Créé le: 12.10.2025
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Le Tour de Lombardie
Chapitre 1
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J'ai fait hier le Tour de Lombardie, plus philosophique que cycliste et le partage avec vous
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Le pays décline une représentation de la vie qui restera, une figuration du réel permettant à celui-ci de se révéler dans son invisibilité. Nous marchons paisiblement, les émotions jouent en nous avec les vides du silence et les pensées. On arrive à quelque chose, dans le monde ou en soi, et soudain c’est le vide ou le plein, de nuit et de lumière, d’absence ou de souffrance. La loi des rochers, celles des sapins, un abîme qu’on devine au loin.
Aujourd’hui, c’est le Tour de Lombardie. Un pays italien des routes d’automne que l’on pourrait voir comme destinées à la permanence de l’instant. Elles existent en nous et par elles-mêmes, forment les contours d’un rêve et ne sont en vrai que le profil cruel que prend sans égard l’immanence pour nous appâter alors qu’elle n’est que constitutive et se révèle indifférente. Ça roule et ça continue de rouler. Peut-être que je regarderai.
Nous sommes dans un interrogatoire constant. Enquêteur et questionné : « comment ça va ? » C’est une réponse impossible qui fuse ou reste inviolée. Avant de pouvoir dire comment ça irait, il serait opportun de comprendre ce qui se passe. Nous ne le savons pas. Ni en nous, ni à l’extérieur, nous ne pouvons dire ce qui est. Bien sûr les couleurs d’automne, leurs profondeurs ou leur éclat. Ce qu’elles disent à notre pensée immédiate autant qu’à la mémoire. Les couleurs d’automne qui regroupent en un tous les bonheurs et participent à une fin. L’arbre unique et commun me justifie et annule ma présence ou la rend superflue mais cette sève amère ne vient que de mon corps et pas du sien. De tous les corps probablement qui ont en commun leur universalité et leurs sorts, même et différenciés. De tous les corpus réunifiés annonçant l’implosion de la matière et des idées, la déflagration des lieux communs, alternée et portant enfin la marque d’une éternelle amitié.
Je me souviens d’une dame, je ne dirai pas laquelle, qui devant un ancien automne s’était montrée avenante, paisible et souriante. Un sourire lointain sur un visage fatigué qui devait avoir mené bataille. Elle ne m’était pas proche, je n’ai fait que de la croiser. Elle doit être partie depuis longtemps. Peut-être nous avait-elle un peu déjà quitté lorsqu’elle nous parla devant sa porte, à son petit-fils et à moi ? Je ne pourrais pas dire pourquoi cet instant me revient à chaque automne. Un réflexe, une manie, un artifice. Je me dis que c’est autre chose et que les êtres ont des bouts d’univers en partage. En la voyant ainsi, j’ai dû ressentir ce qu’était la force et la gaité quand elles sont épuisées, en quoi une personne, ici une femme âgée, aura laissé paraître, devant toutes les facettes de la réalité, un soupir joyeux qui accepte, engage et promet. Cela ne se voit pas et vite disparait. Mais ce n’est pas pour rien que je m’en souviens. On ne voit pas toutes les étincelles du concert sidéral. Des morceaux d’éternel sur un pas de porte. Il faudra sortir ou rentrer, se décider, assister à un évènement ou attendre savamment que rien ne se passe. Cet un et cet autre qui se chamaillent en nous. C’est le « (…) tous les moulins de mon cœur » de Michel Legrand qui s’est fait une place dans nos vies sans qu’il soit nécessaire de résumer le tout à ce simple mouvement.
Le cycliste fend la foule excitée dans les montagnes du Nord de l’Italie. Un pale soleil vient le saluer. Je me prends au jeu et m’y perds. Les noms, les chiffres, l’importance de la victoire. Un jour paraît-il tout cela est remis à plat. C’est ainsi chaque année. J’étais avec lui sur le vélo, je menais aussi et j’allais gagner puis on ne sait comment les saisons passent et obstruent jusqu’à la perception de notre vanité. J’ai disparu dans foule et me suis calmé. Mes vœux étaient ceux de la raison et je n’ai souhaité que le bien de tous sachant qu’égoïstes nous le sommes absolument. J’aurais aimé être au commentaire et de ma cabine voir défiler les kilomètres et les éléments de paysage. Mais le vainqueur s’est obstiné à m’exclure avec les autres. Je regarde la fin de la course en pensant à quelqu’un. Ce qui se passe est primordial, puis continue de se passer, un mur dans la montée, une souffrance qui paiera, des chutes que personne ne souhaite et le réel qui toujours veille au grain sans n’en savoir rien.
Le moment de télévision. Une lumière naturelle transposée en artifice nous éblouit. Plus que quelques kilomètres. C’était vrai l’année dernière, ça l’est aujourd’hui, dans les années soixante aussi. La caravane est passée. Ce ne sont plus les mêmes morts ni même les vivants. La petite satisfaction de l’instant ne change pas. Ni l’exaltant, ni l’exalté. Il y a quelque chose que l’on n’a pas creusé. Une psychologie qui à nous se proscrit. Nous vivons des visions recommencées. Pour ne pas déplaire à mon texte, je ne passerai que rapidement sur la notion d’un même morceau de viande qu’en carnassiers affamés nous nous partagerions. La réalité vraie déplairait à mon texte. Les lignes du ciel de ce pays d’Italie, promesse tenue d’une espérance ingénue qui me fit en rêver toute la vie durant. L’horizon parle à l’esprit avant et peut-être après la vie. Il me faut un peu de phrase poétique dans ma palette d’automne pour garder l’équilibre à l’instar du champion slovène qui termine sa course dans une ville par les rues qui le scrutent et les lignes qui l’attendent. Une parfaite architecture contenant la fuite, des corps, de l’attente et de toutes les réalisations. Entre Côme et Bergame, alors que les couleurs jouent à froid et à chaud. De cette ville d’arrivée nous voyons les lumières du couché. A quel point parle une ville d’Europe. L’ancienneté, ce qu’il faut en connaitre et en deviner. Une vue d’hélicoptère en quelques secondes et nous pourrions y consacrer une vie. C’est fait. « Viens regarder !», j’entends une voix familière que me prend à rêver. Nous sommes plus absorbés par le tout que nous ne l’aurions, on aurait pu le croire, absorbé. Le vainqueur est à l’interview et je vais en profiter pour me relire, plus que de me surprendre, me répéter. Il y a toujours, même sans cesse renouvelée, cette expérience faite de l’impermanence à laquelle nous n’avons su que répondre, sinon par le rappel de son dévoilement qui est une évidence dont on ne sait rien de ce qu’elle révélerait ou pourrait signifier.
11 octobre 2025
Commentaires (1)
Starben Case
17.10.2025
Etrange sensation cette boucle temporelle qui passe et repasse sans cesse: la séquence immuable des saisons, le retour du souvenir d'une dame inconnue associée à l'automne, le traditionnel Tour de Lombardie avec toujours un champion, relayé sur des milliers d'écran. Un cycle rassurant. Merci pour cette métaphore.
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