JFK, dissolution du mystère par le peuple et en son sein

Un fait universellement fameux et pourtant intime aussi, qui accompagne toute une vie, pose des question et permet de résoudre celles qui viennent encore se poser, l'assassinat de John Kennedy. Même intrigues, nouvelles réponses.
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On a tant écrit sur ce sujet qui a traversé nos vies comme la balle a traversé son corps. Tout a été dit, mais je ne m’étais encore jamais exprimé, ce qui est anodin, et prends la peine de le faire ici. Anodin aussi. Non que je puisse apporter quelque chose au dossier. A la vérité, je m’aperçois que l’assassinat de JFK au fil des ans m’explique à lui seul la vie et le monde d’une façon plus pertinente que je n’avais pu en prendre conscience avant cet automne 2020. Les tensions actuelles au sein du peuple américain et leurs répercussions sur le reste du monde me permettent de saisir ce que je n’avais que trop partiellement perçu : l’assassin de JFK était seul et multiple et la multiplicité reste tueuse autant que les individus isolés qui se préparent à assassiner encore.

 

Bien sûr, nous étions enfant quand il mourut à Dallas, le 22 novembre 1963. Il était l’homme tombé de très haut, une transition de vie à trépas violente et injuste, de la puissance à la mort en quelques secondes. C’était plus qu’un événement, une onde de choc, un sourire glorieux anéanti par le mal. Son portrait sur assiette, avec des touches bleues, exposée dans le salon de grand-maman. Elle ne s’est brisée que bien des années après. Peut-être même ne l’est-elle pas ? Dans la poussière de je ne sais quel carton. Le tailleur rose de Jackie son épouse à genoux sur la limousine, celle-ci filant sous le tunnel. L’incertitude vaine et le réel de la mort tapi au fond des consciences. Je n’entendais que la radio de mon pays et les mots de ses correspondants à Washington et au Texas. Lyndon B. Johnson prêtant serment dans l’avion. Le drame raconté des millions de fois. Je n’ai connu que beaucoup plus tard l’existence fameuse de Walter Cronchite dont les larmes que l’on peut revoir à l’envi, quand il annonce la mort de son président en vérifiant l’horloge « à 13h00, il y a 38 minutes », resteront l’une des images fortes de cette journée qui jamais ne se perdra dans l’oubli.

 

Le film 8mm de Zaprouder longtemps ne fut connu que par images fixes. Les moments clefs, l’enquête, le rapport de la commission Warren. J’entends encore ce nom prononcé à la radio et mon grand-père qui me dit que «c’est Johnson qui est derrière ça» avec un regard méfiant que je ne lui connaissait pas. Dans les revues et sur les bibliothèques la vie et la mort de John Kennedy fut la chronique de mon enfance, réelle et contemporaine, mythologique.

 

Les couleurs de ce film, le rendu parfait du début des années soixante, immanence et caractère unique de celles-ci. On parlait déjà de complot, c’en était un nécessairement, et ce le sera toujours. Naissance d’un mouvement universel.

 

Je me suis posé, par bribes au cours de la vie, la question des effets de l’existence de Lee Harvey Oswald qui n’était pas une belle personne et dont le raccourci pris pour accéder à la postérité aura été aussi vulgaire que peu enviable. Son fusil dont je ne revérifierai pas le nom, les lunettes de tir – l’arrière de la tête au centre de la cible – et l’immeuble que j’ai longtemps vu en briques rouges, un dépôt de livres scolaires au 5ème étage duquel il attendit sa prestigieuse proie, rien ne sera omis par l’histoire et c’est déjà le cas.

 

Jack Ruby avait un nom qui sonnait bien mais seule reste la bassesse de ses actes . Pour se faire connaître, il a tué le 24 du même mois Oswald qui, lui aussi, deux jours auparavant avait agi pour se faire un nom. Gémellité de la violence, du médiocre et de l’absurde le tout saupoudré de pas mal de folies. Des pages et des pages de la vie de Lee Harvey et de celle Jack, des destins à contre-sens et des actes générateurs de morts au bout de leurs chemins faits de frustration et d’obstination. La photo de l’assassin de JFK, cabré et grimaçant, recevant la balle de Ruby dans le ventre. Un instant saisi qui ne passera jamais. Notre seconde à tous, fixée et disparue. Mes enquêtes intérieures d’enfant. Les questions qui n’osaient pas s’attarder dans mon esprit. Ruby était mafieux. C’est établi. Un bar à Dallas. Il a fallu un si grand livre, des milliers de pages, issu des travaux de la commission Warren, gage de vérité. Le jour du mandat confié au président d’alors de la Cour suprême, avec l’idée, toujours, de vérité. Le jour du dépôt du rapport. Ceux de sa relecture, en cours. Les années se succédant. A jamais les travaux seront ceux-là, tels qu’en eux-mêmes, dans la rigidité de cette enquêtes vivante de l’époque. Les chercheurs s’y pencheront encore, mais le besoin de dénouer l’énigme a faibli. A jamais, le rapport Warren, Earl Warren, sera contesté et les contre-théories se développeront. Les personnages paraissaient uniques dans leur rapport intime au mal. Mais le mal aussi est viral. Pour le comprendre, il m’a fallu vivre, jusqu’à aujourd’hui cinquante-sept autres mois de novembre.

 

Ce fut longtemps hier avec ce sentiment de proximité et de permanence du drame. Des petits morceaux de cerveau sur le capot arrière de la limousine, récoltés par Jackie. L’assassinat de Robert, en 1968, Nixon, élu la même année, succédant à Johnson qui renonça à se représenter, le Vietnam qui rendit interminables les années soixante, désormais depuis longtemps écoulées. Carter, pour septante Reagan, pour quatre-vingt Clinton pour nonante et le film d’Oliver Stone. Le fusil, les lunettes vintage (dans le film seulement) de Jim Garrisson, ce procureur qui poursuivit vainement un inconnu pour défaire le mystère. Mais les doutes étaient subtils et la vérité de plus en plus chahutée, en silence et en sourdine. Le fusil était à lunettes, on le rappelle encore, mais il n’avait pas de silencieux. Le bruit des balles surprend toujours John-John à Arlington. Les malheurs récurrents de toute cette famille K. Une chronique de la mort dans les cœurs ordinaires commencée avant Dallas et jamais achevée. Il y avait un mort à la maison et c’était John Kennedy. Je crois avoir parlé avec lui, en mes secrètes intériorités, avec la frêle conscience du simple et précaire avantage de la vie.

 

Mon père nous parlait de l’importance des conseillers autour d’un homme aussi puissant que le président des Etats-Unis. Il avait aussi, de si loin et je ne m’en suis guère rapproché, un certain respect pour lui. Les meilleurs, les plus intelligents, en chemise blanche sur un perron de la Maison qui l’était aussi. Une prometteuse maîtrise et cette image si réussie démocratiquement. Le discours de Berlin, un grand moment et d’autres rencontres en Europe. Puis l’étoile JFK a semblé pâlir avec le temps et les commérages sexuels, financiers et mafieux qui sont peut-être des vérités, ont altéré sa brillance sans la faire tout à fait disparaître. Même, l’astre est de retour dans nos nouvelles nuits grises et brunes.

 

Bush, père et fils puis Obama et enfin ce Donald. En un seul homme la version contraire de ce que représentait le président assassiné. Le travail, une volonté … je ne saurai jamais … la volonté d’un chef d’Etat de se comporter en chef d’Etat pour le bien des nations. Mais ce sont des songes d’enfants, le monde vrai ne permet que des approximations. John, l’homme, de quarante-six ans, vit encore, une éternelle dernière seconde, peu après ce virage pris sur Daeley-Plaza, dans la descente par-devant les maisons rouge au cinquième étage de l’une desquelles Oswald se cachait. John roule, dans une ville qui votera rouge jusqu’à la mort, à l’arrière d’une voiture officielle large et noire. Encore un peu de lumière, des pensées peut-être à lui. Un monde réel, ces gens qui viennent le saluer, du gazon, des pensées secrètes, une journée à finir, l’exercice de sa puissance. D’un instant à l’autre, il n’en sut plus rien, cessa de vivre, ne devint qu’un corps abattu, celui d’une personne disparue et entrée dans l’histoire, non elle-même, mais son équivalent culturel. On a beau faire et refaire le parcours, ce n’est que l’histoire d’une mort infligée. Oswald trouvant l’espace pour sourire et le temps de parler aux journalistes peu après avoir tué deux hommes : le président et, une heure plus tard, cet agent de police devenu si fameusement anonyme après sa mort et par le fait même de celle-ci. Les chiffres rendent plus encore anonymes les milliers de personnes tuées par balles chaque année aux Etats-Unis.

 

Les unes aux autres, les fusillades se seront succédées. Au début, ont croit entendre des feux d’artifices ou des pétards festifs. Puis on voit des corps tomber en quittant la vie et le spectacle. C’était le cas à Las Vegas, le 1er octobre 2017. Même lâcheté, même efficacité. Le tireur était monté plus haut qu’Oswald, jusqu’au 32 ème étage. Il a tué beaucoup de monde mais son nom sera plus vite oublié : il n’a pas tué le président. Oswald travaillait dans cet entrepôt de livres scolaires et vécu comme une aubaine définitive, pour lui et sa victime le passage du président, à toit ouvert, ce jour bleu de novembre. Sa vie sans gloire lui offrait une occasion à ne pas manquer, une cible, la tête d’homme illustre, dans laquelle, le réel, la technique, le hasard et sa volonté, lui permirent d’envoyer le projectile. En devant ainsi tout à fait lui-même il put enfin s’approprier l’autre et se faire unique autant qu’universel. Réprouvé, jugé, puni ou admiré, il saisit le privilège d’exister infiniment dans l’esprit du pays et de ses gens. Oswald se mêle à la foule qui se retrouve en Oswald. Le tireur est toujours multiple. Il vient de loin, fend le nombre autant que les crânes, savoure sa vengeance, retient ses aigreurs et ne veut plus rien savoir du bien qui n’a pas voulu de lui. On cherche l’assassin pour permettre l’innocence des peuples et l’on ne trouvera jamais ni l’un ni les autres. Ce n’était pas un accident, ni même un incident, mais un fait définitif qui trahira toujours le hasard, dont le mystère n’est plus d’avoir ou non été aboli (*) mais bien de n’être pas travesti. Je sais enfin, à entendre les rumeurs des siècle et de ces saisons-ci qui a tué John Kennedy. La question garde toute sa force et son plus vif intérêt, non pour être résolue, mais par le caractère révélateur de la candeur fausse et avérée de qui ose encore la poser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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