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La complainte d’une vache blanche tachetée de rose perdue dans un ascenseur jaune

Attention ! Je vais tomber. Tu m’as mal mis dans ton sac. Non, ne saute pas.

Ouille ! Que le sol est dur.

Mathilde, retourne-toi, je suis là, ne m’abandonne pas.

Youhou

Hé !

Zut, la porte de l’ascenseur s’est refermée, elle ne m’entend plus. Et c’est sale par-terre. Avec cette pluie les gens ont leurs chaussures toutes mouillées.

Mathilde !!! Reviens …..

Pff !

Ha, la porte s’ouvre, Mathilde ?

Ah non…

Bonjour madame, vous pourriez me ramener à Mathilde ? Vous comprenez, je suis son Doudou et sans moi elle est perdue… Oh, c’est gentil, merci de me prendre, parce que vous comprenez le sol est vraiment dégoutant ici. Donc Mathilde est une petite fille avec des cheveux br… Mais qu’est-ce que vous faites ? Non, ne me laissez pas, s’il vous plait. Pourquoi vous me suspendez la tête en bas ? Bon d’accord, au moins je ne suis plus sur le sol. Mais je ne vois plus rien accrochée comme ça à l’accoudoir.

Ha, on bouge… La porte s’ouvre, quelqu’un rentre… Quel silence… On monte, on s’arrête, la porte s’ouvre de nouveau, une autre personne entre, ça se pousse, se fait de la place… On reprend la montée. Et voilà ! Terminus, tout le monde descend. Pfff, quel ennui. Ça va continuer encore longtemps comme ça ?

Ah ! On redescend, quelqu’un a dû appeler l’ascenseur.

Et moi, pendue à l’accoudoir la tête en bas, je ne vois plus que le sol. Pas drôle !

Quelqu’un entre, s’approche de moi. Je le sais, je vois ses chaussures. Il me prend. Mathilde ? Non, un inconnu.. Hola, il a une sale tête. Pourvu qu’il me laisse là. Je ne veux pas partir avec lui, avec son chapeau noir, son imper noir, son costard noir, sa petite mallette et ses gants en cuir, il ressemble à un psychopathe. Oh secours ! Quelqu’un !!!! Sauvez-moi, je suis certaine qu’il déchiquète les peluches, surtout les vaches blanches à tâches roses. A l’aide !!…

Tiens, il me repose, il me met bien assise sur l’accoudoir et il me tapote gentiment la tête. Ha ben il est bien sympa le monsieur finalement. Et maintenant je peux voir les gens qui rentrent. Mais ça va durer combien de temps ? Mathilde doit être tellement inquiète.

On bouge de nouveau. La porte s’ouvre. Un couple. Nouvel arrêt, une dame mal réveillée. Un aller-retour et voilà un asiatique qui sifflote cette fois-ci. J’aime bien cette mélodie, faudrait que Mathilde me la chante.

Echange de passager : une maman et son fils. Je n’aime pas trop comment il me regarde celui-là, avec convoitise. Pourvu qu’il ne me prenne pas. Je suis la propriété de Mathilde. Il me touche presque avec ses mains, j’espère qu’il ne les a pas mises dans son nez juste avant. Sa maman le retient, lui dit qu’il y a certainement un enfant tout triste quelque part qui cherche son Doudou et que s’il me prend, jamais cet enfant ne retrouvera sa vache en peluche. Le garçon retire sa main. Ouf ! Je l’ai échappé belle, il avait bien un peu de gluant suspect au bout de ses doigts. Merci madame.

Et ça continue, ça rentre, ça sort et moi je ne bouge pas.

Oups… J’ai dû m’assoupir.

L’air s’est rafraichi il me semble. C’est quoi ce vent ? Est-ce que la nuit est en train de tomber ? Oh oui, c’est ça, mon dieu et moi qui suis toujours coincée ici. Mathilde va devoir dormir toute seule. Elle va avoir peur. Et moi, je vais devoir dormir ici, toute seule, enfermée dans cet ascenseur.

Ça y est, je sens que je fais une crise de claustrophobie. Je vais terminer ma vie ici, tomber en morceaux pour n’être plus qu’un tas de tissus gisant sur le sol immonde.

Ma fin est proche.

Adieu.

Adieu Mathilde, adieu les rires complices, adieu la vie…

Hé mais… J’entend des cris. Je reconnais le son de ces pleurs, la porte s’ouvre.

Mathilde, c’est moi, je suis là, ne pleure plus.

Commentaires (5)

Naëlle Markham
14.07.2020

Chère Asphodèle, La preuve que ce texte est magnifique (s'il en fallait encore une) c'est que ce matin à l'écran, accueillie par l'histoire du jour, rien qu'en voyant son titre, j'ai souri au souvenir de sa lecture il y a quelque temps. Il y a des textes comme ça, qui vous marquent et dont la sensation de bonheur qu'ils vous ont données perdure, ... avant même de les avoir relus ....

Pierre de lune
26.11.2016

Chère Asphodèle, Un vrai régal de lecture, les aventures de cette petite vache pleine de sollicitude :-) Le titre interpelle et fait sourire : sûr que pris au premier degré... Cela intrigue !! Et on n'est pas déçu par la suite : on pouvait attendre une farce réjouissante ; on est surpris par une narratrice "hors du commun", à qui la parole est enfin donnée, et qui met en scène de façon touchante le lien si spécial entre un enfant et son doudou. Merci Asphodèle :-)

Asphodèle
23.11.2016

Merci beaucoup pour vos commentaires. J'ai vraiment trouvé cette vache en peluche à cet endroit dans l'ascenceur en allant travailler. En rentrant chez moi plus tard, elle n'y était plus. J'espère quec'est bien son propriétaire qui l'a récupérée. Je dois aussi avouer qu'une majorité des gens que l'on croise dans cette histoire, je l'ai ai croisé en vrai dans ce même ascenceur.

We

Webstory
23.11.2016

Quelle histoire rafraîchissante et tendre! A lire aux enfants de toute urgence. Nous rajoutons la catégorie "Pour les enfants" tout de suite! Encore bravo d'avoir mis en scène la photo. Très bonne idée. Mais dites... vous l'avez vraiment trouvée cette peluche dans l'ascenseur?

Pascal Houmard
22.11.2016

Merci, Asphodèle, pour votre gentil commentaire, qui m'a touché. A mon tour de vous dire que j'ai trouvé très original et réussi ce récit d'abandon vu par les yeux d'une peluche. Le plus amusant, à mon goût, c'est que, d'un bout à l'autre, la vachette réserve ses inquiétudes pour sa petite propriétaire... Merci, donc, et bravo !

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