Créé le: 18.09.2018
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Légende urbaine

AnimalAnimal! 2018

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© 2018-2024 Jacques Defondval

Ce sont des mécréants à l’esprit obscurci par la course qu’ils s’imposent pour amasser encore et encore. Ils ne peuvent plus voir. C’est dommage pour eux n’est-ce pas ? Les petites flammèches étaient réapparues dans ses yeux.
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Légende urbaine

Elisabeth avait bordé soigneusement le corps de Florence Torrent sur son lit. Florence avait refusé toute hospitalisation, préférant, comme les autres membres de la communauté, mourir dans sa maison. Babiole, elle, s’était déjà faufilée dans l’entrebâillement de la porte. Elle avait terminé ce qu’elle avait à faire et elle pouvait rentrer chez elle le cœur en paix. Elisabeth devait maintenant alerter le médecin de permanence pour établir le certificat de décès. Elle soupira devant ces obligations superflues. Comme si elle ne savait pas reconnaître les signes de la mort, elle, qui depuis quarante-sept ans traînait ses sandales dans les hôpitaux et autres lieux où maintenant les vies s’éteignent. Et puis, elle devait réveiller la Communauté. Tous les membres étaient dans l’attente de cette mort et la veillée était un rituel ancré dans la tradition du Hameau.

 

A environ un kilomètre de là, Linda, s’interrogeait. On en était au septième jour de l’observation expérimentale et la collecte des données avait fait l’objet d’une première mise en forme. Les quatorze chats équipés de leur collier GPS et de leur micro-caméra avaient communiqué à leur insu, la plupart de leurs secrets. Tous, sauf un. Ou plutôt une. Celle qui, déjà au départ, avait été un sujet à problèmes. Elle avait été la seule à ne pas supporter la caméra. Linda avait bien essayé de convaincre les propriétaires de ne pas insister. Cela lui aurait permis de tenter l’expérience avec un autre candidat. Mais les époux Gaulis n’avaient rien voulu entendre. Ils tenaient à apprendre ce que leur chatte fabriquait loin de chez eux pendant toutes les nuits jusqu’au matin à l’heure de leur départ.

Il fut donc entendu que Gargouille allait participer à l’observation sans caméra et seulement munie de son collier GPS. Pour Linda, le problème était que les données cartographiques de Gargouille présentaient plusieurs anomalies. Elle avait sous les yeux le tracé de ses parcours quotidiens et ce qu’elle voyait la laissait perplexe.

 

Les treize autres sujets avaient un comportement attendu de chat domestique. Ils avaient tous leur territoire qu’ils marquaient de leur empreinte olfactive. Ils le parcouraient selon un rythme journalier qui leur était propre et avec une configuration de trajet qui suivait leurs habitudes de patrouille. Il y avait les opportunistes qui faisaient la tournée des gamelles du quartier, les fortes têtes qui n’acceptaient aucune incursion dans leur espace, plus rares étaient les aventuriers capables d’explorer des contrées éloignées de plusieurs kilomètres. Tous retrouvaient, en fin d’escapade, la quiétude de leur environnement familier. En cela, ils montraient toutes les caractéristiques des représentants de leur espèce. Tous ces aspects de la vie d’un chat domestique étaient connus de l’éthologue. L’objectif de son étude était cependant autre. En vulgarisant, l’idée de Linda était de déterminer les types d’interactions présents entre la nature du félin et son intégration dans le monde humain. En clair, dans quelle mesure le comportement du chat a-t-il une incidence sur celui de son hébergeur… ou l’inverse ? La localisation de cette observation s’était imposée d’elle-même. Linda connaissait ce quartier de la ville, un peu reculé contre la colline du château, qui présentait une densité de population féline hors du commun.

Après un examen attentif des relevés cartographiques de chaque individu observé, Linda prit rapidement quelques notes concernant ses constats sur le sujet aberrant :

1. Gargouille semblait ne pas avoir de territoire. Elle ne faisait aucun circuit. Ses déplacements l’amenaient invariablement au même lieu.

2. Gargouille n’obéissait à aucune habitude concernant le moment. Ses sorties se produisaient à des heures différentes presque à chaque fois.

 

3. Le signal GPS de Gargouille se perdait invariablement dès qu’elle atteignait un point bien précis, ce qui induisait l’idée que Gargouille pénétrait dans lieu qui interdisait la réception du signal satellite

4. Gargouille était le seul sujet à n’avoir pas supporté le port de la micro-caméra.

 

En relisant ses notes, Linda fut immédiatement attirée par la question de la perte régulière du contact GPS sur un point de coordonnée invariable. Elle visualisa le lieu en mode ortho-photo et augmenta la précision de détail sur le trajet de Gargouille. La distance séparant son habitat et le point de disparition de la trace était d’environ huit-cents mètres. Le chemin s’arrêtait près d’une construction rectangulaire qui faisait partie d’un ensemble de bâtiments similaires qui formaient une sorte de U. En superposant les sept relevés dont elle disposait, Linda pu constater que l’itinéraire s’arrêtait là en ce qui concernait l’aller. Les retours, par contre, apparaissaient en un lieu plus éloigné de quelque cent mètres mais faisant toujours partie, à vue d’oeil, du même ensemble de constructions. Le temps de disparition était variable mais s’inscrivait dans une fourchette de trente-six à soixante-huit minutes.

Pour aller plus loin, il était nécessaire de se rendre sur les lieux. La carte pourtant très détaillée dont elle disposait ne pouvait apporter plus d’éclaircissement.

Le lendemain, lors d’une séance plénière de suivi du projet, Linda fit part de ses conclusions à l’équipe de projet. Madame Juliette Revane était propriétaire d’un des chats participants. Sur la demande de Linda, elle avait accepté d’apporter sa connaissance approfondie des lieux qu’elle habitait depuis plus de trente ans et à ce titre, elle avait été inclue dans le groupe élargi des différents intervenants. Elle avait donc immédiatement identifié le point sur la carte projetée par Linda :

— Je connais ce lieu. Il s’agit du Hameau.

— Le Hameau ? Avait interrogé Linda.

— C’est un petit quartier particulier de la vieille ville, poursuivit Juliette, ravie de pouvoir partager son savoir. Regardez la disposition particulière des maisons. Elles ont été bâties par une congrégation religieuse en 1887. En 1957, l’ensemble qui avait perdu tous ses occupants a été racheté par une femme fortunée et veuve. Personne ne connaît clairement le fond de l’histoire, mais la rumeur la plus persistante est que cette fortune aurait été acquise dans des conditions troubles par son mari durant la guerre de trente-neuf. Il semble que cette femme ait été une visionnaire et une féministe avant l’heure. Elle a consacré son avoir qui lui était revenu lors de la mort de son époux, à la remise en état des anciennes constructions pour constituer la communauté du Hameau. Cette communauté exclusivement féminine est aujourd’hui encore très active dans la ville. Le lieu est fermé par une grande grille, là.

Juliette, qui s’était levée, avait posé son doigt sur la partie ouverte du U formé par les maisons du Hameau.

— Fermé ? On ne peut pas y accéder ? Intervint Linda.

— Si, bien sûr, la journée les lieux sont ouverts. Mais la communauté des habitantes est discrète. Certains soutiennent même qu’elle est secrète, mais c’est exagéré.

 

A l’autre bout de la ville, le médecin de Philippe Gaulis disait aussi en répondant à son patient:

— C’est exagéré. Cependant les valeurs relevées par les analyses et celles provenant de mes constats m’incitent à vous prendre un rendez-vous chez un cardiologue afin d’aller dans le fond des choses, mais ce serait totalement prématuré de tirer des conclusions sur des données aussi générales, tranquillisez-vous. Tout en parlant, le praticien avait composé un numéro sur son téléphone et deux minutes plus tard, une consultation avait été organisée chez le docteur De Tomaso pour vendredi.

— D’ici-là, reposez-vous Monsieur Gaulis, et essayez, pendant cette fin de semaine, de prendre de la distance avec le stress de votre travail.

 

A dix-neuf heures, sur les conseils de Juliette, Linda s’était présentée à l’entrée du Hameau, avec le projet de rencontrer Madame Mathilde Guillot. La grille était ouverte et l’espace formé par le centre du U lui apparut dans le soleil couchant comme un jardin intérieur dans lequel fleurs et arbres étaient teintés de orange.

D’un pas décidé, Linda y entra, cherchant à repérer le lieu précis où la trace de Gargouille se perdait. Mais tandis qu’elle avançait, elle prit conscience du silence soudain qui avait envahi l’espace. Les sourcils froncés, elle fit un effort d’attention et elle put encore discerner, venant de très loin, les rumeurs de la ville. Mais le lieu semblait être protégé de toute atteinte et baignait dans un silence inexplicable. Le temps lui paraissait devenir plus lent et plus dense aussi. Elle marchait dans un chemin rectiligne bordé de part et d’autre par des plates-bandes garnies de fleurs et d’arbustes odorants. Au centre, un olivier tordu par l’âge, veillait, immobile, sur un triptyque de métal. Dans chaque cadre, un symbole forgé et émaillé avait été soudé avec art : une Croix pour la Chrétienté, une main de Fatma de l’Islam et un Eternel Noeud du Bouddhisme. L’ensemble était porté par un socle de pierre sur lequel brillait un court texte brasé dans le même métal : “Tout pour tout”.

— C’est l’œuvre de Madame Anne-Sophie.

Linda avait sursauté, comme prise en défaut. Elle se retourna vivement. A côté du vieil olivier se tenait une petite femme au regard bleu vif.

 

— Madame Anne-Sophie ? Excusez-moi, mais …. qui est-ce?

— Et vous, qui êtes-vous?

Linda, prise de cours par la vitesse et le tranchant de la question en retour, se présenta et exposa l’objet de sa demande.

— Je suis désolée pour vous, mais vous ne pourrez pas rencontrer Madame Mathilde avant la fin de la cérémonie. C’est à vous de voir si vous préférez revenir. Que dois-je lui transmettre ?

— De quelle cérémonie parlez-vous ?

— Vous répondez toujours aux questions par des questions ?

— Seulement quand je ne comprends pas où je suis.

La répartie avait claqué un peu trop vite et Linda avait déjà commencé à le regretter, mais les yeux bleus si clairs la regardaient avec amusement.

— Je suis Madame Elisabeth, dit-elle sans pour autant tendre la main, venez donc vous asseoir…

Elle la conduisit vers le banc qui, sous l’olivier, faisait face au tryptique. Quand elles eurent pris place, Elisabeth se tourna vers Linda et demanda :

— Alors, que voulez-vous savoir ?

 

— Le Hameau, c’est quoi ? Et ces sculptures en tableau ? Qui habite la première maison, à gauche de l’entrée ? Pourquoi parlez-vous d’une céré…

Elisabeth avait levé sa main pour arrêter le flot de questions. Elle observait Linda attentivement avec un regard qui pétillait de petites étincelles bleues. Alors, Elisabeth avait parlé. Du Hameau, de cette communauté de femmes libres qui y vivaient par choix, sans obédience à qui ou à quoi que ce soit. Elles mettaient en commun toutes leurs ressources et ne gardaient pour chacune d’entre elles que ce qui était nécessaire au quotidien.

Chaque membre de la communauté qui avait une activité lucrative versait ses revenus sur un compte commun géré par Madame Mathilde qui fonctionnait comme la supérieure d’un ordre qui n’en était pas un. Mais aussi, chacune avait une fonction particulière à l’intérieur de la communauté. Il y avait l’artiste métallurgiste, l’horticultrice, la cuisinière des repas en commun, la comptable, enfin toutes les fonctions nécessaires à la bonne marche de l’ensemble.

— Toute notre recherche peut se résumer à ce principe : “Vivre plus en ayant moins”.

— Voilà pourquoi le “Tout pour tout”, avait murmuré Linda qui relisait les mots forgés devant elle

— Nous ne sommes ni des béguines, ni des religieuses quoique très attachées à la vie spirituelle de chacune. Nous ne faisons partie d’aucune organisation, nous n’obéissons par choix délibéré qu’à cette seule règle, avait répondu Elisabeth en tournant sa tête vers les mots de métal forgé.

 

— Et Gargouille ?

— Gargouille ?

 

Ce fut au tour de Linda de parler. De cette observation scientifique orientée sur la population féline de ce quartier et des objectifs poursuivis. Quand elle en vint à la description de Gargouille et de ses comportements, Elisabeth s’écria :

— Mais c’est Babiole ! Vous me parlez de Babiole.

Linda était restée interloquée devant son expression ravie et son sourire d’une petite fille de dix ans.

— Je ne sais pas qui est Babiole. L’animal dont je vous parle vit dans une maison…

Elisabeth lui avait coupé la parole et enchaînait sur sa dernière phrase :

— … qui se situe à environ un kilomètre d’ici et qui est habitée par Madame Mireille et Monsieur Philippe Gaulis.

— En effet, vous les connaissez ?

— Eux, très peu, mais nous connaissons bien leur chatte Babiole qui fréquente assidûment le Hameau depuis deux ou trois ans. Mais comment ont-ils pu lui donner un nom aussi ridicule que Gargouille ? Nous l’avons appelée Babiole, à cause de la parure blanche qu’elle porte sur sa poitrine.

 

Mais Linda s’était redressée et tendait l’oreille vers une douce mélopée qui planait dans le jardin odorant. Elle semblait venir du plus grand bâtiment qui fermait le fond du U. Elle retourna son visage vers Elisabeth en haussant les sourcils.

— Ça, c’est la fin de la cérémonie d’adieu à Madame Florence, dit Elisabeth.

— D’adieu ?

— Oui, Madame Florence nous a quittées hier matin et le Hameau s’est réuni une dernière fois autour d’elle, avant la crémation qui aura lieu demain.

Linda, désolée et confuse s’était levée pour demander de l’excuser et prendre congé mais Elisabeth l’avait retenue :

— Vous savez, Madame Florence avait quatre-vingt deux ans. Elle a été une fondatrice du Hameau et elle s’est éteinte dans le lieu et près des gens qu’elle a aimés. C’est une fin heureuse que nous préparons, si cela nous est donné, pour chacune d’entre nous. Après cette cérémonie, nous partagerons un repas en commun et il ne sera pas triste. Madame Florence ne l’était d’ailleurs pas.

Après une courte pause elle poursuivit :

— Et puisque nous en parlons, sachez que Babiole venait tous les soirs. Elle sautait sur le lit de Florence et se mettait à ronronner tout en lui massant parfois les mains qu’elles tenaient sur sa poitrine. Vous savez, avec ses deux pattes avant comme font les chats.

— Ainsi donc, cette chatte connaissait Madame Florence ?

— Elle a connu Madame Florence, Madame Germaine, Madame Lucette et Madame Béatrice. Cette chatte a un don que j’ai pu voir à l’œuvre depuis que je suis devenue la compétence médicale du Hameau. Je suis infirmière, Madame Linda. Ainsi, je suis amenée à visiter des personnes qui ont besoin de soins. Je peux même dire que cette activité est devenue, avec l’âge, mon signe distinctif. Je suis peu à peu devenue une “accompagnatrice” en soins palliatifs. Notre communauté est vieillissante, Madame Linda, et notre choix de vie porte avec lui le désir de mourir à l’intérieur de cette communauté. Babiole venait rendre visite à Florence. Comme elle l’avait fait pour les autres. Babiole était toujours là quand je devais visiter une personne malade qui commençait à donner les signes

d’une mort approchante. Comme si elle savait que le moment était venu pour elle de faire ce qu’elle devait. Je ne dis pas que Babiole dispose de prescience. Je dis que Babiole se débrouille pour être dans les environs de l’une d’entre nous qui doit terminer le chemin, cette dernière distance que l’on ne peut parcourir que seule. Je dis que Babiole est pourvue d’une indéfectible compassion. Elisabeth avait articulé ses derniers propos d’une voix plus appuyée, comme pour prévenir toute argumentation sceptique.

 

A ce moment, Linda eut l’intuition que les faits et gestes de Babiole avaient depuis longtemps éveillé la curiosité des habitantes du Hameau tout entier. Elles en avaient parlé entre elles et le temps avec ses multiples hasards de conversation, avait engendré les fantasmes de la population avoisinante.

 

Une légende urbaine était donc apparue et elle ondoyait de bouche à oreille. Il y avait au Hameau, lieu déjà hautement atypique pour ne pas dire déviant, un animal qui prédisait la mort. D’ailleurs, les propriétaires de Gargouille-Babiole avaient certainement eu connaissance de cette rumeur. Ce qui expliquait leur opiniâtreté à vouloir faire partie de cette observation car l’animal décrit semblait en tout point correspondre à Gargouille. Les relevés GPS allaient apporter la preuve de “l’innocence” de leur protégée. Parce que, évidemment, ces potins et commérages de peuple crédule n’avait aucun fondement scientifique et l’on ne pouvait décemment y apporter quelque crédit que ce soit.

— Ce sont, dit Elisabeth, des mécréants à l’esprit obscurci par la course qu’ils s’imposent pour amasser encore et encore. Ils ne peuvent plus voir. C’est dommage pour eux n’est-ce pas ?

 

Elle s’était tue sur cette dernière diatribe et le silence s’installa entre elles.

— Démontrer l’invisible n’est pas simple, dit Linda.

Les petites flammèches bleues étaient réapparues.

 

— Le Hameau est habité par des sorcières, maintenant vous le savez. 

 

Un rire plus lointain, là-bas, au fond du U était venu troubler le moment. Les membres de la communauté ressortaient de la salle principale par groupes de deux ou trois. La cérémonie d’adieu était terminée.

 

Linda s’était levée, sentant que le signal du départ avait été donné. Elle regarda encore ce qui l’entourait en prenant soudain la mesure du déplaisir étrange qu’elle éprouvait à quitter ce lieu. Elisabeth lui posa une main légère sur le bras comme pour l’accompagner.

— Revenez nous voir, Madame Linda, le résultat de vos observations intéresseront beaucoup les membres du Hameau. Et puis, je suis certaine de n’avoir pas répondu à toutes vos questions.

En repassant devant la dernière maison avant la grande grille d’entrée, Linda comprit que c’était la demeure d’Elisabeth. Dans l’obscurité naissante, Babiole, avec son médaillon blanc éclatant, attendait, assise sur le rebord de la fenêtre.

 

Le lendemain à dix heures, tous les propriétaires des animaux ayant participé à l’expérience avaient été invités dans la salle de fête du quartier pour suivre la présentation officielle des résultats. Linda, très professionnelle, avait exposé tous les graphes des données recueillies ainsi que plusieurs séquences vidéo représentatives de la vie cachée des sujets observés. L’auditoire était autant surpris que captivé par ce qu’il apprenait. Elle ne donna toutefois, aucune précision sur la cartographie particulière des déplacements de Gargouille. Mais les personnes en présence avaient formulé plusieurs questions sur ce tracé insolite. Madame Gaulis, elle, avait secoué la tête plusieurs fois en répétant : ”Je ne comprends pas…”. Linda regrettait que l’époux de madame ne fut pas présent. Elle aurait été curieuse de connaître son point de vue sur le sujet Gargouille. Mais bon, Philippe Gaulis n’avait pas souhaité se rendre à cette séance.

Il faut dire que son rendez-vous de l’après-midi chez le cardiologue était devenu, au fil de jours, un ferment d’inquiétude. Son activité du matin, qui s’était réduite à faire le tour du propriétaire en visitant les abords de sa villa, l’avait à demi épuisé et il s’était étendu sur le canapé du salon, le souffle déjà devenu trop rapide. Gargouille, qui était assise, indifférente, sur le tapis fit alors quelque chose de tout à fait inattendu. D’un bond léger, elle rejoignit Philippe sur le canapé.

En ronronnant profondément, elle se mit à activer ses pattes de devant dans un mouvement alterné qui pétrissait le creux de son épaule. Soudain il se souvint des histoires qu’on racontait sur cet animal et il fut soulevé par un sursaut d’horreur. Dans un geste violent de dégoût, il projeta Gargouille contre le meuble qui faisait face au canapé en hurlant :

 

— Mais qu’est-ce que tu fais ?

 

Haletant, il s’était redressé et se tenait maintenant debout devant la table basse. Il chercha un appui de sa main, mais une douleur déchirante sur le côté gauche le fit hoqueter. Il tomba à genoux et sentit qu’il basculait en avant. Il ne se protégea pas en levant ses mains. Quand son visage heurta brutalement le carrelage, son cœur avait déjà cessé de battre.

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