Créé le: 05.06.2017
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L’évasion du donjon de Castaramallac

Nouvelle

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Une évasion pas banale contée par ceux qui l’ont vécue
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L’évasion du donjon de Castaramallac

– Comment vous avez fait ?

 

Dans l’auberge, tous les regards sont rivés sur Bjorn, Fritz, Klaus et Ruben, les quatre hommes qui ont accompli l’exploit de s’échapper des geôles du tyran qui règne sur la région. Les évadés, eux, finissent tranquillement leur chopes de bière et recommandent une tournée – c’est pour moi, annonce une voix pleine de révérence sur la droite – avant d’entamer leur récit.

 

– Ça s’est passé hier soir, commence Fritz. On était dans nos cellules à attendre la pendaison que nous réservait le Seigneur de Castaramallac, quand un homme frêle est apparu de l’autre côté des barreaux. “Je suis le bouffon du Seigneur et je suis venu vous libérer. Il s’amuse de ma misère et moi je rêve de revanche. Votre évasion sera ma vengeance” expliqua-t-il tout en déverrouillant la porte. Puis, sans plus attendre, il s’est avancé d’un pas mesuré entre les cellules.

 

– On lui a fait remarquer que ce n’était pas la direction de la sortie, dit Bjorn. Il nous a expliqué qu’il était au courant et il a continué, rasant le mur jusqu’au fond. Il a alors fait trois grands pas parallèlement au mur et a désigné le sol : “il y a une trappe ici”.

 

– Il y avait bien une trappe, enchaîne Ruben. Elle donnait sur un couloir en contre-bas. “Les égouts” précisa notre sauveur. Mais ça, je l’avais deviné à la puanteur qui s’en dégageait. Klaus a sauté le premier parce qu’il avait la torche.

 

– Ruben est passé en dernier, ajoute Bjorn. Il a fermé la trappe, sauté et … il a vomi.

 

– Oui, bon, ça va !

 

– Tu as vomi tripes et boyaux à peine tu as touché le sol.

 

– J’ai dit : ça va !

 

Ruben se lève, le poing menaçant.

 

– L’odeur était vraiment épouvantable, dit Fritz leur faisant signe de se calmer. On en avait tous l’estomac retourné.

 

Ruben se rassied dans un grognement. Bjorn lui fait une grimace. Fritz enchaîne rapidement.

 

L’évasion du donjon de Castaramallac

– Notre guide avançait d’un pas sûr malgré l’obscurité, la main toujours en contact avec le mur de droite. Nous, on le suivait aveuglément, totalement incapable de se repérer dans le dédale des égouts. Soudain il s’est arrêté net. “Il y a un passage sur la gauche. Que celui qui a la torche passe en premier et regarde bien où il met les pieds”. On a alors suivi Klaus en faisant attention de marcher dans ses pas car lui seul voyait où il allait. On a fini par déboucher sur une sortie.

 

– Tu parles d’une sortie, le coupe Ruben. C’était un trou dans la paroi à vingt mètres du sol. Impossible de sauter cette fois !

 

– C’était un piège ? demande-t-on au fond de la salle.

 

Tout le monde se retourne vers l’importun. On lance des “chut” et d’autres remarques plus grossières. Quand le calme règne à nouveau, Bjorn poursuit le récit.

 

– Notre guide savait où il nous menait. “Eteignez la torche et suivez-moi sans bruit, on est mort s’ils nous repèrent.” Il a tâtonné du pied sur la droite puis s’est avancé le long du mur. “Par ici”. Il y avait une corniche à peine plus large qu’un talon. On s’est plaqué au mur et on a avancé lentement pour ne pas glisser. Heureusement que la lune était noire, sinon on aurait fait des cibles parfaites pour un guetteur posté en bas.

 

L’évasion du donjon de Castaramallac

–  On a débouché sur le sentier qui mène au donjon, continue Fritz. “Il y a les chevaux du seigneur par là-bas”, notre guide montrait la forêt devant nous. On a suivi ses indications et on est tombé sur deux gardes armés qui surveillaient l’écurie. Pas moyen d’entrer sans se faire voir.

 

– Soudain notre sauveur a sifflé, ajoute Ruben, et un craquement s’est fait entendre sur notre droite. On s’est dit qu’on était tombé dans un piège.

 

Dans la salle remplie d’hommes généralement bruyants, le silence règne. La tension est palpable et tous les yeux sont fixés sur les quatre évadés. Fritz boit une gorgée de bière, laissant le suspens flotter un moment avant de poursuivre.

 

– C’était le maître d’écurie. Il tenait des manteaux. “Enfilez-moi ça, dit-il, les nuits sont fraîches ces jours. Et pour les gardes, ceci peut vous aider”. Il nous tendit des dagues.

 

– On s’est approché discrètement des gardes et on les a égorgés, dit Klaus en mimant le geste sur sa gorge, s’octroyant des murmures d’approbation dans la salle.

– On a vite sellé les chevaux, poursuit Ruben, et on a emmené notre guide, même s’il ne savait pas monter. On ne pouvait pas le laisser à la merci du Seigneur. On a chevauché un moment dans la rivière, pour que les chiens ne puissent pas flairer notre trace, puis on a rejoint le chemin et galopé une nuit et un jour pour enfin arriver ici.

 

Des regards admiratifs vont de l’un à l’autre. Jusqu’alors personne ne s’était évadé du donjon de Castaramallac. C’est un sacré coup porté à l’encontre du tyran, une défaite qui va solidifier et étoffer les rangs de ses détracteurs.

 

Les murmures remplacent peu à peu le silence, les chopes se remettent à tinter quand une voix se fait entendre.

 

– Où est votre sauveur ?

 

Le calme reprend aussitôt possession de la salle. On se tourne à droite, à gauche, essayant de le repérer dans l’assemblée. Les évadés se jaugent, chacun attendant que l’autre prenne la parole. C’est Fritz qui se lance.

– On galopait sur le sentier quand une branche est apparue au milieu du chemin. On a tous fait un écart pour l’éviter.

 

– Je fermais la marche, poursuit Klaus, il était juste devant moi, j’ai pas eu le temps de le prévenir. Il s’est pris la branche en plein front. Il est tombé sur le dos, sa tête a violemment heurté une racine. Il est mort sur le coup.

 

Une chape de silence s’abat sur l’auberge. On entend la mousse de la bière s’évaporer alors que chacun se joue cette scène horrible dans la tête. Bjorn poursuit.

 

– On l’a enterré dans une clairière. On a fait un monticule de pierres pour marquer l’endroit et on est reparti.

 

– Mais, s’élève une voix, il a pas vu la branche ?

– Non, il était aveugle…

 

Silence lourd de réflexion dans la salle. Puis quelqu’un se lève au fond et dit, tendant solennellement sa chope :

 

– A la santé de l’aveugle !

 

Aussitôt tout le monde se met debout et, chopes dressées, lance d’une seule voix :

 

– A l’aveugle !

Commentaires (1)

Pierre de lune
12.06.2017

'Bonjour Asphodèle ! Un récit surprenant avec des personnages hauts en couleurs, et qui délivre une morale inattendue : voilà ce qui se passe quand on agit "à l'aveugle"... Une illustration "premier degré" de l'expression imagée :-)'

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