«Il faut du courage pour interpréter les rêves mais les rêves nous donnent du courage pour créer la vie que nous aimerions vivre» dit Jung
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« Il faut du courage pour interpréter les rêves mais les rêves nous donnent du courage pour créer la vie que nous aimerions vivre » dit Jung

Epuisée par les révélations de la journée, Violette s’endort avec la sensation qu’il lui manque encore une clé pour comprendre l’histoire de sa mère. Elle n’est pas certaine d’avoir saisi le sens des paroles du chanteur, mais aucune accusation n’a été portée contre son père et elle se retire dans la sécurité fictive que lui apporte cette imprécision.Le rêve qui l’habite au réveil n’est pas un rêve agréable. C’est un cauchemar horrible et elle ne comprend pas du tout ce qu’il signifie. Elle sait que les rêves sont le plus souvent en relation avec les événements que l’on vient de vivre et sont construits sur des émotions récentes. A aucun moment, elle ne s’est sentie en danger de mort. Pourquoi a-t-elle vu :

” Une femme jeune d’environ 35-40 ans blonde avec une robe rose vif, très gaie, traverser la route en chantant une chanson populaire dans une langue étrangère. Elle porte un panier de linge sous le bras. Elle a tout le temps de passer mais elle s’arrête au-milieu de la route et fixe le bus qui arrive en face d’elle. Le chauffeur poursuit sa route et la heurte de plein fouet. Elle est tuée sur le coup. Je commence à hurler sans pouvoir m’arrêter. Lorsque j’ose enfin me retourner, je vois un petit groupe de personnes qui s’éloignent en portant chacune un morceau de ce qui reste du cadavre. Un homme a calé sous son bras le haut du corps vêtu de rose vif et je capte le regard figé de celle qui semblait incarner la joie, la couleur, la vie quelques secondes auparavant. J’en ai encore froid dans le dos “

– C’est le regard si déterminé de la femme qui me poursuit, ajoute-t-elle en achevant le récit de son rêve à Jeanne chez qui elle avait rendez-vous tôt ce matin. Elle voulait mourir. Le long hurlement que la vue du cadavre provoque en elle résonne encore dans la tête de la rêveuse et la glace d’effroi. Après quelques instants de silence où toutes deux peuvent entendre retentir ce cri surgi des profondeurs de la préhistoire, Jeanne prend la parole :

– Un aspect de votre personnalité a été tué, il s’agit donc de découvrir lequel il est et qui en est l’assassin. Mais tout d’abord, ne cherchez pas à étouffer le hurlement. Laissez-le résonner en ne lui faisant pas obstacle. Il finira par disparaître. Violette se blottit contre le siège de son fauteuil et ferme les yeux pour retourner dans son rêve. Elle revoit l’accident, le cadavre et sent la même terreur s’emparer d’elle. Elle n’oppose aucune résistance à cette violente émotion et respire profondément. Le hurlement envahit son corps, il se déroule de sa gorge jusque dans ses pieds. Cette longue plainte fait monter en elle une force qui la rassure. Elle imagine que le corps disloqué va être recomposé par tous ceux qui en ont ramassé un morceau, comme Isis l’a fait dans la mythologie égyptienne avec le corps démembré de son mari, Osiris. Fils du dieu de la terre et de la reine du ciel, Osiris a un frère, Seth, jaloux de lui qui le tue et le découpe en quatorze morceaux qu’il dissémine dans tout le pays. Sa femme, Isis, part à leur recherche, les retrouve et reconstitue le corps. Osiris devient ainsi le dieu incarnant le principe de mort et de renaissance Son corps dispersé et rassemblé apporte le renouveau au monde de l’imagination. Il faut donc affronter ce démembrement et en revenir plus vivante.

Violette pense qu’elle est en train de vivre une phase très violente du processus d’individuation qui demande beaucoup de courage pour affronter certains aspects effrayants de l’inconscient. Ce rêve lui indique qu’elle sera plus forte si son corps parvient à se reconstituer. Car elle ne doute pas que la jeune femme en rose soit elle-même, ou du moins une partie d’elle-même et elle ne peut la laisser sans secours.-

Voyez-vous le conducteur du bus ? demande Jeanne.-

Il a une cinquantaine d’années, il est grand, il a des cheveux gris et… c’est mon père , répond Violette qui sursaute brusquement en prononçant ces dernières paroles.

– Pouvez-vous devenir ce personnage dans le rêve ? Devenir ce chauffeur de bus qui ne peut pas éviter d’écraser une jeune femme ? Et qui représente un aspect de vous ?La rêveuse se prête volontiers au jeu de rôle dont elle a déjà constaté l’efficacité par le passé.

– Qui êtes-vous et quelle est votre fonction ?

– Je suis un homme qui veut arriver à son but, sans faire attention aux autres. Je fonce

– En quoi ressemblez-vous à Violette ?

– Je suis volontaire, comme elle et rien ne peut m’obliger à m’arrêter quand j’ai un projet. Je suis un chauffeur compétent et les autres doivent s’écarter sur mon passage.

En quoi êtes-vous tous deux différents ?

Je ne vois pas les obstacles et mon manque d’attention me fait commettre des actes irréparables. Violette est plus attentive. Elle ne provoque pas de tels accidents.

– Qu’est ce qui vous plait dans votre personnage?

– J’aime être le plus fort, celui qui sait où il va.

– Est-ce que quelque chose vous déplaît dans votre personnage ?

– Je n’aime pas être un meurtrier, même involontaire.

– Quelle serait pour vous, la manière la plus désagréable de laquelle le rêve pourrait se terminer ? Qui le transformerait en cauchemar absolu ?

Que la police arrive et que je sois jeté en prison. Que je reste enfermé de nombreuses années

Et la manière la plus agréable ?

– Je voudrais que la jeune femme attende que j’aie passé et ne soit pas morte. Qu’elle puisse continuer à chanter .

Jeanne a soigneusement noté toutes les réponses de Violette pour pouvoir les restituer fidèlement.

– “La partie de votre personnalité qui s’exprime par la voix du chauffeur a dit que lorsque vous avez un but, ou une idée, rien ne vous arrête. Y a-t-il eu une situation récente dans laquelle vous avez ressenti cette impression ? Avez-vous été pressée d’arriver à une conclusion sans tenir compte de tous les éléments du problème ?”

Violette n’a pas eu le temps de parler à Jeanne de sa démarche auprès de Giovanni car elle s’est empressée de lui raconter son cauchemar. Cette question la surprend beaucoup. Elle hésite, ne voit pas ce qui pourrait justifier une telle attitude de sa part.

Elle a sincèrement voulu découvrir la vérité au sujet de son père et ne pense pas avoir évité de la connaître. Mais au moment de formuler sa réponse, elle revoit le visage bouleversé du chanteur, leur immense tendresse réciproque et la terrible solitude dans lequel elle a eu l’impression de le laisser leur immense tendresse réciproque et la terrible solitude dans lequel elle a eu l’impression de le laisser en le quittant. A-t-elle vraiment cherché àl’entendre ou n’a-t-elle pas,au contraire, dirigé l’entretien dans la direction qui lui plaisait ? L’ombre de son père qu’elle ne pouvait envisager d’affronter a-t-elle été dissimulée par son interlocuteur voulant la protéger ? Que veut lui révéler ce rêve ? Elle reste silencieuse et Jeanne poursuit :

– En conduisant votre bus sans faire attention aux autres, vous tuez la partie créative, gaie et lumineuse en vous. Que se passe-t-il dans votre vie qui puisse vous inciter à un tel comportement ?

– Je ne comprends pas, Jeanne, murmure la jeune femme. Laissez-moi vous expliquer. Elle cherche les mots qui rendront le mieux compte de ce qui l’a touchée et tout en parlant, elle prend conscience de l’incohérence de ses propos. Pourquoi Giovanni qui avait quitté sa mère ne s’est-il jamais marié ? Pourquoi a-t-il été si bouleversé lorsqu’il a vu devant lui le sosie de Chantal ? Et surtout, pourquoi a-t-il dit : « J’étais fou de bonheur à l’idée de la revoir. » ? Et où devaient-ils se retrouver ? À Londres, à New-York ? Même les dates ne jouent pas.

– La manière de conduire le bus, sans prêter la moindre attention à la jeune femme, ajoute Jeanne, a tué votre côté musicien. Vous êtes écartelée entre la loyauté envers votre père et la réalité de votre mère. Mais il y a en vous des énergies surgies de l’inconscient, représentées par les personnages emportant les morceaux, qui sont décidées à vous faire revivre. Elle se tait et pose sa main sur celle de Violette. Il y a tant de désarroi dans les yeux de sa cliente qui est en train de subir une mutation profonde. Elle doit renoncer à l’image d’un père divin et admettre le côté tragique de son humanité.Tout d’abord, elle veut une confirmation des soupçons que le travail sur le rêve a fait naître en elle, même si elle ne doute plus de la noirceur du comportement de cet homme qui était son héros. Elle informe Jeanne de son intention de retourner immédiatement à l’hôtel Beau-Rivage pour parler une dernière fois à Giovanni Pavese avant qu’il ne quitte le pays.

 

A suivre: Chapitre 27 L’échelle de Jacob

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