Créé le: 07.12.2020
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La Malle heureuse a disparu

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Histoire pour grands enfants dans la fabrique de leurs souvenirs. "La plus belle chose qu'on puisse offrir aux autres, c'est sa mémoire" Michel Foucault.
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La Malle heureuse a disparu

Il était une fois une vieille malle à souvenirs. Elle vivait à Lilistoria, entourée de gens qui l’aimaient et la protégeaient. Chaque soir, à l’heure du coucher, elle s’ouvrait et récupérait les souvenirs de la journée de tous les habitants -ou presque- du pays. On y trouvait alors des souvenirs joyeux, kikineurs, câlins, pied de nez, gros yeux, tête en l’air, qui rient, qui pleurent, désolés, gros bobo, bagarreurs, pipicaca, footballeurs, beau dessin, bain qui mousse, papa-maman etc…, ce qui faisait, il faut le reconnaître un bien curieux mélange ! Fort heureusement, tout était rangé par ordre alphabétique de sorte que le matin, chacun retrouvait ses souvenirs intacts, libre à lui de les récupérer ou de les laisser à la garderie (parce que notre malle faisait également office de garderie !).

Tout se passait donc pour le mieux du monde, même si quelques malicieux omettaient de confier leurs souvenirs, préférant garder au fond de leur tête, le goût glace au chocolat de la journée écoulée. Parmi eux, se trouvaient Méli et Mélo, deux frères à la bouille adorable mais aux manières peu recommandables (enfin aux dires de leurs parents Madame et Monsieur Minesévère, qui avaient sans doute oublié un peu trop vite ce qu’était un enfant !).

À Lilistoria, le temps avançait paisiblement, à son rythme, de bonheur chaque jour, sans nuages et sans cauchemars jusqu’à ce qu’une nuit, un orage maléfique ne s’abattît sur la ville tandis qu’un vent venu d’ailleurs se glissait dans toutes les maisons, derrière tous les habitants, à la recherche de la chose la plus précieuse qui soit : la malle. Et ce qui devait arriver, arriva,  dans un ouragan de violence, celle-ci fut pillée de tous ses souvenirs.

Le lendemain matin, lorsque les lilistoriens se réveillèrent et qu’ils virent qu’on leur avait volé leurs souvenirs, la vie s’arrêta, les cours d’eau se transformèrent en torrent de larmes, les oiseaux perdirent leur cui-cui et la tristesse s’empara de tout le pays.

Le CCBDC (Comité Central du Bon Déroulement des Choses), confronté pour la première fois à une situation de crise, ordonna la tenue immédiate d’un conseil de guerre.

Le président de l’assemblée fit un discours, certes solennel, mais aux phrases curieusement décousues :

Notre pays crise/sans précédent/un grand danger court/ sans souvenirs plus d’histoires/, DRELIN DRELIN/ et fin pour nous BAOUBADABOUM/ signe l’heure DOIIING/ citoyens grave est CRATCH CRATCH car DONG DONG ennemi HI HAN TU TUUUT…

avant de sombrer dans un sommeil sans rêve ni cauchemar.

Bref, son appel resta lettre morte puisque personne ne le comprit.

D’ailleurs quiconque aurait voulu agir, ne l’aurait pu. Les quelques souvenirs qui avaient échappé au massacre étaient si confus qu’ils furent dans l’incapacité de fournir le moindre indice. Et doucement le pays s’enferma dans un mutisme sans précédent. Les gens avaient peur, se méfiaient les uns des autres et de toute façon avant même de parler oubliaient déjà ce qu’ils avaient à se dire. L’épuisement des mots aboutit à leur restriction et ils furent distribués au compte goutte. Désormais, la circulation était alternée, un jour les consonnes, un autre les voyelles mais plus rien n’avait de sens ; le temps aussi s’était mis de la partie : il pleuvait, neigeait, faisait soleil au même moment, les saisons s’étaient mélangées entre elles et ne savaient plus quel était l’ordre des choses.

Enfin, les habitants à la mémoire envolée perdirent conscience de ce qu’ils avaient été et la vie à Lilistoria ne ressembla plus qu’à un abominable charabia.

Seuls parvinrent à survivre ceux qui, comme Méli et Mélo, n’avaient pas confié le jour de l’orage maléfique leurs souvenirs à la malle.

Ils étaient sept en tout, sept enfants à souffrir en silence de leur désobéissance et se réjouir en même temps d’avoir pu ainsi échapper à la catastrophe nationale.

D’un commun accord, ls décidèrent  de passer à l’action. Ils voulaient retrouver leur parents d’avant -aussi sévères fussent-ils et leur beau pays où il faisait si bon vivre.

Méli et Mélo et leurs 5 autres camarades prirent donc les choses en main et se rendirent auprès de la malle vide et toute rabougrie. Ils l’interrogèrent longuement et entre deux hoquets desséchés, apprirent de la vieille que  la sorcière d’Antérograde était à l’origine de cette histoire.

Ils tentèrent d’en savoir davantage sur cette sorcière mais la malle, dans un dernier soupir leur murmura : Par-delà les montagnes et la mer Cyrillique, se trouve la réponse ! , avant de perdre son latin et sombrer dans un coma profond.

Les enfants ne gardaient qu’un souvenir lointain des cours de géographie et cette fois, cela n’était pas la conséquence du mal terrible qui rongeait les lilistoriens : ils étaient des élèves trop distraits, un point c’est tout !

– Ce qu’il nous faudrait, c’est un atlas !  suggéra Méli.

– Excellente idée ! » dit Mélo.

– Mais vous savez lire ? ajoutèrent les autres.

Il y eut alors un grand silence.

Un silence qui laissait peu de place à l’instant qui passe.

– Vous voulez rire, j’espère ?  répondirent d’une même voix, les deux frères très vexés.

Nous manquons peut-être de bon sens en géographie mais notre connaissance en beaux mots (et non pas gros) n’est plus à démontrer. Que croyez-vous que nous faisons le soir, tandis que certains enfouissent leurs souvenirs dans la malle ? Eh bien, nous lisons jusqu’à plus soif, ce qui fait dire à nos parents que nous sommes fort mal éduqués. Ce qui –entre nous soit dit- est bien culotté, car jusqu’à preuve du contraire ce sont eux qui nous éduquent.

Ce fut tout.

L’atlas leur révéla alors les contours d’un pays étrange isolé par-delà les montagnes et la mer Cyrillique.

Petit état indépendant dirigé d’une main de fer depuis une centaine d’années par un monstre sans queue ni tête ; à éviter si possible.  Voilà ce que l’on pouvait lire dans un petit coin de l’ouvrage.

Méli et Mélo ne furent nullement impressionnés par cet avertissement et c’est seuls qu’ils partirent, les autres enfants ayant prétexté un soudain refroidissement, une migraine de poisson rouge (comme si un poisson rouge pouvait avoir la migraine !), une fatigue incroyable… Ouais, tout cela ressemblait surtout à une crise de pétoche aiguë !

Le voyage dura trois jours et trois nuits, à pied, à cheval, en bateau, au bout desquels les deux frères parvinrent, non sans mal, aux frontières d’Antérograde.

Un laisser passer en règle, rédigé en bon caractère, leur permit de franchir le premier poste contrôle et les barrières s’ouvrirent sur ce pays froid et peu engageant.

Arrivés dans la capitale Villenie, ils se rendirent directement au Palais Royal où, après s’être faits annoncés,  furent reçus de façon cavalière par une sorcière peu ordinaire.

Ses yeux étaient énormes et tordus, sa bouche à l’envers, elle bavait en parlant et ne mâchait pas ses mots (normal, elle n’avait plus de dents !)

Méli et Mélo ne la prirent absolument pas au mot et commencèrent leur interrogatoire. Au fil d’une conversation qui les mit sens dessus dessous, ils comprirent que cette pauvre folle était en fait atteinte d’une maladie très rare : l’amnésie directe d’origine amphigourique, ce qui tendait à expliquer son comportement étrange et ses histoires à dormir debout. En attaquant Lilistoria, son seul désir était de récupérer des souvenirs afin de conjuguer sa vie au passé simple ou composé, voire même à l’imparfait, elle qui n’avait jamais connu que le présent.

Or l’entreprise s’annonçait plus périlleuse que prévue car les souvenirs étaient coriaces et ne se laissaient pas faire, certains même étaient entrés en résistance et ne voulaient pas servir de prête-nom à Antérograde. Celle-ci les avait alors condamnés à être brûlés vifs même si dans la minute qui suivait, elle avait déjà oublié ce qu’elle avait ordonné !

Les deux frères, pleins de bon sens, conseillèrent à la sorcière de consulter leur père, un neurogénéalogiste très réputé, qui pourrait sans doute, grâce à ses connaissances, lui rendre son passé. Avec la promesse d’un rendez-vous rapide, ils lui demandèrent de libérer tous les souvenirs, ce qu’elle fit sans hésiter, n’étant, à vrai dire, pas foncièrement méchante.

Le voyage retour en bateau fut un peu mouvementé car les souvenirs n’en faisaient qu’à leur tête et il fallut une bonne dose de discipline pour remettre de l’ordre dans ce charivari.

De retour à Lilistoria, chaque souvenir retrouva sa place et Méli et Mélo furent salués par un tonnerre d’applaudissements, félicités par le président en personne sous l’œil admiratif et ému de leurs parents même si quand la nuit vint à tomber, ces derniers ne manquèrent pas de leur rappeler qu’il était temps pour eux d’aller se coucher.

Ce qu’ils firent, pour une fois, sans rechigner.

Dans la douceur du soir, les lettres retrouvèrent leur sens, on se raconta beaucoup de choses et lorsque le mot fin fut prononcé, la malle se referma tout doucement sur ce qui n’était plus, à vrai dire, qu’un mauvais souvenir….

Quant à la sorcière Antérograde, elle fut soignée, bichonnée au point même qu’elle en devint une fée !

FIN

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