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Chapitre 1

1

Jusqu’à nos jours, tous les quatre ans, à la fin du mois de février, Dieu envoie sur la Terre un jour de plus, à la mémoire de...
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Ce fut un rude hiver. La neige n’a pas cessé de tomber pendant des jours, peut-être des semaines, en ramenant le froid, l’humidité et le silence sur la ville. Quand elle a décidé enfin que son œuvre était finie, le vent est venu ravager son tableau monochrome, en remplacent le silence par un sifflement strident et sinistre. Les gens sortaient rarement. Ceux qui tentaient l’aventure étaient tout de suite accueillis par des rafales de vent qui leur projetaient des minuscules miettes de neige glacée sur le visage. Accomplir les tâches quotidiennes devenait un vrai exploit.

Ce fut un rude hiver…qui avait pris le goût du pouvoir et ne voulait pas céder sa place au printemps, malgré le mois de février qui avançait imperturbable sur les calendriers. Les gens étaient épuisés par le froid, le manque de soleil et les maladies. Leurs provisions et leurs souvenirs de l’été passé étaient loin aussi.

Du haut de son intemporalité, Dieu regarda la Terre et fut comblé d’amour et de pitié pour ces braves gens qui luttaient pour leur survie. Il décida alors de leur faire un cadeau. Et qu’est-ce que Dieu a en abondance et nous, les humains, nous n’avons jamais assez ? C’est du temps. Dieu prit une belle journée de printemps, bien ensoleillée et pleine d’espoir, il l’emballa dans une jolie petite boîte avec un ruban rouge sur le couvercle (comme seulement les bijoutiers savent emballer leurs trésors pour stimuler la curiosité et l’envie) et descendit sur la Terre.

Et pendant que Dieu avançait, le vent s’arrêta comme s’il n’avait jamais était là, la neige se mit à fondre et à couler où elle pouvait en transformant les routes en rivières, les stores commencèrent à s’ouvrir en dévoilant des visages pâles mais curieux, et même le soleil se mit à briller timidement en s’efforçant de briser une dernière couche de nuages endormis qui ne comprenaient pas ce qui se passait. La ville se réveillait. Dieu fut content de voir toutes ces transformations autour de lui et décida de conduire ses pas vers la mairie de la ville. Le maire était déjà dans une séance extraordinaire avec d’autres dirigeants, concernant l’arrivée imminente du printemps. Le voir ce jour-là, impossible. Il fallait faire une programmation, il restait quelques places pour la semaine d’après. Dieu prit tout son temps pour écouter les explications que la secrétaire lui recita sans enthousiasme. Ensuite il salua et tourna ses pas vers la route des marchands où il essaya d’offrir son cadeau aux différentes boutiques qui commençaient à ouvrir leurs bras pour attirer des clients. Mais le cadeau n’avait pas de place ici. Certains s’excusèrent qu’ils pouvaient vendre seulement leur propre marchandise, d’autres n’acceptaient pas de produis non homologués, plus loin ils lui reprochèrent que l’emballage manquait d’originalité. Et comme il restait là, au milieu de la rue, la jolie petite boite dans sa main, à écouter attentivement leurs justifications, Dieu se fit accuser de concurrence déloyale. Quelqu’un lui indiqua alors une boutique tout au fond de la rue dont la vitrine sale était si chargée d’objets de toute sorte qu’il était difficile à lire les lettres presque effacées qui trônaient dessus : Brocante. Un bonhomme aux lunettes teintées sur un nez beaucoup trop pointu, tout emmitouflé de tête aux pieds, vint l’accueillir quand la petite cloche à l’entrée sonna. L’accueillir c’est beaucoup à dire car le personnage, sans un mot et sans invitation, prit la boîte dans sa main couverte d’un gant troué et l’ouvrit… Mais il la jeta aussitôt en tournant son dos, car pour lui la boîte était vide. Il marmonna en s’éloignant qu’il n’avait pas le temps pour de telles plaisanteries. Dieu reprit la boîte et sortit : ses cadeaux n’étaient pas visibles pour tout le monde.

Toutefois il gardait l’espoir car finalement il y avait quelqu’un qui a reçu pour un petit instant son cadeau et l’a ouvert. Pas loin de la ville il aperçut une ferme et il y dirigea ses pas. Les voix d’hommes et d’animaux se mélangeaient dans une harmonie peut ordinaire. La vie et la frénésie se sentaient dans l’air, tout comme une forte odeur de vache. Arrivé devant le portail, il s’arrêta et contempla sa création.  Il fut pourtant brusquement écarté du chemin par un char à chevaux qui laissa derrière lui des traces profondes dans la neige encore fraiche. Il tendit la main pour offrir son cadeau mais le char partit en vitesse et le portail se ferma derrière lui. Personne ne l’observa. Tous étaient trop pressés car l’arrivée imminente du printemps nécessitait encore beaucoup de préparation pour que les travaux agricoles puissent commencer à temps.  Il retourna en ville et parcourut les rues qui s’étaient remplies des bonnes femmes aux bras chargés de courses, des enfants sautillant insouciants dans les flaques d’eau dont la neige fondue avait rempli les trottoirs, des véhicules de toutes sortes et des messieurs bien habillés et très pressés. Personne n’avait l’air de le voir, ceux qui le regardaient préféraient le contourner.

Ni la neige ni ses habits de Dieu n’avaient plus un air immaculé. Il commença à ressentir une étrange sensation, comme ce que les êtres humains appellent la fatigue et son enthousiasme n’était pas plus fort que celui du mendiant qui tendait la main au coin de la rue. Personne n’avait le temps : ni pour lui, ni pour son précieux cadeau. Quelle ironie, car c’était exactement ce qu’il voulait leur offrir : du temps.

A cet instant il aperçut, assise sur les escaliers sales d’une petite maison aux volets encore fermés, une fillette qui le regardait. Elle n’avait pas de bonnet ni de manteau, ses épaules étaient couvertes seulement d’un vieux châle d’une couleur indécise et ses petits pieds nus étaient chaussés simplement d’une paire de pantoufles beaucoup trop grands pour eux. De loin elle donnait l’impression d’une vieille qui avait rétréci jusqu’à l’enfance. Dieu s’approcha, s’arrêta devant elle et ils se regardèrent quelques longs instants. La petite n’avait pas vécu plus de quatre ans sur cette Terre mais elle savait encore reconnaitre Dieu quand elle le voyait. Elle sourit et Dieu lui répondit. Le soleil trouva tout d’un coup la force de chasser le dernier nuage qui lui éclipsa le visage et se mit à briller comme un fou. La ruelle fut inondée de lumière et le sourire de la fillette se transforma en un petit éclat de cristal. Dieu tendit le cadeau et la fille le prit dans sa main. Elle ne l’ouvrit pas tout de suite mais elle l’inspecta quelques instants en tournant la boite dans tous les sens et en la secouant de temps en temps. Quand elle leva finalement les yeux pleins d’enchantement et de questions, Dieu n’était plus là. Il avait accompli sa mission auto infligée et il se retira, soulagé, dans les cieux. Il prit un bain céleste et il s’assit devant son terroscope pas avec moins de curiosité que la petite fille la boîte dans la main.

Elle inspecta encore une fois la ruelle baignée de lumière et, n’y trouvant toujours personne, elle entra silencieusement dans la maison. Au milieu de la seule pièce mal éclairée il y avait un lit où il dormait, le visage terriblement pale et les cheveux en désordre, une vieille femme. Il n’y avait pas de contraste entre le coussin encore blanc, les cheveux éparpillés comme les racines d’un vieil arbre et son visage immobile. C’était sa grand-mère, la seule personne qui lui restait dans ce monde, son trésor d’amour et de sagesse. La vieille était tombée malade depuis plusieurs semaines déjà, mais les derniers jours elle ne s’était plus levé du lit. La fille est restée longtemps à son côté en lui caressant les joues et les cheveux et en lui parlant doucement à l’oreille, mais quand elle vit que sa grand-mère ne répondait plus, une peur comme un monstre noir à dents pointus l’envahit.  Toute seule, effrayé et affamée, elle entendit alors des bruits de vie qui venaient de l’extérieur, elle sortit et elle s’assit devant la porte, ne sachant pas exactement quoi faire. C’est comme ça qu’elle rencontra Dieu et que le soleil se mit à briller. De nouveau dedans, le cadeau dans sa main, l’air renfermé de la pièce et la pénombre lui semblèrent insupportables. Elle monta sur une chaise et elle se força à ouvrir les fenêtres et les volets bien fermés depuis trop longtemps. Elle réussit enfin et la lumière du soleil mélangée à l’air frais à l’odeur de montagnes enneigés l’accueillit comme un doux câlin. Comme elle avait besoin d’un câlin maintenant !

Elle s’assit sur le lit, les jambes repliées sous elle, et ouvrit la boîte qu’elle avait gardée toujours dans sa main.  Dedans il y avait une minuscule poupée… le cadeau qu’elle avait toujours désiré, son rêve secret que personne ne connaissait. Les cadeaux de Dieu s’adaptent aux besoins de nos âmes. La fille prit la poupée dans ses bras et la couvrit de larmes et de baisers. Dans les cieux, Dieu se laissa tomber dans son fauteuil et il sourit les yeux rêveurs. Le fait d’avoir donné tant de liberté à ses sujets, le libre arbitre comme ils l’appelaient, lui réservait pas mal de surprises. Celle-ci était une toute belle et il se sentit fortement ému. Dans le lit, épuisée par la faim et les émotions fortes qu’elle avait vécu, la fillette s’endormit aux pieds de sa grand-mère, son petit corps tout serré autour d’une minuscule poupée. Elle s’endormit et elle rêva….

Elle se voyait marcher sur un tapis d’herbe fraiche, main dans la main avec sa chère grand-mère. Elle sentait la main chaude à la peau rêche qui tenait la sienne. Elle pouvait même sentir son odeur qu’elle aimait tant : mélange de lavande et de pain…et encore de quelque chose qu’elle ne pouvait pas définir, peut-être l’odeur d’être humain. Elles se promenaient ensemble dans un magnifique jardin, elles attendaient quelqu’un. La petite poupée était là aussi, elle s’est transformée en un petit ange joyeux et agité qui virevoltait autour d’elles. Il y avait d’autres personnes qui se promenaient ou qui attendaient. Il y avait des enfants… et des poupées aussi. De loin elle aperçut celui qui lui avait offert il n’y a pas longtemps son cadeau. Il vint les saluer. Elle était si contente de le revoir qu’elle lui sauta dans les bras. Elle aurait voulu le remercier pour le cadeau, lui expliquer comme elle avait été surprise et comme elle adorait sa poupée. Etrangement, elle ne pouvait pas entendre sa propre voix. Ceci ne la dérangeait pas, car elle savait que lui il avait tout compris. Lui, il lui expliqua, toujours avec des paroles qui ne faisaient pas de bruit, qu’il avait une autre surprise. De loin elle vit s’approcher deux silhouettes qui leur souriaient : un homme et une femme. La grand-mère les connaissait déjà car elle se mit à pleurer doucement et à la pousser vers eux. Il y avait tant d’amour dans leur regard et leur sourire qu’elle se laissa embrasser, serrer, soulever, caresser, câliner. Elle ne savait pas combien de temps ils ont passé ensemble dans le jardin à jouer, courir, danser, parler sans paroles, admirer les fleurs ou se coucher dans l’herbe. Ils ont pris un bon goûter aussi. Même la grand-mère était pleine de vie et jouait avec eux. Elle connaissait beaucoup de monde là-bas, elle était contente de les revoir.

Celui qui lui avait donné le cadeau n’était plus avec eux, mais elle savait qu’il était là. Les autres l’appelaient le Seigneur. Il revint les rejoindre plus tard quand ils étaient tous couchés dans l’herbe à conter les étoiles. Comme c’était drôle : il y avait des étoiles en plein jour ! Elle était si contente quand elle le voyait ! Ils se levèrent tous pour le laisser passer et il s’arrêta devant elle. Le Seigneur se mit à genoux pour être à son niveau. Il lui dit quelque chose à sa façon silencieuse et elle comprit que c’était le moment de partir. Elle ne voyait que lui en ce moment. Elle ne voulait pas partir. Elle s’accrocha à lui de toute sa force. Il la serra dans ses bras et il lui expliqua combien il avait besoin d’elle là-bas pour l’aider à faire du bien au monde. Elle ne comprenait pas tout mais elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance. Ils se regardèrent en silence, comme devant la porte de sa maison, et elle se réveilla.

Une odeur de pain frais et de soupe l’enveloppa comme les bras d’une maman et le bruit du bois qui brûlait crépitant dans la poêle était délicieux comme une berceuse. Il n’y avait pas beaucoup de lumière dans la pièce, c’était peut-être le soir. Elle avait très faim. Elle essaya de bouger sa tête et elle aperçut sur l’oreiller à son côté la poupée. Elle s’est rappela alors tout. Elle essaya de parler et elle entendit sa voix appelant sa grand-mère. Une femme s’approcha. La femme lui caressa le visage et les cheveux et lui demanda si elle voulait manger quelque chose. La soupe aux légumes n’avait jamais été si bonne que ce soir et le pain encore chaud était mieux qu’un gâteau au chocolat. La femme s’appelait Marie, elle habitait quelques maisons plus loin. Elle lui raconta que Marcel, son garçon de 9 ans, les avait trouvés elle et sa grand-mère quand il jouait avec ses copains dans la rue. Ils jouaient à cache-cache. Il avait vu la fenêtre ouverte et comme il n’y avait aucun bruit qui venait de l’intérieur il pensa que la maison était abandonnée. Il sauta dedans pour mieux se cacher. Seulement quelques secondes plus tard il se rendit compte qu’il y avait quelqu’un couché dans le lit. Il prit peur et il vint raconter tout à sa maman. Marie l’avait prise alors chez elle pour la réchauffer. Elle pouvait rester avec Marie et sa famille tant qu’il le faudra. La grand-mère était maintenant à l’hôpital.

Marie raconta ceci en peu de mots, après quoi elle se dépêcha de lui poser des questions : Quel était son nom ? Est-ce qu’elle vivait toute seule avec sa grand-mère ? Pourquoi elles restaient avec la fenêtre ouverte car il faisait encore très froid malgré le soleil, etc.  La petite était restée accrochée à la première question. Elle s’appelait comment ? Elle avait un nom, un nom qu’elle n’avait pas prononcé ou entendu depuis longtemps, un nom auquel elle n’avait pas pensé depuis longtemps…

–        Louise, je m’appelle Louise.

Quelle joie d’entendre le son de sa voix. Elle poursuivit enthousiasmée par les mots qui sortaient de sa bouche :

–        J’ai passé la journée au Paradis avec ma grand-mère et un monsieur très gentil qui jouait avec moi et une dame très belle qui m’aimait beaucoup. Celui qui m’avait donné le cadeau m’a dit que je devais retourner ici, mais ma grand-mère n’est pas revenue avec moi.

Louise aurait voulu continuer à tout raconter, son cœur était trop plein, ses souvenirs si frais. Elle aurait voulu prolonger sa visite au jardin merveilleux en parlant à quelqu’un. Mais les yeux de Marie se voilèrent de larmes et elle se leva brusquement pour trouver une chose urgente à faire dans la pièce à côté.  Quand elle revint, elle déposa un baiser sur le front de Luise et lui demanda de se reposer. On n’est souvent pas prêts à entendre la vérité de la bouche d’un enfant.

Les jours qui suivirent, l’histoire de la petite Louise avait parcouru toute la ville. Les gens ne parlaient que de ça, ils versaient des larmes, ils proposaient des solutions pour que de telles tragédies ne se produisent plus. Même les plus indifférents sentaient un vide dans l’estomac en écoutant tous les détails.  Les cadeaux commencèrent à arriver aussitôt : d’abord le fermier avait envoyé des œufs frais, après le boucher du bon poulet, un autre jour les bonnes femmes du quartier avaient préparé un manteau pour Luise avec les gants et le bonnet assortis. Chaque marchand de la ville mit de côté un petit quelque chose ou même une pièce pour offrir à la petite orpheline. La plus belle des surprises fut quand de la Brocante arriva un paquet plein de vieux jouets. Marcel était une sorte de héros aux yeux de ses copains. Il aimait beaucoup raconter en détails toute l’histoire et le rôle de grand frère sauveur ne lui déplaisait pas du tout.

Le maire lui-même se chargea d’organiser et financer les funérailles. Toute la ville fut présente, sauf Louise qui était encore trop faible pour assister à un tel évènement. Louise aimait beaucoup Marie qui sentait toujours bon :  la soupe, le basilic et encore quelque chose qu’elle ne pouvait pas définir, peut-être l’odeur d’être humain. Elles ne se sont plus jamais quittées. Chaque soir avant de s’endormir, Marie la serrait fortement dans ses bras elle lui disait qu’elle était sa bénédiction, son cadeau de Dieu. Parfois, la nuit, sa poupée dans les bras, Louise rêvait qu’elles volaient ensemble dans le jardin mystérieux.

Jusqu’à nos jours, tous les quatre ans, à la fin du mois de février, Dieu envoie sur la Terre un jour de plus, à la mémoire d’une petite fille qui avait su accepter son cadeau. Certains utilisent ce jour pour travailler encore plus, d’autres pour se préparer à la venue du printemps, d’autres encore préfèrent se reposer ou s’amuser… et il y en a qui en profitent pour faire un tour de Paradis.

Commentaires (2)

André Birse
24.11.2020

J'ai laissé un " j'aime" à votre texte qui en mérite bien plus. Un petit coeur, car j'aime la belle écriture et l'idée de ce cadeau divin. Très rêveur et tout à fait réel si l'on accepte l'idée de ce cadeau auquel on ne s'attendait plus. Bravo. André Birse.

Webstory
22.11.2020

Félicitations à Oana, lauréate du 3er Prix du concours d'écriture 2020, 3e Prix ex æquo avec Le Jour Impossible de F.Martin

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