Créé le: 16.06.2019
831 2 5
La part d’Anna Bogle

Fiction, Nouvelle, Polar

a a a

© 2019-2024 Kurt Fidlers

Tapie dans les ténèbres, la petite souris attend d'être débusquée, et si elle n'existait pas ? Et si elle était le cauchemar de notre réalité ?
Reprendre la lecture

La semaine dernière, mon chat, Cohiba, un petit rouquin malicieux, toujours plus prompt à sortir ses griffes qu’à les maintenir à l’abri, m’a ramené une souris sur le coup de minuit. Dehors, les criquets chantaient leur sérénade, la nuit était lourde, étouffante.

L’esprit déjà bien embrumé par une journée de travail harassante, j’étais dans mon lit, un livre à la main, sur le point de basculer dans le monde des rêves, quand soudain, j’entendis ce petit monstre passer la trappe de la chatière, puis renâcler, et jouer avec ce que je pris tout d’abord pour l’une de ses souris factice.

Bien mal m’en pris, puisque quelques secondes plus tard, ce petit coquin avait déposé au pied de mon lit une petite chose qui émettait quelques couinements plaintifs.

Ni une ni deux, je me suis levé, non pas par peur, mais plutôt mû par une sorte de dégoût, car je savais comment cela se terminait généralement. Enfin, comment Cohiba les finissait.

On m’a toujours apprit que les félins ramenaient des petits animaux vivants aux gens qui les nourrissaient, en guise de remerciements. A y penser, personne, à part mon chat, ne m’a jamais offert un cadeau pour le bouffer ensuite.

Bref, je me suis dis à ce moment-là qu’il allait, comme à son habitude, la gober jusqu’à la queue et que ça m’éviterait de courir après le petit rongeur dans toute la maison.

Pour ne pas le vexer, j’ai flatté Cohiba d’une caresse, et lui ait dit :

– C’est bien mon vieux. Merci !

Il m’a adressé un dos rond et fait quelques cercles autour de mes jambes tout en gardant un œil perçant sur la petite souris, qui effrayée, s’était réfugiée contre une plinthe.

Son petit corps se soulevait au rythme de son cœur battant la chamade, qui bientôt, se transformerait en bouillie pour chat.

Là m’était venue la pensée que le chat faisait son job, que je pouvais donc tranquillement me recoucher, et reprendre mon livre là où je l’avais abandonné.

Une fois glissé sous la couette, bien installé, mon bouquin à la main, j’ai entendu le bruit caractéristique provenant de la cuisine des croquettes qui craquaient sous les dents du chat. Ce foutu animal venait de relaxer son repas sans se soucier de ce que je pensais.

Aussitôt, je me suis piqué debout, inquiet à l’idée que le petit rongeur pouvait aller et venir comme bon lui semblait, sans être inquiété par le prédateur, qui, quelques mètres plus loin, n’avait que d’intérêt pour ses croquettes à l’odeur fétide.

Debout, je contournais mon lit, à l’affût du moindre bruit.

Mon logis n’était pas très grand, il s’agissait d’une seule et unique pièce dont une bibliothèque séparait la partie nuit et la salle de douche, d’un coin télé ou était disposé un canapé. Après le coin salon, une porte coulissante menait à la cuisine, puis dehors. Ce chalet ne devait pas représenter plus de vingt-cinq mètres carrés. Le monde moderne appelait ça une Tiny House, moi j’appelais ma maison un loft.

Je jetais des coups d’œil derrière le canapé, dans les recoins de la bibliothèque dans l’espoir d’apercevoir l’intruse. Mais c’était sans compter avec l’aptitude de ses petites bestioles de se faufiler dans les moindres petits interstices.

Rien.

Cette situation commençait vraiment à me courir sur les nerfs. Un geste de rage, et je soulevais le canapé, pour mieux la découvrir, l’attraper et la jeter dehors manu militari. Enfin je pourrais alors m’évanouir dans la paix des rêves. Mais comme c’était parti, j’entrevoyais plutôt une nuit peuplée de cauchemars où un rongeur viendrait s’immiscer dans mon lit à la recherche de quelque chose à mettre sous ses dents aiguisées comme des lames de rasoirs.

Rien sous le canapé.

Je le reposais et me dirigeais vers la cuisine où Cohiba émettait des sons agaçants à l’image de quelqu’un mangeant des chips la bouche ouverte.

– Tu te fous de moi ? Elle est où cette souris ? lui lançais-je dépité par son absence totale d’intérêt.

Il s’arrêta de manger, me regarda de ses yeux verts fendus d’un mince trait noir, s’assit, et se mit à lécher l’une de ses pattes.

Une fois de plus, je lui assénais :

– Mais tu vas la choper cette foutue souris. T’imagines quand même pas que vais passer ma nuit à la chercher à ta place.

Le souvenir de ses petites dents en forme de lames de rasoirs s’attaquer à une partie de mon corps me revint en mémoire. Je frissonnais.

Cohiba s’interrompit dans sa toilette, leva ses agates perçantes et me toisa sans broncher.

Ce regard félin était capable de vous transpercer, de voir au-delà de ce que vous étiez vraiment. Avait-il seulement conscience de ce qu’il voyait ?

Il me scrutait, immobile, figé dans une posture rigide, sa gamelle vidée de toutes ses croquettes, et l’air de celui qui veut continuer de défier.

Debout dans la cuisine, lui à mes pieds, je le défiais également.

L’espace d’un instant qui semblait s’étirer éternellement, nous nous observâmes comme ce jeu auquel jouaient parfois les enfants et qui consistait à ne pas détourner le regard de son adversaire.

Quelles pensées traversaient son esprit ? Qu’attendait-il de ce jeu ? Si je détournais le regard une fraction de seconde, en profiterait-il pour me sauter dessus, griffes dehors, ne serais-ce que pour prouver qu’il venait de gagner la partie ?

J’étais las.

Trop tard pour simplement imaginer voir à travers ses yeux. Trop tard pour tout en fait.

Fatigué et impatient de me recoucher, je me détournais, résigné par ce jeu stupide.

J’en venais d’oublier la petite souris, et ses lames de rasoirs en guise de dents, qui parcourait toujours ma maison.

Enfin, je réintégrais mon lit douillet, rabattit la couette sur moi, éteignit la lampe de chevet et posa ma tête sur l’oreiller.

J’entendis le chat passer la trappe de la porte d’entrée qui émit un CLAP sonore dans le silence de la nuit.

Je fermais les yeux et repensais à cet épisode où je venais de me faire ridiculiser par mon chat. Là où il était, il devait forcément bien rire de ma faiblesse.

Stupide idée en fait.

Je tus mes pensées et me focalisais sur mon sommeil.J’étais fatigué, mon corps entier demandait grâce et que cesse toute cette agitation dont je venais d’être le témoin et l’acteur.

Je soufflais.

Soudain, j’entendis des grattements. Comme quelque chose que l’on essaie de déchiqueter et dont le bruit, amplifié par le silence nocturne, me fit hérisser les poils.

La souris.

Elle était là, tapie quelque part dans les ténèbres.Cherchant à fuir. A échapper au traquenard dans lequel elle s’était fait prendre.

– Il reviendra tôt ou tard, dis-je tout haut.

– Ne la laisse pas passer toute la nuit ici. C’était le genre de paroles qu’aurait pu dire ma femme, Anna, une phobique des rongeurs.

– T’inquiète, elle ne pourra jamais grimper jusque sur le lit.

– Tu parles, Charles. Tu sais à quel point ces nuisibles sont agiles avec leurs petites griffes. Ils grimpent partout, aurait-elle gémit.

– Ne t’inquiète pas, je serai là pour te défendre, l’écraser s’il le faut.

– N’essaie pas de me convaincre, j’ai peur.

A cet instant, je pris peur également. Il fallait éradiquer la bête et vite pour que se taise la voix de ma femme.

Je rallumais la lumière.

Ma femme avait toujours eue la phobie de ses petites bestioles. Je n’ai jamais su expliquer vraiment pour quelle raison tel ou tel animal nous inspirait une peur viscérale et devant lequel on pouvait être tétanisé, incapable de raisonner de manière rationnelle.

Elle c’était les souris, en ce qui me concernait, c’était les araignées.

Je me rappelais ce jour où j’avais passé une soirée chez un ami et qu’elle m’avait appelée en catastrophe parce qu’il y avait une souris dans la maison. Elle m’avait demandée, au bord de la crise de nerfs, de rappliquer illico pour mettre un terme à ses souffrances et par la même occasion à la fragile

existence de ce petit être qui était certainement encore plus effrayé qu’elle.

Pris de boisson, je n’avais pas trouvé le courage de lui dire que je ne viendrais pas dans les minutes qui suivraient, une trentaines de kilomètres nous séparaient. Je lui avait promis de faire au plus vite.

Deux heures plus tard, j’étais arrivé chez moi et avait découvert mon épouse, le visage inondé de larmes, figée dans une posture de détresse, sur la table de la cuisine, toutes les lumières de la maison allumées.

Elle était restée là, en pleine crise d’angoisse à l’idée de partager l’espace avec cette bête qui la terrorisait.

Après quelques minutes d’une intense recherche, j’avais découvert la souris, et l’avait écrasée. J’avais tenu entre mes mains ce petit corps ensanglanté, inerte, puis, l’avais jetée dans les toilettes.

J’avais commis un meurtre.

Cette vie ne valait-elle donc rien ? N’avais-je pas simplement pu me saisir d’elle et la relâcher dans la nature ?

Non, ma femme voulait que justice soit faite. Et elle fût faite. En bonne et due forme.

Le besoin me taraudait maintenant de mettre la main sur cette satanée souris qui m’empêchait de dormir.

Je retournais les meubles, regardais chaque coin, inspectait à l’aide d’un journal roulé en forme de rouleau tous les endroits où elle aurait pu se planquer.

Rien.

Et pourtant, au fond de moi, j’entendais encore ce grattement qui m’avait tenu éveillé. Elle était là, tout prêt.

Scritch-scritch.

Je tendis l’oreille pour mieux percevoir la provenance du bruit. Elle n’était pas dans cette pièce.

La cave.

Je sortis de la maison précipitamment, dévalais l’escalier jusqu’à la cave, ouvrit la porte à la volée.

Une odeur rance m’attrapa les narines.

Le grattement était plus intense ici, plus fort.

Scritch-scritch.

Je déplaçais toutes les piles de cartons qui emplissaient le petit volume de la cave. Vieilleries, habits d’hiver, cartons, toutes des affaires inutiles d’un passé enterré.

Le grattement était toujours là, il emprisonnait l’air.

Scritch-scritch.

Mon cœur battait plus fort, je le sentais prêt à se répandre sur le sol si je ne parvenais pas à découvrir son origine.

Tout ce que je venais de déplacer ne mena à rien.

Dans le fonds de la cave, il y avait de la terre battue qui me servait autrefois de cave à vins.

Le grattement provenait de là, j’en étais persuadé.

Scritch-scritch.

J’allais la débusquer et lui faire sa fête.

Sous terre, m’étais-je dit.

Alors je pris une pelle dans un coin et commençait de creuser. Je ne sais combien de temps cela me prit, mais durant tout ce labeur résonnait en moi ce grattement, comme m’exhortant à continuer.

Scritch-scritch.

Un trou s’ouvrait sous mes pieds et la terre déplacée formait un monticule énorme, enveloppant les vieilleries de l’autre côté de la cave que j’avais jetés pêle-mêle.

Soudain, ma pelle vint heurter quelque chose de dur.

Le grattement cessa.

J’utilisais mes mains pour dégager la terre et découvrit avec effroi des orbites vides qui me scrutaient, prêtes à avaler mon esprit, au bord de la folie.

Alors je me mis à pleurer sur ce corps émacié au sourire édenté que le temps s’était permis de décomposer.

La souris n’était pas morte, elle vivait, quelque part dans ma cave, fantôme de mes nuits.

 

FIN

Commentaires (2)

Kurt Fidlers
29.03.2023

Merci Athanase pour ce commentaire. Et bravo pour la tentative d'attraper la souris...

Athanase de Jadys
28.03.2023

Ah oui, ça me rappelle quelque chose (sauf la fin). Des souris vivantes, des mésanges aussi... Pour la souris, il y a un truc avec un bout de fromage sous un verre renversé, maintenu en équilibre par une pièce de monnaie verticale. On attrape ainsi la bestiole vivante, et on peut la relâcher dans le jardin (j'ai essayé, ça marche...)

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire