Créé le: 05.08.2016
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Violette rêve, Violletta vit (06) La corne d’abondance
Notre chemin de vie vise a atteindre la dimension qui fait de vous un être unique.
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Toujours sans nouvelle de Violette, Jeanne accueille ce matin Evelyne, une jeune femme charmante qu’elle rencontre pour la première fois. Elle est issue d’un milieu bourgeois et a fait des études d’infirmière. Jeanne ne doute pas qu’elle soit très appréciée par les malades dont elle s’occupe car il y a quelque chose de lumineux en elle. Evelyne n’est pas mariée mais elle ne souffre pas de son célibat. Elle aura certainement de nombreuses occasions de rencontrer un partenaire répondant à ses attentes.
A l’âge de dix-neuf ans, elle s’était fiancée à un camarade d’école mais elle l’avait trouvé un jour en compagnie d’une autre fille et avait aussitôt mis fin à cette relation. Elle prétend que les hommes sont tous les mêmes, incapables d’aimer et qu’il est dangereux de s’y attacher. Cette déclaration est faite avec tant de conviction que Jeanne est impatiente de découvrir ses rêves mais Evelyne n’est pas encore prête à les raconter. Elle désire parler de son enfance bien qu’elle affirme avoir surmonté tous les problèmes grâce à une psychanalyse de plusieurs années. Son père s’est tué dans un accident de voiture alors qu’elle était encore toute jeune et elle a été élevée par une mère très rigide. Grâce à sa volonté et à son travail, cette veuve que tout le monde admirait a donné à ses quatre enfants la possibilité de faire des études qui leur ont permis de devenir indépendants. La mère de leur père qui vivait avec eux était une femme sévère que ses petits-enfants craignaient. Seul le grand-père ouvrait ses bras aux orphelins et leur témoignait de l’affection. Célibataire endurcie, la sœur aînée, proche de la quarantaine, semble très efficace dans son métier de gardienne de la paix . Elle est appréciée par ses supérieurs et on ne lui connaît ni liaison, ni hobby. Les contacts entre les deux soeurs sont rares.
Evelyne voit parfois son plus jeune frère mais l’aîné ne donne plus de nouvelles.
Jeanne écoute la suite du récit en espérant bientôt entendre un rêve.
« Lorsque ma mère s’est retrouvée seule, j’avais cinq ans. Nous avons pris l’habitude de passer les vacances d’été dans la villa de son frère au bord de l’océan. J’aimais beaucoup cet endroit où la vie semblait plus légère bien que mon oncle ait un caractère très autoritaire. Il était extrêmement sévère avec son fils, Thomas, qui avait six ans de plus que moi et j’ai souvent vu pleurer mon cousin. »
Après une courte pause, la jeune femme hésite et puis se lance dans une phrase qu’elle jette au loin comme si elle la brûlait de toutes parts, malgré les années d’analyse.
« J’essayais de le consoler, jusqu’au jour où il a abusé de moi. J’avais sept ans et lui treize… Ce n’est pas la raison pour laquelle je viens vous voir. J’ai surmonté cette douleur, même si je ne parle plus à mon cousin. Sur le conseil du thérapeute, j’ai exigé de lui une lettre d’excuses et il me l’a écrite. Mais je ne veux plus rien avoir à faire avec lui. La question est réglée. Ma mère n’en saura jamais rien car cela la tuerait. »
Son attitude de victime magnanime dérange un peu Jeanne mais elle ne comprend pas pourquoi. Une petite orpheline qui se fait abuser par un membre de la famille n’est-elle pas l’être le plus solitaire et le plus perdu que l’on puisse imaginer ? Peut-on éprouver un sentiment autre que celui d’une immense tendresse pour elle ?
Les images du rêve conduisent parfois celui ou celle qui les a faites à parler enfin de l’inceste subi dans la plus tendre enfance, du viol jamais dénoncé de peur de détruire la famille, de la culpabilité
énorme face au décès d’un plus jeune frère dont l’aîné avait souhaité la mort tout en ignorant que ce désir inconscient est naturel, du mépris pour sa propre personne que ressent le fils qui n’a jamais lu de la fierté dans le regard de son père. La détresse de l’âme enfantine est si totale que Jeanne se demande parfois pourquoi nous devons “redevenir comme un de ces petits si nous voulons entrer dans le royaume des cieux.”Evelyne repart sans avoir raconté de rêve mais elle semble très heureuse d’avoir pu parler de cette enfance encore si douloureuse Elle prend rendez-vous pour la semaine suivante. Jeanne lui conseille d’être très attentive aux rêves qui vont certainement apparaître dans les prochains jours. Le jeudi arrive et c’est une Evelyne très excitée qui s’installe dans le fauteuil.
« J’ai fait un rêve il y a deux nuits et je l’ai tout-de-suite noté car je voulais pouvoir vous rapporter tous les détails. Je suis sûre qu’il dit quelque chose d’important. Le voilà : « Je suis dans un appartement qui est le mien mais que je ne connais pas. Toute ma famille arrive et je rallonge la table au fur et à mesure que leur nombre augmente. Il y a de nouvelles personnes. Thomas joue avec un petit garçon de sept ans. Il veut visiter mon appartement et je lui montre toutes les pièces. Dans la chambre à coucher il me fait un cadeau qui me fait très plaisir : une corne d’abondance en nacre remplie de fleurs blanches et roses. L’appartement s’agrandit et devient une maison de maître. »Jeanne a vécu des moments très forts dans son activité au cours des années mais ce qu’elle ressent au récit qui vient de lui être confié est totalement nouveau. Souvent considéré comme une poubelle remplie de détritus tout juste bons à être jetés, notre inconscient contient aussi de l’or, celui que les
alchimistes s’efforçaient d’obtenir à partir de la matière puante.
L’image de la corne d’abondance que le cerveau endormi d’Evelyne est allé puiser aux sources des grands symboles de l’humanité apporte une révélation qui va transformer sa vie
Dans la mythologie grecque Cronos, le père de Zeus, dévorait ses enfants pour échapper à la prédiction qui lui avait annoncé qu’il engendrerait un rival. Lorsque Zeus vint au monde, Rhéa, sa mère l’emmena en sécurité sur l’île de Crète où il fut nourri par le lait de la chèvre Amalthée sous les yeux attentifs des nymphes qui veillaient sur lui. L’enfant échappait ainsi à la tyrannie de son père. Grâce au bon lait d’Amalthée, Zeus grandit très vite et acquit une force qu’il ne savait mesurer. Un jour, voulant jouer, il souleva la chèvre et la jeta contre les parois de la grotte qui l’abritait. Sous l’effet du choc, Amalthée perdit une corne. Pour se faire pardonner, Zeus prit la corne, la remplit de fruits et lui confia des pouvoirs magiques avant de la rendre à la chèvre. Cette corne, nommée corne d’abondance car elle se remplissait au fur et à mesure qu’elle se vidait, devint le symbole de la richesse inépuisable, de la profusion gratuite des dons divins.
Pourquoi est-ce cette image que l’inconscient a choisie dans le vaste réservoir de symboles universels? Pourquoi cet adolescent qui a abusé de sa jeune cousine vient-il lui offrir ce présent que la psychanalyse rapproche parfois du sein maternel et qui est source de générosité et de fécondité ? Et pourquoi l’appartement se transforme-t-il en maison de maître à la suite de ce cadeau ? Quelle est cette énergie positive que ressent la rêveuse au réveil ?
Evelyne répond avec beaucoup d’attention aux questions de Jeanne à propos des images du rêve et des émotions qu’elle a ressenties. Elle sait que la corne d’abondance est un symbole très positif elle a été heureuse de la recevoir. Elle pense qu’une grande maison permet d’accueillir la famille et les amis alors que dans un petit appartement , on est à l’abri mais souvent isolé. Mais elle ne comprend toujours pas pourquoi c’est Thomas qui est l’instigateur de ce changement.
Elle se concentre quelques instants et retrouve des souvenirs totalement enfouis qui remontent à son enfance.
« J’aimais plus que tout aller avec mon grand-père dans les bois l’automne car il me permettait d’être une petite fille et me transmettait son amour de la nature. La forêt devenait pour moi un monde magique où les fées et les nains étaient mes amis. Un jour il me montra des champignons tout noirs et chiffonnés et me demanda de les ramasser pour faire une omelette. Je les trouvais dégoûtants et lui demandais comment ils s’appelaient « Ce sont des trompettes de la mort »répondit-il. Pour la première fois, j’eus peur de mon grand-père et je crus qu’il était devenu un méchant génie qui voulait empoisonner toute la famille. Je me mis à courir et il eut de la peine à me rattraper. Il vit la terreur dans mes yeux et me serra contre lui. « Tu sais, ces champignons ont aussi un autre nom. On les appelle trompettes de la mort parce qu’elles poussent au début du mois de novembre, à la fête de la Toussaint mais aussi cornes d’abondance à cause de leur forme allongée et de leur goût excellent. » J’étais rassurée. Mon grand-père ne voulait pas nous tuer et toute la famille se réjouit de notre cueillette qui était si abondante que nous pûmes inviter les voisins. J’avais échappé au pire destin et me retrouvais dans une ambiance de fête.
Evelyne a rassuré la petite fille terrorisée en elle mais elle n’ose encore formuler ce qui surgit comme une évidence: Thomas ne l’a jamais violée.La suite de la discussion permettra de reconnaître la souffrance de ce jeune garçon de douze ans, maltraité par son père et lui-même abusé par un professeur. Cette petite cousine si sensible et si mignonne était un peu sa peluche et il la serrait contre lui en l’embrassant dans le secret de sa chambre car elle était son seul réconfort. Les deux enfants se consolaient l’un l’autre mais ils en ressentaient une culpabilité qu’ils ne s’avouèrent jamais. Dans une famille où l’on ne se touche pas, les gestes les plus tendres et les plus purs peuvent être vécus comme des actes pervers. Evelyne était convaincue d’avoir subi des abus mais elle reconnaît, grâce à ce rêve, qu’il n’y a jamais eu d’attouchements condamnables et qu’elle avait du plaisir à se retrouver dans les bras de ce cousin si gentil. C’est rétrospectivement qu’elle en ressentit de la honte et se décida à entreprendre une analyse. Evelyne peut maintenant envisager de se lier à un homme en qui elle ne verra plus un abuseur potentiel. Lorsqu’elle prend congé de Jeanne, son regard brille d’un éclat que seul peut allumer le sentiment d’éternité. Elle a touché la dimension qui fait d’elle un être unique.
A suivre: Chapitre 7 Dans la maison gothique
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