Créé le: 15.12.2016
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Violette rêve, Violetta vit (18) La colère de Jeanne
La licorne, symbole de la transmutation intérieure.
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Le rêve de Violetta chap 18 La colère de Jeanne
Après avoir quitté le centre de la ville, Julia s’engage sur une route de campagne puis elle emprunte une allée en terre qui traverse un parc à l’abandon et débouche devant un bâtiment en bois d’allure vétuste. Un panneau indique « Osteria », auberge. L’endroit n’est pas désagréable car le bâtiment est entouré de châtaigniers majestueux mais la maison elle-même pourrait servir de décor à un film d’épouvante, vitres cassées, persiennes pourries, façade délabrée. Une immense porte noire ouvre sur un interminable couloir sombre dans lequel s’engouffrent les deux visiteuses. Elles le parcourent rapidement pour se heurter à une seconde porte, fermée à clé, semble-t-il. Julia esquisse un sourire car elle a de la peine à croire que l’on puisse louer de son plein gré une chambre dans pareil lieu. Peut-être les rares clients sont-ils enfermés à l’intérieur pour éviter qu’ils ne s’enfuient. Mais pourquoi donc sa nièce s’est-elle réfugiée dans l’antre de Barbe Bleue? Enfin, puisque c’est là qu’elle se trouve, il suffit de découvrir quelle est la porte qui la cache.
A ce moment surgit une ombre immense dont l’humeur bienveillante reste à prouver. C’est un homme d’une quarantaine d’années qui leur demande d’une voix brusque ce qu’elles cherchent.
Comme il s’agit bien d’une « Auberge », selon le panneau extérieur, Julia demande au probable tenancier s’il a encore deux chambres pour passer la nuit. Mais celui-ci semble se méfier.
« Tutto completo » marmonne-t-il en italien, il n’a pas de place pour elles.
Jeanne constate que sur le tableau des clés derrière son dos, il n’en manque que deux et qu’une bonne dizaine d’autres sont pendues aux crochets. Elle insiste :
– J’ai rendez-vous avec ma fille qui m’a donné cette adresse. Je veux l’attendre ici.
Le visage de l’homme s’illumine alors d’un large sourire qui semble détendre l’atmosphère d’un coup de baguette magique.- Lei e la madre di Christelle ? et ses bras de colosse s’ouvrent largement. Jeanne se retrouve broyée contre son torse de géant. Ce brusque changement d’attitude la laisse sans voix. – Elle est là? demande Julia. –
Venite con me ! L’ordre est précis et s’adresse seulement à la mère qui tente de reprendre son souffle après s’être dégagée de l’étreinte de l’homme. Jeanne suit le guide et disparaît derrière la seconde porte où elle a la très grande surprise de constater que le décor change totalement. Un long corridor clair, fraichement repeint en blanc les conduit jusqu’à un salon d’hiver où des plantes vertes et des fleurs multicolores s’épanouissent dans des bacs de terre cuite. Des catelles jaunes et bleues illuminent le sol et les murs et de larges baies vitrées donnent sur une cour intérieure décorée d’une fontaine où l’eau jaillit comme un feu d’artifice. La spécialiste des rêves se demande si elle va se réveiller brusquement et se retrouver sur un parking de l’autoroute, seule au volant de sa voiture. Aspettate qui ! L’ordre lui est donné d’attendre mais Jeanne n’a aucune intention de s’enfuir. Dans quelques instants, ce périple va enfin s’achever et elle n’a pas vécu toutes ces péripéties pour le seul plaisir de la promenade! C’est alors qu’un tourbillon fait son apparition et la précipite au creux d’un grand canapé où elle étreint sa fille qui se blottit dans ses bras. Lorsqu’elles émergent de leurs retrouvailles éperdues, les deux femmes s’examinent passionnément. La plus jeune est tellement heureuse de revoir sa mère et celle-ci tellement soulagée de constater que sa fille n’a pas beaucoup changé. Même air volontaire, même visage enfantin et même corpulence. Christelle ne porte pas sur elle de trace évidente de maltraitance ni de privations. Sa tenue seule pourrait éveiller quelques soupçons ; elle est vêtue d’un bas de pyjama d’homme et d’une chemise à carreaux beaucoup trop grande. Ses pieds sont nus et ses cheveux décoiffés pendent autour de son visage. Elle a toujours été une personne coquette et cette apparence négligée choque sa mère.
« Je suis venue te chercher, ma chérie, nous rentrons à la maison. Peux-tu aller te préparer ? »Aucune réponse.« Si nous partons tout-de-suite, nous pouvons faire la moitié du trajet et être de retour demain avant midi. Papa se réjouit tellement de te revoir. »
La jeune fille ne réagit pas aux propos maternels et fixe le sol. Elle s’est insensiblement rapprochée de l’homme qui a placé ses deux mains sur ses épaules. Elle semble si frêle auprès de lui que Jeanne est à nouveau saisie de l’envie instinctive de la protéger.
« Sandro et moi nous nous aimons, murmure-t-elle. Je ne rentre pas à la maison. Nous voulons nous marier. »Jeanne ne sait plus ce qui lui arrive, elle a la certitude de faire un cauchemar. Elle a perdu tout contact avec la réalité et craint de sombrer dans la folie lorsqu’elle se précipite sur la jeune fille abasourdie et la secoue violemment en hurlant :
” Tu rentres avec moi à la maison. Jamais je ne te laisserai dans cet endroit perdu avec un inconnu.Ta famille t’attend. Nous partons!”Et elle essaie d’entraîner son enfant qui la regarde d’un air incrédule. Le géant qui tente de s’interposer reçoit un coup de tête dans l’estomac. Julia qui les a rejoints se dit qu’après tout le détour valait la peine car le spectacle est unique. Sa belle-sœur toujours citée en exemple pour la parfaite maîtrise de ses faits et gestes, et qui ne s’énerve jamais, est en train de perdre une réputation légendaire. C’est le moment que choisit le téléphone de Jeanne pour faire retentir une sonnerie facilement identifiable. Lorsqu’Angelo appelle, tout le monde le sait car un concert de pinsons des Ardennes se met à résonner. Le chant de ces oiseaux de la forêt qui éclate au plus fort de la mêlée surprend les protagonistes et tous s’immobilisent, comme foudroyés. Christelle se précipite la première sur le sac de sa mère pour s’emparer de l’appareil.
– Allo, Papa ! C’est moi ! Je suis avec Maman. Comment vas-tu ?Un sourire angélique se dessine sur les lèvres de l’enfant qui parle à son père bien aimé. Elle l’écoute quelques instants puis déclare :- Très bien. Je te la passe.
Jeanne qui semble sortir d’un profond sommeil et jette autour d’elle des regards inquiets ne veut pas parler à son mari mais il est trop tard pour refuser. – Oui Angelo. Je suis avec Christelle. Tout va bien. Je te rappelle plus tard, prononce-t-elle d’une voix à peine audible.
Et elle met fin à la conversation. Les quatre personnes se regardent comme après l’ouragan. Il n’y a pas de dégâts matériels, rien n’a bougé dans la pièce mais ils sont tous très secoués.Sandro, le premier, reprend ses esprits et propose d’aller chercher à boire avant de disparaître. Pendant quelques secondes, les trois femmes restent immobiles puis la tension se relâche et Julia éclate de rire. Elle est immédiatement suivie par Christelle. Jeanne a plus de peine à apprécier le comique de la situation mais le fou rire qui les secoue est communicatif et elle ne résiste pas à l’hilarité générale. Plus une parole n’est échangée entre elles jusqu’au retour de l’aubergiste qui a disposé sur un plateau quatre flûtes à champagne et une bouteille de brut millésimé. Le pétillement des bulles contribue à détendre l’atmosphère.
Cette journée si longue a épuisé Jeanne et elle est heureuse de se retrouver dans le lit que sa fille lui a préparé dans une chambre accueillante. Sandro a eu le temps de lui expliquer qu’il restaure lui-même son auberge et a commencé par l’intérieur. Il veut faire de cette maison un centre d’accueil pour les jeunes un peu perdus, ceux que l’on classe dans la catégorie des « prédélinquants ». Grâce à un héritage il peut concrétiser ce projet avec le soutien des autorités locales. Son diplôme d’éducateur lui est évidemment fort utile et il pense recevoir les premiers pensionnaires dès le début de l’été. L’arrivée de Christelle au milieu d’une nuit voici quelques semaines a été interprétée comme un signe providentiel car la jeune fille a très vite adhéré à son projet. Et la langue n’est pas un problème pour celle qui étonnait toujours sa famille par sa facilité à communiquer avec les autres enfants lors des vacances passées dans le village d’origine de son père. Christelle a le don des langues et possède la nationalité italienne par son père.Les événements récents tournent en boucle dans la tête de la mère désemparée qui sombre enfin dans un demi-sommeil agité puis se réveille en sursaut. Elle veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche. Sa main cherche en vain un interrupteur dans l’obscurité. Mais où est-elle donc ? Et pourquoi Angelo ne dort-il pas à ses côtés ? Puis elle se souvient et se met à pleurer. Elle a retrouvé son enfant mais c’est pour la reperdre aussitôt. Sa course éperdue pour délivrer sa fille des dangers qui la menaçaient l’a conduite auprès d’une femme amoureuse et décidée ; la nouvelle qui la désespère aurait dû la combler de bonheur. Qu’elle fasse sa vie comme elle le veut, après tout mais qu’elle ne fourre pas sa mère dans des situations aussi dramatiques ! Lorsqu’elle s’endort enfin, le rêve qu’elle n’aurait jamais espéré faire vient réchauffer sa détresse.
« Je suis dans un jardin magnifique et autour de moi il y a des personnes que je ne connais pas mais qui me regardent avec une grande bienveillance et me sourient. Je me sens bien et je me promène sous des arbres dont les feuilles sont agitées par une légère brise. Je réalise que je me suis transformée en licorne. Ma crinière est blonde et sur mon front une corne dorée a poussé. Mes sabots frappent le sol et je pense que lorsque j’aurai pris suffisamment d’élan, je m’envolerai. C’est une sensation de bonheur incroyable. »
A son réveil, elle se réjouit de raconter à son mari ce rêve qui la charge d’une énergie toute nouvelle. Son expérience professionnelle lui a appris que cet animal mythique ouvre les chemins du paradis ou de l’enfer à celui qui reçoit sa visite. La licorne nous confronte à notre nature inconnue et au pouvoir de notre imagination. Celle qui est apparue cette nuit est si belle qu’elle met Jeanne en contact avec une force bénéfique en elle. Les grands rêves qui font surgir des couches profondes de notre psyché des figures mythiques se produisent toujours lors de périodes où nous sommes en proie à des émotions très fortes. Même si elle ignorait tout du symbolisme de la licorne, Jeanne sentirait vibrer en elle cette énergie de vie qui semblait hier profondément blessée et qui lui permettra de repartir ce matin déjà, dès qu’elle aura compris les raisons du comportement étrange de sa fille. C’est pourtant bien Christelle qui lui a demandé de venir la chercher. Quels sont donc les motifs de ce changement d’attitude ? Pourquoi traite-t-elle sa mère comme une intruse qui viendrait s’immiscer dans sa vie ? La colère qui monte à nouveau en elle est balayée par l’envol de la licorne.
Après une longue conversation avec celle qui restera toujours sa petite fille, Jeanne a repris la route avec Julia qui s’arrêtera à Milan. Elle se réjouit maintenant de faire seule le trajet du retour, dans le calme de son habitacle. Elle aura le temps de repenser à ce que lui a confié Christelle et d’accepter le bonheur de son enfant même s’il ne correspond pas à celui qu’elle avait imaginé pour elle. Cela la flatterait de pouvoir raconter que sa fille a trouvé l’homme idéal, jeune, intelligent, doté d’un fort sens de l’humour, promis à une magnifique carrière et dont les parents sont déjà devenus des amis. Elle serait si heureuse d’organiser une fête pour leur mariage.
Ces regrets stériles vite balayés, Jeanne constate qu’elle s’est déjà attachée à Sandro qui est un être d’une générosité exceptionnelle. Elle se réjouit de leur prochaine rencontre et elle pense que sa fille a beaucoup de chance.
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