“Il y a en nous quelqu’un de plus grand que nous. il nous parle dans les rêves.” C.G.Jung
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Le rêve de Violetta Chap 20 La robe de mariée.

Recroquevillée dans le fauteuil qu’elle aime occuper, Violette est à peine reconnaissable. Elle parle d’une voix si ténue que Jeanne doit tendre l’oreille pour percevoir les paroles inaudibles qu’elle articule difficilement. « …en retard. J’étais en retard…entrer discrètement…ne pas me faire remarquer…. arrêté de chanter… regardée comme si …un monstre…une apparition diabolique…il était tout blanc …un malaise…tout le monde s’est précipité autour de lui… enfuie. » Elle se met à sangloter et Jeanne est un peu décontenancée. Elle ne comprend rien aux informations que Violette veut lui transmettre et craint que la pauvre petite ne fasse une rechute de la maladie dont elle est encore convalescente. Peut-être a-t-elle commis quelques imprudences et n’a pas suffisamment ménagé ses forces. Elle pleure si fort que le moment n’est pas venu de lui poser des questions. Après quelques minutes, la situation se calme et le dialogue devient possible entre les deux femmes.

– S’agit-il d’un rêve ou de la réalité ? demande Jeanne. Qui est cet « il » dont vous parlez ? Est-ce un homme réel ou un personnage de la nuit ?

– Il s’agit de Giovanni Pavese, vous savez, le célèbre ténor qui a étudié au conservatoire de la ville et qui revenait chanter pour le directeur qui a organisé une fête en son honneur. J’ai plusieurs disques de lui et il devait interpréter le voyage d’hiver de Schubert, l’une de ses œuvres les plus prenantes et qui vous transporte si loin. Pavese est reconnu pour en être l’un des meilleurs interprètes actuels.

 J’étais très fière d’avoir été invitée mais je me suis trompée d’adresse et je suis arrivée alors que le récital avait déjà commencé. J’ai pensé pouvoir me glisser discrètement parmi les auditeurs mais au lieu d’entrer dans le fond de la pièce, je me suis trouvée au premier rang, devant l’artiste. Et là…c’est horrible, jamais je ne me suis sentie aussi mal à l’aise de ma vie et je n’oserai plus me représenter au conservatoire… Violette est à nouveau agitée de tremblements.

– Calmez-vous, dit doucement Jeanne. Ce que vous avez fait n’a rien de répréhensible. Personne ne vous en tiendra rigueur. Il y a toujours des retardataires, quelle que soit la manifestation.

– Mais il a interrompu l’air qu’il chantait… Il s’est figé et puis s’est écroulé. Oh ! Jeanne, je voudrais disparaître, ne plus jamais me trouver face à tous ceux qui ont assisté à la scène et qui sont mes collègues. Mon père a raison, ajoute-t-elle, je serai médecin et j’oublierai la musique. Cette détermination semble lui apporter une certaine consolation mais elle est empreinte de désespoir.

– Avant de prendre des décisions définitives, vous devriez réexaminer la situation d’un œil plus neutre, voyons. Comment un artiste célèbre, habitué à la scène, au public peut-il s’évanouir à votre vue ? Etes-vous certaine d’être la cause de son malaise ? N’est-ce pas un peu présomptueux de votre part d’imaginer avoir un pouvoir pareil sur cet inconnu ? Il ne vous avait peut-être même pas aperçue et son étourdissement est survenu pour une tout autre raison. Mais vous avez pris la fuite sans connaître la réponse.

Violette est ébranlée par l’implacable simplicité de ce raisonnement et reste muette. En effet, quelles pourraient bien être les causes profondes de ce malaise inexplicable ? Elle s’est immédiatement sentie responsable et n’a considéré que les faits sans avoir le moindre élément d’explication .

Jeanne poursuit :

– Ne m’aviez-vous pas dit que si vous vouliez être chanteuse classique c’est parce que votre mère l’était elle-même et que votre père l’avait rencontrée lors de concerts où elle se produisait ? – Oui. Mais je ne vois pas le rapport… murmure la jeune fille.

– Ce que je veux dire c’est qu’il serait dommage de renoncer à un art qui vous tient tellement à cœur pour une cause peut-être erronée. Ne changez pas d’avis sur un coup de tête.

– Mais j’ai eu tellement honte ! Je crois que je ne pourrai plus jamais chanter. Jeanne poursuit son raisonnement :

– Votre mère, Chantal, n’est-ce pas ? serait certainement trè heureuse de vous entendre car vous avez une très belle voix et c’est probablement d’elle que vous la tenez. Ces mots provoquent un sourire sur les lèvres de Violette.

« Pour sûr, ce n’est pas de mon père ! » Cette simple idée parvient à éloigner ses idées noires. Ce père qui n’a jamais été capable de fredonner Joyeux anniversaire sans la faire hurler de rire. Lorsqu’elle était petite, elle se faisait un malin plaisir de lui demander la chanson et elle riait tellement qu’elle n’avait souvent plus de souffle pour éteindre les bougies du gâteau.

– D’ailleurs, poursuit Jeanne, si votre mère avait une trentaine d’années lorsqu’elle est morte, elle doit avoir connu Giovanni Pavese puisqu’ils ont étudié dans la même école.

– C’est fort possible. Mais je n’y avais jamais pensé. C’est curieux, cette idée ne m’est pas venue un seul instant à l’esprit.Et à ce moment elle se souvient d’un rêve qu’elle a fait la nuit après avoir reçu l’invitation mais qu’elle n’a pas encore eu le temps de travailler avec Jeanne.« Je vais me marier avec un homme que j’aime et qui me donne un sentiment de sécurité. Il est grand, beau et il est plus âgé que moi d’une vingtaine d’années environ. Nous sommes dans un château et je me réjouis beaucoup de porter la robe que j’avais quand je me suis mariée « la première fois. » Mon fiancé doit partir en voyage mais il m’assure que cela ne change rien à nos plans et que nous nous marierons même s’il est absent. Je vérifie l’état de la robe et je constate qu’il y a une tache de sang sur le bras droit. Je la porte à la teinturerie et on me dit qu’elle ne sera pas prête pour le jour prévu. Je suis très déçue mais je me rends à l’église. Et là je constate avec émerveillement que ma robe se trouve contre le vitrail du chœur de la chapelle. Elle est si blanche qu’elle paraît lumineuse et à côté d’elle il y a le costume du marié, blanc lui aussi. Je suis très heureuse car je sais que le mariage va être célébré et que l’absence de l’homme que j’aime ne nous empêchera pas d’être unis. C’est un amour très profond qui nous lie. »

– Ce rêve de mariage que j’ai fait alors que je commençais ma convalescence m’a fait penser que je serais bientôt guérie. Vous m’avez si souvent parlé de l’union du masculin et du féminin à l’intérieur de nous, que je n’ai pas imaginé qu’il pouvait s’agir d’un véritable mariage , ajoute pensivement Violette. Puis elle sursaute brusquement, comme si elle émergeait d’un songe et s’exclame : – Mais pourquoi donc s’agirait-il d’un véritable mariage ? Je ne connais aucun homme que je désire épouser. Je dis n’importe quoi .

Jeanne sourit :- Les rêves nous décrivent ce que nous sommes en train de vivre sur le plan émotionnel, même si parfois nous n’en sommes pas encore conscients. L’inconscient se situe hors du temps. Cette robe blanche illumine votre cœur. Nous ne pouvons encore savoir ce qu’elle représente mais le symbolisme de ce rêve en fait un grand rêve et lorsque de tels rêves surgissent, ils sont le signe de changements importants dans notre vie. Vous avez été très bouleversée lors de ce concert mais une attitude de fuite ne vous redonnera pas la sérénité. Il s’agit de comprendre la raison de cette émotion. La réaction de Giovanni Pavese est totalement disproportionnée par rapport à votre arrivée un peu tardive qui devait passer inaperçue. Vous ne pouvez vous considérer comme responsable de ce qui est arrivé. Nous avons trop souvent tendance à nous considérer coupables d’événements qui ne nous concernent pas mais dont notre seule faute est d’avoir été présent lorsqu’ils se sont déroulés. Ces mots semblent apaiser la rêveuse qui reprend quelques couleurs. Elle sort de sa torpeur apparente et regarde Jeanne qui n’a tenu que des propos simples mais dont la portée est insoupçonnée.

– Il y a quand même le sang sur la manche, dit-elle, et je ne pourrai pas porter la robe.

– Dans la Bible, le sang représente la vie. C’est aussi, par sa couleur, le véhicule des passions. Vous parlez de « la première fois » où vous vous êtes mariée. Quel est donc ce mariage dont vous n’êtes pas consciente? Mais qui cependant a eu lieu? Et qui témoigne d’une union réelle entre deux êtres dontun seul est présent? Lorsque nous sommes confrontés à un grand rêve, nous devons souvent nous contenter de profiter de l’énergie qu’il nous transmet et attendre avec confiance ce qui va se passer dans notre vie même si nous n’en avons encore aucune idée. Acceptez avec humilité ce qui vous est arrivé même si les conséquences en ont été désagréables pour un groupe de personnes. Remettez-vous à celui qui, en vous, est plus grand que vous. Il veille sur vous.

Il y a une conviction si profonde dans le ton avec lequel ces paroles sont prononcées que leur destinataire en est ébranlée. Violette n’a jamais vraiment eu le temps de penser à son âme. Si sa mère l’emmenait parfois à l’église dans ses premières années, elle n’en a gardé qu’un très vague souvenir et la dernière fois qu’elle a pénétré dans une chapelle c’était pour l’enterrement de cette jeune femme qui la laissait seule. Sa grand-mère avait tenu à donner à sa fille une sépulture catholique mais son père avait juré qu’il ne voulait plus jamais entendre prononcer le nom d’un dieu qui le frappait si cruellement. Violette avait cependant l’habitude d’invoquer la protection de son ange gardien lorsqu’elle se entait menacée par des dangers réels ou imaginaires. C’est avec sa maman qu’elle avait appris à se confier à lui. Chantal avait suspendu au-dessus de son lit de petite fille l’image d’un ange de la Renaissance italienne. Elle lui avait dit que cet être lumineux avait pour mission de veiller sur elle et qu’il l’écoutait lorsqu’elle lui parlait. L‘enfant lui demandait de la protéger mais elle n’avait pas pensé à faire la même demande pour sa mère. Elle ne se l’était jamais pardonné ; cependant elle n’en voulait pas à l’ange qui n’avait pas été sollicité. Aujourd’hui elle sait qu’elle a besoin de se confier à lui mais elle attendra d’avoir pris congé de Jeanne car elle n’a pas encore appris l’humilité et a peur de paraître ridicule.Réconfortée par sa conversation avec cette femme qu’elle considère un peu comme sa mère, Violette est heureuse de se retrouver seule et en sécurité dans son appartement. Elle veut se replonger dans ce Voyage d’hiver qu’elle avait décidé de ne plus jamais écouter. La voix de cet homme admiré qu’elle a rencontré dans de si étranges circonstances, lui apportera le réconfort dont elle a besoin. Après avoir allumé trois bougies, elle se blottit au fond du grand fauteuil en cuir qu’elle a hérité de cette grand-mère maternelle dont l’affection la protégeait un peu de l’amour exclusif de son père. La complicité qui les unissait avait permis à la jeune fille de poursuivre son ambition musicale sans se sentir coupable aux yeux du docteur Marcau. Ce fauteuil fait partie de son enfance car sa grand-mère s’y asseyait pour lui raconter des histoires de fées et de sorcières et elle ne s’en séparera jamais, quel que soit l’endroit où elle se trouvera dans le monde. Dans ce cocon protecteur, elle se réconciliera avec la musique dont la beauté soignera sa blessure. « En étranger je suis venu, en étranger je repars… » Les premières notes du Voyage d’Hiver s’élèvent dans la pièce obscure et déjà la jeune fille se laisse envahir par une mélancolie distrayante qui  va l’emmener très loin de ses soucis actuels et lorsqu’elle reviendra, elle n’aura qu’une envie : vivre et chanter. Les événements récents l’ont épuisée et elle sombre dans un profond sommeil dès le cinquième chant, celui du tilleul devenu mélodie populaire en Allemagne que sa grand-mère lui chantait souvent le soir pour l’endormir. Elle laisse l’amoureux trahi exprimer sa colère et sa souffrance mais elle ne l’entend plus.

 

A suivre: Chapitre 21 Le voyage d’hiver

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