“Ils fuyaient le présent pour se réfugier dans le passé et rejoindre les morts.”
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« Ils fuyaient le présent pour se réfugier dans le passé et échappaient à leur propre vie pour rejoindre les morts. » W.Jensen

Le rêve d’Evelyne rappelle à Jeanne une nouvelle de Wilhelm Jensen : « Dans la maison gothique ».Le narrateur, un jeune médecin, est surpris par un violent orage alors qu’il se promène dans les montagnes du sud de l’Allemagne. Il trouve refuge dans une ferme isolée où quelques chambres ont été aménagées pour héberger des touristes égarés. Le fermier lui apprend que d’autres personnes séjournent chez lui : il s’agit de deux jeunes gens, frère et sœur, aspirant à la solitude. Le frère s’occupe avec grand soin de sa jeune sœur dont la santé est fragile. Elle passe la plus grande partie de son temps dans la forêt, tandis qu’il reste en compagnie des nombreux livres qu’il a emportés.Lorsque les deux hôtes font leur apparition dans la salle-à-manger où le narrateur est attablé devant un copieux repas, ils ont un mouvement de recul et semblent prêts à faire monter le dîner dans leurs chambres. Mais ils finissent par s’installer aux places qui leur sont dévolues et quelques phrases sont échangées. Le frère dont le prénom est Ewald, est également médecin Il est très préoccupé par l’état de santé de sa sœur, Waldine qui écoute avec la plus grande attention chaque mot qu’il prononce. Elle semble souffrir d’un accablement dont elle n’est pas elle-même consciente. Ces deux êtres particuliers se satisfont d’eux-mêmes et gardent leurs distances avec les étrangers.

Le mauvais temps persiste et le narrateur est contraint de prolonger son séjour dans la ferme. Au cours du repas suivant, peut-être sous l’effet du vin excellent, la conversation se noue entre les deux médecins qui ont à peu près le même âge. Waldine y participe en glissant de temps en temps une petite remarque qui prouve qu’elle comprend dans les moindres détails ce que disent les jeunes gens.

La conversation fait naître entre eux un sentiment d’amitié qui les conduit à parler de leurs vies privées. Le narrateur apprend ainsi que la première femme de leur père, la mère d’Ewald, est morte très jeune et que la mère de Waldine, épousée en secondes noces, avait également disparu prématurément après la naissance de sa fille. Les deux enfants qui se considèrent comme frère et sœur ont grandi seuls comme des orphelins dans une vaste demeure ancienne où ils habitent toujours. Ewald invite son nouvel ami à leur rendre visite si son chemin le conduit dans leur ville puis chacun prend congé des autres et se retire dans sa chambre.

Quelques semaines plus tard, le héros qui est obsédé par le visage de la sœur de son ami décide de répondre à leur invitation. Il se retrouve alors devant le personnage principal de la nouvelle de Wilhelm Jensen : la maison elle-même.

Cet édifice qui est le plus ancien de la ville ressemble à un château fort. C’est un vestige isolé du style gothique. Il doit bien être vieux d’un demi-millénaire et a échappé à l’incendie ou à la destruction. La maison semble sans vie mais la porte s’ouvre au son étouffé d’une cloche et Ewald apparaît au haut d’un escalier de pierre. Le visiteur comprend vite qu’il n’est pas le bienvenu. La fraicheur de l’accueil s’accorde à celle des lieux. Cependant le contact d’amitié se renoue entre les trois jeunes gens et le

narrateur découvre cette étrange demeure où depuis près de cinq cents ans, chaque siècle a laissé

des traces. Les destins les plus divers s’y sont consumés dans d’ardentes passions où l’ambition, la haine, la vengeance et l’amour ont fait rage avant de retomber en cendres muettes. Des crimes y ont également été commis.

Gothique est ici synonyme d’ancien, de compliqué, de tourments intérieurs.

Chaque salle est habitée par un squelette invisible de l’un des ancêtres y ayant vécu et les derniers descendants de cette longue lignée sont victimes d’un cauchemar, écrasés sous le poids de souvenirs obsédants qui les empêchent de respirer librement et de vivre au présent.

Au cours d’un repas, le visiteur fait part à ses hôtes des effets désastreux de leur manière de vivre totalement solitaire ; il les invite à rencontrer d’autres personnes en évoquant même l’idée d’un mariage qui apporterait un changement dans cette vie monotone. La réaction d’effroi du frère et de la sœur à ses propos révèle à leur auteur un problème qui lui avait déjà effleuré l’esprit : ils s’aiment, d’un sentiment bien plus fort que l’amour fraternel, ils ont peur l’un de l’autre, peur d’eux-mêmes et cet amour interdit devient chaque jour plus intense. C’est la raison de leur fuite dans le passé pour échapper au présent et rejoindre les morts. Il n’y a donc qu’une solution pour parer au danger extrêmement menaçant auquel ils sont tous deux confrontés : ils doivent se séparer au plus vite.

Le narrateur qui cherche la meilleure solution pour amener à une telle séparation décide d’aller voir le médecin de famille pour qu’il envoie la jeune femme faire un séjour de longue durée dans un lieu éloigné où son frère ne pourrait l’accompagner.

Le vieil homme aux cheveux blancs qui l’accueille avec une grande jovialité parle longuement de ses patients qu’il soigne depuis leur enfance et qu’il voit entraînés dans un début de folie.

Il finit par s’exclamer: “Il faudrait qu’ils se marient!”

« L’un avec l’autre ? » demande le jeune homme médusé qui se met à douter des facultés mentales de son confrère.

« Cela vous surprend parce qu’ils sont frère et sœur ? Or la loi n’aurait rien à redire car lui est issu d’un premier mariage de son père et elle est la fille d’un premier lit de sa mère. Il ne s’agit pas de lien de chair et de sang mais seulement de noms. »

Cette révélation emplit le narrateur d’une grande allégresse et il décide de convaincre ses amis de faire des recherches sur leur passé pour découvrir eux-mêmes la confirmation de ce qui leur permettra de devenir vivants. C’est avec beaucoup de diplomatie et de finesse qu’il les amène à retrouver leurs certificats de baptême dans une grande boîte qui contient tous les papiers officiels concernant la famille. Après avoir lu bon nombre de documents, les intéressés découvrent l’attestation de baptême de « Waldine M. née après la mort de son père… » , ainsi qu’un acte juridique stipulant que le père d’Ewald avait adopté la fille légitime de sa présente femme. A la suite de cette révélation, la maison devient la maison du bonheur. Les salles ont été aménagées pour y vivre au présent et y jouir de tout le confort nécessaire au bien-être aujourd’hui. L’ombre qui couvrait le front de ses habitants n’effleurera plus jamais aucun de leurs descendants.

Comme Ewald et Waldine, Evelyne a pu sortir de cette prison où rôdaient des fantômes fictifs, plus terribles que s’ils étaient réels. Sa maison s’agrandit et s’ouvre au monde extérieur où elle a un rôle à jouer. Elle a été délivrée de sa mélancolie grâce aux images de son rêveJeanne ne cessera jamais de s’émerveiller de la subtilité avec laquelle nous sont transmis les messages de l’inconscient. Et c’est le travail sur le rêve qui peut nous donner à leur signification. Il faut toujours se méfier des interprétations spontanées qui paraissent évidentes. Bien souvent elles sont fausses car le rêve nous amène à découvrir des informations nouvelles qui n’étaient pas encore parvenues à la conscience.Sur le chemin du retour la maison, Jeanne décide de s’enquérir dès le lendemain des raisons du silence de Violette.

 

A suivre: Chapitre 8 Le rameau d’olivier

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