Créé le: 30.08.2022
60 0 1
L’herboriste et la lune

NouvelleDestinée 2022

a a a

© 2022-2024 Asphodèle

L'histoire de Syloane, née sous la protection de l'astre nocturne.
Reprendre la lecture

Syloane naquit par une nuit de pleine lune, sous la bienveillante protection d’Ona-Cella, divinité de l’astre céleste, de la féminité et de la nature.

 

Celle qui joue avec le destin tire la première carte. L’arcane révélé ne la surprend pas.

La Lune : Image de la richesse de notre inconscient et de notre imaginaire. C’est la sensibilité féminine et l’intuition. C’est la capacité de puiser en soi de quoi se renouveler. La Lune symbolise le changement et la diversité des solutions possibles.

 

L’empereur Holger d’Astrolie espérait voit naître enfin un héritier, car sa femme, de nature fragile, n’avait encore porté aucune grossesse à son terme. Malheureusement le trône ne se transmettait qu’aux descendants mâles et l’arrivée de la fillette mit fin aux espoirs du souverain. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’impératrice ne survécut pas à l’accouchement. Syloane fut confiée à une nourrice qui devait déjà prendre soin de son propre nouveau-né et ne consacrait que le minimum nécessaire à ce bébé qui n’était pas le sien. Son père lui apportait parfois un présent, mais ses visites étaient rares. Aucun enfant de son âge ne vivait au palais pour partager ses jeux, mais elle n’avait aucune peine à s’amuser toute seule, trouvant dans les présents de son père une distraction suffisante. Bien que solitaire, Syloane grandit heureuse, bénéficiant d’une vie protégée et simple.

Enfant, elle aimait se promener dans les jardins où l’herboriste du palais lui enseignait le nom des plantes et lui expliquait comment les préparer pour extraire leurs propriétés particulières. C’était une vieille fille du nom de Gisèle qu’on disait guérisseuse ou sorcière selon ce que l’on attendait d’elle. Syloane l’appréciait beaucoup et trouvait en elle la figure maternelle qui lui manquait. Gisèle aussi aimait la compagnie de la fillette qui possédait un réel talent quand il s’agissait de reconnaître les plantes. Elle apprenait vite et avec application, n’hésitant pas à poser des questions quand une explication manquait de clarté. L’herboriste répétait souvent que c’était Ona-Cella elle-même qui les avait réunies, car toutes deux étaient nées un soir de pleine lune. Syloane avait trouvé son équilibre auprès de Gisèle et rêvait de suivre les traces de sa mentore, de devenir une guérisseuse.

L’empereur Holger prit une nouvelle épouse sans parvenir pour autant à s’assurer une descendance mâle. Alors que Syloane n’avait que 11 ans, son père décéda d’un accident de chasse. Unique héritière légitime, elle était non seulement trop jeune pour régner, mais surtout elle était de sexe féminin, fait rédhibitoire dans la tradition d’Astrolie.

 

Pour dénouer ce nœud dans la vie de la fillette, celle qui joue avec le destin tire une deuxième carte.

L’Empereur : Principe masculin, patriarche. Il symbolise le pouvoir et l’autorité par son attitude froide et fermée. Solidement ancré sur le trône, L’Empereur règne et domine.

 

Avide de pouvoir, l’oncle de Syloane saisit l’opportunité et la força à l’épouser afin de prendre en main la destinée de l’Empire. Il dirigea d’une main de fer, releva les impôts, créa de nouvelles taxes et n’hésita pas à punir durement ceux qui ne pouvaient payer. Son règne se révéla impitoyable pour le peuple qui s’appauvrit, n’ayant pour seule issue que de s’enfoncer dans la misère pour ne pas subir l’ire du souverain.

Cette prise de pouvoir n’eut pas de grande répercussion sur Syloane. Elle suivait les leçons de Gisèle et son époux la délaissait complètement. Il ne voyait en elle qu’un instrument de sa puissance et préférait la compagnie de ses mignons, dévoués corps et âme à son bien-être.

Le jour de ses premières règles, l’attitude de son oncle changea radicalement. Il fit venir Syloane dans sa chambre, lui ordonna de se déshabiller et de se coucher sur le lit. Il la prit brutalement, sans préliminaires ni paroles rassurantes. Puis, son affaire terminée, il la renvoya dans ses appartements. Syloane resta enfermée dans sa chambre une semaine entière. Gisèle lui rendait visite, seule personne dont elle acceptait la présence. L’herboriste la soigna, mais reconnut son impuissance à protéger la jeune fille de son oncle, qu’elle devrait malheureusement faire avec. Elle lui conseilla d’implorer Ona-Cella de lui donner la force de surmonter cette épreuve douloureuse.

Une fois Syloane rétablie, son oncle se mit à pilonner régulièrement son intimité désirant un héritier qui assurerait son ascendance légitime et totale sur le trône.

Syloane détestait et redoutait ces assauts qui la meurtrissaient. Grâce à sa connaissance des plantes, elle savait lesquelles infuser pour se concocter une boisson abortive. Car même si se retrouver enceinte la mettrait pour un temps à l’abri de son mari, elle s’était fait la promesse devant Ona-Cella de ne jamais lui donner le fils qu’il espérait tant.

En grandissant, son audace augmenta. Elle trouva comment ajouter juste ce qu’il fallait de potion de somnolence dans l’alcool de son époux afin qu’il s’endorme sans la besogner. Elle s’en servait pour le tenir éloigné sans toutefois en abuser pour ne pas attirer l’attention.

Quand elle eut vingt ans, son oncle s’étonna qu’elle ne lui ait toujours pas fourni d’héritier. Il commença à craindre que sa nièce ne soit infertile et que son plan pour assurer sa descendance sur le trône n’échoue. À aucun moment il ne soupçonna qu’elle en soit à l’origine.

 

L’Amoureux : Il suggère le choix, le désir, l’amour et ses conséquences. L’Amoureux pèse le pour et le contre, recherche ce qui est le plus important à ses yeux et prend la décision qui sur le long terme lui apportera le plus de satisfaction.

Cette carte semble bien épaisse dans les mains de celle qui joue avec la destinée. Une deuxième s’est collée dans son dos, elle a un petit sursaut en la découvrant.

Le Diable à l’envers : manipulateur, il ment pour entrainer autrui dans son propre intérêt sans réfléchir aux conséquences de ses actes. Signe de matérialisme, de manipulation et de jalousie.

 

Reilagh avait de sérieux doutes sur l’innocence de Syloane. Il était le favori de l’Empereur. Pour gagner ce titre, il n’avait pas hésité à se défaire de tous les autres mignons, les faisant accuser de vol ou d’infidélité. Certains même disparurent dans des circonstances mystérieuses. Profondément jaloux de Syloane, Reilagh avait suggéré à maintes reprises à son amant de se débarrasser de sa nièce afin de trouver une épouse féconde. À chaque fois, il se heurtait à l’argument de la légitimité du règne. Pourtant l’idée faisait son chemin dans l’esprit du souverain et Reilagh ne désespérait pas qu’un jour la nièce ne partage plus le lit de son amant. Et dans le cas contraire, peut-être que, comme son père, elle pourrait succomber dans un accident tragique.

De son côté Syloane essayait autant que possible de ne pas songer à un avenir plus heureux. Elle vivait au jour le jour pour ne pas sombrer à la mélancolie. Elle trouvait du réconfort uniquement dans le jardin auprès des plantes et de l’herboriste qu’elle ne quittait que pour aller dormir.

Sentant en la complicité de Syloane et de Gisèle une occasion de nuire à la jeune femme, Reilagh inventa un motif pour renvoyer l’herboriste. Il prétendit qu’elle lui avait volé un bijou que l’on retrouva fort opportunément dissimulé sous son matelas. Syloane plaida en sa faveur, jurant de l’innocence de Gisèle qui d’ailleurs n’avait aucun penchant pour les bijoux. Mais l’empereur n’osa pas contredire son favori, il la bannit du château et de l’Empire.

Syloane se retrouva seule. Elle perdit l’appétit et le goût de sortir, même dans le jardin auprès des plantes qu’elle aimait tant. Elle dépérissait à vue d’œil pour la plus grande joie du favori du souverain.

Ne trouvant plus de raison de se réjouir ni de vivre, la jeune femme décida d’en finir. Elle monta sur la plus haute tour, déterminée à se jeter dans le vide. Mais arrivée au sommet, elle ne trouva pas le courage d’accomplir son geste. Elle se rendit ensuite aux cuisines où elle se saisit du couteau à désosser le gibier. Elle l’observa un long moment avant de le reposer, incapable de l’utiliser contre elle.

Elle gagna alors les bords du lac à l’est du château. La nuit s’était installée et la lune brillait d’une lueur bienveillante. Syloane y vit un présage: elle était née un soir de pleine lune, rien de plus logique qu’elle meurt un soir de pleine lune. Elle se déshabilla et rentra dans l’eau. Le calme et la sérénité l’envahirent à mesure que le liquide l’étreignait. Jamais elle n’avait été aussi sûre d’être là où elle devait, jamais elle n’avait ressenti une telle paix intérieure. Elle ferma les paupières, prit une grande inspiration qui détendit son corps et s’immergea entièrement dans le lac.

 

La carte suivante dessine un sourire sur le visage inquiet de celle qui joue avec le destin.

La Mort : Appelée aussi Arcane sans Nom, elle symbolise la transformation, le changement, le deuil, la fin de cycle. L’objectif de l’Arcane sans Nom n’est pas de faucher la vie, mais de la faire renaître sous un jour nouveau.

 

Un reflet vif lui fit ouvrir les yeux. Devant elle se tenait une femme, les cheveux étalés autour de sa tête comme les pétales d’une fleur et ondulants au rythme du courant. Elles se ressemblaient, si ce n’est que l’apparition brillait d’une douce lueur. L’étrangère prit la main de Syloane et la ramena à la surface.

— Ma tendre enfant, que t’arrive-t-il de si affreux que tu veuilles mettre fin à tes jours?

Après avoir conté son histoire à l’apparition du lac, Syloane lui demanda qui elle était.

— Je suis Ona-Cella la divinité de la féminité et de la nature. Tu es née un soir de pleine lune, ce qui veut dire que tu es sous ma protection, Syloane. Je t’avais confiée aux bons soins de Gisèle et elle a fait tout ce qu’elle a pu pour t’aider et te protéger. Malheureusement ça n’a pas suffi face à la soif de pouvoir de ton oncle et à la jalousie de son amant. À mon tour de prendre soin de toi. Viens avec moi, je vais te guider vers ton destin.

Syloane se rhabilla et suivit la déesse. Cette dernière la mena dans les villages d’Astrolie à la rencontre des paysans et des marchands qui vivaient sous le règne de son oncle. Tous regrettaient l’époque d’Holger et priaient pour qu’un souverain plus juste revienne au pouvoir.

Devant leur détresse, Syloane eut le cœur brisé et s’en voulut de son égoïsme. Elle avait tenté de mettre fin à ses jours, mais ce que ces gens subissaient dépassait ses petits malheurs. Car malgré les maux infligés par son oncle, elle vivait en sécurité, mangeait à sa faim et dormait sous un toit dans un lit confortable.

— Comment puis-je les aider?

— Tu peux te servir de tes connaissances d’herboriste, lui suggéra Ona-Cella.

Depuis ce jour, Syloane parcourut la contrée pour prodiguer des soins, guérir les malades, calmer les douleurs grâce aux plantes. Le peuple d’Astrolie la surnommait la Princesse Médecine et l’accueillait avec toujours plus d’enthousiasme et de ferveur. Certains lui faisaient même part de leurs regrets qu’une femme ne puisse revendiquer le titre d’impératrice.

Son oncle ne s’inquiétait pas de ses voyages à travers le pays. Il les avait même autorisés à condition qu’elle revienne régulièrement se donner à lui. Secrètement, il espérait que ses escapades la mettraient dans une meilleure disposition pour lui donner un héritier.

De son côté Reilagh enrageait de la voir se rapprocher de la populace. Il imaginait une intention belliqueuse derrière ces bonnes actions, une volonté d’usurper le pouvoir. Il la surveillait avec encore plus d’attention, envoyant des espions à ses trousses qui lui rapportaient chacun de ses faits et gestes.

Si Syloane se sentait enfin utile, elle constatait que ses attentions n’avaient qu’un bénéfice éphémère et que malgré tout, le peuple continuait de souffrir sous le joug de son époux. De fait, sa tristesse ne disparaissait jamais vraiment. Elle voulait en faire plus.

Elle implora Ona-Cella de l’aider à trouver une solution pour que les habitants de l’empire puissent avoir une existence plus agréable.

— Leur condition de vie dépend de leur souverain. Si tu veux qu’elle soit meilleure, il leur faut un meilleur empereur.

— C’est impossible. Mon oncle ne cédera jamais sa place. Et d’ailleurs, qui serait légitime pour le remplacer?

La déesse la regarda intensément et Syloane comprit alors ce qu’elle devait accomplir.

 

Sur la table du destin, une nouvelle carte a rejoint les précédentes.

La Force : Elle représente ce sentiment intime que tous les obstacles peuvent être surmontés grâce à sa force intérieure, son courage, sa détermination et la confiance en soi. La Force ne symbolise donc pas la force physique, mais bien la force mentale, la force de caractère.

 

Syloane se rendit dans une clairière où poussait une racine qu’elle récolta avec le plus grand soin, faisant bien attention de l’emballer dans un tissu sans la toucher avec les mains. Si elle avait appris quelles étaient les plantes qui guérissent, qui apaisent, elle connaissait également les plantes qui tuent.

À aucun moment elle n’hésita quand elle ajouta la décoction fatale dans l’alcool de son oncle. Elle en glissa également quelques gouttes dans la bière de Raleigh en mémoire de Gisèle. Sa main ne trembla pas, car en se débarrassant d’un tyran, c’est tout un peuple qu’elle libérait.

Plébiscitée par tous ses sujets, Syloane fut la première d’une longue lignée d’impératrices qui régnèrent avec justesse et bonté sur l’Empire d’Astrolie.

 

Satisfaite, Ona-Cella observe son jeu de tarot. Syloane a trouvé sa voie avec la complicité des arcanes qui ont tracé son chemin. Mais le regard de la divinité dévie vers une carte posée à l’écart sur la table du destin. Elle l’a mise de côté lors du son dernier tirage, mécontente de la destinée impliquée.

Le Mat à l’envers : Le Mat ne sait pas où il va et est en train de se perdre. Il n’est pas raisonnable et peut aller à sa perte. Il fuit plutôt que d’affronter les situations. Le Mat n’écoute personne, ne sait pas s’arrêter et reste fixé sur ses idées folles.

Ona-Cella ramasse la carte et la dissimule au centre de la pile, songeant que même le destin a parfois besoin d’un petit coup de pouce.

Commentaires (0)

Cette histoire ne comporte aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire