Créé le: 21.11.2015
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Les gabarits

Philosophie

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© 2015-2024 André Birse

Poursuivons.  Essayons de penser et de noter. Librement. Une sorte de journal philosophique, poético-philosophique,  au gré des jours et des événements, du cours de la vie. 
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Les gabarits

Dès qu’elle a été infligée, la blessure a fait mal. Nous sommes troublés, secoués, émus. Ces trois mots expriment quelque chose de vrai au plan physique. Ceux qui restent souffrent. La violence amène à ce résultat. Puis nous cicatrisons. Vite. Certains souffriront plus vivement, plus profondément, plus longtemps. Mais nous surmontons. Nous avons nos bouts de chemin à parcourir et nous engrangeons les forces utiles. Voilà notre égoïsme. Le retour à soi pour aller de l’avant. Le problème, l’un des problèmes, c’est l’absence de spiritualité. La spiritualité est un chantier qui n’avance pas. Les gabarits sont plantés. Rien de plus. La première réponse, c’est la culture. L’absence ou la suppression, le dépassement de la non-culture. Regarder, connaître, interroger, se donner la possibilité d’interroger, plus et mieux. Puis la conscience. Et la conscience ne peut porter que sur la complexité, non sur le vide qui lui échappe, non sur le plein qui en fait de même, mais sur la complexité. Les vagues, les vents, les tourments et les éclairs de la complexité, puis le calme revenu. Et l’humanité, ce mot qui ne peut être ni vain ni vide. Et l’animalité, cet autre mot qui interroge le premier. Il y a bien une action au sein de la vie. L’individu, l’eccéité, le social et l’ensemble des phénomènes, ou causes ou faits ou comportements, en résultant. Mais les gabarits restent plantés. Les vivants ne les regardent pas. Ils les imaginent parfois. Ceux qui sont partis, … impossible d’en faire un devoir, un simple sort, une cérémonie. Ceux qui sont partis nous constituent. Nous sommes et serons ceux qui sont partis. La spiritualité avec les mots, c’est difficile. La maladresse et l’approximation se font la part belle. Mais il faut bien commencer et poursuivre ce chantier qui semble si délaissé.

 

Minute de silence

La tristesse qui nous a saisi est, comme tant de choses en ce monde, à la fois généreuse et égoïste. Nous nous mettons à la place de la personne dans le dos de laquelle ils ont tiré. Nous éprouvons l’épouvante. La sienne, la nôtre. La scène est indescriptible. Pour tenir, notre conscience la refuse. On lit beaucoup cette semaine après les attentats. Ce témoignage me revient,”en sortant j’ai regardé vers le haut pour ne plus voir ce qui se passait”. Le massacre. Un policier pleure sur l’épaule d’un collègue. En voyant cela, nous sommes transportés au centre de l’enfer. Le nôtre, celui que construisent nos émotions en contact avec une réalité effroyable. Celle de l’accident, du meurtre en série ou du meurtre sans série. Nous sommes tous des rescapés dans ce monde martyrisé et accidenté et nous commentons, plus ou moins paisiblement, tantôt intelligemment, tantôt non. C’est là que la spiritualité serait la bienvenue. Pendant la minute de silence, à qui, à quoi, comment penser? A rien, c’est déjà bien, mais ce ne peut être qu’un commencement. La pensée n’est pas devenue réalité pour faire le vide.

La réalité justement. Elle est un passage obligé et demande beaucoup de temps pour s’en approcher, la ressentir, la toucher, l’accepter, l’intégrer. Puis ne plus la quitter, même durant la minute de silence. Dans cette relation là, il n’y a pas de célibat. C’est un mariage obligé que celui qui nous unit à la réalité. Quand on s’en éloigne, les psychiatres sont sans scrupules dans leurs rapports et diagnostics. Ils ont raison. Ils sont sélectifs aussi.

 

Eternité de silence

On peut jouer avec la réalité. Faire mine de ne pas la voir ou la transgresser, la sublimer, l’élever. L’enfant, l’artiste, le poète, le peintre. Les réalistes, les surréalistes, les troublés psychotiques, les atteints de démence. Le contact avec la réalité est un état provisoire qu’il est opportun de ne pas appauvrir. On ne nous offre pas le paradis sans concession. Offre, pas sûr. Paradis, pas vu. Concession, pas sans condition. Conditions? Minute de silence.

Troublés, nous le sommes. Sans exception. Mais en contact. Nous avons une réalité à défendre. Une autre à combattre. La même parfois. Et nous ne savons alors plus très bien qui nous sommes. La violence est une surprise. C’est surprenant si l’on sait que la violence est une constante. Des hommes et des femmes exercent leur liberté en se faisant meurtriers et disparaissent dans la mort avec leurs victimes. Il y a quelques erreurs ici ou là. Un mauvais début. Une suite douloureuse. Un recommencement morbide. Les numéros de la loterie englobent le tout potentiellement. La roue de la fortune connaît des ratés. Qui sourit aux audacieux? L’audace suprême serait de ne pas participer au tirage au sort. Mais le sort nous a déjà tirés. Parfois dans le dos. Parfois à côté. Espérer que les tireurs insensés disparaissent avant d’exister. Massacre, gabegie, capharnaüm et charabia. Eternité de silence.

Genève, le 22 novembre 2015

 

Une luciole

Après les attentats, les reportages, puis les discussions, médiatiques et publiques, domestiques et amicales. Des mots renouvelés, des pensées retrouvées, inquiets et tristes, repartis dans l’étrange aventure quotidienne, nos écoutons et nous lisons. S’enclenche un phénomène de participation à distance. Des noms, des personnages, des images, des mots, l’adhésion est sincère, vu la stupeur, mais partielle, vu la diversité des certitudes. Luciole et lucidité – j’ai le réflexe de ces mots dans les circonstances graves – ont une racine commune si l’on consulte les lexiques.

Lucifer aussi ? Peut-être bien. Le feu et la lumière. La douleur imposée ou ressentie et la clairvoyance. Nous avons de quoi faire un tri dans une telle suite de mauvaises idées et de visions infernales. Un choix qui ne vient pas d’en haut. Une naissance. Des certitudes à créer, à construire, à cultiver. Il faut bien faire quelque chose du mal puisqu’il existe. Le voir venir, le surprendre, n’avoir plus à le combattre pour l’avoir soumis. Je suis là plus dans l’espoir que la lucidité. L’un et l’autre sont à vivre et à nourrir. Mais la lucidité, c’est un programme, c’est une vie. Elle a déjà surgi en nous et ne reste pas à demeure. On peut aimer le sommeil, caresser ses rêves, vivre sa vie. La lucidité est de toutes les féminités celle dont je crains le plus de m’éloigner, ou de la voir s’éloigner, ou de ne plus la voir et qu’elle se soit éloignée, alors que rien ne m’assure de sa présence. J’agis exactement comme si elle vivait avec moi et te remercie de m’avoir fait confiance (28 novembre 2015)

 

Le guépard n’y songe pas

La violence faite à l’homme par ses semblables, l’histoire du supplice et de la mort infligée, histoire en cours, chronique en continu, ne permet aucune certitude dans le jugement sinon que ces actes n’auraient pas dû avoir lieu – jugement facile et vain – et qu’il doivent cesser – jugement facile et illusoire. Cette semaine en Angleterre, les parlementaires ont débattu de la nécessité de bombarder le nouvel ennemi du monde en Syrie. Une bombe est complexe à fabriquer. Quand elle explose, nous sommes dans l’évidence de la destruction immédiate. On nous envoie les images. Avant, pendant et après l’explosion. Hiroshima c’était il y a septante ans et chaque année nous progressons dans notre acquis de connaissance et notre prise de conscience. En Angleterre, ces premiers jours de décembre 2015, les oui ont gagné (“The yes have it”), selon les dires du speaker de la chambre basse, celle qui compte. Les opposants aussi ont gagné en insufflant de la crédibilité dans leur non. Et les avions quittent leur base. Il faut désormais gagner la guerre et faire cesser la violence. La candeur de cette affirmation est d’une puissance qui égale celle des bombes et qui ressemble à la candeur de ceux qui affirme qu’il ne faut pas faire la guerre. Etre lucide dans l’action et dans la critique de l’action. Dans l’action, c’est la lucidité de l’ingénieur et du pilote, aucune autre n’est de mise. Dans la critique de l’action, la lucidité n’éclaire que l’indéfinissable complexité. Il y a des victimes et des vainqueurs provisoires mais pas de score dans le domaine de la violence continue et la violence continue comprend toute l’histoire des hommes entre eux. Cela n’ empêche pas d’exister ni de chercher à y voir clair, lucidement, aussi clairement et lucidement que possible. La nature y est parvenue, avec la rétine, si fine, si complexe et si efficace. Le porteur humain de cette rétine (tout entier dévoué à sa seule efficacité le guépard n’y songe pas) ne devrait pas s’empêcher d’entamer

 

Là où le danger et l’avantage sont égaux

un semblable travail de lucidité, malgré les accidents, les misères et les impasses. Entre le Tigre et l’Euphrate, voici quatre mille ans des humains, les premiers nous dit-on, ont cultivé des champs et se sont organisés autour de ces cultures. Nous retrouvons leurs outils, leurs écrits, les premiers aussi, et leur entrée en religion par le culte pour un Chef. L’histoire se chargera d’enrichir le tout dans la ferveur et la violence. Nous sommes encore de ce monde sumérien. Notre connaissance progresse. Nous ne savons pas si nous sommes le fruit de la connaissance ou si la connaissance est le fruit de nos recherches.

Dans son Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, Voltaire a fait la distinction entre le meurtre commis “avec le glaive de la justice” et la fatalité inévitable de la guerre. “Là où le danger et l’avantage sont égaux, l’étonnement cesse” (1er par.). Les spécialistes de la guerre, doctrinaux, politiques et militaires seront d’accord avec lui. Mais entre la simplicité de la violence (la bombe), et sa dissémination (les actes terroristes), il devient délicat, même pour les plus aguerris, de dire quand le danger et l’avantage sont égaux. La distribution de la violence continuera. Il suffit de regarder l’avalanche, son risque, sa progression, sa fulgurance, sa puissance. Le regard inquiet vers la montagne où la confiance erronée est surprise. Nous prenons acte et nous poursuivons. (5 et 6 décembre 2015).

 

Sophistication des armes, simplification du diable

Discussion avec un voisin qui me fait part de son anxiété. Elle est partagée. Impossible d’être tout à fait serein. Je lui parle du supplice de Jean Calas, il y a 253 ans et de tant d’autres. Cette inventivité sacrificielle n’est pas nouvelle. Mais, je ne suis pas certain du tout que l’on puisse se prévaloir de l’une

(le supplice judiciaire chrétien) pour expliquer l’autre (la jubilation meurtrière des terroristes actuels). L’une des sources est la même, ce dont est capable l’homme, puis ça se perd. Les causes et les faits observés se diversifient. En lisant, même superficiellement ce qui se passe en Syrie et en Irak, en prenant connaissance des crimes-spectacles qui y sont commis, il est difficile d’avoir une réaction paisible. La violence vient à l’esprit. Désigner, distinguer la fausse-piste vitale et existentielle du tueur, en faire une certitude, intellectuelle, émotionnelle, sociale; et se donner des forces pour vivre et exister face à cela. J’étais à cours à la fois d’idées, ou d’idées non-violentes, et de disponibilité, j’ai fait le pas de côté pour signifier ma volonté de ne pas prolonger la discussion et j’ai dit, oui, je crois avoir dit “un peu de spiritualité que diable”. Nous savons désormais que le diable est meilleur que le plus mauvais des hommes, qu’il n’a pas de pick-up, ni d’armes sophistiquées, qu’il ne se creuse plus l’esprit pour trouver de nouvelles formes d’atrocité, qu’il subit comme nous ces nouvelles violences, qu’il y a un petit diable en chacun de nous mais que nous ne sommes pas tous capable de pareilles exactions. Nous n’y sommes plus (dans le temps) et nous en sommes loin (par la volonté). Mais ce nous se complexifie aussi, il devient indéfinissable. Mon voisin est inquiet, je le suis aussi. Son regard était celui d’un homme qui n’aura plus d’espoir. A la prochaine discussion, que je ne fuirai pas, nous reprendrons cette question de spiritualité “même pour les agnostiques”, a-t-il ajouté.

 

Ronald Reagan

Les semaines passent, la pluie tombe et je ne compte plus mes pas. Il paraît que Ronald Reagan était un Président très incompétent, au-delà de ce que l’on pouvait craindre. Les historiens l’établissent peu à peu. Rien vu, rien compris. Il a gagné deux élections en 1980 et 1984. Il a lancé son vice-Président vers l’élection suivante en 1988, lequel vice-Président a lancé son fils vers deux autres élections en 2000 et 2004. L’histoire se faisait, celle nos vies aussi et celle de tous les mondes. On le voyait à la télévision. Les commentateurs le commentaient, les chroniqueurs le chroniquaient. Les films violents se multipliaient déjà. Rien vu, rien su. Si Ronald Reagan était à ce point mauvais, de mes vingt à trente ans, n’est-ce pas que tout le monde l’était ? Les compétences s’entrechoquent, les incompétences aussi et les vies se dissolvent. Ce qui s’instaure, ce qui s’installe, c’est une réalité violente, un changement insidieusement néfaste. L’Afghanistan a gagné le concours de télé-réalité des nations puis tout semble avoir été déprogrammé. L’Iran a affûté ses cordes, musicales et autres, la colère s’est répandue à l’arrière des potences. Elle monte en nous, comme la peur et la lassitude. L’Irak, avec les successeurs de Reagan, puis la Syrie. Le Président des Etats-Unis est au faîte des choses politiques dans une vie d’aujourd’hui, quel que soit l’endroit de son développement ou de son déroulement. C’est du moins ainsi que nous le comprenons. Il faudra bien admettre pourtant que nous ne comprenons pas grand-chose et que nous voulons tout dire à la fois.

 

Ronald Reagan

J’ai souvent entendu ou lu que Reagan était sympathique et peut-être l’était-il vraiment. Mais il a mangé tout le gâteau . Il fut atteint ensuite de sénilité. Un parcours sur le toit du monde par un chat de gouttière qui fut puissant et célèbre mais fort maladroit, puis sénile justement. Une sorte d’usurpateur du toit de monde qui en a connu beaucoup. Ce visage auquel l’on nous a si souvent confrontés. Cette pensée inexistante à laquelle l’on devait se référer. Ronald Reagan nous parle encore mais on ne sait plus ce qu’il disait. Les thuriféraires et les électeurs furent-ils compétents ? Non, vraisemblablement pas. Que fait-on croire à qui ? Les militaires avancent courbés. Les terroristes les imitent et les défient. Imperceptible cet avancement des dessous de la violence, ce recommencement du tout dont les causes, comme de petits êtres vivants, restent dissimulées dans l’hiver du droit des gens.

L’humour est praticable en politique. Reagan nous en faisait tous les jours la démonstration. A noter qu’humour et philosophie ne vont pas de paire. Ils se neutralisent. Ils sont l’acide l’un de l’autre. Si c’est drôle, ça n’interroge pas. Si ça interroge, ce n’est pas drôle. Même chose en Cour d’assises. Certains s’y sont essayés. Comme Reagan riant de tout mais épargnant la philosophie qui ne l’intéressait pas. Je n’avais pas pris la mesure de l’ inanité du personnage pour autant qu’elle fût mesurable. Je m’en veux et me prépare à m’en vouloir pour quelques autres.

6 février 2016

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