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© 2021-2024 Peter Pumpkin

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La maison me paraissait très ancienne ; je suppose qu’en réalité elle n’avait pas plus de quarante à cinquante ans. Elle appartenait pourtant à une autre époque, ce qui me paraissait logique puisque ma grand-mère était très vieille...
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La maison me paraissait très ancienne ; je suppose qu’en réalité elle n’avait pas plus de quarante à cinquante ans. Elle appartenait pourtant à une autre époque, ce qui me paraissait logique puisque ma grand-mère était très vieille. Les murs étaient en partie crépis sur l’avant ; partout ailleurs, c’était de la brique rouge. Les tuyaux d’eau, peints en vert, se trouvaient à l’extérieur, ce qui suscitait chez moi, de manière difficilement explicable, le sentiment d’être confronté au merveilleux. On entrait par la cuisine ; il y avait bien une porte principale, mais nous ne l’utilisions jamais, ce qui la rendait imposante à mes yeux. Dans la cuisine il y avait un fourneau à charbon – on y utilisait du coke – qui servait tant à la cuisson qu’au chauffage, et qui produisait de l’eau chaude. A côté, il y avait une pièce minuscule, une sorte de grand cagibi, qui était un garde-manger. Les fenêtres, dépourvues de volets, étaient à guillotine. Les portes s’ouvraient avec des boutons ; il n’y avait qu’une chambre à coucher, celle de ma grand-mère, dont la porte était munie d’une poignée en bois, en forme de volute.

 

Le goût de mon grand-père, que je n’ai jamais connu, avait accentué cette allure de haute antiquité. Les meubles dataient pour la plupart du siècle précédent. Les boiseries, les portes et l’escalier étaient peints en un brun très foncé, dont personne, déjà alors, ne se servait plus depuis très longtemps. Les gravures, dans leurs cadres de bois noir, étaient tout à fait étranges ; l’une d’elles, que j’ai conservée, représentait des chiens tout habillés, que l’on avait dressés à danser. J’ai découvert depuis qu’elle datait de l’époque de la révolution. Les dossiers des fauteuils étaient garnis de napperons. Les lits étaient incroyablement hauts et profonds. Jamais je n’en ai connus d’aussi peu conformes aux croyances de nos jours, selon lesquelles le bien de nos vertèbres exigerait que l’on dorme sur l’équivalent d’une planche, ni d’aussi confortables. On s’y enfonçait comme dans un nuage de plumes. La salle de bains, qui se trouvait au premier étage avec les chambres, était peinte en vert ; le lavabo et la baignoire étaient munis de minuscules robinets, l’un pour l’eau chaude, l’autre pour l’eau froide. Il n’y avait bien sûr pas de douche, et quand on se lavait les cheveux, il fallait se servir d’une cruche ; pour les sécher, on se mettait devant le feu, dans le salon. C’était là, le soir, la place préférée du chat, qui dormait dans un fauteuil ; la journée, il dormait dans le jardin. Il ne chassait jamais. Les oiseaux, qui le connaissaient, venaient picorer tout autour de lui. Cet animal ne manifestait d’agressivité qu’envers son frère, qui habitait chez le voisin. Il y avait un trou dans la haie, que les chats empruntaient de temps en temps afin d’aller se battre. Ma grand-mère se précipitait alors et leur lançait le contenu d’un verre d’eau. Elle fut une fois très dépitée d’avoir arrosé son propre chat, alors même que celui-ci était à l’origine du combat. Le sens de la loyauté était, chez elle, plus développé que celui de la justice.

 

Derrière la maison, il ne restait qu’un carré de gazon de taille assez modeste, dans lequel avaient été plantés quelques arbres fruitiers. On pouvait cueillir des pommes depuis  la fenêtre de l’une des chambres à coucher. Une haie de laurier séparait cette partie du jardin du potager, lequel était beaucoup plus grand. Année après année, mon grand-père, qui aimait paraît-il les légumes, avait réduit la surface de gazon au profit de ce potager. Ma grand-mère, qui ne partageait pas cette passion, s’en occupait tant bien que mal, de sorte qu’il avait un aspect quelque peu mystérieux. La maison avait précédemment appartenu à un laitier, et il y avait encore une minuscule écurie, où n’avait jamais logé qu’un seul cheval. Dans les combles de cette baraque en bois, on trouvait un bric-à-brac insolite : de vieilles malles, des jouets hors d’usage, des casques, une veste d’aviateur, un transmetteur de morse. A côté, à moitié enterré, il y avait l’abri anti-aérien en tôle, dans lequel ma grand-mère gardait le charbon. Le coke était conservé à part, dans une petite remise en bois. L’allée était couverte d’un gravier jaune orangé, qui crissait sous le pas ; c’était du silex.

 

Là-bas, l’air est plus léger ; on sent que la mer est proche. Le ciel est bleu pâle. L’ombre et le soleil alternent si vite que, souvent, seule une partie du jardin se trouvait ensoleillée, puis l’autre, cela en quelques secondes. Mais sous ce soleil dont les rayons, à aucun moment, ne frappent à la verticale, les couleurs sont, non pas vives, mais d’une étrange intensité. On pouvait en saisir des nuances inconnues chez nous. Les journées d’été étaient longues et finissaient tout en douceur ; le crépuscule était interminable.

 

C’était il y a quarante ans. Ma grand-mère a ensuite déménagé dans un pavillon moderne, où il y avait le chauffage central. Il y a bien longtemps, à présent, qu’elle repose aux côtés de ses parents. Le village où se trouvait la vieille maison est, paraît-il, devenu une banlieue, et la lande, sur laquelle nous allions nous promener, a été bâtie de lotissements.

 

Pourtant, quand je n’en peux plus des entretiens d’évaluation, des responsables des ressources humaines et de leurs « procédures d’accompagnement métier » ou de « suivi formation », des démarches citoyennes, du réchauffement climatique et du développement durable, il m’arrive encore d’y retourner. Je traverse l’entrée à peine éclairée de jour, où l’on devine les gravures plus qu’on ne les voit ; je grimpe l’escalier qui craque, si étroit et raide, je vais à ma chambre et je me couche sur le vieux lit. L’air est délicieusement frais, et l’édredon en plumes toujours aussi confortable. Le soleil et l’ombre alternent toujours. Et le chat me rejoint, se couche en boule à mes côtés, et ronronne doucement ; et par sa seule présence, il éloigne de mon sommeil les mauvais esprits.

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