Créé le: 21.01.2022
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Animal, Notre société, Nouvelle

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Chapitre 1

1

Laisser entrer un peu de lumière dans sa vie signifie parfois simplement s'ouvrir à ceux et celles qui nous entourent...
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— Lumières! prononce Anne-Sophie à haute et intelligible voix.

Aussitôt le couloir s’éclaire: une lumière douce et chaleureuse adaptée à la fin de journée. L’automne a pris ses quartiers et Anne-Sophie apprécie que sa maison l’accueille en s’allumant.

Surtout qu’elle rentre tard, la nuit commence à s’installer. Elle a dû rattraper sa pause de midi passée ici même, avec l’architecte chargé de rénover sa maison. Il lui a remis les clés, geste symbolisant la fin des travaux.

Ce soir, Anne-Sophie peut enfin profiter de tous les aménagements qu’elle a demandés.

— Miss Patmore, qu’est-ce que vous me proposez pour le repas?

Une voix métallique et mélodieuse lui répond.

— Je suggère un plat rapide, vu l’heure tardive, mais néanmoins nourrissant, car je crois savoir que vous n’avez pas eu un repas convenable à midi.

— C’est exact.

— Une quiche au fromage avec une salade fera l’affaire, si cela vous sied.

— Parfait. De quoi avons-nous besoin?

Alors que Miss Patmore énumère les ingrédients nécessaires, le four s’allume. Anne-Sophie ne s’inquiète pas des degrés ou du programme, tout est sous contrôle. Car Miss Patmore — du nom de la cuisinière prolifique de Downtown Abbey — est à la fois son réfrigérateur, son commis de cuisine et son chef. Anne-Sophie lui fait entièrement confiance. Elle sort du frigo œufs, fromage râpé, crème et pâte feuilletée qu’elle trouve aisément puisque la recette proposée tient compte du contenu de ses placards.

Quand il manque quelque chose, Miss Patmore l’ajoute sur une application qui se synchronise avec le smartphone d’Anne-Sophie. Plus de soucis pour la liste des courses: elle s’actualise toute seule.

Elle dépose la quiche dans le four et se sert un verre de vin rouge. Elle le laisse sur le plan de travail pour l’aérer et se dirige dans le salon. La lumière se met en veille dans la cuisine et la suit.

— Télé, dit Anne-Sophie en s’asseyant sur le divan.

Aussitôt le téléviseur s’allume.

— Que souhaitez-vous regarder? lui demande une voix synthétique masculine avec un léger accent anglais. Un film? Un documentaire? Un talk-show?

Anne-Sophie sourit. Elle a choisi l’accent de l’IA en pensant qu’il la mettrait de bonne humeur. Mission réussie.

— Un documentaire s’il te plaît, Maestro.

Elle n’a pas besoin d’être aussi polie. L’IA ne se formalise pas du ton sur lequel on lui parle, du moment que le propos est intelligible. Mais ils n’en sont qu’au début de leur relation et elle doit s’habituer. Peut-être qu’un jour elle passera en mode tutoiement. Pour l’instant elle apprécie ce côté formel.

— J’ai répertorié 6 documentaires, en fonction des goûts que vous avez notifiés. Vous souhaitez un descriptif succinct?

— Non, choisis au hasard.

— Je ne peux pas, Madame.

— Prends le 2e de la liste.

— Très bien. Je le démarre tout de suite?

— Non, je le regarderai en mangeant. Je vais d’abord lire mon courrier.

La télé se met en veille et la lumière à côté d’elle s’intensifie pour lui faciliter la lecture. Fabuleuses, les possibilités d’une maison à la pointe de la domotique, se réjouit Anne-Sophie.

Son repas fini, le documentaire terminé, elle monte à l’étage où la lumière la suit. Quand elle entre dans sa chambre, l’éclairage reste tamisé pendant que les stores s’abaissent. Maestro est paramétré pour préserver son intimité. La programmation est évolutive et s’ajustera à elle au fil des jours. Mais les réglages de base effectués à la commande semblent déjà bien adaptés.

Elle enfile un pyjama et se glisse sous les draps.

— Bonne nuit Maestro.

— Bonne nuit Madame.

Elle entend alors la maison se mettre en veille, les serrures se fermer et les stores au rez-de-chaussée se baisser.

Enchantée de sa toute première soirée dans sa nouvelle maison, Anne-Sophie s’endort paisiblement. Elle se réjouit de pouvoir profiter de tous les avantages de la domotique et surtout de la tranquillité dans ce petit pavillon de banlieue. Situé dans un lotissement en bordure de champs et jumelé avec ses voisins par les garages, elle évite ainsi la frénésie de la ville et les nuisances sonores. Le calme, voilà tout ce qu’elle souhaite!

Étalée en diagonale, Anne-Sophie savoure le fait d’avoir toute la surface du lit pour elle. Une forme de vengeance contre son ex qui l’a trompée après 8 ans de vie commune. Le soir de ses 30 ans en plus. Dans les toilettes du restaurant où la fête avait lieu, avec la serveuse.

La nuit même il a élu domicile sur le canapé. Contrit, il a tenté de s’excuser, plaidé sa cause, demandé comment se racheter. Elle est restée de marbre.

Le lendemain, à son travail, elle sollicitait une mutation. La chance lui sourit, car un mois plus tard elle quittait définitivement la cohabitation inconfortable avec son ex, lui laissant l’appart et tous les meubles qu’elle ne voulait plus voir.

Elle emménagea dans un studio en attendant de trouver cette petite villa qu’elle fit entièrement refaire. Son compte en banque à sec et une dette en cours, elle allait néanmoins passer le cap des 31 sereinement.

Elle se retourne dans le lit, regarde son réveil: dans 5 minutes il lui dira qu’il est l’heure de se lever. Anne-Sophie s’étire et soudain son pied droit heurte un obstacle. Elle tâte du bout des orteils: c’est mou, c’est vivant, c’est chaud et ça recule pour éviter d’être poussé. Elle soulève une tête encore endormie et aperçoit une forme sombre sur le duvet vers ses pieds.

— Lumières, chuchote-t-elle.

Peu à peu elle distingue les contours de la pièce et la forme sombre prend corps.

Un chat! Comment est-il rentré? Et il est noir en plus. Elle se redresse, pleinement réveillée. Le mouvement alerte le chat qui saute du lit et s’enfuit dans les escaliers.

Elle frissonne. Malgré son amour pour les technologies modernes, elle a un petit côté superstitieux. Elle n’aurait jamais acheté cette maison si son numéro avait été le 13. Mais le 24 lui allait bien. Elle ne passe jamais sous une échelle et jette parfois, sans vraiment s’en rendre compte, une pincée de sel derrière son épaule. Alors, trouver un chat noir sur son lit le premier matin dans sa nouvelle maison la déconcerte. Elle n’a pas envie de prendre cette visite pour un présage négatif et préfère la classer comme un incident isolé. Elle tient trop à son nouveau foyer. Elle espère que son footing matinal va lui faire oublier cette rencontre impromptue.

Le soir, quand elle rentre de son travail, elle ne pense plus au chat. Mais le lendemain, Anne-Sophie devine qu’il est revenu. Pas dans sa chambre, ces animaux sont malins et il a compris que la propriétaire a changé. Il essaye pourtant de faire sa place, doucement, en témoignent les poils noirs disséminés sur le canapé. Il faudra qu’elle trouve par où il s’introduit dans la maison.

Ce vendredi est une belle journée d’automne, agréable, presque chaude. Mais Anne-Sophie n’est pas rentrée tôt pour en profiter. Elle a prévu d’établir une liste de repas pour toute la semaine avec Miss Patmore. La cuisinière enverra la commande à l’épicerie et un commis livrera les marchandises samedi. Dimanche, elles confectionneront les plats, plats qu’Anne-Sophie mettra dans le four avant de partir le matin et que Miss Patmore se chargera de réchauffer pour son retour du travail.

Anne-Sophie se réjouit, la domotique permet tant de choses. De planifier, de ne manquer de rien, d’être bien chez soi, de garder l’esprit tranquille.

Alors que Miss Patmore lui fait des propositions de repas pour le jeudi, la sonnerie d’entrée retentit.

— Madame, il y a une petite fille sur le perron, l’informe Maestro.

Anne-Sophie soupire et se dirige vers la porte.

Visage allongé, tresse brune, taches de rousseur, salopette, t-shirt, baskets, la fillette la regarde avec des yeux ronds, mais reste silencieuse sur le paillasson.

— Tu veux quelque chose? lui demande Anne-Sophie.

— Non… Oui… Je voulais vous souhaiter la bienvenue.

— Merci, c’est gentil à toi. Mais tu m’excuses, je suis occupée.

La fillette ne bouge pas, elle regarde derrière Anne-Sophie, curieuse.

— Ça a beaucoup changé, fait-elle remarquer après un moment. Madame Dubois, l’ancienne propriétaire, avait plein de tableaux partout. Et des tapis, ajoute la fillette en fixant le sol de l’entrée.

— J’ai tout rénové, explique Anne-Sophie qui fait un effort pour garder son calme. Et c’était ses affaires à elle, moi je n’en ai pas autant.

— Vous avez moins d’affaires pour l’instant, parce que vous n’êtes pas aussi vieille que Madame Dubois.

— Oui, voilà, c’est ça. Bon, comme je disais, je suis occupée. Alors au revoir.

— Au revoir.

Anne-Sophie referme la porte, certaine que la fillette va rester plantée là. Elle jette un œil sur les écrans de surveillance: bingo!

Elle soupire et retourne à la cuisine. Pourvu que cette petite fille n’essaye pas de s’incruster. Elle est venue ici pour être tranquille.

— Miss Patmore, où en étions-nous?

— Au jeudi, Madame.

Une fois les menus établis, Miss Patmore passe la commande et Anne-Sophie s’installe devant la télé avec son repas.

Le lendemain, en rentrant de son footing, Anne-Sophie est abordée par la fillette.

— Vous n’auriez pas vu Monsieur Francis?

— Non. Je me suis levée et je suis tout de suite allé courir. Je n’ai croisé personne, à part une dame qui promenait son chien.

— Ah.

La déception est visible dans tout le corps de la fillette qui se dégonfle, vidé de tout espoir.

— Vous êtes sûre?

— Oui.

Anne-Sophie se retient de préciser qu’elle est nouvelle et ne connaît pas encore tous les retraités du quartier.

— Parce que des fois l’ancienne propriétaire partageait ses quatre heures avec lui.

— C’est pas encore l’heure du goûter.

— C’est vrai, désolée de vous avoir dérangée.

Un jour plus tard, alors qu’elle et Miss Patmore cuisinent les repas de la semaine, la sonnerie de l’entrée les interrompt dans la confection du plat de mercredi.

— C’est la petite fille, annonce Maestro.

Encore elle? Anne-Sophie confie la casserole à Miss Patmore et va répondre.

— Bonjour madame, ma maman m’a chargée de vous remettre ces biscuits pour vous souhaiter la bienvenue.

— Merci, dit Anne-Sophie en regardant dans la rue. Elle n’est pas avec toi?

— Non, elle est allé travailler. Elle m’a dit de bien vous préciser que les biscuits sont faits maison, sans gluten, avec du sucre brun, sans cacahuète non plus, à cause des allergies.

— D’accord, c’est très gentil à elle, tu la remercieras.

— Elle m’a dit aussi de m’excuser pour vous avoir dérangée.

— C’est pas grave.

— Et vous pouvez garder la boîte.

Anne-Sophie contemple le décor de Noël entre ses mains puis rappelle la fillette qui s’éloigne déjà.

— L’ancienne propriétaire avait un chat?

— Non.

— Tu en es certaine?

Regard appuyé de la fillette qui dit clairement «je sais de quoi je parle».

— D’accord, je te crois.

Anne-Sophie hoche la tête, un chat noir squatteur, une fillette envahissante et en plus un vieux monsieur sénile. Et elle qui voulait se mettre au calme!

— Tu es toute seule chez toi? s’inquiète Anne-Sophie malgré elle.

— Non, Monsieur Francis me tient compagnie.

— Vous l’avez retrouvé?

— Il n’était pas vraiment perdu, il est juste allé faire une promenade. Il est revenu pour le repas.

— Ah, c’est bien.

Peut-être un peu sénile, le vieux Monsieur Francis, mais au moins il prend soin de ses voisins.

Elle se dit que peut-être son quartier est sympathique, même si elle n’a pas l’intention de fraterniser, elle tient à sa solitude.

Ses derniers amis ont tous pris le côté de son ex, l’encourageant à lui donner une seconde chance, que ce n’était qu’un accident sous le coup de l’alcool, qu’ils allaient si bien ensemble et que comment elle pouvait être pareillement sans cœur? Avec les meubles, elle a aussi laissé à son ex leurs amis.

Elle a mis les contacts sociaux de côté pour l’instant. Elle a besoin de vivre un moment en ermite pour guérir et pouvoir à nouveau faire confiance à des êtres humains.

Au fil des jours, Anne-Sophie se familiarise avec son nouvel environnement. En dehors de son travail et son footing quotidien, elle se fait parfois un ciné ou une expo, en solitaire.

Elle a repéré Monsieur Francis. Enfin, elle a vu un retraité se balader dans le quartier, affichant un air charmeur dès qu’il la croise. Ce ne peut être que lui. Il doit espérer qu’Anne-Sophie l’invite pour le «goûter». Jusqu’ici elle a réussi à l’éviter, se bornant à le saluer de loin.

Grâce à la complicité de Maestro, elle a également réussi à ne pas se retrouver face à la fillette. S’il la repère sur les caméras extérieures, il avertit Anne-Sophie qui retarde sa sortie. Pareil quand elle revient du travail ou de son footing, elle interroge l’IA sur son smartphone pour savoir si la voie est libre.

Elle a un peu honte de se terrer ainsi. Mais juste un peu. Elle sent que la solitude la recentre sur elle-même, ce dont elle a besoin pour soigner ses blessures. Et puis elle n’est pas exactement seule: le chat s’applique toujours à laisser des poils sur le canapé.

Sans compter qu’elle a Miss Patmore, sous la houlette de qui elle adore cuisiner et explorer de nouveaux horizons culinaires.

— Si vous souhaitez inviter des amis, nous pourrions leur servir un bœuf Wellington, vu vos goûts, vous devriez adorer, lui suggère la cuisinière.

— C’est gentil, mais je ce n’est pas mon intention.

— Quel dommage! Mais si vous changez d’avis, avec l’application on peut faire la commande pour le soir même.

— Merci Miss Patmore, j’apprécie votre sollicitude, mais je suis bien toute seule.

De son côté, Maestro gère la maison. Il organise le stockage de la production des panneaux solaires qu’il redistribue pour chauffer l’eau, les différentes pièces ou pour toute autre consommation électrique. Il enclenche l’arrosage extérieur quand les plantes en ont besoin, se connecte au bulletin météo pour savoir s’il devra pousser les chauffages ou baisser les stores. Elle s’inquiétait un peu d’avoir une propriété à elle, mais l’aide de l’IA a balayé ses doutes.

Maestro s’avère également de très bonne conversation, quel que soit le sujet abordé. Il va puiser ses informations sur Internet, reste pondéré et contrôle ses sources. Elle prend un réel plaisir à se blottir dans le canapé pour se lancer dans des discussions, une bulle de lumière tamisée autour d’elle. Au moins, avec lui, aucun risque de trahison, de condescendance ou de conseils malvenus.

— Vous seriez certainement plus satisfaite de débattre avec de vraies personnes, suggère parfois Maestro.

— Non, rassure-toi, tu es parfait.

— Si vous le dites, j’en suis honoré, Madame.

Anne-Sophie s’installe confortablement dans sa routine, au point de presque tolérer les incursions félines. Du moins, elle a déterminé que malgré sa couleur, le chat ne lui porte pas malheur.

Aujourd’hui, elle s’est accordé quarante minutes de sommeil supplémentaires. Pas vraiment envie d’aller faire son footing alors qu’il pleut des cordes.

Anne-Sophie tâte le canapé: chaud et mouillé. Le clandestin à poil noir est venu se sécher ici, pas très attentionné! Peut-être aimerait-elle avoir un chat, une fois. Mais certainement pas noir. Et surtout, elle s’arrangerait pour qu’il ne sorte pas quand il pleut. Consternée, elle aperçoit des empreintes de pattes boueuses qui traversent le salon. Elle suit les traces jusqu’à la cuisine. Au bas de la porte qui donne sur le garage, parfaitement intégrée dans les contours du bois, elle découvre une chatière. Bien entendu! Elle aurait dû s’en douter.

— Maestro, tu sais qu’il y a une chatière ici?

— Oui madame.

— Vraiment? s’étonne Anne-Sophie. Pourquoi n’est-elle pas verrouillée?

— Pour que le chat puisse entrer et sortir.

— Je ne t’ai jamais demandé de laisser le chat circuler.

— Vous n’avez jamais dit qu’il n’en avait pas le droit. Il est avéré qu’un peu de compagnie fait du bien. D’ailleurs vous appréciez ce chat, non?

— Oui, mais… Verrouille la chatière s’il te plaît.

— C’est fait.

— Merci Maestro.

Elle ne sait pas comment interpréter les paroles de Maestro. Et Miss Patmore qui lui suggère d’inviter des amis pour le repas. Peut-être n’ont-ils pas compris son besoin de solitude. Après tout, ce sont des ordinateurs, même s’ils sont très intelligents.

Elle met son plat du jour dans le four tout en buvant une mixture de fruits et légumes. Un cocktail sain et vitaminé pour contrebalancer les cafés qu’elle consomme en trop grande quantité au travail. Elle enfile son manteau, ses bottes et sort.

— Maestro, fermeture de la maison.

Avant que la porte se referme, elle entrevoit l’aspirateur robot passer dans le couloir et nettoyer les empreintes boueuses. Elle sourit, sent un nuage d’apaisement fondre sur elle. Oui, elle est bien ici. À condition que le chat noir, la fillette et le vieux sénile l’oublient un peu.

Mais en rentrant chez elle en fin de journée, Anne-Sophie découvre la fillette en pleurs qui fait des aller-retour sur le trottoir. Pourquoi Maestro ne l’a-t-il pas prévenue?

— Il y a un problème? s’inquiète Anne-Sophie.

— C’est Monsieur Francis, il a disparu depuis hier soir.

— Il est certainement chez lui.

— Non, je ne l’ai pas vu.

— Dis-moi où il habite, il a peut-être eu un accident.

La fillette s’arrête de pleurer pour la regarder avec incompréhension.

— Il a pu faire un malaise, explique Anne-Sophie, ça arrive quand des personnes sont âgées.

— C’est mon chat.

— Quoi ton chat? Quel rapport avec Monsieur Francis?

Anne-Sophie commence à se demander si la fillette a toute sa tête.

— Monsieur Francis, c’est comme ça qu’il s’appelle.

Alors Anne-Sophie comprend. Il n’y a pas de vieux monsieur sénile, juste un chat à qui une petite fille a donné un drôle de nom.

— Monsieur Francis c’est ton chat?

— Oui.

— On va aller le chercher ensemble, si tu veux bien, mais d’abord je dois poser mes affaires. Désolée, je pensais que Monsieur Francis était un de nos voisins.

— C’est pas un nom de personne, c’est un nom de chat.

— Tu as raison. Mais tu disais que ta mère demandait à Monsieur Francis de te garder quand elle travaille.

— Il me tient compagnie. Mais sinon je suis seule, je suis une grande fille!

— Oui, effectivement, reconnait Anne-Sophie.

Elle essaye de deviner l’âge de la fillette: 10 ans — 12 ans. Elle commande l’ouverture du garage pour y déposer son vélo électrique. À peine la porte s’entrouvre qu’une boule de poils noirs s’en échappe.

— Monsieur Francis, s’exclame la fillette.

— C’est lui? Il squatte chez moi depuis que j’ai emménagé.

Après être parti se réfugier sous les taillis, le chat noir revient vers elles, queue dressée, en miaulant. Il se frotte contre les jambes de la fillette, hésite puis fait un passage entre les jambes d’Anne-Sophie.

— C’est sa manière de nous faire comprendre qu’il a faim.

Anne-Sophie inspecte la buanderie à l’arrière du garage. Au bas de la porte qui donne sur la terrasse, elle découvre une autre chatière. L’architecte a intégré le système au reste de la maison et à priori, le chat a la puce pour entrer et sortir. À condition qu’il ne soit pas verrouillé.

— Je dois avoir quelque chose pour toi, dit Anne-Sophie au chat, et peut-être aussi pour toi. Ta maman rentre quand?

— Dans la nuit, quand je dors. Mais elle m’a laissé un plat à réchauffer au micro-ondes.

— Va le chercher, on mangera tous les trois.

— Super!

La fillette disparaît dans la maison voisine. Monsieur Francis hésite à la suivre, s’assied finalement dans le garage et entreprend sa toilette.

— Je pense qu’il va falloir que je m’habitue à toi, parce que même si je condamne les chatières, tu trouveras un moyen de rentrer et t’enfermer chez moi.

Le chat ne réagit pas.

— Maestro, déverrouille les chatières.

— Avec plaisir, Madame.

Anne-Sophie dépose ses affaires dans l’entrée et monte se changer. Quand elle regagne la cuisine, le chat s’est installé sur une chaise. Il n’a pas mis long à comprendre. Le calme et la solitude ne sont peut-être pas pour elle.

— Miss Patmore, peut-on rajouter un plat à réchauffer dans le four?

— Oui, bien évidemment, la cuisson vient de commencer.

— Wouahou, votre four vous parle, s’exclame la fillette qui se tient à l’entrée de la pièce, un plat de moussaka dans les mains.

— Oui, cuisinière, frigo, placard, Miss Patmore gère tout ça.

— Miss Patmore?

— Oui c’est comme ça que je l’ai baptisée.

La fillette éclate de rire.

— Et vous trouvez bizarre que j’appelle mon chat Monsieur Francis.

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