement, il pestait contre le camionneur et ne se réjouissait pas de l’interminable trajet jusqu’en basse ville où le jeune couple louait un petit appartement de deux pièces. Le logement se situait dans les combles d’une maison médiévale de la vieille ville de Fribourg, capitale du canton du même nom, lovée dans un méandre de la Sarine, cette rivière qui marque peu ou prou la frontière des langues, entre le français et l’allemand, ou plutôt le suisse-allemand pour dire les choses de manière plus précise.

 

Ali, de son nom complet Ali Choisi Durand, formait avec Josepa, ce qu’une collègue de son épouse appelait un couple vraiment atypique. Ali était le fils d’un maçon français et d’une maman marocaine. Ils s’étaient connus alors que le père d’Ali oeuvrait au Maroc pour une grande entreprise de construction française qui rénovait tout un quartier de Ouarzazate.  Mais c’était sans compter les dogmes religieux exclusifs professés par certains croyants de toutes confessions qui malheureusement détournent le but premier que les Hommes avaient en inventant les religions : leur permettre de mieux se comporter, de mieux vivre ensemble et de croire qu’il y avait un avant, la création, et un après qui rend la mort moins triste et les disparus présents.

 

Ainsi donc, la famille de sa maman n’appréciait que peu le mariage de leur fille avec un français chrétien. De même, la famille bordelaise du papa, très catholique, était plus que réticente à accueillir une belle-fille arabe et musulmane. Tant et si bien que les jeunes mariés partirent d’abord s’installer à Mélilla, enclave espagnole au Maroc, au bord de la Méditérannée. Ali devait son prénom à sa naissance survenue à cette période.  Lors de l’inscription à l’Etat-civil, le papa d’Ali hésitait encore sur le prénom et son épouse l’apostropha en lui disant « Allez, choisis ! ». L’employé local avait compris «  Ali Choisi » et l’inscrivit ainsi dans le registre des naissances. Par la suite, la famille déménagea à Valencia, puis à Barcelone où Ali termina son lycée et ses études d’informaticien à l’université.

 

C’est là qu’il fit la connaissance de Josepa, fille et petite-fille d’anarchistes libertaires catalans, juifs par la famille de son papa et catholiques d’origine mais agnostiques convaincus du côté de la maman. Le couple cumulait ainsi des origines hispaniques, arabes, hexagonales et des liens avec les trois grandes religions monothéistes tout comme avec l’athéisme militant qui avait marqué la gauche politique du XXe siècle.

 

Cela faisait maintenant une année qu’ils avaient quitté la Catalogne. A cette époque, Josepa et Ali habitaient un modeste trois pièces dans un ancien quartier ouvrier de Sabadell, à quelques rues des parents de Josepa. Lui venait de terminer ses études d’informaticien mais les places étaient rares, voire inexistantes dans la région. Josepa, infirmière, faisait bouillir la marmite du jeune couple en travaillant en salle d’opération dans un hôpital publique de la métropole catalane.

 

Fatigués par les recherches infructueuses d’un premier emploi, ils étaient amers face à leur ville, constamment surpeuplée de touristes en goguette. Les prix en vigueur, tant des loyers que même des biens de première nécessité, accusaient une hausse constante, atteignant des sommets exorbitants et inacessibles pour une majorité des habitants de la région. Ils avaient alors décidé de tenter leur chance en Suisse, convaincus par le visionnement d’un reportage où l’on affirmait que de bonnes qualifications pouvaient vous ouvrir des portes dans ce pays dont le taux de chômage ridiculement bas faisait beaucoup d’envieux en Europe.

 

Josepa décrocha la timballe à peine arrivée en Suisse : il manquait une infirmière instrumentiste en chirurgie orthopédique à l’hôpital cantonal de Fribourg. Elle fut engagée après le premier entretien.

 

Pour Ali, ce fut plus difficile. La concurrence semblait bien plus rude dans le domaine de l’informatique que celui des soins. Il ne trouva que de courts remplacements par l’entremise d’une entreprises de travail temporaire. Ce matin, il en était à son vingtième entretien d’embauche à Fribourg et dans la région. Il désespérait de ne pas pouvoir apporter, autant que son épouse, le salaire espéré qui leur permettrait d’envisager d’avoir des petits et de les élever confortablement.

 

Il arriva en basse-ville en nage et laissa son vélo à la cave, renvoyant à plus tard le passage chez le mécanicien, les dégâts étant trop importants pour qu’il envisage de se lancer tout seul dans la réparation. Josepa ne devait rentrer qu’en fin d’après-midi. Il était à peine 11 heures. Il décida de partir marcher, se laissant guider par le hasard et l’envie du moment, histoire de se détendre. Il se dirigea vers le pont du Milieu qui enjambe la Sarine à quelques dizaines de mètres de leur logement.  A plusieurs reprises, il eut le sentiment qu’on le suivait mais, se retournant à plusieurs reprises, il ne remarqua que quelques passants pressés dont il pensa qu’il se dépêchaient de regagner leur domicile pour la pause de midi ou d’arriver au bistrot prévu pour une petite bouffe entre collègues. Remontant la rivière par sa rive droite, il atteignit la place appelée « Planches Supérieures » après avoir suivi la route qui passe entre la rivière et la prison centrale. Il bifurqua ensuite sur la gauche, s’essouflant le long de la petite route pavée qui monte vers le quartier de Bourguillon et surplombe le couvent  des religieuses cisterciennes de la Maigrauge.

 

Il marchait sans but précis, laissant ses pensées vagabonder et s’égarer, resassant ses difficultés à trouver un emploi tout en reconnaissant qu’il restait privilégié face à ces millions de gens  qui fuyaient la guerre et ses horreurs. Ceux–là rencontraient, dans leur quête de paix et de survie pour leurs familles, des pays d’accueil qui s’enfermaient encore trop souvent dans l’illusion de n’être pas concernés quand ce n’était pas carrément dans une xénophobie et un racisme primaire à faire vomir.

 

Arrivé dans le quartier de Bourguillon qui surplombe la vieille ville, il passa devant une villa cossue qui transpirait l’opulence et la réussite arrogante. Elle semblait vide : Il se fit la réflexion que  les enfants devaient être à l’école, madame chez l’esthéticienne et monsieur à son conseil d’administration. Poussé par je ne sais quel instinct, il s’approcha de la villa, histoire de regarder de plus près à quoi ressemblait un intérieur de luxe. Il fit le tour de la maison et s’engagea sur la terrasse en bois de teck qui donnait sur une prairie arborisée, parsemée de massifs floraux et jouxtant un jardin potager suspendu faits de caissons surélevés qui semblaient faits du même bois que la terrasse. Il colla son visage à la porte-fenêtre, tentant d’apercevoir l’aménagement de ce qui lui semblait être le salon. A tout hasard, et sachant pourtant qu’il risquait d’être arrêté pour violation de propriété, il posa la main sur la poignée de la porte-fenêtre qui à son grand étonnement n’était pas verrouillée. Le malaise d’entrer dans l’intimité d’un logement qui n’était pas le sien ne fut pas assez fort pour concurrencer la curiosité soudaine et irrépressible qui l’avait saisi. Il entra, fit quelques pas, contournant avec précaution la table basse en marbre, le canapé et les fauteuils en cuir gris. Il entendit un bruit, sursauta et se tourna en direction de la terrasse qu’il venait de quitter quelques minutes plus tôt.

 

Un homme dans la cinquantaine, vêtu d’un complet bleu marin de belle coupe, lui faisait face. Plus que le fusil qu’il tenait dans les mains, ce fut le gros sac de sport qu’il portait à l’épaule qui étonna Ali. Il n’eut pas le temps d’aller plus loin dans ses réflexions, l’homme tira immédiatement atteignant Ali en plein front. Le jeune homme s’écroula sur le tapis d’orient qui couvrait la partie centrale du salon. Calmement, l’inconnu  sortit un papier  et le coinça sous le pot de fleurs sèchées qui trônait sur la table basse. Sur le papier, apparemment tiré d’un simple bloc-note, on pouvait lire :

 

« Puisses-tu ainsi expier ta faute, Dieu, peut-être, te pardonnera ».

 

 

******

 

Il était presque treize heures. L’opération s’était bien passée. On avait extrait de la cuisse de ce gamin de 8 ans, un petit Kurde de Syrie, un morceau de métal de près de 2 centimètres de long sur 1 de large qui avait provoqué des lésions au fémur et une infection qui avait risqué de tourner en scepticémie. Il était hors d’affaire même si le traitement aux antibiotiques se poursuivrait encore quelques jours et que pour retrouver une mobilité normale de sa jambe gauche, le petit devrait faire preuve de patience.

 

Les parents, des réfugiés hébergés par un couple de retraités de Fribourg, attendaient avec leurs deux autres enfants en bas âge, dans la salle d’attente de la chirurgie pédiatrique. Josepa eut une pensée pour ces jeunes parents qui avaient survécu à l’indicible horreur de la guerre, aux bombardements aveugles de l’aviation du dictateur, aux exactions des assassins fanatiques de Daech. Ces derniers faisaient honte à tous les musulmans du Monde mais déclenchaient aussi en Occident une xénophobie et une islamophobie que ces fanatiques utilisaient à leur tour, pour se poser en victimes et convaincre de jeunes musulmans occidentaux, ou même des ados issus d’autres religions, de les rejoindre dans ce voyage sans retour au romantisme frelaté, mâtiné d’un délire obscurantiste et de goût du sang.

 

Elle pensa à ses grands-parents, alors jeunes militants libertaires de 16 et 18 ans, emprisonnés et torturés par les franquistes qui ayant pu s’évader dans la confusion de la fin de la guerre civile, avaient passé les Pyrénées pour se retrouver internés au camp d’Argelès, en Catalogne française. L’état d’esprit xénophobe du régime français d’alors, les mauvais traitements et les vexations imposés aux réfugiés espagnols, se retrouvaient aujourd’hui dans les discours des partis nationalistes européens, et même suisses, parfois jusqu’à la tête de l’Etat comme dans la Hongrie de Victor Orban ou en Pologne. La peste brune du nationalisme ou du fanatisme religieux sont des hydres pensa-t-elle :  depuis un siècle bientôt, il n’ y a pas eu un seul moment où, nourrie et parfois manipulée par l’appât du gain et la soif de puissance des soi-disant grands de ce monde, elle n’ait pas disséminé son poison raciste, ses dogmes meurtriers et l’ horreur fratricide dans une partie ou l’autre de notre planète.

 

Josepa se dirigea vers le vestiaire pour jeter un coup d’œil sur son téléphone qu’elle laissait toujours dans son armoire. Ele vérifia prestement sa messagerie. Il n’ y avait rien. Elle se dit que c’était bon signe : si l’entretien d’embauche avait été un échec, Ali lui aurait certainement laissé un message tout comme dans le cas contraire, pensa-t-elle aussitôt. Elle s’étonna donc de la longueur de l’entretien et tenta d’atteindre son mari. Le téléphone était sous répondeur, éteint le temps de l’entretien, se dit-elle. Elle laissa donc un bref message lui demandant de la rappeler dès que possible. Puis elle se dirigea vers la cafétéria où elle aurait le temps de se sustenter la moindre avant de se retrouver au bloc opératoire pour la prochaine opération planifiée pour quatorze heures.

 

******

 

Lourdes sortit de la voiture et s’approcha en courant de la porte de la villa. La famille de cet industriel était absente jusqu’à demain soir. Les enfants mangeaient chez leur tante qui habitait près de l’école et les parents iraient les chercher après les cours, vers quinze heures trente pour les emmener directement dans leur chalet de l’Oberland bernois. Madame avait préparé les bagages tôt ce matin avant d’accompagner son mari au bureau pour y recevoir des clients étrangers. Lourdes s’était engagée à profiter de ce vendredi sans personne dans ses pattes et sans personne à déranger pour faire le ménage complet de la villa ainsi que le nettoyage de toutes les vitres. Elle aurait déjà dû venir tôt ce matin mais avait cédé devant l’insistance d’une autre cliente qui menaçait d’avoir recours à une autre femme de ménage si elle ne venait pas immédiatement. Madame avait appelé, un peu contrariée, en lui disant que la clé se trouverait dans la cachette habituelle, sous le troisième des pots de fleurs qui ornaient le petit escalier devant la porte principale.

 

Elle ouvrit la porte brusquement et s’apprêtait à rejoindre la cuisine où se trouvaient l’aspirateur et les produits de nettoyage. En passant devant le salon, elle constata que le vase qui se trouvait d’habitude sur la table basse, jonchait le sol, la terre maculant le tapis de traces brunâtres. Elle s’approcha pour l’enlever et c’est là qu’elle vit Ali, sur le dos, les yeux grand ouverts, avec un trou ensanglanté au milieu du front. Elle poussa un cri strident et se rua à l’extérieur, cherchant fébrilement son téléphone dans son sac qu’elle attrapa au passage, l’ayant laissé comme d’habitude sur le petit guéridon qui cotoie la monumentale porte d’entrée de la maison.

 

Elle composa le 117, mais sur le coup de l’émotion elle ne trouva plus ses mots en français et le policier de permanence dut faire appel à un collègue qui parlait le portugais pour que Lourdes puisse lui expliquer brièvement ce qu’elle avait vu mais surtout, pour qu’elle lui fournisse l’adresse de la maison.

 

Hanspeter da Silva, inspecteur à la police fribourgeoise, était de piquet ce jour-là. Il était en train de consigner sur son ordinateur,tous les éléments d’une enquête en cours sur un brigandage commis dans un kiosque à journaux du centre-ville quand le gendarme de faction à la centrale téléphonique l’appela.

 

–       J’ai une dame en ligne qui, d’après ce que j’ai compris, a trouvé un cadavre. Mais je ne suis pas sûr. Elle parle à moitié français et moitié portugais. Tu peux la prendre ?

 

–       Ok , passe-la moi ..

 

Hanspeter, de mère suisse-allemande, de père portugais, ayant suivi une scolarité en français et travaillant dans un milieu à majorité francophone, était parfaitement trilingue. Il tenta d’abord de calmer son interlocutrice, l’écouta raconter ce qu’elle avait vu et réussit à lui extorquer l’adresse de la villa. Il lui demanda instamment de ne pas partir mais de s’asseoir à quelque part en attendant, lui promettant que quelqu’un arriverait très rapidement. Il se précipita au garage et lança, depuis la voiture, un appel radio pour que la patrouille la plus proche se rende sur les lieux et boucle le périmètre. Il contacta également ses collègues de la police scientifique en leur demandant d’envoyer une équipe sur place dès que possible.

 

Dix minutes plus tard, il arrivait. Il trouva Lourdes asssise sur les escaliers, les bras autour des jambes et la tête sur les genoux, sanglotant bruyamment. Il la confia à l’un des gendarmes arrivés sur place presque en même temps que lui et demanda qu’on la reconduise chez elle ou chez des connaissances, pourvu qu’elle ne reste pas seule à faire rebondir les émotions soulevées par la vision brutale de ce cadavre dans le salon de la villa.

 

L’identification de la victime fut rapide : il avait sur lui un porte-feuille dans lequel se trouvait sa carte d’identité, la photo d’un couple âgé, ses parents probablement, qui entouraient une jeune femme au sourire rayonnant. La victime se nommait Ali Choisi Durand. Hanspeter se demanda d’où pouvait bien venir cette étrange suite de prénoms. La jeune femme devait être son épouse, pensa Hanspeter. Il eut un pincement au cœur en pensant qu’elle risquait fort de perdre la joie de vivre qui s’exprimait sur cette photo en apprenant le décès de celui qui devait être son compagnon ou son mari.

 

La cause de la mort ne faisait aucun doute: une balle en plein front.

 

L’énigmatique billet retrouvé sur la table du salon intriguait le policier.  Y avait-il un lien entre cette phrase et le meurtre ? Il faudrait attendre de rencontrer les propriétaires de la villa pour savoir d’une part s’ils avaient un lien quelconque avec la victime, ce qu’ignorait la femme de ménage, et d’autre part pour leur demander si ce billet leur appartenait. Qui sait ? Peut-être s’agissait-il d’une note pour un mot croisé, un rébus ou un autre jeu .

 

Le plus urgent dans l’immédiat était de retrouver et d’informer, avec tous les ménagements d’usage, l’épouse de ce malheureux. Après quelques téléphones au contrôle de l’habitant, Hanspeter reçut les informations qui lui manquaient. L’épouse de la victime se nommait Josepa Mossé Durand. Elle était infirmière. Restait à voir dans le répertoire du téléphone de la victime si une entrée figurait au nom de Josepa. C’était le cas et Hanspeter appela immédiatement. L’appareil était sous répondeur : il laissa un bref message qu’il doubla d’un SMS, enjoignant Mme Durand à le contacter dans les plus brefs délais.

 

Il appela ensuite les propriétaires de la villa pour leur expliquer la situation. Le nom de la victime ne leur disait rien et s’il se trouvait chez eux, c’est qu’il y était entré par effraction à moins qu’ils n’aient oublié de verrouiller la porte-fenêtre de la terrasse. Le mari s’engagea à venir d’ici une demi-heure, le temps de terminer son entretien avec ses clients et que son épouse prenne ses dispositions pour emmener les enfants directement dans leur chalet de vacances, après l’école, sans passer par la maison.

 

Effectivement, il tint parole et 35 minutes plus tard il était là. Le corps de la victime faisant encore l’objet des premières investigations de la police scientifique, il refusa d’entrer. Il ne reconnut pas du tout le visage d’Ali que le policier lui montra sur son téléphone. De même, le petit billet retrouvé sur la table du salon lui était totalement inconnu et il put affirmer qu’il ne s’agissait en aucun cas de l’écriture de son épouse, de la sienne ou de celle de son aînée, le plus jeune étant encore incapable d’écrire. Hanspeter demanda au proprétaire de se tenir à disposition et d’être atteignable dans les prochaines 48 heures. Il l’ l’informa également que sa maison serait accessible d’ici le début de la soirée, une fois réalisés tous les relevés nécessaires à l’enquête. Il venait de prendre congé quand son portable sonna. C’était Josepa qui s’excusait de ne pas avoir rappelé plus tôt mais elle était en salle d’opération et n’avait vu l’appel manqué et le message qu’en sortant.

 

Hanspeter  détestait ces moments-là. Même si ce n’était pas le premier, il n’arrivait jamais à s’habituer à annoncer un malheur aux proches d’une victime. Il déploya toute la diplomatie et les trésors d’empathie qu’il put déterrer au fond de lui pour lui dire qu’il avait quelque chose à lui annoncer concernant son mari. Elle ne fut pas dupe, la voix du policier trahissant son embarras et ses émotions.

 

Elle insista pour savoir de quoi il s’agissait. Il finit par lui dire la vérité. Josepa s’effondra en larmes puis se reprit en disant, entre deux sanglots, qu’elle voulait voir le corps de son mari. Le policier lui conseilla de trouver quelqu’un pour lui tenir compagnie, le temps qu’il vienne la chercher. Il lui donna rendez-vous à la sortie du parking de l’hôpital puis prit rapidement congé

 

Josepa informa sa supérieure hiérarchique qu’elle devait s’absenter et qu’un policier allait venir la chercher devant l’hôpital et que cela concernait son mari. Devant l’air affolé et les larmes de la jeune infirmière, sa cheffe ne demanda pas d’explications, la prit dans ses bras et lui dit de prendre le temps qu’il fallait.

 

La jeune femme se précipita à l’extérieur, scrutant des yeux le parking pour voir si elle apercevait une voiture en attente. Il y avait là un break gris avec un homme au volant. Elle s’approcha, lui demanda s’il était le policier qui venait de l’appeler. L’homme acquiesça et la pria de prendre place à bord. Après lui avoir demandé de boucler sa ceinture, il démarra aussitôt.

 

Josepa allait prendre la parole pour lui demander ce qui s’était passé quand elle entendit un froissement d’étoffe dans son dos. Avant qu’elle n’ait pu se retourner, on lui appliquait un chiffon imbibé d’un produit dégageant une forte odeur, impossible à identifier, qui lui fit presque perdre connaissance. Elle n’avait plus la force de se débattre et sentit juste une piqûre dans le bras avant de sombrer dans un profond sommeil. Cinq minutes plus tard, le véhicule s’engageait sur l’autoroute en direction du Sud. Une vingtaine de kilomètres plus loi, alors que sonnait le téléphone de Josepa, le conducteur s’adressa à son comparse qui était sur le siège arrière :

 

–       Fouille son sac, trouve–moi cet appareil et balance-le par la fenêtre dès qu’on aura personne derrière-nous

 

–       Tu es sûr ? On n’a qu’à enlever la carte SIM et le garder. Il a l’air tout neuf.

 

–       Fais-ce que je te dis et ne discute pas !

 

–       C’est bon. Ne te fâche pas. C’était juste une bonne idée…

 

 

******

 

Pestant dans les embouteillages, Hanspeter hésita à sortir le gyrophare et à enclencher la sirène mais il se ravisa. Il n’ y avait pas vraiment urgence et le temps du trajet lui permettrait de chercher ses mots, jamais faciles à trouver dans ces circonstances. De plus, il réalisa que d’arriver avec fracas devant l’hôpital ne ferait qu’ajouter une touche dramatique supplémentaire et inutile au désarroi de la jeune femme.

 

Arrivée sur la parking de l’hôpital, il chercha des yeux Josepa dont il avait vu le visage sur le téléphone de son mari. Après presque 10 minutes d’attente, il se décida à aller la chercher et se hâta vers la réception où on lui indiqua le service et l’étage où il pourrait trouver Mme Durand.

Arrivé dans le service, la responsable l’informa que Josepa était sortie l’attendre sur le parking.

 

Il retourna en courant à l’extérieur mais aucune jeune femme n’attendait. Il décida de l’appeler au numéro qu’elle avait utilisé lorsqu’elle l’avait atteint sur les lieux du crime. Le téléphone sonnait mais déclenchait le répondeur. Il lui laissa un bref message disant qu’il l’attendrait encore 5 minutes devant l’hôpital et qu’ensuite, il fallait qu’elle le rappelle ou alors se présente au plus vite au poste de police de la Grenette en demandant l’inspecteur da Silva.

 

Par acquis de conscience, il patienta encore près de 30 minutes puis, de guerre lasse, reprit le chemin du commissariat après un bref passage, infructueux, au domicile de Josepa et d’Ali. Une brève discussion avec son supérieur conforta sa décision de lancer un avis de recherche.

 

Avant de rentrer chez lui, il voulut encore s’assurer qu’aucun dossier n’existait sur ce couple franco-espagnol. Il ne trouva rien et, à tout hasard, se rendit sur la page d’Interpol pour y jeter un bref coup d’œil sur les dernières demandes d’information que cet organisme diffusait régulièrement. Il allait quitter le site et éteindre l’ordinateur quand son attention fut attirée par le scan d’un papier manuscrit. Il fallut quelques secondes pour que Hanspeter réalise que c’était la copie conforme du billet qu’il venait de ramasser sur la table de salon où le jeune Ali venait d’être assassiné. Il devenait inutile de demander aux propriétaires si ce griboulli leur appartenait. Ce qui devenait urgent par contre, était de contacter le policier italien auteur de la demande à Interpol dont le numéro figurait sur le communiqué.

 

Hanspeter ne parlait qu’un italien très sommaire et scolaire. Par précaution, il s’assura que Luigi Bernasconi, un collègue tessinois et donc italophone, inspecteur à la brigade des mineurs qui était resté à Fribourg à l’issue de ses études, puisse être présent au moment où il passerait le coup de fil. Par chance, ce dernier était encore présent dans le bâtiment, occupé à rédiger un rapport sur une affaire de racket dans une école de la ville. Hanspeter s’assura que Luigi puisse être disponible tout de suite en cas de besoin, dans les quinze minutes qui suivaient, pour autant bien sûr qu’il réussisse à atteindre son confrère italien.

 

L’homme répondit immédiatement. Hanspeter déclina son nom et demanda immédiatement si son confrère comprenait sa langue. A sa grande surprise, ce dernier répondit dans un français presque fluide, certes avec bon accent transalpin, mais très correct et curieusment mâtinée de sonorité et d’expression qui fleuraient bon le midi de la France.

 

–       Je suis soulagé de vous entendre. J’aimerais beaucoup parler l’italien aussi bien que vous le français.

 

–       Je n’ai pas de mérite. A l’issue de mes études, j’ai effectué un stage de 12 mois dans une section de recherche de la gendarmerie française à Nice.

 

–       Est-ce que vous avez un semblant de piste ou d’explications à me donner concernant ce billet manuscrit qui est identique à celui que nous venons de trouver sur une scène de crime ?

 

–       Non, aucune. Chez nous, il s’agit d’une tentative de meurtre sur la personne de l’épouse d’un pédiatre de la région de Chiavari, ce médecin est d’ailleurs un de vos compatriotes. Le problème, c’est qu’il a disparu à peine après avoir rendu visite à son épouse, encore en coma artificiel, à l’hôpital. Pour l’instant, aucune hypothèse sérieuse ne sort du lot tant sur les motifs que sur le ou les auteurs .

 

–       Ici, nous avons un meurtre et une épouse introuvable depuis quelques heures. Je devais la rencontrer à la sortie de son travail à l’hôpital mais elle n’est jamais venue et personne de son entourage ne sait où elle pourrait être . Elle venait de demander à sa responsable la permission de quitter le travail pour me rencontrer. Nous venons à peine d’entamer l’enquête.

 

–       Donc nous avons 3 agressions et 3 disparitions, à des centaines de kilomètres de distance, avec chaque fois la même signature.

 

–       Comment  trois ?

 

–       Oui trois ! Un de vos collègues de la police valaisanne vient de me contacter pour un cas un peu plus ancien mais tout à fait similaire à nos deux situations avec, aussi, le mystérieux message. Tout cela plaide pour une vengeance, mais contre qui ? Contre quoi, ? Nous n’en savons foutrement rien. Il s’agissait du meurtre d’un homme assez jeune suivi de la disparition de l’épouse, mais presque trois mois plus tard. Là aussi, vos collègues ont enquêté tous azimuts mais aucune preuve tangible n’est venue étayer toutes les pistes qu’ils ont suivies. Votre collègue de Sion n’est tombé que tout récemment et par hasard sur mon appel sur le site d’Interpol.

 

–       Moi aussi d’ailleurs, d’où mon appel…Qu’est ce que vous pensez ? On ne va pas résoudre tout cela par téléphone et il faudrait pouvoir coordonner nos efforts.

 

–       J’y ai déjà pensé. Nous avions prévu de nous rencontrer après-demain avec votre collègue valaisan, à mi-chemin entre Gênes et chez lui, soit dans la région d’Alessandria. Si vous faites vite et que c’est possible pour vous, vous pouvez encore vous arranger pour venir ensemble.

 

–       Je vais en parler avec mon supérieur mais j’imagine que j’aurai le feu vert pour cette réunion. Merci.

 

En posant le téléphone, Hanspeter ressentait à la fois un mélange de satisfaction et d’anxiété : il y avait au moins une explication et une piste à creuser : le fameux billet. En même temps, cela semblait tellement bizarre et incompréhensible que l’excitation du défi que constitue une nouvelle enquête le disputait à l’angoisse de ne jamais trouver ni coupable ni explication. Après avoir obtenu la permission de participer à la réunion proposée par son collègue italien, il appela son collègue valaisan, un certain Lucien Bétrisey, qui lui avoua, après avoir écouté ses explications, qu’il était soulagé de l’entendre :

 

–       Ce n’est pas que je me réjouisse que ce genre de saloperie ait aussi eu lieu chez vous, mais la perspective d’enquêter à trois sur ce casse-tête et de faire le trajet à deux en Italie me va très bien.

 

–       Très bien alors. Je prendrai le train jusqu’à Sion pour éviter les mauvaises surprises que pourraient constituer d’éventuels bouchons sur l’autoroute puis nous pourrons nous partager la conduite jusqu’à Alessandria. A 9 heures devant la gare de Sion cela vous convient ?

 

–       C’est parfait et je crois que l’on peut se tutoyer.

 

–       OK, donc je te laisse et à bientôt. Bonne nuit malgré tout !

 

–       C’est bon tu sais. Si chacune de mes enquêtes m’empêchait de dormir, il y a longtemps que j’aurais changé de job. Je t’avoue que cette situation–là me semble assez gratinée, mais ce n’est ni la première ni la dernière de ma carrière. A demain, collègue.

 

( à suivre au chapitre 4)

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