« Et sa mère avec elle, de tout son cœur chantait Sa chanson d’hirondelle au Dieu qui la portait. » Chanson populaire
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« Et sa mère avec elle, de tout son cœur chantait Sa chanson d’hirondelle au Dieu qui la portait. » Chanson populaire

L’hôtel Beau-Rivage est un lieu que le décor luxueux allié à un paysage d’une splendeur inouïe transforme en véritable paradis. Depuis son veuvage, Jules Marcau, y célébrait chaque année son anniversaire en compagnie de sa fille qui devenait ainsi une réelle princesse de contes de fées en pénétrant dans le grand hall d’entrée Elle aime cet endroit et rien ne pourra lui faire oublier les moments privilégiés qu’elle y a vécus. Ils font partie de sa personnalité et elle se sent forte en passant devant le portier qui la salue avec un grand sourire, comme s’il la reconnaissait. Elle se dirige vers la réception d’un pas assuré et demande à parler à Monsieur Pavese. L’employé saisit le téléphone et compose le numéro de la chambre. Après quelques secondes d’éternité, il déclare :

Bonjour Monsieur. Une demoiselle aimerait vous parler. Puis il s’adresse à Violette

– Quel est votre nom ?

– Je m’appelle Violette et dîtes lui que je suis arrivée en retard à son concert, dimanche. Le message est aussitôt transmis :

Violette. Elle dit qu’elle est arrivée en retard dimanche…..

Le réceptionniste repose l’appareil. – Il a raccroché. Je suis désolé.

La jeune femme est complètement désemparée. Elle ne comprend pas la réaction du chanteur. Il ne va pas perdre connaissance chaque fois qu’elle se manifeste tout de même ? Il ne la connaissait pas jusqu’à hier et ne l’a aperçue que pendant quelques secondes. Pourquoi réagit-il si négativement à son nom ? Elle veut en avoir le cœur net et va demander qu’on le rappelle. Avant que sa requête ne soit formulée, le téléphone sonne et le réceptionniste décroche :

– Oui, monsieur, elle est là. Je vous la passe. Violette se retrouve l’écouteur à la main, muette et incapable de prononcer une parole.

– Mademoiselle Violette, c’est bien vous ? Montez je vous prie, je vous attends. Chambre 312 . Suit un déclic indiquant que le monologue est terminé. Violette décide de monter à pied les trois étages qui la séparent de cet homme qui va peut–être bouleverser sa vie en confirmant les affreux soupçons qui la hantent. L’idée de le rencontrer la terrorise et elle ne sait pas comment se présenter. Elle se cramponne à l’espoir fou que sa folie va se dissiper, que le chanteur lui parlera de ses problèmes cardiaques qui provoquent parfois de légers étourdissements et qu’il s’étonnera de sa démarche. Elle se moquera elle-même de son imagination délirante et pourra se présenter à ses examens de médecine tout en poursuivant ses études musicales. Son père sera à nouveau son protecteur et elle pourra le serrer dans ses bras car elle n’a pas oublié sa souffrance lorsqu’il avait perdu sa femme. Les récits qu’il lui a faits des concerts qu’il organisait pour Chantal et du bonheur qu’elle en retirait sont profondément ancrés en elle. S’il n’était pas au premier rang des spectateurs, elle ne pouvait pas chanter, disait-il. C’est lui qui lui donnait le courage d’affronter le public, ajoutait-il avec orgueil. La petite fille a toujours été reconnaissante à son père d’avoir rendu sa mère si heureuse. Elle ne se souvient pas de les avoir entendus se disputer et garde d’elle l’image d’une femme gaie.

Arrivée au deuxième étage, Violette s’affole à l’idée que Giovanni Pavese ne s’impatiente et ne renonce à l’attendre. Elle se met donc à courir et franchit deux par deux les marches qui la séparent du but. Lorsqu’elle se retrouve derrière la porte sur laquelle se détache le numéro recherché, elle semble sortir d’une longue rêverie et revient brusquement à elle. Prise de panique, elle veut s’enfuir mais à ce moment la porte s’ouvre comme par magie. Indécise, elle fait quelques pas à l’intérieur de la pièce puis s’arrête, éblouie par la vue magnifique sur le lac d’un bleu ardoise et les montagnes étincelantes de neige. Le spectacle est si beau qu’elle oublie tout et se met à fredonner l’air que Chantal lui avait appris et qui lui vient spontanément aux lèvres dans les moments de forte tension : le chant de l’hirondelle qui n’ose s’élancer du nid et qui finit par ouvrir son aile au vent grâce aux encouragements de sa mère qui peut alors remercie le Dieu qui la porte.

« L’hirondelle légère ouvre son aile au vent, l’ouvre bien tout entière et s’élance en avant. Et sa mère avec elle de tout son cœur chantait sa chanson d’hirondelle….. »

« Au Dieu-eu qui la portait, au Dieu-eu qui la-a portait ».

C’est une voix masculine qui a chanté la fin de la phrase, cette voix qui est la seule caractéristique qu’elle connaisse d’un inconnu devenu si important dans sa vie. Violette n’ose plus bouger, plus respirer. Elle se retourne très lentement et aperçoit le chanteur au fond de la pièce. Il a ouvert ses bras et la jeune femme s’y précipite dans un élan incontrôlable. Elle sanglote contre son corps et il lui caresse les cheveux avec infiniment de tendresse. Il y a si longtemps que Violette ne s’est abandonnée dans une confiance totale, c’est une sensation si nouvelle et si merveilleuse que le chagrin sans fond de la petite fille qui a perdu sa maman laisse enfin la place à une paix retrouvée. La présence ressuscitée de son amour donne à Giovanni une sensation d’éternité. Comme le premier homme qui ne faisait qu’un avec Eve, avant que Dieu ne prenne une de ses côtes pour en faire une femme et ne la lui présente, ils se découvrent dans leur identité d’êtres nouveaux et restent muets. Ils redoutent la première parole qui viendra les séparer alors que leur union avait vaincu la mort mais Giovanni prononce dans un souffle le prénom de celle qu’il a perdue il y a si longtemps. « Chantal »

« Violette, répond-elle tout aussi doucement. Je suis la fille de Chantal. »Son regard plonge très profondément dans celui de l’homme qui n’a pas oublié sa mère. Au-delà de la tristesse, elle est touchée par le rayonnement qui en jaillit et par le bonheur qu’elle y puise. Le chanteur célèbre dont elle ne connaissait que l’image a rajeuni de vingt ans. Il la contemple comme un miracle et un sourire illumine son visage.

” Violette, murmure-t-il. C’est le prénom que je donnais parfois à Chantal car elle aurait voulu le porter.”Il ne peut encore prononcer les mots « Ta mère. » La mère de cette jeune femme qui pourrait être sa fille aurait dû être celle de ses enfants. Mais elle est morte trop jeune…A ce moment, la question qui le tourmente et qu’il n’ose encore poser surgit de la nuit dans laquelle il est depuis si longtemps cloîtré. Il doit connaître la vérité et il est emporté par une lame de fond terrifiante. Il hurle :

« Où est-elle ? Que fait-elle ? » Et il s’écroule sur son lit. Violette est atterrée. Giovanni ignore donc le décès de sa mère. D’une voix très douce, elle dit que c’est en allant le rejoindre à Londres, bien qu’il l’ait abandonnée sans jamais lui donner d’explication, qu’elle a été renversée et tuée par une voiture devant la gare. Que c’est sa peur de manquer le train qui avait été la cause de cette précipitation fatale. Le chanteur prostré s’est relevé très brusquement et son regard a de nouveau changé. Il est animé d’une fureur qui fait reculer Violette. Elle ressent le besoin de se protéger car il semble prêt à l’agresser.

« C’est elle qui m’a abandonné, crie-t-il d’une voix méconnaissable qui n’est plus celle d’un amoureux éperdu mais celle d’un lion blessé. J’ai reçu une lettre m’informant de son décès alors que je l’attendais car elle devait venir me rejoindre aux Etats Unis et j’étais fou de bonheur à cette perspective. Cette horrible lettre a détruit ma vie et depuis ce jour je n’ai plus retrouvé la paix. Je …. »

Il est incapable de poursuivre, les sanglots et la colère l’étouffent. Il ne remarque pas que Violette frappée de stupeur reste sans réaction. Elle ne comprend pas ce qu’elle vient d’entendre. Son père a parlé de Londres, Giovanni était à New-York. Et de plus, comment pouvait-il attendre sa mère s’il l’avait quittée pour une autre ?Comme deux boxeurs groggy dans un ring, ils se regardent, un peu hébétés.

« Pardonne-moi, ma chérie, dit enfin le chanteur. Tu lui ressembles tellement que je suis un peu perdu. Quand est-elle morte ? »

« Il y a dix-neuf ans. J’ai vingt-six ans aujourd’hui. J’allais fêter mes sept ans au moment de l’accident. Giovanni fait un rapide calcul et se retrouve dix-neuf ans plus tôt, à Londres où il avait remporté un succès mémorable. Il a une bonne mémoire des dates. Chantal a donc vécu dix ans de plus que ce qui lui avait été annoncé….Elle s’est mariée, elle a eu un enfant. Dont le père est…

« Qui est ton père ? »murmure-t-il..

«Jules Marcau. Il est médecin. C’est un chirurgien célèbre, on l’appelle dans le monde entier. Il répare tout ce qui est cassé ! » Elle semble si fière de lui.« Au clair de la lune mon pauvre Marcau, oublie la brune qui n’te trouve pas beau. »Cet air qu’il fredonnait avec Chantal lorsqu’elle se plaignait de l’insistance du docteur à vouloir la rencontrer retentit dans sa tête comme un coup de fusil. Il sait maintenant qui est l’auteur de la lettre. Il est entièrement possédé par l’idée de vengeance et veut se précipiter chez celui qui lui va volé sa femme mais son regard se pose sur celle qui est vivante devant lui et qui ignore encore la noirceur de ce père qui est tout pour elle. S’il peut donner à Chantal une preuve ultime de son amour, ce sera de protéger sa fille, comme si elle était aussi la sienne. Ils sont tous trois les victimes de cet homme sans scrupule mais si l’on veut mettre un frein à son influence néfaste, il faut arrêter le massacre. Les pensées tournent à un rythme effréné dans la tête de l’artiste. Il regarde avec tendresse Violette, lui caresse la joue et dit doucement :

« Tu es vivante, Chantal est ressuscitée. « Et il ajoute dans un effort surhumain :« Je n’aurais jamais dû me laisser séduire par cette américaine que j’ai très vite repoussée. J’aimais ta mère plus que tout mais je devais beaucoup travailler dans des conditions difficiles et je me sentais très seul. Je me suis consolé dans les bras de cette fille sans penser aux conséquences de ma conduite. Chantal a été mise au courant de ma liaison par l’une de ses soi-disant amies et je n’ai plus entendu parler d’elle. Mais elle est morte. Si rapidement.» Il se tait, épuisé par la tension effroyable qu’il doit contenir en lui.

Violette lève sur lui un regard étonné :« Je ne comprends pas. Pourquoi mon père parle-t-il de Londres et vous de New-York ? » Mais son soulagement est tel à l’idée que c’est bien lui qui a trompé sa mère et que le Dr Marcau n’a fait que donner de l’amour à la jeune femme dévastée qui lui demandait sa protection qu’elle ne cherche pas vraiment à connaître la réponse que le chanteur ne lui donne pas.

Elle a hâte maintenant de revoir son père injustement soupçonné. Elle regarde d’un œil différent ce Giovanni qui a dû faire souffrir Chantal puisqu’elle cherchait à le revoir des années après leur rupture. Mais elle a aussi constaté son immense douleur et elle ne peut lui en vouloir d’un passé qui n’appartient qu’à lui. Elle prend donc congé en l’embrassant car elle a de l’affection pour cet homme qui a partagé la vie de sa mère et elle espère le revoir.

 

A suivre: Chapitre 26 La jeune femme en rose

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