Créé le: 30.03.2019
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Horizontal Vertical

Fables

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Que choisir entre elles deux, quand il s'agit de corde raide ?
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Procrastination

La corde raide, à l’horizontale, je pourrais y marcher, à condition d’avoir un peu d’équilibre.

La corde raide, à la verticale, je pourrais y monter, à condition d’avoir de la force.

Mais tant à l’horizontale qu’à la verticale, où me mènera cette corde ?

Je pourrais consulter ceux qui s’y sont déjà frottés, mais rien ne vaut sa propre expérience, n’est-ce pas?

Donc, il s’agit d’une corde, soit un assemblage constitué de plusieurs brins tressés de divers matériaux. Au fond, qu’importe le cordage, pourvu qu’il ait la raideur suffisante pour supporter le poids du voyageur. Me concernant, je pèse moins de quatre-vingts kilos. Cela devrait me faciliter l’escalade. Je dis : escalade, bien que je n’aie encore rien décidé, même si mon goût me pousserait plutôt à me hisser vers le haut.

Si j’essaie d’imaginer un peu plus loin ce que pourrait être ce voyage, faudra-il que je sois équipé de vêtements spéciaux ? Devrai-je prévoir de l’argent, de la nourriture ?

 

Donc, me voilà parti. Première surprise : je n’avais pas prévu de rencontrer d’autres personnes sur ce parcours. Et, à peine les premiers mètres franchis, j’aperçois déjà quelqu’un qui avance devant moi. Il semble avoir quelques difficultés. C’est que c’est pentu, cette corde et bonjour les bras. La tendance à se retrouver tétanisé en pleine ascension se manifeste rapidement. Les muscles se bloquent. Un choix crucial se présente alors. Vais-je tenter de m’arrêter en pleine montée, pour prendre un peu de repos ?

 

Ou vais-je me laisser glisser vers le bas, espérant pouvoir faire une autre tentative ? Cruel dilemme, bien raide celui-là.

 

Tu te décides, ou quoi ?

Ou vais-je me laisser glisser vers le bas, espérant pouvoir faire une autre tentative ? Cruel dilemme, bien raide celui-là.

 

J’aurais pu, tout aussi bien, choisir la marche à l’horizontale. Tiens, oui, cela m’aurait bien mieux convenu. Je suis un marcheur dans l’âme, pas un jour sans que je fasse au moins quelques pas. En revanche, j’ai renoncé à utiliser une application qui enregistrait le moindre de mes déplacements, même si les statistiques fournies me permettaient de me comparer aux performances de mes collègues. Et je n’étais pas mauvais du tout. Eux se persuadaient que certains défis proposés par leur direction étaient bons pour leur santé. Moi, j’étais convaincu que c’était une nouvelle manière très intrusive de surveiller le personnel. Donc, au bout du compte, j’ai laissé tomber, prétextant une entorse récurrente du genou gauche, ce qui n’était pas tout à fait vrai.

 

Marcher sur la corde raide et à l’horizontale, devrait comporter un certain charme, un peu comme une ballade en campagne. Ça, c’est ce que je me disais, avant de me décider. Une sorte de cycle infernal avait fini par se créer, à cause de mon indécision. Dans ma tête, le calcul avantages-inconvénients ou la comparaison faisable-pas faisable, tournait sans cesse, inexorablement, voire désespérément. (Ça c’est pour ceux qui n’aiment pas les adverbes en – ment, tant pis pour eux !) En désespoir de cause, j’ai opté pour la verticale.

 

À la verticale

Mal m’en a pris. J’ai déjà essayé quatre fois de me hisser tout là-haut. J’en ai bien vus qui étaient près d’y parvenir. En effet, je les voyais disparaître dans les nuages. Certains, bien sûr, n’y arrivaient pas. On se retrouvait ensemble au sol, déçus, amers, révoltés parfois. J’essayais de dire quelques paroles positives, comme : allez les gars, on ne lâche rien, on y croit, on y va. Mes propos n’étaient pas toujours bien reçus, surtout par les plus pessimistes. Au point que j’ai finalement décidé de me taire, comme quelqu’un me l’avait perfidement conseillé : garde ton souffle pour grimper, mon gars !

 

Dont acte, j’escalade cette raideur à la force de mes bras. J’essaie de ne penser à rien, de faire le vide dans mon cerveau. Lui a une fâcheuse tendance à me miner le moral, susurrant mètre après mètre : tu n’y arriveras pas, tu es trop faible, ta fatigue va t’arrêter une nouvelle fois, la dernière, laisse tomber, abandonne, c’est bien trop raide pour un type comme toi.

 

A la fin, je n’ai plus écouté que mon corps. Lui me surprendra toujours, tant il est bien disposé à me fournir encore et encore de l’énergie pour me propulser au sommet. Enfin, propulser, c’est sûrement un peu prétentieux. Me traîner serait plus approprié. Allons, ne tergiversons pas, restons focalisés sur le but. Au fait, le but, c’est quoi ? Grimper, grimper, tirer sur ses bras, souffler comme un phoque, mais pour aller où, pour atteindre quoi ?

 

Patience et longueur de temps…

Il fallait y penser avant…un bref instant, cette idée basse tension revient à la charge, tandis que je pleure presque de douleur en tirant sur mes bras. Je discerne aussitôt l’excuse qui pointe derrière le tombereau de faussetés qui ne tarderont pas à venir surcharger cette pénible expérience. Comme si je n’avais pas encore assez de difficulté, c’est à cet instant qu’une grappe de concurrents choisit de se laisser glisser vers le bas, manquant de m’entraîner dans leur chute désordonnée.Mais non, je me cramponne, je renâcle, je sue, je me jette des sorts, je m’insulte, je hurle au secours, j’invoque le ciel.

 

Le ciel, parlons-en. Il se rapproche malgré tout, à chaque nouveau centimètre gagné. Mais chose étrange, je ne parviens jamais à cette zone bleu azur qu’on voit d’en bas. Plus je progresse, plus la zone recule, comme si un mauvais farceur déplaçait la ligne d’arrivée au fur et à mesure de mon avance. La peste soit de cette maudite course, qu’y a-t-il en haut, mais dites-le-moi. J’ai bien essayé de me renseigner auprès d’une belle athlète filiforme qui redescendait à toute vitesse, si vite que je n’ai pas entendu sa réponse.

 

Raide la corde, et elle me scie la peau des mains. Je n’en peux presque plus, même si ma tête a décidé que je ne céderai pas, pas si près.

 

Et enfin, atteindre le but

 

Depuis un moment, j’ai l’impression de flotter, déconnecté de mon corps qui semble avancer tout seul. Là, on y est. La lumière est intense. Soulagé, je me baigne dans le bleu azur, quand un rire sarcastique m’arrache à ce bien-être, suivi de : « Vous avez bien grimpé, bravo, apprenez donc à danser…sur la corde raide. »

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